Le brouillard se dissipe lentement tandis que je me réveille ce matin.
- Est-ce que tu as déjà consulté un psy ? Demande Gabriel avant même que j’ouvre les yeux.
- Hum… Bonjour Gabriel, réponds-je la voix ensommeillée.
- Bonjour Serena, murmure-t-il, pourrais-tu répondre à ma question ?
Je me redresse sur le lit en me frottant les yeux.
- Tes réveils commencent-ils toujours par un interrogatoire ?
- Non. Mais celui-ci oui. Donc ?
- Oui. J’en ai déjà vu.
- Et ? Est-ce que cela t’a aidé ?
- Peut-être… D’une certaine manière, réponds-je le plus sincèrement possible.
- D’accord. Va prendre une douche, on va sortir.
- Euh… On va où ? Je n’avais pas vraiment le projet de sortir aujourd’hui.
- Pour le moment, c’est moi qui décide des projets que tu peux avoir ou non.
- Sais-tu que j’ai une volonté, une conscience et des opinions qui me sont propres ?
Il me toise d’un regard sévère qui me fait frissonner.
- Va prendre une douche.
J’émets un léger grognement en m’enfouissant sous la couette, mais il se lève, contourne le lit, et une seconde plus tard la couverture vole dans la chambre tandis qu’il m’attrape et me jette sur son épaule. J’ai le souffle coupé et proteste.
- Mais qu’est-ce que tu fais ?!
- Je t’ai demandé de prendre une douche, il semblait qu’on était d’accord et que tu m’écouterais.
- Repose-moi tout de suite !
Il m’a porté avec une telle facilité que je comprends vite qu’il est inutile de résister. Il arrive dans la salle de bain et j’entends l’eau couler dans mon dos. Il me fait glisser lentement le long de son corps jusqu’à ce que mes pieds touchent le sol.
- Tu te débrouilles seule ou faut-il que je t’y mette moi-même ?
- C’est bon ! Merci ! Râlé-je avec mauvaise humeur.
- Bien.
Il quitte la pièce et ferme la porte derrière lui. Je soupire et observe mon reflet dans le miroir. Je détache mes cheveux qui tombent en cascade de boucles dans mon dos. J’ai maigri ces derniers jours. Je sors la balance et monte dessus. Le chiffre indiqué provoque un raté dans ma poitrine. Je réfléchis sérieusement à la dernière fois où je me suis pesée… C’était au moins une ou deux semaines avant mes vacances. Je me suis délestée de neuf kilos en très peu de temps. J’observe les contours de mon visage blafard et aminci. Tandis que les vapeurs chaudes de la douche embuent le miroir. Je laisse glisser mes mains le long de mon corps pour ressentir la courbe de mes côtes sous mes doigts, la pointe de mes hanches ressort davantage.
J’observe les cicatrices qui lardent mon corps, résultat d’années de passages à l’hôpital, la plus grosse d’entre elles partant de ma hanche jusqu’à ma jambe, vestige d’une opération du bassin qui m’a laissé une légère claudication que je parviens à cacher sans trop de difficulté. J’enlève le débardeur et le short avant de monter dans la baignoire. Le jet brûlant lacère mon dos avant d’en détendre les muscles.
Je pousse un profond soupir tandis que l’eau alourdit mes cheveux dont le poids fléchit ma tête en arrière. Je profite de ses bienfaits de longues minutes avant de me savonner. Je fais mousser le shampoing puis y ajoute des crèmes pour assouplir mes longues boucles. Après que mes doigts aient fripé, et que la chaleur ne commence à me faire suffoquer, j’éteins l’eau, j’enjambe la baignoire, puis j’essore mes cheveux avant de les enrouler et les attacher en chignon au-dessus de ma tête. Je prends une serviette et j’entreprends de sécher soigneusement chaque partie de mon corps. Je me brosse les dents avant d’ouvrir la porte à la recherche de Gabriel.
- La douche était bonne ? M’interroge-t-il un petit sourire aux lèvres.
- Oui, réponds-je froidement, tu n’avais pas besoin d’être aussi brusque. J’y serais allée de toute façon.
- Je te le confirme, tu y serais allée de toute façon.
- Pourquoi es-tu si autoritaire ?! Tu n’es pas mon patron !
Son attitude arrogante commence à m’agacer.
- Pardon ? Demande-t-il en prenant un air menaçant.
Il se lève et me fait face de toute sa hauteur. Mon dieu qu’il est grand…
Il approche son visage, sa joue est si proche de la mienne que j’en ressens l’électricité statique.
