Chapitre 4

4253 Words
Je passe l’après-midi sous la couette, mon lieu favori, car l’herbe m’a relaxée. Gabriel est parti en laissant ses affaires, mais le joint qu’il a roulé avant de s’en aller est largement suffisant. Après la nuit tombée, j’émerge de ma torpeur et décide d’aller prendre une douche, en profitant pour laver mes cheveux. Je me brosse les dents et remonte mes boucles brunes mouillées en queue de cheval puis je remets rapidement un débardeur propre et mon jogging avant de retourner au lit. Je n’ai même pas le courage de faire un peu de rangement. Je jette un œil à mon téléphone et constate que Gabriel m’a envoyé un message. - Je serai là à une heure. Il est vingt-et-une heures. Je décide d’ouvrir une bouteille en me disant que d’ici son arrivée, j’aurai largement imbibé l’alcool. Je lui réponds en me servant un verre. - Tu n’as pas de maison ? Sa réponse arrive cinq minutes plus tard. - J’aime beaucoup tes sarcasmes. J’habite au-dessus du bar. Je jette le téléphone sur le lit et mets ma playlist relax en fond sonore puis sirote mon verre. Je le remplis machinalement à mesure qu’il se vide à l’aide de la bouteille que j’ai laissée près du lit et je finis par somnoler au gré de la musique qui me fait voyager dans les enfers de mon esprit tourmenté. Il faut que je sois honnête avec moi-même, je sais que ce mec est bizarrement mystérieux, avec cet air toujours sérieux, mais doux, je sais qu’il m’a aidé sans demander la moindre compensation - pour l’instant. Je sais qu’une partie de lui a raison concernant ma dangerosité, en revanche j’estime qu’il a tort sur le reste, je ne suis pas rebelle ni même soumise. Je suis juste terrorisée par les contacts physiques et leurs conséquences. J’évite soigneusement toute forme de fraternisation qui sorte du domaine amical depuis toujours. Je n’ai jamais pu me lier de sentiments avec qui que ce soit, ne souhaitant infliger à personne les contraintes de mes humeurs. Lorsqu’il semble inévitable qu’il se profile un rapprochement, ce qui n’était arrivé que trois fois au cours des huit dernières années, j’étais dans un état second, ravagée par la prise de cocaïne ou d’ecstasy, ce qui m’avait permis de passer ces moments insupportables en étant presque complètement absente. Gabriel n’a rien saisi de ma lâcheté. Mais je ne vois pas d’issue à cette situation inextricable. Je ne recherche pas de compagnie, surtout pas celle d’un homme, car je n’envisage pas qu’il soit possible pour moi d’avoir un jour une relation normale. Peut-être pourrais-je simplement le décourager en étant honnête ? Lui dire ce qu’il souhaite entendre, ce qui le fera fuir inévitablement… Ainsi je pourrai retourner à mes tortures, comme s’il n’était jamais intervenu. Qu’est-ce que cela changerait que je raconte cela à un inconnu ? Je n’aurai pas à subir la pitié et la contrainte que je peux lire dans les yeux des membres de ma famille alors qu’eux même ne savent pas grand-chose, mon père en tête de liste. Je regarde mon téléphone et constate qu’il sera bientôt une heure. Je m’auto-suggère de cacher la bouteille presque vide, mais me ravise. De toute façon, je n’en aurais pas eu le temps puisque j’entends au même instant des coups à la porte. La poignée tourne et Gabriel entre sans attendre mon invitation. Ses pas résonnent jusqu’à ce que sa silhouette apparaisse dans l’encadrement de la porte de ma chambre. - Comment te sens-tu ? Demande-t-il de ce ton si sérieux que je commence à connaître. - Bien, merci, réponds-je en figeant un petit sourire sur mon visage. Je m’attends à avoir le reproche que ma porte est une fois de plus restée ouverte, mais il n’en fait rien. Il s’approche en se débarrassant de sa veste et s’assied au bord du lit me regardant droit dans les yeux. - Tes yeux sont un véritable miroir. Je vois bien que tu n’es pas sobre. - Et alors ? Tu es fâché ? - Non, répond-il surpris, pourquoi devrais-je l’être ? - Je… Il