— Quatorze ans plus tard
Point de vue de Neïl
SPLASH !
— Eh, la maudite ! Tu pourrais surveiller tes instruments de travail au lieu de rêvasser, ricana Viola, les mains vissées sur ses hanches, le sourire venimeux plaqué sur ses lèvres trop parfaites.
La mousse gicle partout sur le carrelage.
Ça colle, ça glisse, ça pue — un peu comme elle.
Je serre les dents.
— C’est plutôt moi qui devrais te dire ça. Tu te crois supérieure mais t’es même pas fichue de voir un seau juste sous ton nez. À croire que t’es pas si parfaite que tu le prétends.
CLAC !
Sa gifle me fouette le visage. Un claquement sec, précis, calculé.
Une signature.
Je ne bouge pas.
Je n’ai pas le droit de bouger.
Et elle le sait.
— Tu la ramènes moins maintenant, hein ? Saleté de maudite. T’as que ce que tu mérites après ce que t’as fait, crache-t-elle avant de tourner les talons, le parfum trop sucré derrière elle.
Je touche ma joue.
Chaud. Gonflé.
Humiliant.
Respire, Neïl. Respire.
Si je laisse la rage sortir, je suis morte.
Si je la retiens, je brûle.
Dans les deux cas, je perds.
Viola… fille du Bêta. Blonde parfaite, yeux azur, sourire de vipère, langue de serpent.
La reine autoproclamée.
La terreur que personne ne confronte.
Sauf moi, la pauvre idiote que tout le monde a déjà condamnée.
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Trente minutes plus tard, je m’écroule sur mon lit de camp.
“Lit”.
Le mot est généreux.
Un rectangle trop court, trop dur, trop froid.
Ma “chambre” — un mot qui mériterait un procès — se résume à quatre murs gris et humides, une table bancale, une armoire qui menace de m’écraser dans mon sommeil, trois cahiers, deux bouquins récupérés en douce, et une paire de Converse usées jusqu’à l’os.
Un carton pour ranger mes affaires.
Voilà mon royaume.
C’est tout ce que je possède.
Et pourtant, selon eux, c’est encore trop pour une “maudite”.
Je m’allonge, ferme les yeux.
Le goût métallique du sang me colle encore à la langue.
Ma joue pulse comme un tambour.
Mais derrière la douleur, une flamme danse.
La même qui refuse de s’éteindre depuis qu’on m’a donné ce surnom.
> Un jour, ils verront qui je suis vraiment.
Et ce jour-là… ils regretteront tout ce qu’ils m’ont fait subir.
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BOUM ! BOUM !
— Eh, la maudite ! L’Alpha veut te voir dans cinq minutes !
La voix du garde résonne derrière la porte.
Une voix que j’entends trop souvent.
Toujours sèche, toujours méprisante.
Je soupire longuement.
À peine je respire que déjà on me rappelle à l’ordre.
Comme si ma simple existence était une insulte à effacer.
Je me redresse, passe une main dans mes cheveux emmêlés, et sors dans le couloir.
Les murs, je les connais par cœur.
Chaque fissure.
Chaque pierre.
Chaque éraflure laissée par mes doigts quand j’étais petite.
Treize années enfermée ici.
Treize années de coups, d’insultes, de regards fuyants.
Treize années à servir ceux qui marchent sur moi sans même me regarder.
Dehors, les enfants courent entre les maisons, insouciants.
Les mères discutent, paniers au bras.
Les guerriers s’entraînent, torse nu, force brute, admirés par une dizaine d’Omégas qui gloussent.
Moi, je passe comme une ombre.
À peine un souffle.
À peine un souvenir.
Les regards se détournent.
Certains crachent quand je passe.
D’autres murmurent des prières pour que ma malédiction ne “contamine” pas leurs petits.
Voilà ce que je suis.
Un avertissement vivant.
Je suis Neïl Blackford.
Fille d’un Alpha.
Fille d’une Luna.
Et pourtant… esclave de la meute Bloodmoon.
Une honte.
Un rappel constant de “l’erreur” que je suis.
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Alors que je traverse la cour, je sens plusieurs paires d’yeux glisser vers moi :
curiosité, mépris, pitié — l’éventail complet du rejet.
Un petit garçon tire la manche de sa mère.
— M’man… pourquoi elle a l’air triste, la demoiselle ?
La mère se tend, le repousse vers elle.
— Ne la regarde pas. Elle est… dangereuse.
Dangereuse.
Moi.
Avec mon seau, mon chiffon et mes cicatrices.
Quelle ironie.