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Le Feu

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Extrait : "Stelio, le cœur ne vous tremble-t-il pas un peu, pour la première fois ? — demanda la Foscarina avec un faible sourire, en touchant la main de l'ami taciturne assis à son côté. — Je vous vois pâle et pensif. Quel beau soir de triomphe pour un grand poète ! D'un regard, divinement, elle recueillit dans ses yeux experts toute la beauté répandue parmi ce dernier crépuscule de septembre."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.

• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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I - L’épiphanie du feu-1
I L’épiphanie du feuStelio, le cœur ne vous tremble-t-il pas un peu, pour la première fois ? – demanda la Foscarina avec un faible sourire, en touchant la main de l’ami taciturne assis à son côté. – Je vous vois pâle et pensif. Quel beau soir de triomphe pour un grand poète ! D’un regard, divinement, elle recueillit dans ses yeux experts toute la beauté répandue parmi ce dernier crépuscule de septembre, si bien qu’en leur vivant ciel brun les guirlandes de lumière créées sur l’eau par la rame environnèrent les hauts anges d’or qui resplendissaient au loin sur les campaniles de San-Marco et de San-Giorgio-Maggiore. – Comme toujours, – continua-t-elle, de sa plus douce voix, – comme toujours, tout vous est favorable. Un soir comme celui-ci, quelle âme pourrait demeurer close aux rêves qu’il vous plaira d’évoquer par la parole ? Ne sentez-vous pas déjà que la foule est disposée à recevoir votre révélation ? Ainsi caressait-elle son ami, délicatement ; ainsi se plaisait-elle à l’exalter par une louange incessante. – Il n’était pas possible d’imaginer une fête plus magnifique et plus insolite pour tirer de sa tour d’ivoire un poète dédaigneux tel que vous l’êtes. À vous seul était réservée cette joie : de communiquer pour la première fois avec la multitude en un lieu souverain comme la Salle du Grand Conseil, du haut de l’estrade où jadis le Doge haranguait l’assemblée des patriciens, ayant le Paradis du Tintoret pour fond et sur votre tête la Gloire du Véronèse. Stelio Effrena la regarda dans les prunelles. – Vous voulez m’enivrer, – dit-il avec un rire soudain. – C’est la coupe que l’on offre à celui qui s’achemine vers le dernier supplice. Eh bien, mon amie, cela est vrai : je vous confesse que mon cœur tremble un peu. Le bruit d’une acclamation s’éleva du Traghetto-di-San-Gregorio, résonna dans le Grand Canal, se répercuta sur les disques de porphyre et de serpentin qui ornent le palais des Dario, incliné comme une courtisane décrépite sous la pompe de ses colliers. La barque royale passait. – Voilà celle de vos auditrices que l’étiquette vous prescrit d’enguirlander dans l’exorde, – dit la femme ingénieuse à flatter, faisant allusion à la Reine. – Vous avez, je crois, dans un de vos premiers livres, confessé votre respect et votre goût pour le Cérémonial. Une de vos imaginations les plus extraordinaires est celle qui a pour motif une journée de Charles II, roi d’Espagne. Quand la barque passa près de la gondole, tous deux saluèrent. La Reine, reconnaissant le poète de Perséphone et l’illustre tragédienne se retourna par un mouvement de curiosité instinctive : toute blonde et rose, toute fraîche dans la lumière de son grand sourire qui s’épanchait comme une source inextinguible entre les pâles méandres des dentelles de Burano. Elle avait à son côté cette Andriana Duodo qui, dans la petite île industrieuse, cultivait un jardin de fil où renaissaient merveilleusement des fleurs anciennes. – Ne vous semble-t-il pas que les sourires de ces deux femmes sont jumeaux ? – dit la Foscarina en regardant l’onde bouillonner dans le sillage de la poupe fuyante où semblait se prolonger le reflet de cette clarté double. – La comtesse a une âme ingénue et magnifique, une de ces âmes vénitiennes, si rares, qui ont gardé le vif coloris des vieilles toiles, – dit Stelio sur un ton de gratitude. – J’ai une dévotion profonde pour ses mains sensitives. Ce sont des mains qui frémissent de plaisir lorsqu’elles touchent une belle dentelle ou un beau velours, et qui s’y