me coupe. - Combien de verres ? - La bouteille, avoué-je honnêtement en le défiant du regard. Je vois un bref éclair de fureur passer dans son regard, mais le fait que je le soutienne semble l’apaiser automatiquement. - Tu n’as pas le même regard, remarque-t-il en raccrochant une mèche rebelle derrière mon oreille ce qui me donne un frisson involontaire, est-ce que je te fais peur ? - Non, protesté-je. Puis je décide de m’en tenir à ma décision. - Mais pour être honnête je suis très mal à l’aise quand on me touche. - D’accord, répond-t-il en m’observant l’air interdit, donc comment fait-on pour te réconforter ? - On ne le fait pas. - Et si tu en as besoin ? - Ça n’arrive jamais. - Comment cela ? Il enchaîne les questions à chacune de mes réponses j’ai la sensation de prendre part à un duel, le genre de duel de joutes verbales que je connais trop bien, je soupire et reprends. - Lorsque je traverse ce genre d’épisode, je m’isole des gens qui m’entourent. - Pourquoi ? - Parce que je refuse d’inspirer la pitié et je ne veux pas être vue dans cet état-là. - Et si ce n’est pas le cas ? - Bien sûr que si ça l’est. - Je pense que ton opinion des autres et de toi-même est bien en dessous de la vérité. Qu’est-ce qui a déclenché ce sentiment ? - Rien du tout. Qu’est-ce qu’il est intrusif… - Je pensais que tu étais décidée à parler ? - Je n’ai rien dit de tel. Écoute, je suis sincèrement désolée de débarquer dans ta vie et te causer du souci, mais voilà, ce n’est pas la première fois que ça m’arrive. Je sais très bien comment gérer cela et je vais m’en sortir… - Me causer du souci… Ne t’inquiète pas des sentiments que tu pourrais créer chez moi… Je suppose que tu dis cela parce que tu es dépressive, c’est ça ? - Oui, confirmé-je dans un souffle. - Pourquoi ne pas l’avoir dit tout simplement ? - J’estime ne pas avoir à partager ça avec toi. - D’accord, acquiesce-t-il alors. Il laisse planer un silence et semble réfléchir quelques instants. - ça fait longtemps ? - Quelques années. - Pourquoi ne suis-tu pas un traitement ? - Parce que je n’en avais pas besoin jusqu’à lundi dernier et… - Que s’est-il passé lundi dernier ? - Rien, je suis rentrée d’Italie, c’est tout. - Donc ? - Donc je me suis simplement laissée submergée par la nostalgie. - C’était plutôt une bonne grosse noyade, commente-t-il. Oui… Un retour à la réalité bien trop brutal, après avoir imaginé toucher du bout des doigts un besoin malsain et empoisonnant de vengeance. - Je sais, je suis désolée pour ton bar, tout ça… - Ne t’inquiète pas pour ça, dit-il d’un ton plus doux. - Je suis désolée mais je ne comprends rien à tes motivations, confessé-je. Une partie de moi souhaite savoir à quoi s’en tenir avec lui. Mes aveux ne semblent pas le refroidir le moins du monde, mais son comportement vis-à-vis de moi n’a aucun sens. Quel inconnu aiderait une fille sans raison de nos jours et sans arrière-pensée ? - Je souhaite seulement t’aider. - Mais pourquoi ?! M’emporté-je alors, cela n’a aucun sens. - Je t’ai observé ce soir-là, avoue-t-il, je t’ai regardé boire… Pleurer, et ignorer le reste du monde. Je me suis demandé pourquoi une femme aussi belle, est également aussi triste, tu m’intrigues énormément et je dois l’avouer, je suis curieux de connaître les raisons d’un tel état d’autodestruction. - Je te remercie, personne ne m’a jamais accordé l’attention que tu m’as donnée ces derniers jours, mais je ne cherche pas de relation. Je ne cherche pas à créer de liens, je recherche surtout la solitude et une forme d’apaisement peut-être. - Est-ce que tu essaies de te suicider d’une manière ou d’une autre ? Sa question me fait l’effet d’une gifle en plein visage, et je me redresse sur le lit. - Non ! Je… Je suis bien trop lâche pour ça, avoué-je en baissant mes yeux qui s’embuent. Il prend mon menton dans sa main et le relève. - Ne dis plus jamais cela, m’ordonne-t-il d’un ton qu’il veut menaçant. Il