L’aube filtrait doucement à travers les rideaux, caressant les murs de reflets dorés et dispersant dans la petite cabane des éclats de lumière tiède. Le silence matinal était presque parfait, interrompu seulement par le chant des oiseaux et le rire clair d’une fillette qui résonnait dans le bois comme une mélodie oubliée.
> — Dæmon ! Attends-moi !
Ses petits pieds nus frappaient le sol de bois avec un rythme précipité, tandis que sa longue tresse brune flottait derrière elle comme une bannière dans le vent. Chaque pas la rapprochait du grand chêne, là où son frère l’attendait, immobile, observant la clairière avec ce regard sérieux qu’elle connaissait déjà trop bien. Le même regard que leur père adoptait autrefois quand il scrutait la lune et parlait à voix basse de légendes oubliées.
> — Si tu continues à traîner, la lumière va disparaître avant qu’on atteigne la cascade, dit Dæmon sans se retourner.
Neïl courut à ses côtés, respirant fort, le cœur battant à la vitesse de l’excitation :
> — C’est pas grave, j’aime quand il fait sombre. Ça fait comme dans les histoires de maman, répondit-elle avec un sourire.
Ils prirent le sentier qui serpentait entre les arbres. Le sol humide et recouvert de feuilles mortes froissait sous leurs pieds, chaque pas soulevant des effluves d’humus, de mousse et de rosée. La forêt semblait presque vivante ce matin-là. Les troncs des vieux chênes frémissaient sous la lumière naissante, et parfois, un souffle étrange passait entre les branches, comme un murmure oublié depuis des siècles.
> — Tu entends ? chuchota Neïl, la voix à peine audible.
— C’est juste le vent, répondit Dæmon.
— Non… c’est différent. On dirait… qu’il nous parle.
Dæmon leva les yeux vers les cimes. Un rayon de soleil filtrant à travers les feuilles se teinta soudain d’un rouge vif, comme si un voile écarlate avait recouvert le ciel pendant une seconde. Neïl frissonna, un mélange de peur et de curiosité parcourant son corps. Une chaleur douce, une pulsation étrange, presque familière, irradiait dans sa poitrine.
> — Moi je ne sens rien de particulier, souffla Dæmon, l’air sérieux. Tout est comme d'habitude. Je t’avais dit que ce n'est que ton imagination.
Neïl haussa les épaules, un sourire aux lèvres. Elle se précipita vers la cascade, impatiente. L’eau tombait en rubans clairs, scintillant sous la lumière rougeoyante. Chaque goutte semblait vibrer au rythme de son cœur, et elle tendit la main vers la surface. Une onde parcourut l’eau au moment où ses doigts la touchèrent, et une image floue apparut : une femme aux cheveux d’argent, un pendentif en croissant de lune reposant sur sa poitrine, et un grand loup blanc debout à ses côtés.
Dæmon accourut, les yeux grands ouverts :
> — Qu’est-ce que t’as fait ?
— Rien ! Je voulais juste toucher l’eau… et… regarde !
Mais l’image se dissipa rapidement, ne laissant que le reflet de la lune, rouge et éclatante malgré la lumière du jour. Neïl resta immobile, fascinée.
> — On doit le dire à maman, chuchota-t-elle, la voix tremblante d’un mélange d’émerveillement et de peur.
— Non. Pas encore, répondit Dæmon.
— Pourquoi ?
— Parce que… elle dira qu'on a beaucoup d'imagination.
— T’as raison…, admit Neïl. Ce sera notre secret.
— Croix de bois, croix de fer…
— Si je mens, je vais en enfer, termina-t-elle, mi-sérieuse, mi-amusée.
Le vent se leva soudain, emportant leurs voix, et un murmure s’infiltra entre les arbres, comme si la forêt elle-même chuchotait à leurs oreilles :
> “L'enfant de la Lune… le sang se souvient toujours.”
Ils se figèrent, le souffle coupé. Les yeux de Neïl se croisèrent avec ceux de Dæmon, et pour la première fois, ils ressentirent tous deux que quelque chose de plus grand qu’eux venait d’éveiller son attention. Aucun mot n’était nécessaire ; la peur et la fascination brillaient dans leurs yeux comme des flammes jumelles.
Sans un mot, ils rebroussèrent chemin vers la cabane. Le trajet fut silencieux, mais chargé de tension et de promesses. Chaque craquement de branche sous leurs pieds résonnait comme un avertissement discret. Pourtant, aucun d’eux ne se retourna pour vérifier la provenance du murmure. Le secret était fragile, précieux, et ils savaient que le moment venu, il faudrait y faire face avec courage.
Cette nuit-là, alors que le reste de la maison dormait, Dæmon resta éveillé. Il scrutait la fenêtre, le visage baigné par la lumière de la lune rouge flottant au-dessus des bois. Cette lune n’avait jamais été là auparavant, ou du moins il ne l’avait jamais remarquée. Son éclat semblait vivant, presque conscient, et une étrange chaleur le traversa, mélange de crainte et d’excitation. Il se sentait lié à elle, comme si un fil invisible reliait son cœur à cet astre rouge et mystérieux.
Il pensa à sa sœur, à la fillette aux yeux pétillants, à la force tranquille et pourtant fébrile qui s’éveillait en elle. Et dans son regard se reflétait la lueur d’un destin qu’ils n’avaient pas choisi, mais que la vie venait de leur imposer malgré eux. Un destin de sang et de lune, qui les mettrait face à des vérités anciennes, à des secrets enfouis depuis des générations, et à un pouvoir qu’ils devraient apprendre à maîtriser.
Dæmon inspira profondément, sentant la fraîcheur nocturne remplir ses poumons. La forêt était silencieuse, mais la lune rouge continuait de veiller, comme un phare dans l’obscurité. Il se promit de protéger sa sœur, de veiller sur elle, et de comprendre cette magie ancienne qui venait de frapper leur vie. Quelque part au fond de lui, il sut que le monde venait de basculer, et que rien ne serait plus jamais comme avant.
Neïl, de son côté, dormait profondément, rêvant encore de l’image de la femme aux cheveux d’argent et du loup blanc. Elle ne savait pas encore que cette vision était un fragment de son futur, un écho d’un passé oublié, mais son cœur en comprenait déjà la gravité. Dans ses songes, la lune rouge pulsait doucement, comme un cœur vivant, et elle sentait sa propre énergie vibrer en harmonie avec elle. Un frisson de reconnaissance la parcourut, et elle sut, au fond d’elle-même, qu’elle n’était plus une simple enfant : elle était liée à quelque chose de plus grand.
Et ainsi, sous la lueur incandescente de la lune rouge, les enfants de la Lune, inconscients encore de leur destin, dormaient, unis par un lien invisible, prêts à affronter les épreuves et à découvrir les secrets qui leur étaient réservés. La forêt, silencieuse et éternelle, semblait les observer, protectrice et bienveillante, comme si elle savait que ce jour marquait le commencement d’une légende encore à écrire.