attardent avec une grâce presque honteuse d’être une volupté. Un jour que je l’accompagnais dans les salles de l’Académie, elle s’arrêta devant le m******e des Innocents du premier Bonifazio. Vous vous rappelez sans aucun doute le vers de la femme abattue que le soldat d’Hérode s’apprête à tuer : c’est une chose inoubliable ! Elle s’arrêta longuement, ayant diffusé par toute sa personne la joie de la sensation pleine et parfaite ; puis, elle me dit : « Allons-nous-en, Effrena, mais conduisez-moi : il faut que je laisse mes yeux sur cette robe, et je ne peux plus voir autre chose. » Ah ! chère amie, ne souriez pas ! En parlant ainsi, elle était ingénue et sincère ; elle avait réellement laissé ses yeux sur ce morceau de toile dont l’Art, avec un peu de couleur, a fait le centre d’un mystère infiniment joyeux. Et c’était réellement une aveugle que je conduisais, tout saisi de révérence pour cette âme privilégiée où la vertu de la couleur avait suscité un enthousiasme capable d’abolir pour quelque temps les moindres traces de la vie ordinaire et d’empêcher toute autre communication. Comment appelez-vous cela ? Remplir la coupe jusqu’au bord, ce me semble. Voilà justement ce que je voudrais faire ce soir, si je n’étais pas découragé… Une clameur nouvelle, plus forte et plus longue, s’éleva d’entre les deux tutélaires colonnes de granit, au moment où la barque royale abordait à la Piazzetta noire de peuple. Durant la pause, la foule compacte avait des remous ; et les galeries du Palais des Doges s’emplissaient d’une rumeur confuse, pareille au bourdonnement illusoire qui anime les volutes des conques marines. Puis, tout à coup, la clameur rejaillissait dans l’air limpide, allait se briser contre la légère forêt marmoréenne, passait par-dessus les fronts des hautes statues, atteignait les pinacles et les croix, se dispersait dans le lointain crépusculaire. Puis, durant la nouvelle pause, imperturbable, dominant l’agitation inférieure d’en bas, continuait l’harmonie multiple des architectures sacrées et profanes sur lesquelles couraient comme une agile mélodie les modulations ioniques de la Bibliothèque et s’élançait comme un cri mystique la cime de la tour nue. Et cette musique silencieuse des lignes immobiles était si puissante qu’elle créait le fantôme presque visible d’une vie plus belle et plus riche, superposé au spectacle de la multitude inquiète. Celle-ci sentait la divinité de l’heure ; et, lorsqu’elle acclamait cette jeune forme de royauté abordant au rivage antique, cette fraîche Reine blonde qu’illuminait un inextinguible sourire, peut-être exhalait-elle une obscure aspiration à dépasser l’étroitesse de la vie vulgaire et à recueillir les dons de l’éternelle Poésie épars sur les pierres et sur les eaux. L’âme avide et forte des ancêtres saluant au retour les triomphateurs de la Mer se réveillait confusément chez ces hommes opprimés par l’ennui et par le labeur des longs jours médiocres ; et elle se rappelait l’ondulation des grands étendards de bataille qui se repliaient comme les ailes de la Victoire après le vol ou leur claquement sonore qui insultait jadis aux flottes fugitives, inapaisé. – Connaissez-vous, Perdita, – demanda soudain Stelio, – connaissez-vous au monde un autre lieu qui possède autant que Venise, à certaines heures, la vertu de stimuler l’énergie de la vie humaine par l’exaltation de tous les désirs jusqu’à la fièvre ? Connaissez-vous une plus redoutable tentatrice ? Celle qu’il appelait Perdita, le visage penché comme pour se recueillir, ne répondit point ; mais elle sentit passer dans tous ses nerfs le frisson indéfinissable que lui donnait la voix de son jeune ami, quand cette voix devenait tout à coup révélatrice d’une âme véhémente et passionnée vers laquelle cette femme était attirée par un amour et une terreur sans limites. – La paix, l’oubli ! Est-ce que vous les retrouvez là-bas, au fond de votre canal désert, lorsque vous rentrez épuisée et brûlante pour avoir respiré l’haleine des foules qu’un de vos gestes rend frénétiques ? Moi, lorsque je vogue sur cette eau morte, je sens ma vie se multiplier avec une rapidité vertigineuse ; et, à certaines heures, il me semble que mes pensées s’enflamment