se lève d’un bon et se rend au salon puis revient rapidement avec le nécessaire pour rouler. - Je vais t’aider, je sais très bien que tu penses pouvoir te débrouiller seule, mais il n’y a pas que ça. Malgré la facette destructrice de ta personnalité, quelque chose chez toi me plaît follement…. Je veux que tu sois au meilleur de ta forme pour découvrir ce que c’est. Il s’exprime avec douceur et sincérité, mais ce qu’il me dit alors qu’il se roule tranquillement un joint ne me rassure pas du tout. - Je ne peux pas, soufflé-je à moitié paniquée. - Pourquoi ? - Parce que… - Parce que tu n’es pas en mesure d’aimer ? Que tu n’as plus envie de rien ? Que tu es tranquillement en train d’éteindre tout ce que tu es ? - Je… Je ne sais plus quoi dire, il doit lire la panique dans mon regard, mais il ne cède pas. Je n’ai jamais été dans une situation comme ça. Je me jette dans mon travail à corps perdu depuis des années, mes vacances de cette année sont les premières que j’ai prises depuis bien longtemps. J’ai toujours eu l’habitude de garder ma personnalité détruite pour les murs de cet appartement. Quand je sors, je ne suis plus moi-même, je suis quelqu’un d’autre, je joue un rôle. C’est la première fois qu’on me pousse dans ce genre de retranchements, qu’on envahit ma tanière de cette façon. - Oublis tout ça, continue-t-il alors voyant que je suis murée dans le mutisme, la vraie question est… Est-ce qu’au fond de toi je te plais un peu ? Puisque je ne suis « pas du tout repoussant » selon tes propres mots. Quelque chose m’attire énormément chez toi, même si je ne sais pas encore exactement quoi, tu dégages quelque chose de magnétique, qui a un grand effet sur moi. Je t’ouvre une porte, là, maintenant, une chance de changer les choses… Et je ne dis pas que je suis magicien, mais j’ai bien l’intention de savoir qui tu es vraiment. Qu’as-tu à perdre de toute façon ? Tu es déjà au fond du trou. Arrête un instant de raisonner avec la partie déchirée de ton âme et réfléchis avec l’instinct primaire au fond de toi. Il garde les yeux braqués sur moi durant toute sa litanie, c’est la deuxième fois en quelques semaines qu’on me propose un changement de vie, mais Adena semble m’avoir oublié quant à elle et je commence à me dire que toute cette conversation n’était qu’un fantasme pervers. J’ai peut-être imaginé cette fille qui me proposait une solution à laquelle je ne fais que rêver. - Oui, avoué-je malgré moi après un long moment en laissant les larmes fondre sur mes joues, mais ça ne change rien à ce que j’ai dit, je ne veux pas de relation quelle qu’elle soit… Je suis désolée. - Mais désolée de quoi ? Ne pense pas être un fardeau ou une mission, s’il te plaît… N’insulte pas mon intelligence, achève-t-il avec un sourire charmeur. Il allume le joint, la musique tourne toujours en fond sonore. Je suis honteuse de ma révélation et ne cesse de jouer avec les bagues accrochées à mes doigts. - Est-ce que tu ne veux pas, ou est-ce que tu ne t’en sens pas capable ? Reprend-il après s’être installé contre la tête du lit. - Gabriel, soufflé-je alors, arrête de jouer sur les mots. Je me suis fourrée dans une galère, il est vrai qu’il est bel homme et me plaît énormément, c’est complètement le genre d’homme que je trouve magnifique, mais là où lui trouve cela capital, je n’y attache que peu d’importance, il finira par se lasser. La dépression m’a empêché de vivre des relations amoureuses. Je ne connais que les côtés sombres des rapports entre un homme et une femme et cela m’a suffi pour ne jamais me lier avec qui que ce soit. - Tu es perdue dans tes pensées Serena ? M’interroge-t-il en me tendant le joint. - Oui, réponds-je en l’acceptant, je me demande à quel moment tu en auras marre de me connaître. - Jamais si tu te montres coopérative, répond-il sûr de lui. - Coopérative ? - Bien sûr, il y a une contrepartie à tout cela. - Laquelle ? - Répondre à toutes mes questions