- Lorsque j’en aurai fini avec toi, crois-moi tu sauras parfaitement qui je suis, murmure-t-il d’un ton qui sonne comme une promesse.
Je sens quelque chose se serrer dans mes entrailles que je n’identifie pas, et mes jambes se mettent à trembler. Il me rattrape d’une main ferme avant qu’elles ne cèdent, me tenant fermement contre lui tandis que je suis secouée de tremblements.
- Lâche-moi s’il te plaît, supplié-je la douleur dans la voix.
Il m’assied doucement sur le canapé et me libère.
- Va t’habiller, je t’ai fait un café.
Après m’être reprise plusieurs minutes, je me décide à retourner dans la chambre sans ajouter un mot. Quelque chose dans sa voix, dans son regard, dans son attitude suscite en moi des émotions que je ne connais pas, mais je n’ai pas l’intention de m’y attarder pour le moment.
Je n’ai pas du tout envie de sortir bien que je sois curieuse de savoir où il souhaite m’emmener. Je trouve un pull long que j’enfile par-dessus des sous-vêtements basiques et un débardeur. Je mets un legging et des chaussettes puis j’attrape les bottines dans le coin de la pièce avant de les enfourner sur mes pieds sans ménagement. Je détache ma crinière et la laisse flotter dans mon dos avant d’aller rapidement me passer des coups de brosse dans les cheveux pour démêler mes longues boucles fluides et de revenir au salon. Gabriel me lance un regard flamboyant.
- Tu es jolie comme ça.
- Merci, réponds-je soudainement très gênée.
- Allez viens, dit-il en attrapant mes clefs.
Il est habillé comme la veille et a enfilé ses boots. J’avale à grandes lampées le café tiède qu’il m’a tendu, j’attrape mon sac à main et mon téléphone que je fourre dedans.
- Tu as un message, m’apprend-t-il en descendant l’escalier menant à l’extérieur.
- Tu as regardé mon téléphone ?! M’écrié-je exaspérée.
- Non, répond-il simplement, il est arrivé pendant que tu étais sous la douche.
Il me fait monter dans une Volkswagen garée sur le parking devant l’appartement. Je sors mon téléphone une fois installée pour consulter le message. Je regarde l’heure et constate qu’il n’est que neuf heures trente du matin. J’émets un râlement de fatigue et j’ouvre un SMS de ma meilleure amie, Emilie.
- Coucou chérie, il y a une soirée demain chez Romain ! Je passe te chercher à dix-neuf heures pas d’excuse possible. Bisous !
- Chérie ? Questionne Gabriel en lisant par-dessus mon épaule.
- C’est ma meilleure amie, justifié-je.
- C’est hors de question.
- Quoi ?!
- Pas de soirée chez un mec pour toi.
- Et pourquoi ça ?
Il a démarré la voiture, et s’engage dans la rue perpendiculaire en gardant les yeux fixés sur la route.
- Parce que tu n’as pas la capacité de réfléchir correctement en ce moment.
- Et alors ? C’est ma meilleure amie, je suis célibataire et si je n’y vais pas elle ne comprendra pas ! Insisté-je, on se retrouve régulièrement pour des soirées… D’ailleurs j’étais en vacances à Syracuse avec elle.
J’adore Emilie, mais je la connais aussi suffisamment bien pour savoir que lorsqu’elle a une idée en tête, elle ne l’a pas ailleurs. Les refus de ma part n’existent pas pour elle, et elle n’a pas l’habitude de laisser de place à ma dépression dans notre relation.
De ce point de vue, elle ressemble beaucoup à Gabriel. Elle est perpétuellement joyeuse, sûre d’elle et séductrice. Elle suscite mon admiration. Elle est son propre rayon de soleil, comme si rien ni personne d’autre qu’elle, ses envies et ses besoins n’avaient d’importance. Elle est mon opposée, parce qu’elle rayonne alors que je m’éteins.
- J’ai envie de la voir, continué-je, donc j’irai.
- Tu as des envies toi maintenant, grince-t-il d’un ton cassant.
Il me jette un regard noir avant de reporter son attention sur la route sans ajouter un mot. Nous nous garons devant le bar quelques minutes plus tard. Il m’invite à descendre de voiture et à le suivre. Nous entrons par un passage situé à l’arrière du bâtiment, puis montons quelques marches avant d’arriver à une porte dans laquelle il plante une clé, qu’il fait tourner dans la serrure.