comme à l’approche du délire. – La force et la flamme sont en vous, Stelio ! – dit la Foscarina presque humblement, sans lever les yeux. Il se tut, absorbé : dans son esprit s’engendraient des images et des musiques impétueuses, comme par la vertu d’une brusque fécondation ; et, sous le flot inattendu de cette abondance, il éprouvait un délice. C’était encore l’heure vespérale que, dans un de ses livres, il avait appelée l’heure du Titien, parce que toutes les choses y resplendissent finalement d’un or très riche comme les figures nues de cet ouvrier prestigieux et paraissent illuminer le ciel plutôt qu’en recevoir la lumière. De sa propre ombre glauque émergeait l’église octogonale que Baldassare Longhena emprunta au Songe de Polyphile, avec sa coupole, avec ses volutes, avec ses statues, avec ses balustres, étrange et somptueuse comme un temple neptunien qui imiterait les torsions des conques marines, blanche d’une blancheur de nacre où la diffusion de l’humidité saline semblait créer dans les creux de la pierre une fraîcheur gemmée qui leur donnait l’apparence de valves perlières entrouvertes sur les eaux natales. – Perdita, – dit le poète qui, à voir autour de lui les choses s’animer selon ses propres inspirations, sentait courir par tout son être une sorte de félicité intellectuelle, – ne vous semble-t-il pas que nous suivons le convoi de l’Été, de la Saison morte ? Elle gît dans la barque funèbre, vêtue d’or comme une Dogaresse, comme une Loredana ou une Morosina ou une Soranza du siècle vermeil ; et son cortège la conduit vers l’île de Murano où quelque maître du feu l’enfermera sous une enveloppe de verre opalin, afin que, submergée au fond de la lagune, elle puisse du moins à travers ses paupières diaphanes contempler les souples jeux des algues avec l’illusion d’avoir toujours autour de son corps l’ondulante vie de sa chevelure voluptueuse, en attendant que le Soleil la ressuscite. Un sourire spontané se répandit sur le visage de la Foscarina, coulant de ses yeux qui avaient eu réellement la vision de la belle morte. En effet, par l’image et par le rythme, cette représentation poétique inattendue exprimait à merveille le sentiment vrai dont étaient imprégnées les apparences environnantes. De même que le lait bleuâtre de l’opale est plein de feux cachés, de même l’eau immobile du grand bassin contenait une splendeur secrète que réveillaient les heurts de la rame. Derrière la rigide forêt des vaisseaux fixés sur leurs ancres, San-Giorgio-Maggiore apparaissait avec la forme d’une vaste galère rose, la proue tournée vers la Fortune qui l’attirait du haut de sa sphère d’or. Dans l’intervalle s’ouvrait le canal de la Giudecca, pareil à une paisible embouchure où les navires chargés, descendus par les voies des fleuves, semblaient apporter avec leur cargaison d’arbres coupés et fendus l’esprit des forêts inclinées sur les courants lointains. Et, du Môle où, sur le double prodige des portiques ouverts au souffle populaire, s’élevait la blanche et rouge muraille close pour enserrer la somme des volontés dominatrices, le quai des Esclavons allongeait doucement son arc vers les Jardins et vers les Îles, comme pour conduire au repos des formes naturelles la pensée exaltée par les sublimes symboles de l’Art. Et, comme pour favoriser l’évocation de l’Automne, passait une file de barques débordantes de fruits, semblables à de grandes corbeilles qui nageraient, répandant le parfum des vergers insulaires sur ces ondes où se mirait le perpétuel feuillage des ogives et des chapiteaux. – Connaissez-vous, Perdita, – reprit Stelio en regardant avec un plaisir ingénu les figues violettes et les blonds raisins accumulés depuis la poupe jusqu’à la proue, non sans harmonie, – connaissez-vous une particularité gracieuse de la chronique des Doges ? La Dogaresse, pour les frais de ses vêtements solennels, jouissait de certains privilèges sur l’impôt des fruits. Ce détail ne vous réjouit-il pas ? Les fruits des Îles l’habillaient d’or et la couronnaient de perles. Pomone payant sa redevance à Arachné : voilà une allégorie que le Véronèse pouvait peindre à la voûte du Vestiaire. Pour moi, quand je me figure la noble dame droite sur ses hautes socques