New-York, Tribeca, 10h15min du soir.
- Qu’est-ce que tu fous ici, merde?
- Depuis quand est-ce que c’est devenu un crime de venir rendre visite à son frère après une bonne décennie?
Je fixai amèrement la jeune femme à la silhouette de mannequin podium qui me faisait face à l’entrée de mon appartement. Moi qui croyais ne plus jamais la revoir, la voilà qui se pointe à ma porte à 10h du soir comme si tout allait bien entre nous. C’est à contrecœur que je la fis entrer dans mon antre. D’ailleurs avais-je le choix? Je connaissais parfaitement bien Elena; il n’y avait pas plus entêté qu’elle. Elle aurait été prête à foutre ma magnifique porte en l’air afin de pouvoir entrer et j’avais tout sauf envie de supporter ses caprices.
- Tes goûts pour la décoration m’étonneront toujours, Peter. Vois comme ton appartement ressemble à un petit paradis! s’exclama la brune en regardant autour d’elle sans se détacher de son air hautain.
Les talons aiguilles de ses cuissardes se mirent à claquer contre les carreaux du sol alors qu’elle allait majestueusement prendre place dans un canapé.
- