I-2

2500 Words
– Mon amour, pardon !... Oui, je suis coupable... Oui, je n’aurais pas dû croire... Les mains tremblantes du jeune homme essayaient d’écarter les doigts de Mlle d’Erbannes. – Vous n’aviez pas le droit ! dit une voix brisée par les sanglots. Vous deviez, avant, vous expliquer avec moi... – C’est vrai, je suis un misérable ! Oh ! Françoise, comment obtenir votre pardon ? Il tombait à genoux, en levant sur la jeune fille un regard de supplication désespérée. Mlle d’Erbannes, laissant retomber ses mains, montra un visage plein de douceur et de tristesse, qui acheva de bouleverser le cœur sensible de Gaspard. – Je ne vous en veux pas, mon ami... je vous aime trop pour cela. Relevez-vous et cherchons ensemble les moyens de remédier à cette situation. De nouveau, Gaspard s’assit près d’elle. En un mouvement gracieux, elle pencha la tête vers lui et murmura : – Je n’abandonnerai pas ainsi mon bonheur ! Et la tête blonde s’appuya sur l’épaule de Sorignan qui couvrit de baisers ce visage qu’il s’était promis de ne jamais chercher à revoir. – Gaspard, il faudra obtenir de M. de Rochelyse la rupture de cet engagement. – Je crains que ce soit impossible. Le duc fait de grands avantages pécuniaires à ses gardes, mais en retour il est très strict sur l’exécution des engagements que l’on prend en entrant dans sa maison. – J’espère cependant que ce n’est qu’une légende, cette peine de mort dont on serait menacé au cas où l’on se laisserait aller à quelque indiscrétion ? – Non, c’est très exact. – Serait-ce possible ?... Oh ! je ne puis croire que le duc exécuterait cette menace ! – Il l’a fait, cependant... Et c’est un homme redoutable, je vous assure, Françoise ! – Réellement ? Je l’avais bien entendu dire, mais on raconte tant de choses plus ou moins véridiques ! Toutefois, je veux espérer qu’il ne sera pas inexorable pour notre mariage. La reine mère, certainement, acceptera de lui parler en notre faveur... Oui, j’ai confiance, mon ami ! Bientôt, je serai votre femme. – Oh ! ma bien-aimée, puissiez-vous dire vrai ! J’étais si malheureux ! Quand vous m’avez rencontré, je revenais d’une longue promenade dans la campagne, faite pour apaiser mon cerveau fatigué par une nuit sans sommeil... Grisé à la fois par le vin et par la sirène qu’il serrait entre ses bras, le malheureux Gaspard oubliait le motif de cette nuit agitée. Seul, dans son esprit en désarroi, surgissait le souvenir de ce qu’il avait souffert en se croyant oublié de Françoise. – Pourquoi cette mauvaise nuit, ami ? Avez-vous des ennuis chez M. de Rochelyse ? – Des ennuis ? Oui... Oh ! pas pour moi personnellement... – Pour qui donc ? – C’est la petite Bérengère... Vous vous souvenez ? – Certes ! Une pauvre et charmante enfant que j’aimais bien... Est-elle toujours chez M. de Rochelyse ? – Je crois bien ! Gaspard relevait la tête et ses yeux s’enflammaient de colère. – ... Elle est devenue adorablement jolie, Françoise ! Et cet homme en fait la victime de son caprice !... Une enfant délicieuse !... Un être idéal !... Que ne donnerais-je pas pour la sauver ! Oh ! si vous pouviez m’y aider, vous, si bonne et si intelligente ! Françoise, entre ses cils mi-clos, attachait un singulier regard sur la physionomie de son fiancé, bouleversé par une violente émotion. Un mauvais sourire glissa entre ses lèvres, tandis qu’elle répondait, avec un accent de vive émotion : – Ah ! mon ami, croyez que j’y suis toute disposée. Mais il faudrait me donner quelques détails, pour que je puisse voir de quelle manière il serait possible de lui venir en aide. Il répondit complaisamment à toutes les questions qu’il plut à Françoise de lui adresser sur le duc, Mme de Trégunc, Bérengère. Mais Mlle d’Erbannes déclara que ces renseignements étaient par trop insuffisants et qu’il fallait que Gaspard s’arrangeât pour en obtenir d’autres. Elle précisa lesquels, à quoi le jeune homme objecta que ce lui serait bien difficile, dans un intérieur strictement organisé, discipliné, tel que celui de M. de Rochelyse. – Cependant, mon cher Gaspard, il faut que nous arrivions à sauver cette malheureuse petite Bérengère ! Ah ! je comprends votre chagrin !... je le partage ! Cette enfant semblait si chère à Mme de Pelveden !... Et elle est véritablement très attachante ! – Oui, oui, je ferai tout mon possible ! Vous êtes délicieusement bonne, Françoise ! Je le savais bien, moi ! – Quelqu’un a-t-il essayé de vous persuader le contraire ? – Oh ! je crois bien ! M. de Rochelyse a voulu me donner de vous la plus mauvaise opinion. Je ne sais quel motif le poussait... Une lueur jaillit des yeux bleus, une teinte pourprée couvrit le frais visage. Pendant quelques secondes, Françoise parut hésiter... Enfin, elle dit d’une voix basse où semblait frémir une vive émotion : – Quel motif ? Eh bien ! je vais vous le dire... C’est une preuve de confiance que je puis donner seulement à mon fiancé... qu’il a d’ailleurs le devoir d’exiger de moi. Mais promettez-moi auparavant de n’en dire jamais mot à personne... et de ne pas vous mettre trop en colère ? – En colère contre qui ? demanda sourdement Gaspard. – Oh ! pas contre moi ! Vous verrez que je ne le mérite guère... Promettez-moi ? – Eh bien !... oui. Alors, Françoise, glissant la main dans son corsage, en sortit un billet qu’elle tendit à M. de Sorignan. – Je l’ai reçu hier... Lisez, mon ami. Et elle cacha son visage sur l’épaule de son fiancé. Le billet ne contenait que quelques lignes, d’une ferme écriture masculine : « Mademoiselle, « J’ai pensé à vous depuis le bal du Louvre et j’ai désiré vous revoir. S’il vous est possible de vous rendre libre demain soir, entre six et sept heures, j’aurai le plaisir de vous recevoir en ma demeure. Je vous avertis, « dans votre intérêt », d’être fort discrète au sujet de mon invitation, particulièrement « à l’égard de la personne dont vous dépendez actuellement ». Une litière vous attendra près du Louvre. Vous n’aurez qu’à dire au valet qui se trouvera près d’elle ce seul mot : « Sphinx ». « Rochelyse. » Gaspard, qui avait commencé à rougir de colère dès les premières lignes, eut un v*****t soubresaut en arrivant à la signature. – Quoi ! lui !... encore lui !... Il ne lui suffit pas de la pauvre petite Bérengère... il faut encore qu’il cherche à me prendre ma fiancée ! Ah ! je comprends pourquoi il m’engageait si bien à vous oublier ! Le misérable !... Le misérable !... La voix de Gaspard s’étranglait dans sa gorge contractée par la fureur. – Mon ami, calmez-vous, je vous en prie. Vous allez vous faire mal ! murmura Françoise. En même temps, d’une main preste, elle enlevait le billet d’entre les mains crispées qui commençaient de le froisser. – C’est odieux... odieux ! J’espère cependant, Françoise, qu’à ce bal vous n’avez rien dit qui pût encourager... ? – Oh ! Gaspard ! Jamais plus éloquent regard de protestation n’avait témoigné en faveur d’une vertu injustement suspectée. – ... J’ai dansé une pavane avec M. de Rochelyse, qui ne m’a pas témoigné autre chose qu’une courtoisie froide, d’ailleurs assez habituelle chez lui. Certes, je ne me doutais pas qu’il se permettrait cette... insolence !... Et je n’éprouve à son égard que de la crainte... que de l’aversion... Vous voyez d’ailleurs que je suis ici, près de vous, à l’heure même du rendez-vous qu’il osait me donner... – Le misérable ! répéta Gaspard en saisissant la main de Françoise et en la serrant avec une telle force que la jeune fille eut un léger cri de souffrance. Mais je trouverai le moyen de lui dire ce que je pense, de lui jeter ma colère à la face... Mlle d’Erbannes l’interrompit impérieusement : – Pas de folies, Gaspard ! N’oubliez jamais que cet homme est très puissant et que vous seriez brisé sur l’heure en essayant de l’attaquer de front. Mais il est d’autres moyens pour nous venger, pour le punir et, aussi, pour lui enlever Bérengère... Voulez-vous vous fier à moi pour cela et suivre les conseils que je vous donnerai ? – Mon amour, j’ai toute confiance en vous... Et pardonnez-moi, je vous en prie, mes doutes, mes criminelles suspicions ! – Je vous pardonne tout ! déclara magnanimement Françoise. Mais, je vous en supplie, gardez-vous de rien laisser paraître des sentiments que vous éprouvez à l’égard de M. de Rochelyse ! Songez qu’il y va de votre vie... songez que le sort de Bérengère dépend de votre adresse, de votre discrétion, et que moi-même je puis avoir besoin de vous pour me défendre contre cet insolent seigneur, que