Chapitre 10-3

2305 Words
— Vous vous êtes servie de nous ! Voilà tout ce que vous avez fait ! Vous mettez la vie de mon père en danger juste pour capturer Bascetti, cela me répugne au plus haut point ! Père, rentrons ! Poursuivez votre chemin et allez vous faire égorger tout seuls ! Vous ne savez rien et vous n’êtes rien ! Barnais hurlait, mais son discours ainsi que la colère qu’il éprouvait étaient distinctement adressés à Aila. — Descendez de cheval ! Et je ne le répéterai pas ! s’exclama-t-elle, avec un ton sans appel. Lui jetant son regard meurtrier, elle glissa de sa selle. Goguenard, il s’exécuta : — Que voulez-vous essayer de prouver, dame Aila ? se moqua le fils d’Airin. — Combien de temps, Barnais, croyez-vous que je vous résisterai dans un combat à mains nues ? Il hurla littéralement de rire. — Vous savez peut-être tirer à l’arc, mignonne, mais la force d’un homme n’a rien à voir avec… — Arrêtez donc de bavasser ! Votre réponse ? — Je vous bats en aussi peu de temps qu’il en faut pour le dire ! affirma-t-il, la défiant du regard. — Pari tenu ! Et Aila s’élança. Quelques secondes plus tard, Barnais était mis à terre et immobilisé. Après lui avoir prouvé que, même en se tortillant de toutes ses forces, il n’arrivait pas à se libérer de sa prise. Elle le relâcha et ce fut un homme fou furieux qui se releva. — Considérez que vous avez de la chance ! Un autre que vous agoniserait au sol, la nuque brisée ! ajouta-t-elle. Il s’apprêtait à bondir de nouveau sur elle quand Hubert, descendu de cheval, le retint : — Barnais, cela suffit ! Savez-vous que, si elle n’avait pas décidé que vous méritiez de vivre, j’aurais choisi sa vie à la vôtre ? Nous serions déjà à Avotour et vous sur le point de mourir seuls ! Alors, vous avez intérêt à écouter votre futur roi avant qu’il ne calme votre rage d’un bon coup de poing. Est-ce que je peux vous lâcher maintenant ? Il opina, certes à contrecœur, et rajusta sa veste, tandis qu’Hubert s’écartait de lui. — Une des actrices de ce complot destiné à vous supprimer était Rebecca qui devait vous attirer dans un piège, mais, en vous séparant d’elle, vous avez contrarié ses plans. Aila a passé son temps à veiller sur vous, discrètement. Vous ignoriez qu’elle accomplissait sa mission, alors qu’elle courait elle-même un danger. Lorsqu’elle a récupéré Astria, un traître a sectionné la corde qui la retenait, elle aurait dû mourir… Barnais ouvrit la bouche, mais le regard sévère du prince coupa court à toute interruption. — Je lui ai proposé de repartir immédiatement et elle a refusé. Selon elle, vous méritiez d’être sauvé. Une remarque, Barnais ? Elle mettait à nouveau sa vie en danger pour vous quand, tous les matins, pour ne rien changer à ses habitudes, elle se promenait seule, malgré mes réticences. Il ne fallait pas que quiconque puisse soupçonner ce que nous avions décelé. Puis vous avez bousculé nos plans en décidant de partir tous les deux. Nous aurions pu vous laisser courir à votre perte, mais nous avons préféré vous accompagner et prendre de gros risques pour vous protéger. Un commentaire, Barnais ? Aila et moi savons nous battre, mais vous, cloué au sol en moins de deux ! Elle va devoir combattre pour trois ! Expliquez-moi ce qu’elle y gagne ? Finalement, Bascetti, nous l’aurions attrapé un jour ou l’autre ! Barnais était devenu rouge de honte et Airin toussota : — Je crois que mon grand dadais de fils n’a pas encore perdu toutes ses mauvaises manies. Je vous prierais de bien vouloir lui pardonner sa dernière erreur de jeunesse, car je pense qu’après celle-là il hésitera à en commettre d’autres… Personnellement, je choisis de continuer. Moi aussi, dans mon bel âge, j’ai été un homme vaillant et compétent. Vous devez me considérer comme plus que rouillé, mais pas tant que cela, je m’entraîne régulièrement. Toutefois, je pratique