Chapitre 2

445 Words
Chapitre 2« Monsieur Mestrallet, je dois, hélas, vous interrompre. Mon assistant m’annonce que la liaison avec Mme Sørensen vient d’être établie. Madame Margaux Sørensen, monsieur Léo Mestrallet, merci d’avoir accepté cette entrevue par visioconférence. Dans moins d’un an sera commémoré le cinquantenaire de la prise de pouvoir d’Anton Kalysto qui marqua le début de ce que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de French Disruption. Vous êtes mondialement reconnus, madame pour vos travaux scientifiques, monsieur pour vos œuvres musicales. Et pourtant, on découvre dans vos biographies respectives, de façon allusive, que vous avez vécu de très près ces événements historiques. Mon directeur des programmes m’a donné carte blanche pour réaliser un film relatant cette époque troublée. J’ai opté pour un docu-fiction, un scénario à deux narrateurs. Des comédiens vous incarneront à l’époque des faits, offrant ainsi des points de vue complémentaires. Si nous sommes ensemble, aujourd’hui, c’est que vous avez accepté, après réflexion, de collaborer à ce projet. Nous allons aujourd’hui enregistrer vos témoignages. Ils serviront de base d’écriture à nos scénaristes. Afin de saisir les ressorts psychologiques de vos personnages et ainsi rendre notre fiction plus proche de la vérité, je vous demanderais de rendre compte en toute sincérité, non seulement des faits, mais aussi de votre vécu personnel. Si, par ailleurs, vous avez retrouvé, ces derniers jours, des documents intéressants, n’hésitez pas, le moment venu, à nous les présenter. Pour commencer, permettez-moi de poser à chacun de vous la même question personnelle : “Pourquoi avoir attendu si longtemps pour témoigner ?” –Sans doute pour ne pas souffrir. Ne pas souffrir en ressuscitant par ma parole des êtres trop tôt arrachés à la vie. J’arrive au terme de ma vie d’artiste. J’étais pianiste et par la force des choses je suis devenu compositeur. Au début de ma seconde carrière, des critiques ont raillé mon exaltation jugée excessive, notamment dans mon ode Justice et Liberté ou dans mon opéra Cycle Arthurien. Et pourtant, comme ces œuvres me paraissent bien fades au regard des torrents d’émotion qui manquèrent de m’emporter dans ma jeunesse et qui furent néanmoins la source de toutes mes compositions ! –Quant à moi, je me sens pleinement délivrée aujourd’hui du serment de confidentialité tacite que j’avais prêté à Anton Kalysto. Mes propos permettront, je l’espère, de nuancer le portrait par trop machiavélique et mégalomaniaque que de nombreux historiens ont dressé de cet homme. Cette séquence historique fut certes très discutable, je dois l’admettre, mais Anton Kalysto chérissait la France. Il était animé par un amour sincère du bien public, notion passablement démodée à l’époque… À bien y réfléchir, s’il m’a invitée à le suivre, c’est peut-être pour que je puisse témoigner aujourd’hui de l’idéal qui l’animait. –Bien. Mais avant de vous laisser complètement la parole, pourriez-vous nous donner quelques éléments biographiques permettant de vous situer dans le contexte où va commencer votre récit, à savoir la France de la fin des années dix ? »
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