Sous la lune rouge

Chapitre 17 _ Le châtiment de la maudite

Pdv de Neïl

J’arrive devant le bureau de l’Alpha. Deux gardes montent la garde, impassibles, comme des statues vivantes. Leurs yeux noirs me scrutent sans cligner, et j’ai l’impression qu’ils lisent chacun de mes mouvements. La porte massive se dresse devant moi comme une muraille infranchissable. Chaque fissure, chaque gravure semble me narguer. Dire que je suis heureuse d’être là serait un mensonge énorme, un mensonge que je ne pourrais jamais prononcer à voix haute.

Je toque. Une seule erreur, et je sais que ce serait la fin. Entrer sans permission, c’est signer mon arrêt de mort.

— Entre, entendis-je de l’autre côté, sec et sans patience.

Je prends une grande inspiration, mes paumes moites, et pousse la porte. L’air à l’intérieur est lourd, saturé de pouvoir et d’autorité. L’odeur du cuir, du bois ciré et du sang séché frappe mes sens comme un rappel brutal que je ne suis qu’une intruse dans cet empire familial.

À l’intérieur, je trouve Norgan Svelte, le bêta de la meute et père de Viola, debout, les bras croisés, un sourire cruel sur le visage. À ses côtés, mon père, Alpha Dimitri Blackford, trône sur son fauteuil imposant, calme et froid, son regard tranchant m’atteignant comme une lame invisible. Malgré la cinquantaine, son corps dégage la puissance et la jeunesse d’un homme qui n’a jamais faibli. Il m’observe avec un mélange de mépris et de dédain, celui qui me rappelle chaque jour que je suis une erreur aux yeux de cette meute.

Et bien sûr… Dæmon Blackford. Mon grand frère. Mon sang.

Grand, musclé, le corps sculpté par des années de combats et d’entraînements. Ses yeux, vert émeraude comme ceux de père, scrutent la pièce avec un calme trompeur. Ses cheveux châtains, héritage de mère, tombent en mèches disciplinées sur son front. Lui qui avait juré de me protéger… celui qui détourne toujours le regard quand je saigne, qui m’offre la protection uniquement quand cela l’arrange. Je ne sais jamais s’il faut l’aimer ou le haïr, le maudire ou le plaindre.

— Mes salutations, Alpha. Vous m’avez demandé ? dis-je, tête basse, le cou offert en signe de soumission. Ma voix tremble un peu, mais je la force à rester ferme.

— Sale vermine ! N’as-tu donc aucun respect pour tes aînés ? s’emporte Norgan, sa voix aiguë et cruelle, prête à me fendre en deux.

— Pardonnez-moi, bêta Norgan, mais j’ai jugé bon de ne pas respecter ceux qui me sont inférieurs, réplique-je calmement, sans lever les yeux. Ma phrase est tranchante, volontairement. Je veux voir la colère sur son visage.

— TOI, espèce de sale petite… ! hurle-t-il, prêt à m’attaquer de ses mots seuls.

— ASSEZ ! tonne mon père, libérant une énergie qui fait vibrer la pièce, secoue l’air et fait plier Norgan sur ses genoux.

Le bêta suffoque, haletant, ses genoux frappant le sol.

— Pardonnez mon imprudence, Alpha, grogne-t-il entre ses dents, la voix brisée par l’autorité.

L’aura retombe. Le silence écrase tout. Même le vent semble s’être arrêté pour m’observer.

— Bien, reprend Dimitri d’une voix glaciale. Neïl, si je t’ai convoquée, c’est à propos de ton dix-huitième anniversaire, qui aura lieu le même jour que la Fête de la Déesse; très exactement dans deux mois.

Je sens mon estomac se nouer. Un mauvais pressentiment s’insinue dans mes veines. Cette fête, cette date… tout me ramène aux règles de la meute, aux traditions qui m’ont toujours étouffée.

— Comme tu le sais, continue mon père, cette fête rend hommage à la Déesse de la Lune. Afin d’éviter tout incident, tu porteras des bracelets en argent ce jour-là.

Mes mains se crispent. Le métal, froid et brillant, sera comme un cadenas pour mon âme. Le dix-huitième anniversaire d’un loup-garou n’est pas seulement un rite de passage. C’est la première transformation. C’est le jour où l’on rencontre notre loup intérieur. Le jour où l’on peut enfin reconnaître notre compagnon destiné. Et eux… ils veulent m’en priver. Mon cœur rate un battement.

Je me redresse brusquement.

— JE REFUSE ! POURQUOI DEVRAIS-JE PERDRE MON LOUP POUR VOTRE PROPRE PROFIT ? N’AI-JE PAS ASSEZ SOUFFERT À VOS YEUX ? VOUS VOULEZ M’ENLEVER CE QU’IL ME RESTE DE PLUS PRÉCIEUX ?! hurlais-je, les poings serrés, la voix brisée par la colère et la peur.

— IL SUFFIT ! hurle mon père, la pièce vibrante sous la puissance de sa colère. BAISSE D’UN TON QUAND TU ME PARLES ! JE NE SUIS PAS TON ÉGALE !

Il se lève, et sa silhouette imposante semble engloutir tout l’air de la pièce. Sa rage déforme son visage, les traits se contractent, les veines battent sur son front.

— Non mais regarde-toi ! Qui serait assez stupide pour t’accepter comme compagne ? Une malédiction comme toi ! Je t’épargne une humiliation cuisante, Neïl. Pour ton bien… et celui de la meute. Tu porteras ces bracelets. Que tu le veuilles ou non. C’est un ordre.

Mes doigts se crispent sur le bois de la chaise derrière moi. Mon corps tremble de rage. La goutte d’eau a fait déborder le vase. Un rire amer s’échappe de ma gorge. Puis, tout se libère.

— ALLEZ VOUS FAIRE FOUTRE ! JE VOUS DÉTESTE TOUS ! hurlais-je, les yeux flamboyants, le souffle court.

— À ce que je vois, les punitions n’ont pas suffi. GARDES ! crie-t-il, sa voix déchirant le silence.

La porte s’ouvre dans un fracas métallique.

— Oui, Alpha ? répond l’un des gardes, raide comme un bâton.

— Emmenez notre chère Neïl au poteau. Vingt coups de fouet.

— Non ! Père, vous ne pouvez pas ! JE SUIS VOTRE FILLE ! LÂCHEZ-MOI ! m’écriai-je, me débattant de toutes mes forces, sentant la peur et la colère se mélanger dans mon sang.

Mais c’est inutile. Je suis trop faible. Trop affamée. Trop seule contre eux tous.

Tout ce que je vois avant que la porte se referme derrière moi, ce sont les yeux tristes de Dæmon… et le sourire moqueur de Norgan.

Le monde se referme autour de moi. La douleur, la honte, l’humiliation… tout m’écrase. Et pourtant, une petite flamme, cachée au fond de mon cœur, refuse de mourir. Elle brûle de rage et de défi.

> Un jour… un jour, vous paierez tous pour ce que vous m’avez fait. Et ce jour-là… je serai libre.