discrètement, n’ayant aucune envie de devenir la cible des moqueries au château… Je vous suis et ne vous demande qu’une chose. Si de nous deux, vous devez sauver quelqu’un, choisissez mon fils. Toi, tais-toi, tu as dit assez de bêtises pour aujourd’hui ! Il est mon seul héritier et comme, maintenant, il gagne en sagesse, comme une image, il se posera en très précieux allié pour notre pays. Moi, à mon âge, les années sont comptées et puis mourir ne me déplaît pas; je pourrais retrouver Amandine, ma femme, et je m’en estimerais heureux. Aila étouffa un cri de surprise. La promise de Barnais et sa mère portaient le même prénom ! — Dame Aila, sire Hubert, je m’en remets à vous, conclut Airin. Le prince semblait sur le point d’ajouter quelque chose, mais il se retint. « Encore », pensa Aila. Qu’hésitait-il donc à partager avec elle ? Plus ils avançaient, plus ils se rapprochaient de leurs ennemis. Aila sentait leur présence comme si elle avait été à leur côté. Elle n’avait pas encore réussi à évaluer leur nombre exact, mais elle en imaginait plus d’une vingtaine et eux n’étaient que quatre. Elle avait rapidement transmis cette information à ses compagnons, mais tous avaient choisi de continuer. Restant près d’eux, elle leur communiquait ce qu’elle percevait. Elle estima que le nombre des combattants à l’épée surpassait celui des quelques rares archers : ils constituaient donc la cible principale dont elle devrait se débarrasser en premier. Elle décela où Bascetti, observateur lointain, s’était posté ; sur un promontoire rocheux, il attendait leur assassinat avec confiance et délectation. Comme c’était étrange, elle avait même deviné ce qu’il pensait… Il devint évident à Aila qu’une attaque frontale se révélerait meurtrière pour eux, car leurs adversaires étaient bien trop nombreux. Il allait falloir ruser, mais comment ? Dans sa tête, elle agençait progressivement tous les pions et entrevit l’incroyable possibilité d’éviter le c*****e. Cela paraissait presque trop simple. Elle leur murmura : — Voici mon plan qui a toutes les chances de marcher si vous l’exécutez à la lettre. Un peu plus loin, sur votre gauche, un chemin bifurque dans la forêt et vous l’emprunterez. — Comment savez-vous tout cela, dame Aila ? interrogea Airin en chuchotant. Elle le fixa un instant comme s’il venait d’énoncer une absurdité. — Je le sais, c’est tout. Faites-moi confiance. Mais, au fond d’elle-même, comme lui, elle se posait la même question. Elle n’était jamais passée par ici ! Que savait-elle d’autre dont elle n’avait pas conscience ? Si seulement elle arrivait à se souvenir… — J’abats les archers en premier, ajouta-t-elle. — Combien sont-ils ? s’enquit Hubert. — Quatre, non, cinq… Le plus dangereux s’est caché en hauteur dans un arbre, je commencerai par lui. Ainsi, vous ne courrez plus le risque qu’une flèche vous transperce. Je compte sur l’effet de surprise que vont déclencher nos actions combinées. Troublés, ils mettront un certain temps pour récupérer les chevaux, qu’ils ont attachés à l’écart sur leur droite, avant de vous poursuivre. Leur organisation laisse vraiment à désirer ! Préparez-vous, je vais tirer sans tarder. Aila émit un petit rire pour donner l’illusion d’une conversation banale et légère. — D’ici ? Mais nous sommes trop éloignés et l’on n’aperçoit pas les archers…, se permit Barnais. Quand il rencontra le regard d’Aila, il se tut et eut la judicieuse idée de baisser les yeux. Ils avancèrent encore un peu. — Et vous, dame Aila ? demanda Airin. Quand vous retrouverons-nous ? La combattante, sensible à l’intérêt du châtelain, répondit gentiment : — Ne vous inquiétez pas pour moi. Je me charge de Bascetti et je vous rattrape. Je n’aurai aucun mal à suivre vos traces. Hubert, vous êtes impayable ! s’exclama-t-elle, tout haut. Puis elle poursuivit à voix basse : — Vous voyez la route