avec honnêteté pour commencer, énonce-t-il calmement comme s’il négociait une clause d’un contrat. Je retiens mon souffle et le laisse poursuivre. - Je ne dis pas forcément immédiatement, seulement quand je le demanderai, je souhaiterais que tu le fasses. J’acquiesce d’un signe de tête. Cela ne paraît pas être la partie insurmontable, ayant moi-même pris la décision d’essayer la voix de l’honnêteté en pensant le faire fuir. - Et nous allons également devoir résoudre un problème. - Lequel ? Il lève le dos de sa main et caresse mon bras provoquant un spasme incontrôlable. - Je suis tactile, dit-il, j’aime toucher, goûter, sentir, en plus de communiquer. J’ai la gorge serrée et amorce un mouvement de recul, il lève les mains en signe de reddition. - Pas dans l’immédiat… Ne t’inquiète pas. Je te l’ai dit, tu me plais Serena, je vais me montrer patient, mais je souhaite vraiment te découvrir. - D’accord, lâché-je dans un soupir. J’ai du mal à en croire mes propres oreilles, et il semble aussi surpris que moi, mais j’ai la sensation qu’il ne laissera pas tomber avant d’avoir obtenu ma capitulation, et pour le moment je suis trop dans le brouillard pour répliquer. - Encore une chose, ajoute-t-il d’une voix plus ferme, j’ai vu quelque chose tout à l’heure et j’aimerais comprendre. Tu as semblé te poser une question existentielle lorsque je t’ai demandé si je te plaisais, et tu as mis du temps à répondre pour une question à laquelle tu aurais déjà dû connaître la réponse. - Comment ça ? - J’ai le sentiment que tu caches quelque chose d’un peu plus grand qu’une dépression, t’arrive-t-il de faire des choses par désir ? Je bondis du lit bien plus vite que je ne l’aurai cru possible pour atterrir à l’opposé de la pièce comme pour fuir le plus rapidement possible un danger immédiat. - Pardon ?! M’exclamé-je avec effroi offusquée par un tel niveau d’intrusion dans ma sphère privée. - Ok… Pas mal comme réaction, c’est du haut niveau de rejet. - Je ne parle pas de ce genre de chose, c’est très intime, c’est personnel, c’est… - C’est une discussion entre adultes. Je veux te connaître et te demander s’il t’arrive d’avoir envie d’affection, ce n’est pas quelque chose de mal, c’est naturel… - Je… Non… Je n’en sais rien… C’est trop compliqué. - Tu es vierge ? S’étonne-t-il alors. - Bien sûr que non ! - Alors tu as déjà désiré quelqu’un ? Je reste muette, je veux partir, mais je suis chez moi, je regarde partout sauf dans sa direction. Je commence à trembler, je suis perdue dans mes retranchements, je ne sais plus quoi faire, quoi dire, je suis prise au piège dans une conversation que je souhaite fuir à tout prix et que j’ai provoqué en plus. Je sens tous les symptômes de mon stress post-traumatique que j’ai mis tant d’années à parfaitement maîtriser, jaillir dans mes veines. Mes oreilles grésillent, ma vue se brouille quand je sens du coin de l’œil qu’il se lève en soupirant. - Eh merde, je ne pensais pas pouvoir m’approcher si vite de la vérité, dit-il d’une voix douce. Il s’avance vers moi les mains levées, m’incitant à rester calme… Bientôt il est suffisamment proche pour que l’odeur de son parfum m’enivre. Lentement, il rapproche son corps du mien puis enroule ses bras autour de moi. C’est le geste le plus tendre et étrange qu’un inconnu ait eu envers moi. J’ai des secousses de panique, mais il ne relâche pas son étreinte. - Nous en reparlerons, mais pas aujourd’hui, je pense connaître l’essentiel de ce que j’avais besoin de comprendre. Je voudrais pouvoir changer ça. Il relâche son étreinte tandis que mon corps se détend à mesure qu’il libère l’espace entre nous, puis il m’invite à retourner sur le lit. - Il t’arrive souvent de boire autant quand tu es en dépression ? - Non, réponds-je en me rasseyant sur le lit avec précaution. Je prends le joint dans le cendrier et en tire une longue bouffée. - D’ailleurs je vais assez peu dans les bars, l’occasion