Chapitre 10-4

1456 Words
Elle se secoua, elle avait d’autres tâches à accomplir, elle s’occuperait de tout cela plus tard. Tournant les talons, elle courut vers Lumière. Une fois à cheval, elle partit au galop sur le chemin que les autres avaient emprunté. Sa stratégie ne leur avait permis que de gagner du temps sur des adversaires trop nombreux et de se débarrasser de Bascetti. À présent, la petite troupe composée de Hubert, Airin et Barnais devait être talonnée, avec en prime le risque de se retrouver en mauvaise posture… Par les fées, pourvu que son plan ne se retournât pas contre eux ! Elle essayait de les visualiser, mais son esprit semblait incapable de renouveler ses projections dans l’espace. Dépitée, elle se contenta donc de suivre les traces laissées par les cavaliers et d’estimer l’avance qu’ils avaient prise sur elle. — Va, Lumière, va, ma belle ! Il faut les rattraper ! Lumière fonçait, réduisant à chaque foulée la distance qui séparait sa maîtresse de son groupe. Bientôt, Aila l’amena à ralentir quand, enfin, elle perçut ce qu’elle ne pouvait voir. Ses trois compagnons avaient trouvé refuge dans une petite cabane au pied d’une falaise, espérant repousser, ne serait-ce que temporairement, leurs assaillants. Malheureusement pour eux, ces derniers se préparaient à incendier leur abri de fortune. Plus par prudence que par hésitation, ils n’étaient pas encore passés à l’acte, ayant déjà perdu plusieurs des leurs, transpercés par quelques carreaux. Elle n’en revenait pas, Airin utilisait une arbalète et tirait adroitement ! Elle sourit. Décidément, cet homme ne cesserait jamais de la surprendre… Pendant un long moment, la jeune fille resta songeuse, cherchant la meilleure façon d’aider ses compagnons. Projetant son esprit, elle évalua la configuration du lieu, le nombre de leurs opposants et soupira : « Encore quatorze ». Quatorze contre quatre… La situation demeurait défavorable, mais ils allaient s’en sortir ! Comment ? Tout n’était pas clair dans sa tête, mais il était absolument hors de question qu’elle les laissât brûler dans la maison ! Un instant, elle imagina de tuer les hommes de main de Bascetti un par un. Cependant, elle prit rapidement conscience que, étant trop groupés, la disparition de l’un ou l’autre ne passerait pas inaperçue et elle y perdrait l’effet de surprise. Un bruit de sabots attira son attention. De nouveaux cavaliers arrivaient par le chemin ! Espérant de toutes ses forces que ce ne fût pas des renforts pour les mercenaires, elle talonna Lumière et s’enfonça à couvert. Dissimulée, elle regarda s’approcher les nouveaux venus, puis, ressentant un immense soulagement, elle s’élança vers eux : — Aubin ! Sire Avelin ! s’écria-t-elle. Quel plaisir de vous revoir ! Vous tombez à pic ! Les cavaliers s’arrêtèrent. — Aila ! Tu as vu, s’exclama Aubin, je deviens presque aussi bon que toi pour suivre les traces ! Quand nous avons découvert les archers agonisant par terre, j’étais sûr qu’ils t’avaient servi de cibles mouvantes ! Nous avons préféré remonter la piste la plus nette; l’autre n’indiquait qu’un seul cavalier isolé qui filait vers l’ouest. — Tu as bien fait, il est mort. Mais par quel heureux hasard je vous retrouve ici ? — Nous sommes arrivés à Antan en même temps que Blaise. Hubert sollicitait de l’aide et nous voilà ! Où sont-ils ? — À l’abri dans une cabane à quelques centaines de mètres devant nous, mais encerclés par une quinzaine d’hommes qui projettent d’y mettre le feu. — Qu’attendons-nous pour les délivrer ! s’écria Avelin. — Doucement ! D’abord, je vous explique ce que j’ai observé et après, si vous voyez les choses ainsi, on fonce ! Votre arrivée va enfin rétablir l’équilibre des forces. Maintenant, à six contre quatorze, c’est tout de même plus avantageux… Elle leur décrivit le lieu, la répartition des hommes de main, et le degré de préparation de leur funeste projet. — Le mieux consisterait à en éliminer quelques-uns de plus avant d’attaquer. Qu’en pensez-vous ? questionna-t-elle. — Ce serait très bien, mais qui s’en charge ? s’enquit Avelin. — Aubin et moi excellons au tir; chacun de nous peut se débarrasser d’au moins trois mercenaires assez rapidement. Alors ? Aubin et Avelin donnèrent leur accord. Laissant les chevaux suffisamment loin, Aubin se glissa sur la droite et Aila sur la gauche, tandis qu’Avelin se positionnait en observateur prudent, mais prêt à intervenir. Elle dénombra cinq hommes de son côté et songea que ce serait tellement pratique si elle pouvait les tuer tous simultanément. Elle prit cinq flèches dans son carquois et, intensément, les observa dans sa main ouverte. Moqueuse, elle pensa : « Ce serait si simple s’il me suffisait de dire : filez, mes cinq flèches, droit dans le cœur de mes ennemis ! » Et ce fut ce qu’elles firent… Les flèches quittèrent sa paume et fondirent toutes les cinq vers les mercenaires qu’elles atteignirent en plein cœur. Ils s’effondrèrent. Aila était statufiée : « Mais