mon silence, mon dédain, vont probablement fort irriter ! – Soyez sans crainte, je serai prudent. Oui, oui, je sais que je suis un trop petit personnage pour le combattre ouvertement. Ainsi donc, je prendrai conseil de votre intelligence avisée, ma Françoise, et je me garderai d’éveiller la méfiance de celui que j’ai eu le grand tort d’accepter pour maître. – Nous tâcherons de vous en délivrer, Gaspard... Mais il est temps que je parte... Voyons, il faudra nous revoir prochainement... Je vous enverrai un mot, sans signature, avec la seule indication du jour et de l’heure. Vous saurez que nous devons nous retrouver ici. Elle se levait en parlant. Gaspard l’imita, mais en continuant de la tenir contre lui. – Que vous êtes bonne de m’avoir pardonné ! Ah ! cet homme qui vous calomniait ! qui me félicitait d’avoir rompu avec vous ! L’infâme ! D’un geste gracieux, elle posa une main sur les lèvres de son fiancé. – Taisez-vous, ami ! Ne remuez pas toutes ces rancœurs ! Gardez-vous ferme pour la lutte secrète qu’il vous faudra soutenir contre un tel adversaire... Allons, venez m’accompagner jusqu’à Saint-Germain. Là, vous me laisserez pour regagner le logis de votre terrible duc. Avec un doux sourire, elle se laissa embrasser par Gaspard, qui l’enveloppa ensuite de son manteau. Le jeune homme ayant pris le sien, tous deux quittèrent la maison dont la vieille femme referma derrière eux la porte cloutée de fer. Près de Saint-Germain, Sorignan prit congé de Mlle d’Erbannes, après lui avoir murmuré : – Ma chère amie, je suis à vous pour la vie ! Et Françoise, d’un pas allègre, regagna le Louvre. Tout droit, elle se dirigea vers l’appartement de la reine mère et, ayant gratté à une porte, entra dans le retrait où se trouvait, seule, Catherine. – Venez ça, ma belle, et contez-moi ce que vous avez appris, dit la reine d’un ton affable. Françoise, enlevant son masque, vint s’agenouiller aux pieds de la souveraine. Tandis que celle-ci flattait d’une main caressante le frais visage un peu animé, Mlle d’Erbannes lui conta son entretien avec Gaspard, en passant sous silence l’incident qu’avait soulevé le billet de M. de Rochelyse, duquel il ne fut pas fait mention. – C’est peu ! dit Catherine en hochant la tête. Il faudra pousser ce jeune homme, ma mie, pour qu’il récolte d’autres renseignements. – C’est bien ce que je ferai, Madame. Mais, dès maintenant, nous avons un excellent atout dans la haine de Sorignan à l’égard du duc. – Est-ce vraiment de la haine ? – Assurément ! Et en voici la raison : j’ai compris que mon fiancé... Elle appuya ironiquement sur ces mots. – ... est amoureux, lui aussi, de cette fameuse Bérengère, qu’il a l’air de considérer comme une merveille. Le visage de la reine eut une légère crispation. – Ah ! vous croyez ? Ceci, en effet, le rendrait mieux disposé à seconder vos desseins. – Il voudrait enlever la petite au duc. Je l’encouragerai, naturellement, dans cette idée... Enfin, je puis assurer à Votre Majesté que, dès aujourd’hui, j’ai réussi à le monter assez contre M. de Rochelyse pour qu’il se trouve prêt à faire ce que je lui conseillerai, quel que soit le risque à courir. – Très bien, mignonne ! Vous êtes vraiment habile et intelligente, et je me félicite de vous avoir donné ma confiance. Vous n’aurez pas à vous repentir de m’avoir fidèlement servie, car je vous ferai un bel avenir. Avec un air de tendre respect, Françoise baisa la main qui tapotait affectueusement sa joue. – Point n’est besoin de cette perspective pour que je sois entièrement à votre service, madame ! – Oui, oui... mais il ne vous déplaira pas de faire un brillant mariage, ma belle ?... Quelque chose de mieux que ce Sorignan, si bien berné par vous ? La bouche de Françoise eut un pli de cruel dédain. – Je le déteste, dit froidement la jeune fille, et jamais je n’accepterai de l’épouser. – Soyez tranquille, vous n’en serez pas importunée. Quand nous n’aurons plus besoin de lui, je m’arrangerai pour qu’il ne soit pas gênant. Rien ne s’émut sur le visage de Mlle d’Erbannes à ces paroles dont, cependant, son intelligence subtile devait saisir le sinistre sous-entendu. Après un court silence, la reine dit, comme se parlant à elle-même : – En voyant que M. de