Jeffrey SABA
Toutes les décisions que j’ai prises concernant mes enfants, que leur mère juge parfois insensées ou trop dures, ont toujours été motivées par leur bien-être. J’aime mes filles plus que tout. Dieu m’a comblé de filles dont je suis fier à bien des égards, mais elles n’ont jamais entendu ces mots sortir de ma bouche, et je n’ai jamais laissé paraître cette fierté.
Aujourd’hui, les gens ne voient que ma réussite et ma richesse, mais ils ignorent les sacrifices et les efforts acharnés qui m’ont permis d’imposer mon nom. La vie ne fait de cadeau à personne, et il faut savoir lutter pour se faire une place.
Je veux préparer mes enfants à affronter le manque avant de profiter de l’abondance. Elles doivent apprendre à se battre seules. Oui, je reconnais que je suis sévère avec elles. Avant qu’elles ne quittent la maison, je leur interdis de se présenter comme mes filles. Elles doivent trouver un emploi par leurs propres moyens, comprendre la dureté de la vie et toucher du doigt les réalités que j’ai vécues, afin de gérer plus tard l’héritage que je leur laisserai.
Je répète souvent à leurs neveux et nièces, même en présence de leurs parents, que je ne lèguerai mon héritage à personne d’autre qu’à mes filles. Chacun profite de mes avantages de mon vivant, mais le jour où je pousserai mon dernier souffle, ils devront tous quitter ma maison. Je le rappelle sans cesse. Le fait que je les traite mieux que mes propres enfants les aveugle parfois, mais je ne manque jamais une occasion de leur rappeler que personne ne disputera l’héritage de mes filles. Mais avant de le mériter, elles devront construire leur propre richesse.
Je garde toujours un œil sur elles lorsqu'elles quittent la maison. J’ai été plus sévère avec Saraï qu’avec les deux dernières. La raison principale, c’est que la cadette est restée pratiquement deux ans sous mon toit, avec la complicité de sa mère, me laissant croire qu’elle était partie. Je le savais pourtant. Il est temps qu’elle affronte la dureté de ce monde et apprenne à survivre dans cette jungle qu’est la vie. Shelby n’est pas paresseuse, mais elle manque de la force de ses sœurs aînées. C’est pour cela que je l’ai gardée à la maison plus longtemps. Je veux qu’elle devienne forte, une véritable amazone, comme ses sœurs. Que je suis fier d’elles !
Carène SABA
Je regarde ma petite sœur fulminer contre notre père et un sourire m’échappe. Comme je la comprends !
Si elle savait à quel point Saraï et moi avons traversé les mêmes épreuves avant elle !
— Calme-toi. Avec le temps, tu comprendras qu’il veut seulement ton bien.
— Arrêtez de me sortir cette phrase ! Cet homme ne m’aime pas et ne nous a jamais aimées. Ouvrez les yeux, bon sang !
— J’ai dit exactement la même chose que toi. Mais aujourd’hui, je le remercie en secret de m’avoir poussée hors de la maison.
— Il me demande de me débrouiller pour trouver un emploi, je m’y efforce, mais c’est lui qui me met des bâtons dans les roues ! Quel père aimant agirait ainsi ?
— Tu t’énerves pour rien. Calme-toi et raconte-moi où tu en es dans tes recherches de stages ou de boulot.
J’ai tenu le même discours qu’elle, il y a quelques années. J’ai jugé mon père, je l’ai même détesté à un moment donné. Mais aujourd’hui, je le remercie pour la femme forte que ses méthodes m'ont permis de devenir. En cherchant à le défier, à lui prouver que je pouvais réussir seule, j’ai accompli des choses dont je ne me serais jamais crue capable. Ma sœur finira par comprendre la technique du vieux : elle n’est pas idéale, mais elle nous pousse à nous révéler.