à gauche, là-bas, c’est celle-là. Dès que je tire, vous lancez vos chevaux au galop, vous vous y engouffrez et vous ne vous arrêtez plus ! Elle croisa les yeux bleus d’Hubert posés sur elle. Ils paraissaient si sérieux, presque sévères à moins que cela ne traduisît l’expression d’une inquiétude cachée… L’espace d’un instant, Aila pensa qu’elle et le prince se regardaient pour la dernière fois et elle n’arriva pas à lui sourire. Soudain, comme un éclair, elle arma son arc et décocha sa flèche. Elle entendit ses compagnons éperonner leurs montures qui partirent au grand galop. Elle tira deux, trois, quatre fois, et si vite que cela lui donna l’impression de voir le monde évoluer au ralenti autour d’elle, avant qu’il s’accélérât de nouveau. Elle apercevait des hommes venir vers elle, épées levées, et percevait leurs pensées « Une femme ! Quelle aubaine ! Commençons donc par elle ! » Elle prit son temps pour armer une dernière flèche et la lança. Les cinq archers mis hors d’état de nuire, elle talonna Lumière en lui faisait effectuer un demi-tour, se frayant un chemin parmi les buissons de la forêt, au grand dam de ses poursuivants. Elle entendit crier derrière elle : « Allez chercher les chevaux ! », alors elle conclut que son idée avait été la bonne. « Maintenant, au tour de Bascetti », se décida-t-elle. Elle ressentait la confusion qui s’emparait de l’homme. De son poste de guet, il ne voyait pas tout, mais pressentait que les choses ne se déroulaient pas comme prévu. Il hésitait entre rester et s’éclipser… Elle devait se dépêcher. « Plus vite, Lumière », murmura-t-elle à son cheval, qui, encore plus vive et légère, bondit au-dessus des obstacles. Soudain, elle détecta une présence à côté de Bascetti. Par les fées, il n’était plus seul ! Cela allait compliquer sa tâche. Arrivée au pied de la petite colline de rochers où se trouvait le commanditaire à abattre, elle s’empara de son kenda, envoya Lumière se cacher et commença l’ascension. Étrangement, sa perception, toujours brouillée, de la seconde personne l’inquiéta un peu. Après tout, comme aucun autre chemin n’existait pour redescendre, le savoir coincé en haut l’enthousiasmait. Pour le reste, elle aviserait. Elle avait gravi la pente si vite qu’elle rejoignit le promontoire, légèrement essoufflée. Elle se figea quand, aux côtés de Bascetti, elle découvrit un homme plus grand que Barou… Non, pas un homme, un géant… Et, franchement, ce n’était vraiment pas son genre, comme combattant. Bascetti poussa un petit rire moqueur : — Dame Aila, quelle surprise ! J’aurais dû me douter que vous n’étiez pas ce que vous paraissiez. À ma décharge, je reconnais que vous avez joué votre rôle à la perfection. Me voilà fort marri de tirer ma révérence à une femme aussi surprenante que vous. Cependant, je suis un homme très occupé et je dois regagner au plus vite mes amis qui m’attendent. Je n’obtiendrai peut-être pas le succès que j’escomptais, mais je pourrai au moins dire que je me suis débarrassé d’une nouvelle ennemie dangereuse. Répugnant à me salir les mains, c’est mon associé, Tête, ici présent, qui va s’y employer. Bien le bonsoir, ma dame. Tête, à toi ! Et Tête fonça ! Aila gâcha sa chance de retenir Bascetti quand elle évita tout juste que le fameux Tête la broyât. Elle se sentait vraiment mal partie dans ce combat. Comment donc parvenir à se débarrasser de ce mastodonte ? Et le voilà qui chargeait vers elle à nouveau comme un taureau ! « Réfléchis, Aila, c’est une montagne de muscles, mais il est bête comme ses pieds. Trouve quelque chose et vite ! » Entre le vide et la roche, l’étroitesse du promontoire empêchait le maniement du kenda. Elle tenta bien un coup v*****t dans les dents de Tête, mais qui le laissa de marbre, et il continua ses attaques brutales qu’elle esquivait comme elle le pouvait. Elle perdait du temps, tandis