gemmés, je suis heureux de penser qu’elle porte quelque chose d’agreste et de frais dans les plis de son lourd brocart : le tribut des fruits. Quelles saveurs acquièrent ainsi son opulence ! Eh bien, mon amie, figurez-vous que ces raisins et ces figues du nouvel Automne acquittent le prix de la robe d’or où est enveloppée la Saison morte. – Quelles inventions délicieuses, Stelio ! – dit la Foscarina qui retrouva sa jeunesse pour sourire, étonnée comme une enfant à laquelle on montrerait un livre historié. – Qui donc vous surnomma un jour l’Imaginifique ? – Ah ! les images ! s’écria le poète, envahi par une chaleur féconde. – À Venise, de même qu’il est impossible de sentir autrement que selon des modes musicaux, de même il est impossible de penser autrement que par images. Elles viennent à nous de toutes parts, innombrables et diverses, plus réelles et plus vivantes que les personnes qui nous heurtent du coude dans la ruelle obscure. En nous penchant, nous pouvons scruter la profondeur de leurs pupilles suiveuses et deviner, au pli de leurs lèvres, les paroles qu’elles vont nous dire. Les unes sont tyranniques comme d’impérieuses maîtresses et nous retiennent longuement sous le joug de leur puissance. Les autres sont enfermées dans un voile comme les vierges, ou étroitement emmaillotées comme les nourrissons ; et celui-là seul qui sait déchirer leurs enveloppes peut les amener à la vie parfaite. Ce matin, au réveil, mon âme en était déjà toute pleine : elle ressemblait à un bel arbre chargé de chrysalides. Il s’arrêta et se mit à rire. – Si elles s’ouvrent toutes ce soir, ajouta-t-il, je suis sauvé ; si elles restent closes, je suis perdu. – Perdu ? – dit la Foscarina en le regardant au visage, avec des yeux si pleins de confiance qu’il lui en eut une gratitude infinie. – Non, Stelio, vous ne pouvez pas vous perdre. Vous êtes sûr de vous, toujours ; vous portez vos destinées entre vos mains. Votre mère, je crois, n’a jamais rien dû craindre pour vous, même dans les plus graves circonstances. N’est-il pas vrai ? C’est l’orgueil seul qui fait trembler votre cœur… – Ah ! chère amie, combien je vous aime et combien je vous suis reconnaissant pour ce que vous me dites ! – confessa-t-il avec candeur, en lui prenant la main. – Vous ne faites qu’alimenter mon orgueil et me donner l’illusion d’avoir acquis déjà ces vertus auxquelles j’aspire sans cesse. Il me semble parfois que vous avez le pouvoir de conférer je ne sais quelle qualité divine aux choses qui naissent de mon âme, et de faire qu’à mes propres yeux elles apparaissent lointaines et adorables. Parfois, vous renouvelez en mon esprit l’émerveillement de ce statuaire qui, ayant le soir transporté dans le temple les effigies des dieux encore chaudes de son travail et pour ainsi dire encore adhérentes à son pouce plastique, le matin d’après les revit érigées sur leurs piédestaux, environnées d’un nuage d’aromates et respirant la divinité par tous les pores de la sourde matière où il les avait modelées de ses mains périssables. Vous n’entrez dans mon âme, chère amie, que pour y accomplir de telles exaltations. Aussi, chaque fois que ma bonne fortune m’accorde la faveur d’être auprès de vous, il me semble que vous êtes nécessaire à ma vie ; et néanmoins, pendant nos trop longues séparations, je puis vivre sans vous et vous pouvez vivre sans moi, bien que nous sachions tous les deux quelles splendeurs pourraient naître de la parfaite alliance de nos deux vies. De sorte que, sachant tout le prix de ce que vous me donnez et, plus encore, de ce que vous pourriez me donner, je vous considère comme perdue pour moi ; et, par ce nom dont il me plaît de vous appeler, je veux exprimer à la fois et cette conviction et ce regret. Il s’interrompit ; car il avait senti vibrer la main qu’il tenait encore dans la sienne. Puis, après une pause : – Quand je vous nomme Perdita, – reprit-il d’une voix plus basse, – je m’imagine que vous voyez mon désir s’avancer avec un fer mortel planté dans sa liane qui palpite… Elle souffrait une peine bien connue, à entendre ces belles paroles couler des lèvres de son ami avec une spontanéité qui pourtant les démontrait sincères. Une fois de plus, elle éprouvait