comment ai-je fait cela ? Par les fées, mais comment j’ai fait cela ? » Elle entendit le signal d’attaque lancé par Avelin, mais, immobile, elle fixait sa main, revoyant les flèches filer toutes seules. « Je deviens folle… » — Aila ! Viens ! cria Aubin. Elle se secoua et, poussant un hurlement, fondit dans la bagarre. Le combat était achevé depuis longtemps. Le groupe, enrichi de deux membres, avait décidé de dormir tassé dans la cabane qui leur fournirait au moins un abri pour une nuit dont l’obscurité noircissait la forêt. Aila leur apprit la mort de Bascetti, sans parler de sa lutte avec Tête, puis n’ouvrit plus la bouche de la soirée, s’esquivant même discrètement, alors que la conversation battait son plein. Enthousiastes, Barnais et Airin narraient à qui voulait les écouter leurs exploits et comment ils s’en étaient merveilleusement tirés pour un « vieux » et un « joli cœur », comme ils se décrivaient. Surpris par son absence, Aubin vint rejoindre sa sœur, dehors : — Des soucis, Aila ? Cela ne s’est pas bien passé avec sire Hubert ? — Si. Enfin, au départ, non. Après, cela a été mieux, même bien. — Raconte-moi tes aventures. Parce que pour moi, à part ce soir, ce fut plutôt un calme plat ! — Tu sais, pas grand-chose : un… Elle avait failli avouer un premier b****r, mais elle se retint; elle n’avait pas envie d’en parler : — … château, des robes de princesse, un bal, une demande en mariage. Tout ce qui fait la vie d’une femme, sans plus… — Tu me fais marcher ? — Non, pas du tout, j’ai vraiment traversé toutes ces épreuves ! — Et qui donc voulait t’épouser ? Dis-moi, ce fut un vrai coup de foudre ! — Et il s’est abattu sur ma vie ! Comme tu vois, j’ai résisté… Tout est pour le mieux… Aubin, elle le devinait, n’en était pas convaincu : — Tu en es sûre ? — Oui, Aubin. J’ai vécu beaucoup de moments très intenses en un temps limité et, ce soir, je me sens un peu… lasse. Après une bonne nuit de sommeil, il n’y paraîtra plus. — Bon, si tu le dis… Au fait, tu as fait comment pour tirer aussi vite tout à l’heure ? J’ai vu tomber au moins trois hommes simultanément et, au final, tu en as descendu cinq ! — Je ne sais pas. J’ai dû débuter une poignée de secondes avant toi. En tout cas, je te le promets, je ne me suis pas fabriqué un arc à plusieurs flèches ! Elle plaisanta avec Aubin qui lui jeta un dernier regard circonspect avant de se retirer. Et pourtant, elle n’avait pas envie de rire, elle avait effectivement tiré cinq flèches en même temps et se trouverait carrément dans l’incapacité de recommencer tout de suite, si on le lui demandait. Elle ignorait comment elle avait accompli cette prouesse. D’ailleurs était-ce bien elle qui l’avait réalisée ? Les yeux dans le vide, elle se recroquevilla, sa tête sur ses bras croisés, reposant eux-mêmes sur ses genoux. Elle demeurait dans cet état depuis un bon moment quand Hubert vint la rejoindre : — Aila, où étiez-vous donc passée ? Je vous cherchais… — J’avais besoin de calme. Désolée de vous avoir faussé compagnie, dit-elle. Changeant de sujet, elle ajouta : — Alors, vous m’avez encore fait des cachotteries… Hubert hocha la tête : — Pour Aubin et Avelin ? Non, pas vraiment. J’avais en réalité envoyé Blaise réclamer des secours à Antan, mais si la chance n’avait pas voulu qu’Aubin et Avelin s’y trouvent, nous n’aurions reçu aucune aide. J’ai évité de vous donner de faux espoirs. Je souhaite que vous ne m’en teniez pas rigueur… Elle approuva, avec compréhension : — Je ne peux pas vous le reprocher. Je me sentais réellement préoccupée par notre solitude en face à nos ennemis, mais j’ai refusé de vous transmettre mon inquiétude en la partageant avec vous. Vous êtes donc pardonné. Silencieux, ils écoutèrent les bruits de la nuit avant qu’elle reprît : — Sire Hubert, je voulais vous demander… Elle hésita à poursuivre. Hubert tournait le dos à la faible lumière issue de la cabane et elle s’étonna d’arriver à voir ses yeux malgré tout. — Pourquoi… ? Elle s’arrêta à nouveau. Elle craignait les mots qu’elle allait prononcer et encore plus la réponse qu’elle risquait d’obtenir. — Aila, si vous ne terminez pas votre phrase, je ne pourrai pas répondre… — J’ai dit à tout le monde ce qu’il devait exécuter. Vous avez tous obtempéré à une simple combattante, personne n’a protesté. Même pas vous… Hubert se tut un moment, avant de déclarer : — Voilà une remarque pertinente… Vous paraissiez voir ce qui nous échappait et votre certitude nous a gagnés. Je n’ai pas songé un seul instant à remettre vos choix en cause… Tout en disant ces mots, Hubert semblait réaliser leur signification : ce petit bout de fille de seize ans s’était imposée comme leur chef, alors qu’il représentait le roi. Dérangé par cette idée, il se leva brusquement, lui rappelant juste qu’elle devait venir se coucher. Elle le regarda rentrer dans la cabane et attendit encore un peu avant de se décider à y retourner.
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