s’est présentée, c'est tout. Je suis déjà venue une ou deux fois, mais il me semble qu’il y avait un autre barman. - Je suis arrivé il y a deux mois, j’ai repris le commerce de mon oncle. - Ah. Mais quel âge as-tu ? - Trente et un ans. - Oh, et tu n’as pas de femme plus passionnante à courtiser ? - Pas depuis que l’une d’entre elles à pénétrer dans mon bar… Elle occupe toutes mes pensées d’autant plus que je sais parfaitement de quel genre d’explosion elle est capable. Je le regarde honteusement puis baisse encore les yeux. - Hé ! S’écrie-t-il en attrapant mon menton comme il aime le faire, pas de honte avec moi. Tu peux être qui tu veux et j’espère bien que tu pourras devenir la meilleure version de toi-même. - C’est beaucoup de pression, avoué-je, mais je n’ai pas changé d’avis. Je ne peux pas avoir de relation. - Tu es déjà avec quelqu’un ? - Non, pas du tout. - Est-ce que tu vis un chagrin d’amour ? Est-ce la raison de ta dépression ? - Non, je t’ai dit que je n’avais pas de relation ! - D’accord, mais ne pas avoir de relation ne veut pas dire que tu n’as pas du tout aimé vois-tu ? J’essaie simplement de comprendre les raisons de ton rejet envers moi. - Il n’y en a aucune, ce n’est pas toi, je ne veux pas de relation, c'est tout. - Donc ce n’est pas moi, je te plais et toi tu me plais encore plus, mais tu refuses mon aide parce que tu ne veux pas de relation. Pourquoi ? Là, c’est moi qui ne trouve aucun sens à cela. - Parce que je ne peux pas apporter les choses nécessaires au bon fonctionnement d’une relation entre un homme et une femme. - T’ai-je demandé quoi que ce soit hormis le fait d’être honnête ? Demande-t-il d’un ton accusateur. - Non, mais si on ne met pas fin à cela maintenant, ça viendra. Et je ne peux pas gérer cela. Pas du tout. - Et te mettre beaucoup moins de pression, accepter de discuter et t’ouvrir un peu, tu pourrais ? - Cela ne suffira pas indéfiniment. - Aussi têtue que je l’avais deviné, murmure-t-il plus pour lui-même, essaye de te détendre un peu et fume. Cette conversation m’a tellement perturbée que les effets de l’herbe ne semblent pas agir, mes propres émotions surpassant les conséquences que pourrait avoir une drogue. - Concernant la cuite de la dernière fois, pouvons-nous en conclure qu’il s’agissait d’un cas de dérapage isolé ? - Oui… - Et pour les médocs ? - J’ai l’habitude de les prendre un peu n’importe comment avant de commencer sérieusement le traitement. J’ai l’impression que ça permet de gommer un peu mes émotions. - Plus jamais ça, gronde-t-il sur un ton qui n’incite à aucune protestation, si tu refais ça une fois je ferai en sorte que tu le regrettes amèrement, crois-moi. Si jamais tu en as l’envie, tu m’appelles, mais que je ne te retrouve plus jamais défoncée à ces merdes. - Tu n’as rien écouté de ce que j’ai dit ? Je ne veux pas de relation, tu m’en demandes déjà trop, je ne vais pas supporter ces contraintes, en plus des autres. - Pourtant tu en as déjà supporté de bien pires apparemment, non ? Son ton cassant me foudroie, mon cœur bat à tout rompre dans ma poitrine, j’ai chaud et je perds encore tous mes repères. - Tu laisses entendre que tu te soumets à la douleur, mais te rebelles contre ce qui te ferait du bien ? Est-ce que tu aimes souffrir ? - Non ! Ça n’a rien à voir. - Ça a tout à voir. Il faut inverser cette tendance. Je ne vais pas te lâcher comme ça, ne crois pas que je sois du genre à fatiguer, je déborde d’énergie et de détermination. Soit, tu suis mes conditions, soit j’utiliserai cette énergie et cette détermination à des fins moins plaisantes. - Tu es affreusement têtu ! M’emporté-je. - Alors accepte mon aide… S’il te plaît ? J’ai un nœud dans la gorge et ne peux plus répondre. Je hoche la tête pour lui faire comprendre que je suis d’accord. Cette reddition me fait monter les larmes aux yeux. - Arrête de pleurer maintenant, ça va aller, tu verras. - Je suis désolée, m’excusé-je