une inquiétude et une crainte qu’elle-même ne savait pas définir. Il lui semblait qu’elle perdait le sentiment de sa vie propre et qu’elle se trouvait transportée dans une sorte de vie fictive, intense et hallucinante, où sa respiration devenait difficile. Attirée dans cette atmosphère aussi ardente que le foyer d’une forge, elle se sentait capable de toutes les transfigurations qu’il plairait à l’animateur d’opérer sur elle pour satisfaire son continuel besoin de beauté et de poésie. Elle comprenait que, dans cet esprit génial, sa propre image était de la même nature que celle de la Saison morte, enfermée sous l’enveloppe de verre opalin, évidente jusqu’à paraître tangible. Et elle était assaillie par l’envie puérile de se pencher vers les yeux du poète comme vers un miroir, pour y contempler son visage véritable. Ce qui rendait sa peine plus lourde, c’était de reconnaître une vague analogie entre ce sentiment inquiet et l’anxiété qui s’emparait d’elle au moment où elle entrait dans la fiction scénique pour y incarner quelque sublime créature de l’Art. – Ne l’entraînait-il pas, en effet, à vivre dans cette même zone de vie supérieure, et, pour la rendre capable d’y figurer sans se ressouvenir de sa personne quotidienne, ne la couvrait-il pas de splendides déguisements ? – Mais, tandis qu’il ne lui était donné, à elle, de se maintenir à un tel degré d’intensité que par un effort pénible, elle voyait l’autre y persister aisément, comme dans sa naturelle manière d’être, et jouir sans fin d’un monde prodigieux qu’il renouvelait par un acte de continuelle création. Il était parvenu à réaliser en lui-même l’intime union de l’art et la vie, et à trouver ainsi au fond de sa substance une source d’harmonies intarissables. Il était parvenu à perpétuer dans son esprit, sans lacunes, l’état mystérieux qui engendre l’œuvre de beauté et à transformer ainsi d’un seul coup en types idéaux toutes les figures passagères de sa changeante existence. C’était pour célébrer cette conquête qu’il avait mise dans la bouche d’un de ses héros les paroles : « J’assistais en moi-même à la continuelle genèse d’une vie supérieure où toutes les apparences se métamorphosaient comme par la vertu d’un miroir magique. » Doué d’une extraordinaire faculté verbale, il réussissait à traduire instantanément par les mots jusqu’aux faits les plus compliqués de sa sensibilité, avec une exactitude et un relief si vifs que parfois, aussitôt exprimés, rendus objectifs par la propriété isolatrice du style, ils semblaient ne plus lui appartenir. Sa voix limpide et pénétrante, qui pour ainsi dire dessinait d’un contour précis la figure musicale de chaque mot, donnait plus de relief encore à cette singulière qualité de son verbe. Aussi, tous ceux qui l’entendaient pour la première fois éprouvaient-ils un sentiment ambigu, mêlé d’admiration et d’aversion, parce qu’il se manifestait lui-même sous des formes si fortement marquées qu’elles semblaient résulter d’une volonté constante d’établir entre lui et les étrangers une différence profonde et infranchissable. Mais, comme sa sensibilité égalait son intelligence, il était facile à tous ceux qui le fréquentaient et qui l’aimaient de recevoir à travers le cristal de ce verbe la chaleur de son âme passionnée et véhémente. Ceux-là savaient combien était illimité son pouvoir de sentir et de rêver, et de quelle combustion sortaient les belles images en lesquelles il avait coutume de convertir la substance de sa vie intérieure. Elle le savait aussi, celle qu’il appelait Perdita ; et, de même que l’âme pieuse attend du Seigneur un secours surnaturel pour opérer son salut, de même elle semblait attendre qu’il la mît enfin dans l’état de grâce nécessaire pour s’élever et se maintenir en ces mêmes régions de feu vers lesquelles la poussait le désir de brûler et de se consumer, par désespoir d’avoir perdu jusqu’au dernier vestige de sa jeunesse et par effroi de se retrouver seule dans un désert de cendres. – C’est vous, Stelio, – dit-elle avec ce faible sourire dont elle voilait sa souffrance, en dégageant doucement sa main de celle de son ami, – c’est vous maintenant qui voulez m’enivrer.

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