Rochelyse vous avait distinguée au bal, j’avais un peu idée que vous aviez fait quelque impression sur lui. Françoise prit un air modeste. – Vous êtes digne d’être remarquée, mon enfant. Mais il serait regrettable que M. de Rochelyse cherchât à s’occuper de vous, car je ne vous permettrais pas d’accueillir ses hommages. Aucun trouble ne parut sur la physionomie de Françoise. Avec un doux sourire, la jeune fille répliqua : – Je n’aurai certainement pas la peine de les repousser, car ils ne viendront pas chercher mon humble personne. Mais, si cela devait être, je me souviendrais, madame, que je vous ai promis fidélité, et je repousserais la tentation. – Une tentation terrible, ma mie Françoise ! dit la reine en plongeant son regard dans les yeux bleus, calmes et impénétrables. Rochelyse est un charmeur redoutable, un dominateur tout-puissant auquel, prétend-on, nulle n’a résisté jusqu’ici. Françoise frissonna, en murmurant : – J’ignore si je pourrais l’aimer un jour... mais ce que je sais bien, c’est qu’il m’inspire une crainte que je ne puis surmonter. Aussi, Madame, croyez que je ne ferai rien pour attirer son attention ! – Fort bien, ma fille. Gardez cette résolution-là et voyez à faire bien surveiller ce beau duc par M. de Sorignan... Maintenant, je vous rends votre liberté. Continuez de me bien servir et votre fortune est faite. Un instant plus tard, Françoise, retirée en sa chambre, sortait à nouveau de son corsage le billet qu’elle y avait remis subrepticement, tandis que Gaspard lui posait son manteau sur les épaules. Elle le relut, avec une lueur de triomphe dans le regard. « Enfin, j’atteins mon rêve ! songea-t-elle, le visage enflammé par une orgueilleuse joie. Et comme j’ai bien fait de ne dire mot de ceci à la reine !... Prétendre me faire renoncer à l’amour du duc de Rochelyse ! En vérité, autant vaudrait me demander de m’arracher le cœur !... Mais je saurai m’arranger pour qu’elle ignore cela et je prierai le duc de garder quelque temps le secret, jusqu’à ce que la reine en ait fini avec cette intrigue qu’elle ourdit autour de lui. D’ailleurs, s’il est aussi puissant, aussi indépendant qu’on le dit, il saura bien me protéger contre elle. » Pendant un moment, elle demeura pensive, les yeux fixés sur ces quelques lignes dont, en sa griserie de femme éprise, enorgueillie en outre d’une faveur inespérée, elle ne songeait pas à remarquer le ton assez cavalier. En ce moment, elle méditait sur cette phrase : « Je vous avertis, dans votre intérêt, d’être fort discrète au sujet de mon invitation, particulièrement à l’égard de la personne dont vous dépendez actuellement... » Cette personne, ce ne pouvait être que la reine. Il se doutait donc qu’elle verrait d’un mauvais œil des relations entre lui et sa nouvelle demoiselle d’honneur ? On disait qu’il savait tant de choses, ce duc de Rochelyse !... qu’il devinait tout ! Françoise eut un frisson, non plus simulé, comme tout à l’heure en présence de la reine, un petit frisson de crainte et d’ivresse mêlées. Oui, certes, il lui inspirait une sorte de crainte... mais, précisément, celle-ci et le mystère qu’elle sentait en lui, autour de lui, augmentaient chez elle la passion. Elle sentait qu’il serait un maître impérieux, difficile à dompter et, à l’avance, elle se soumettait à cette orgueilleuse domination. « Demain, entre six et sept heures », murmura-t-elle en repliant le billet. Puis un cruel sourire vint à ses lèvres, tandis qu’elle songeait : « Oui, demain, Gaspard... demain, car ce billet est d’aujourd’hui, et non d’hier. Travaillez bien, mon ami, à me procurer les renseignements que désire la reine... et, surtout, débarrassez promptement le duc de cette sotte Bérengère, que je veux lui faire oublier. Ah ! je ferai mon chemin, désormais... et je ne désespère pas de devenir duchesse de Rochelyse ! » Elle se redressait, les yeux étincelants, le visage empourpré. L’ambition dont elle était possédée bouillonnait en son âme, devant les perspectives entrevues... Puis, aussi, son esprit d’intrigue exultait, devant la besogne souterraine à accomplir, les combinaisons, les mensonges, toutes choses où se complaisait son âme fourbe et sans scrupule.
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