que Bascetti avait presque regagné son cheval. Cela l’énervait quand, soudain, une idée lui traversa l’esprit. Ça allait être dur, mais elle ne voyait pas comment battre Tête autrement. Bascetti avait dit d’elle qu’elle l’avait bluffé : eh bien, pourquoi ne pas en faire autant avec ce gros balourd… ? Alors qu’il s’approchait, elle se laissa frapper et projeter brutalement sur le sol. La tête dans le vide, elle cessa de bouger. Vraiment sonnée sans tomber inconsciente, elle fit appel à tout son courage pour feindre l’évanouissement. Les yeux clos, elle entendit Tête saisir son épée pour la passer par son fil. Le moment était venu de jouer sa seule et unique carte pour s’en sortir et, si elle échouait, elle vivait là ses dernières secondes. Tout se déroula alors très vite. Rassemblant les forces qui lui restaient, elle pivota légèrement, propulsant ses pieds dans le bas-ventre de la grosse brute. Certain de sa réussite, Tête avait baissé sa garde et la surprise n’en fut que plus cruelle. Il demeura un instant figé dans une position peu gracieuse, tandis qu’un grognement de douleur s’échappait de sa bouche. Dominant sa souffrance, il avança de quelques pas, peu assuré sur ses jambes, pour en finir avec elle. Mais la jeune combattante avait anticipé sa réaction : d’un geste vif, elle attrapa son kenda qu’elle fit glisser rapidement sur elle, puis tourna pour entraver la marche de Tête. L’homme se prit naturellement les pieds dedans, amorçant une chute sur Aila, mais, au dernier moment, il rétablit son équilibre. Profitant de l’inattention ponctuelle de son adversaire, elle rampa sur le sol à toute vitesse vers la paroi. Passant entre les jambes du géant, elle se dégagea et, bien que moulue, se releva promptement. Tête lui tournant encore le dos, elle lui assena un deuxième coup dans l’entrejambe, suivi par un autre dans les vertèbres, puis sur la nuque. Mal en point, Tête esquissa quelques pas déséquilibrés, puis chuta vers l’avant. Plus grand qu’Aila, ses mains ne rencontrèrent pas le sol, mais le vide. Étranglé par la colère et l’incompréhension, il chercha à se redresser, mais, calculant mal sa trajectoire, il perdit définitivement l’équilibre et bascula du promontoire dans un long cri guttural. En position de combat, Aila resta pétrifiée. Elle ne comprenait pas exactement pourquoi et comment il était tombé, il n’aurait pas dû, mais le fait était que cela s’était produit… Consciente de l’urgence de la situation, ses pensées revinrent vers l’homme qu’elle devait tuer. Bascetti ! Où avait-il fui à présent ? Il ne s’était guère éloigné, car il avait rencontré quelques difficultés avec sa monture. Cette dernière, effrayée par un bruit, s’était cabrée et cela avait demandé un certain temps pour la calmer. Aila redescendit le chemin en courant, appelant Lumière qui arriva au trot. Elle attrapa son arc accroché à la selle et remonta vers le promontoire. Elle grimpa sur les rochers à toute vitesse pour parvenir au sommet. Là, elle se positionna, arma et attendit. Bientôt, Bascetti passerait dans son angle de tir. « Tu es complètement folle, Aila, il est sous le couvert des arbres et beaucoup trop loin pour être à portée de flèche. Tu n’as aucune chance de le voir et encore moins de l’avoir… », lui susurra une petite voix intérieure. Aila, bien que d’accord avec cette dernière, ne bougea pas et, quand Bascetti s’avança dans sa fenêtre de tir, elle décocha sa flèche, la regarda voler au loin, disparaître dans les feuilles, puis la vit se planter dans son cou… S’il ne mourait pas instantanément, cela ne tarderait guère. Adieu Bascetti ! Abaissant son arc lentement, elle s’étonna. Étaient-ce vraiment ses yeux ou plutôt ses pensées vagabondes qui avaient capté toutes ses images ? Et puis, surtout, comment avait-elle réussi un tel tir ?
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