Chapitre 1 – La Fuite sous la Lune Rouge

946 Words
Le vent mordait sa peau, déchirant sa respiration en mille éclats glacés. Neïly courait. Pieds nus, le souffle court, le cœur tambourinant contre sa poitrine meurtrie, comme si chaque battement cherchait à la maintenir en vie une seconde de plus. La forêt défilait autour d’elle, immense et silencieuse, comme si même les arbres retenaient leur souffle en la voyant fuir. Les fougères s’écartaient à peine à son passage, les branches tordues semblaient vouloir la retenir, comme si la nature elle-même hésitait : devait-elle la laisser partir… ou la garder encore un peu dans son ombre protectrice ? Derrière, la meute hurlait. Pas une meute étrangère. Pas des ennemis venus d’ailleurs. Non. Ses anciens bourreaux. Ses frères de sang — ou ce qu’il en restait depuis que leur loyauté avait pourri comme une infection lente et irrémédiable. Chaque cri traversait la nuit comme une lame chauffée au rouge. Et chaque cri lui rappelait ce qu’elle laissait derrière elle : la cage où elle étouffait jour après jour, les coups qui cassaient son souffle, les rires moqueurs qu’elle entendait même dans ses rêves, et ce regard… ce regard qu’elle avait aimé plus que sa propre liberté. Ce regard qui avait été un refuge, avant de devenir la porte de sa honte. Le fils de l’Alpha. Son compagnon destiné. Celui que les esprits avaient choisi pour elle. Celui qui aurait dû la protéger, la guider, la relever. Celui qui avait préféré la briser pour mieux régner. Le lien sacré avait été souillé avant même d’avoir pu exister. Et maintenant, il n’était plus qu’un fil ténu, sur le point de se rompre définitivement. Une branche griffa sa joue. Elle ne ralentit pas. Le sang coula sur sa peau crémeuse, chaud et vibrant, s’accordant au rouge de la lune suspendue au-dessus d’elle. Cette nuit-là, le ciel lui ressemblait : blessé, incandescent, plein d’une rage muette qui grondait sous les nuages. Le vent semblait hurler avec elle, comme si la forêt entière reconnaissait enfin son désespoir. Son souffle n’était plus qu’une série de déchirures brûlantes. Ses pieds heurtaient le sol dur, couverts d’éraflures, mais elle ne sentait presque rien. La douleur physique, elle la connaissait trop bien pour s’y attarder. Ce qui la poussait, ce n’était plus la peur. C’était cette détermination sauvage, née à l’instant précis où elle avait décidé de ne plus être leur victime. Quand elle atteignit la clairière, elle tomba à genoux. Ses jambes se dérobèrent sous elle comme si elles abandonnaient enfin le poids de toutes ces années. Ses mains s’enfoncèrent dans la terre humide, et ses larmes se mêlèrent au sol. Sous la lumière écarlate, sa silhouette semblait se dissoudre dans l’air, fragile et lumineuse à la fois, comme un fragment d’étoile qui refusait de s’éteindre. La clairière… Elle la reconnaissait malgré les années. Un souvenir qu’elle avait presque oublié, enfoui sous les hurlements et la peur. C’était ici que sa mère lui racontait des histoires quand elle était enfant. Ici qu’elle apprenait à écouter le souffle des arbres, à reconnaître les murmures du vent. Ici qu’elle avait juré qu’elle deviendrait forte un jour. Un serment oublié, enfin retrouvé. Elle posa une main tremblante sur son torse, comme pour s’assurer que ce cœur-là, même brisé, appartenait encore à elle seule. — Plus jamais, murmura-t-elle d’une voix étranglée. — Plus jamais je ne courberai l’échine devant eux. Le silence répondit — un silence lourd, presque sacré. Puis une ombre s’approcha, massive, silencieuse, glissant entre les arbres comme un spectre de neige. Un loup blanc émergea de l’obscurité. Un animal immense, d’une beauté presque irréelle. Sa fourrure scintillait sous la lune rouge, et ses yeux d’argent semblaient être faits d’orage et de promesse. Neïly sentit son souffle se bloquer dans sa gorge. Ce n’était pas un membre de la meute. Elle l’aurait reconnu. C’était autre chose. Autre. Ancien. Il la regarda longuement, sans hostilité, sans peur, sans jugement. Puis lentement, comme s’il comprenait toute l’étendue de ce qu’elle avait vécu, il posa son museau contre sa main tremblante. Le contact la traversa comme une vague. Pas de douleur. Pas de menace. Une chaleur douce, profonde, presque… familière. Elle inspira brusquement, surprise. Depuis combien de temps n’avait-elle pas senti cela ? Une présence qui ne voulait rien prendre. Rien briser. Juste être là. Le souffle du loup semblait murmurer quelque chose qu’elle ne comprenait pas encore. Des mots anciens, ou peut-être pas des mots du tout — juste une intention, un souffle d’apaisement dans la tourmente. Le hurlement de la meute résonna au loin, déchirant le silence. Ils approchaient. Elle pouvait presque sentir l’écho du lien brisé vibrer dans son ventre. Lui, le fils de l’Alpha, la cherchait. Pas par amour. Pas par regret. Par fierté. Parce qu’elle n’était pas censée fuir. Le loup blanc releva la tête. Ses oreilles frémirent. Puis il jeta un regard vers la forêt d’où venaient les hurlements, avant de reposer ses yeux argentés sur elle, comme s’il lui demandait silencieusement : Veux-tu vivre ? Ou veux-tu continuer de survivre ? Neïly sentit une force nouvelle remonter dans ses veines. La clairière vibrait sous elle. Le vent se levait, tournant autour de son corps comme une caresse ancienne. La lune rouge semblait la fixer, exigeante, déterminée, comme si elle attendait son choix. Elle leva les yeux vers le ciel brûlant. Et dans un murmure qui résonna dans les arbres, dans la terre, dans ses os, elle fit le vœu que cette fuite devienne enfin sa renaissance. La nuit retint son souffle. Le loup blanc l’entoura de son ombre. Et pour la première fois depuis des années, Neïly se redressa avec la sensation qu’elle n’était plus seule — et qu’elle ne le serait plus jamais.
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