Chapitre 2 — Sous le regard du Roi Alpha

1044 Words
Le jour se levait à peine, dessinant sur les montagnes les premiers reflets d’argent, comme si la nuit elle-même hésitait encore à s’effacer. Les ombres s’étiraient lentement, paresseusement, tandis que les brumes accrochées aux cimes glissaient sur la forêt comme un voile fantomatique. Neïly marchait depuis des heures. Peut-être depuis des jours. Elle ne savait plus vraiment. Son corps criait, brûlait, menaçait de céder. Mais son esprit refusait de plier. Elle n’avait pas fui la meute Moonlight pour tomber à genoux devant l’épuisement. Elle voulait disparaître. Loin des chaînes de son ancienne vie. Loin des voix qui la hantaient encore, qui riaient dans son crâne à chaque pas. Loin de ce lien brisé, de cet Alpha qui avait souillé son âme. Chaque pas était une victoire contre la douleur, une déclaration de guerre contre son passé. Devant elle s’étendait un territoire inconnu. Les arbres y semblaient plus hauts, presque trop hauts, comme s’ils voulaient toucher le ciel. L’air était plus dense, plus lourd, chargé d’une énergie qu’elle n’avait jamais sentie auparavant. Une puissance invisible vibrait dans le sol, remontant le long de ses jambes, s’insinuant en elle comme un avertissement silencieux. C’était comme si la terre elle-même obéissait à une seule volonté. Une volonté ancienne. Absolue. Elle n’eut pas le temps de comprendre. Un grognement profond fendit le silence. Pas le genre de grognement qu’un loup ordinaire pouvait produire — non, c’était un son guttural, primal, qui portait en lui autorité, menace… et une faim sauvage. Instinctivement, Neïly se figea. Son souffle se coupa, ses muscles se tendirent. Son loup intérieur, encore meurtri, recroquevillé depuis des années, trembla au fond de sa poitrine. Du brouillard surgirent des silhouettes. Des loups immenses. Plus grands que ceux de Moonlight. Plus imposants, la fourrure hérissée, les épaules larges, les regards brûlants d’un avertissement clair : tu n’es pas la bienvenue. Neïly déglutit difficilement. Même blessée, même brisée, elle savait reconnaître une puissance supérieure. Ces loups-là n’appartenaient pas à une meute ordinaire. Elle était entrée dans un royaume. — Qui ose fouler le sol de Moon Fire ? tonna une voix grave. La vibration de cette voix traversa la clairière comme une secousse. Froid. Profond. Implacable. Elle leva la tête. Et le monde sembla changer de forme. L’homme qui venait d’apparaître n’était pas comme les autres. Il marchait entre ses loups comme un roi traverse sa cour. Grand, imposant, drapé dans une aura si puissante que même la lumière semblait se plier autour de lui. Ses cheveux sombres retombaient sur ses épaules, contrastant avec la lueur dorée de ses yeux — des yeux qui avaient la froideur d’un soleil lointain, mais aussi l’intensité brûlante d’une tempête solaire prête à tout réduire en cendres. Il la fixait. Pas comme un prédateur observe sa proie. Non. Comme quelqu’un qui vient de reconnaître une vérité qu’il aurait préféré ignorer. Daimon Sylvester. Le Roi Alpha. Alpha suprême de Moon Fire. Un nom qu’aucun loup sensé n’osait prononcer sans une pointe de respect… ou de peur. Neïly ne le savait pas encore, mais chaque battement de son cœur venait d’appeler le sien. Elle força sa voix à sortir, malgré le tremblement, malgré la fatigue qui menaçait de l’écraser. — Je ne cherche pas la guerre, dit-elle d’une voix rauque. Je veux seulement passer. Un murmure parcourut les rangs des loups autour d’elle. Un mélange d’étonnement, d’indignation… ou d’amusement. Personne ne parlait ainsi au Roi Alpha. Personne. Daimon ne broncha pas. Ses yeux, deux soleils glacés, restaient fixés sur elle. — Tu es sur mes terres, répondit-il, sa voix grave résonnant comme un grondement contenu. Aucune âme ne passe sans que je le décide. La tension crépitait entre eux, dense comme de la fumée. Les loups contournèrent Neïly, se rapprochèrent, formant un cercle aux frontières mouvantes. Ils n’attaquaient pas. Ils attendaient. Elle, pourtant, ne bougea pas. Ses jambes tremblaient. Son souffle était haché. Mais elle gardait la tête droite. Et Daimon le remarqua. Leurs regards se croisèrent. Et le monde sembla s’arrêter. Le vent devint plus lourd, l’air plus vif. Quelque chose, dans sa poitrine, explosa — un frisson, une douleur, une chaleur brûlante qui la traversa de part en part. Neïly chancela, portant une main à son cœur. C’était impossible. Insupportable. Incompréhensible. Le lien. Le lien sacré. Celui qu’elle croyait mort. Celui qu’on lui avait pris de force. Celui qu’elle aurait préféré ne plus jamais ressentir. Daimon le sentit aussi. Elle le vit dans son visage, pourtant si contrôlé. Ses pupilles se rétractèrent brusquement. Sa mâchoire se contracta. Ses épaules se figèrent, comme si on venait de lui asséner un coup invisible. Son souffle se coupa. Et pendant un battement de cœur, l’Alpha le plus puissant du continent sembla perdre son ancrage. — Non, murmura-t-il, presque pour lui-même. Pas elle. Pas elle. Pas… elle ? Neïly recula, tremblante. Son cœur battait trop vite, trop fort. Elle ne comprenait pas ce qui se passait. Tout ce qu’elle savait, c’est que cet homme, cet inconnu, cet Alpha dont la seule présence suffisait à écraser l’air… réveillait en elle une peur et une attirance qu’elle croyait mortes. Une attirance dangereuse. Interdite. Punissable. Les loups sentaient le changement dans l’air. Ils tournaient autour d’eux, nerveux, le museau frémissant. Certains grognaient, d’autres observaient l’Alpha, attendant un ordre qui tardait à venir. Daimon fit un pas vers elle. Juste un. Mais ce pas suffit à déchirer ce qu’il restait du silence. — Ton nom, dit-il. Ce n’était pas une question. C’était un ordre. Un ordre doux, mais un ordre quand même. Neïly sentit son ventre se tordre. Elle aurait voulu fuir. Hurler. Se dissoudre dans le brouillard. Mais sa voix sortit toute seule, sans qu’elle comprenne pourquoi. — Neïly… de la meute Moonlight. Un grondement de colère parcourut immédiatement les rangs des loups Moon Fire. Et quelque chose, dans le regard de Daimon, s’assombrit brutalement. Moonlight. Le nom sonnait comme une insulte entre ses lèvres. Comme un souvenir amer. Elle baissa les yeux, incapable de soutenir ce regard trop brûlant. Quand leurs pupilles se brisèrent enfin, la lune rouge, encore suspendue au ciel malgré le jour naissant, sembla sourire dans un éclat cruel. Le destin venait d’écrire la première ligne de leur histoire. Une histoire que ni l’un ni l’autre n’avait voulu. Mais qu’aucun des deux ne pourrait fuir.
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