Continuation
Quant aux imitateurs sans conscience !…
Quant au singe bateleur qui contrefait sans goût ce qu’il voit sans intelligence, automate vivant dont la physionomie est une caricature et le rire une grimace…
Quant au perroquet maussade qui chante la chanson de Psaphon parce que Psaphon l’a chantée, et qui croit inventer ce qu’il répète…
Quant à la corneille effrontée qui se pare insolemment des dépouilles de quelque paon inconnu, et qui étale dans vos musées et dans vos académies une aigrette de diamants et des plumes d’or aux yeux d’azur qu’elle n’a point portées…
J’aurais plus tôt fait de compter les chèvres de la Toralva, calcul qui épouvanta l’infaillible judiciaire de don Quichotte, et que les mathématiciens infinitésimaux les plus perspicaces, depuis le marquis de l’Hospital jusqu’au rédacteur du dernier Almanach des Muses, ont sagement laissé à part.
Qui oserait se plaindre aujourd’hui qu’il y eût une chèvre, une seule chèvre de trop dans le troupeau de la Toralva, et qu’elle y caracolât, la pauvre bête, à la manière des autres ?…
On n’a jamais trouvé trop nombreux les moutons de Dindenaut – cependant ils se noyaient, tandis que les chèvres de la Toralva ne demandent qu’à sauter.
Et pourvu que ma chèvre passe dans le nombre. – Elle n’est ni vieille, ni difforme, ni maussade – elle est propre, elle est élégante, elle est mouchetée – elle a le sentiment de sa dignité naturelle et des bienséances de son sexe –
… Pourvu, dis-je, qu’elle défile le nez au vent, les narines entrouvertes pour aspirer de loin les fleurs et la rosée, la tête un peu inclinée sur la clavicule droite, parce que cela donne de la grâce…
Fructu capreolus volvitur gestiens croceo
Ou bien que, dressée sur ses jambes de derrière, celles de devant modestement recourbées sur elles-mêmes, le cou tendu, l’œil saillant, la bouche allongée et frémissante, elle puisse briser de temps en temps, au sommet d’un buisson qui n’appartient à personne, un de ces longs bouquets de feuilles ou de fruits parasites qui épuisent l’arbuste et ne l’embellissent pas…
(C’était probablement le corymbe d’un sorbier avant la maturité.) –
Ô critique impitoyable, on ne vous en demande pas davantage…
Messieurs, voulez-vous permettre ? Place à la chèvre de Théocrite !