J’apprécie immédiatement l’allure de l’espace ouvert qui se trouve derrière cette porte. C’est un petit loft industriel avec des briques apparentes, des poutres en acier, un comptoir central séparant la cuisine dans le prolongement de la porte d’entrée. Face à elle, un salon confortable et accueillant composé d’un canapé et de fauteuils en cuir marron ainsi qu’une table basse. À droite de la cuisine, je peux apercevoir derrière des rideaux élégamment disposés un grand lit trônant sur une estrade.
Tandis que je reste plantée dans l’entrée, absorbée par mon examen minutieux de la pièce, Gabriel jette les clefs sur le comptoir et se dirige vers une porte située entre le lit et la cuisine ouverte.
- Je vais prendre une douche. Fais comme chez toi, me lance-t-il en poursuivant son chemin.
Il ferme la porte derrière lui, me laissant seule avec mes pensées. Je me dirige vers un fauteuil du salon et m’y installe lentement. Des piles de livres traînent un peu partout dans la pièce, posés sur le chevet, abandonnés sur une petite table proche de la fenêtre ou recouvrant les étagères d’une grande bibliothèque jouxtant la porte d’entrée. Dans un coin derrière le salon, des cartons de vinyles s’empilent autour d’une platine. Je promène mes yeux en appréciant chaque détail, je vois au loin sur le lit un ordinateur portable et des appareils sur l’étagère contre le mur. Je crois deviner des enceintes et du matériel que je ne reconnais pas. J’entends l’eau couler derrière la porte fermée, puis je sors rapidement mon téléphone de mon sac et confirme ma présence à Emilie dont la réponse ne se fait pas attendre.
- Trop bien ! Il y aura aussi Valentin et Léo avec Chloé et peut-être Julia et d’autres de leurs potes. Ça va être une grosse fiesta !
- Ok, réponds-je sans vraiment me réjouir.
Je pense que cela me fera du bien de voir Emilie, et de vivre un peu à travers elle. Elle respire la joie et si j’écoute les recommandations de Gabriel, elle fait partie de ces personnes qui ne peuvent que contribuer à mon bien-être.
Et puis il faut que je lui en parle, j’ai besoin de son opinion concernant ce bel homme angélique aux cheveux dorés qui atomise ma vie.
Il sort brusquement de la salle de bain, les cheveux humides, des vêtements propres sur le dos. Il porte un tee-shirt noir tendu sur son torse bombé qui laisse saillir les muscles de ses bras et un jean foncé avec ses boots. Il a quelque chose d’irrésistible et de doux à la fois. Il dégage une aura complètement apaisante. J’ai l’habitude de devoir décrypter les gens en quelques instants, mais lui… C’est comme si j’étais totalement aveuglée et enivrée par sa beauté et ce qu’il dégage. Il m’arrache à ma contemplation en se raclant la gorge. Je sursaute et agis comme si j’avais été prise à faire une bêtise. Je fixe mon regard sur mes genoux et rougis de honte. Mince alors… Mais ce genre de comportement puéril ne me ressemble pas du tout… Il a un rire léger.
- Tu aimes ce que tu vois ? Demande-t-il l’air amusé.
- Pardon, réponds-je machinalement le feu aux joues.
- Je t’ai dit que tu n’avais pas à t’excuser.
- Oui, soufflé-je les yeux toujours baissés.
Je ne sais plus où me mettre. J’ai envie de me gifler tellement je me sens stupide. Mais qu’est-ce que je fais ici… En un sens il a raison, il faut que j’arrête les médocs et l’alcool parce que ça me rend complètement stupide… Imaginer qu’un mec pareil pourrait réellement s’intéresser à moi et jouer patiemment à la poupée avant de pouvoir en tirer profit… C’est parfaitement ridicule…
- Alors ? Questionne-t-il avec un mouvement de tête en direction de mon téléphone qui était resté figé dans ma main pendant mon introspection.
- Euh… Oui, me reprends-je alors en retournant à ma conversation avec Emilie, euh... C'est une soirée demain soir.
- Tu connais tous les invités ?
- Euh… Non, hésité-je en consultant les messages.
- C’est où ?
- Chez un copain d’Emilie, dans les hauteurs de Cannes.
- Hum… Grogne-t-il l’air contrarié.
Mais il n’ajoute plus rien et se contente de me faire signe de le suivre. Nous passons d’abord dans une boulangerie où il achète des croissants et du café chaud qu’il m’emmène déguster sur la croisette.