secouée de sanglots incontrôlables, je crois que tu n’as pas idée de ce que tu me demandes. Une fois de plus, il attend en silence que mes pleurs cessent. Je suis épuisée par cette guerre que j’ai perdue. Je n’arrive pas à croire que je lui cède le contrôle, mais je suis trop fatiguée pour continuer à me battre, et je m’allonge sur l’oreiller. - Ne sois plus désolée, je te trouve fascinante et pleine d’esprit. Je pense que tu devrais te reposer maintenant. Je souhaiterais rester et dormir avec toi, est-ce que c’est ce que tu désires ? Il insiste légèrement sur le mot désir, laissant entendre qu’il attend sérieusement mon approbation, mais je reste muette. - Serena ? Je t’ai posé une question, et j’attends une réponse honnête, tu te souviens ? - Oui. - Oui quoi ? - Tu peux rester. Ce n’est pas comme si tu ne l’avais jamais fait, réponds-je en essayant de paraître nonchalante. Il attrape l’ordinateur et sélectionne les musiques sur ma playlist avant d’en lancer la lecture, il enlève ses chaussures et s’installe plus confortablement sur le lit avant d’éteindre la lumière. Je peux sentir les effluves doux de son parfum qui m’enivrent. Je suis troublée par sa présence, mais également étrangement rassurée. Les mouvements de sa respiration sont paisibles et relaxants. J’ai envie d’engager la conversation à l’abri de ses regards impérieux pourtant je n’ose pas. Je n’ose plus bouger du tout. - A quoi penses-tu ? M’interroge-t-il en me faisant sursauter car je surprise par sa question soudaine. - Euh, je suis… Mal à l’aise. - Pourquoi ? - Parce que je ne te connais pas, et que je n’ai pas du tout l’habitude de dormir avec des inconnus, ni qui que ce soit d’ailleurs. - Je ne demande qu’à ce que tu me connaisses. Il se tourne sur le côté pour me faire face. - Tu n’aimes pas être touchée, mais toi, aimes-tu toucher ? Demande-t-il alors. - Je ne sais pas, réponds-je dans un souffle timide. - Alors essaye, me défie-t-il. - Quoi ?! Comment ça ? Je sens la panique poindre au creux de mon estomac, qui semble s’enrouler sur lui-même dans un nœud serré complexe qui me coupe la respiration. -Tu peux me toucher, toucher mon visage, mon corps, mes cheveux, nous sommes dans le noir et nous ne voyons rien, ça ne te coûte rien d’essayer. - Je ne sais pas, hésité-je. - Donne-moi ta main. Je laisse peser le silence un long moment avant de tendre la main en avant avec hésitation. Je sens le contact de la sienne et un frisson me parcourt. Je frémis puis me pétrifie. - Chut… Souffle-t-il, tout va bien. Il porte délicatement ma main à ses lèvres et y dépose un b****r. Il la fait glisser le long de sa joue, je sens sa barbe picoter sous mes doigts, il la fait lentement descendre le long de son cou. Je ressens chaque sillon de sa peau, chacun des galbes de ses veines sous mes doigts piqués au fer rouge. Mon cœur tambourine dans ma poitrine, et je soupçonne qu’il puisse l’entendre. Je soupire tandis qu’il me guide vers le tee-shirt tendu sur son torse. Il continue lentement sa balade, attendant sans doute que mes crispations ne se détendent à son contact. J’essaye de me laisser bercer par la musique et les va-et-vient de sa main contre la mienne, tandis qu’il la guide habilement à travers les courbes de son corps. Je devine les battements de son cœur sous ma paume, ils sont lents, réguliers, comme si rien n’aurait jamais pu perturber sa course puis il interrompt sa promenade en gardant ma main dans la sienne, posée contre son torse. - Est-ce que ça te plaît ? - J’ai du mal à me détendre, avoué-je à demi-mot. - Respire, tout va bien, c'est toi qui guides, je suis ton heureux cobaye. - Quoi ? Heureux cobaye ? - Je dois avouer pour ma part que sentir ta main contre moi m’est particulièrement agréable. Je reste bouche bée devant tant de désinhibition. - N’ai jamais peur de dire ce que tu ressens. Je ferai la même chose…
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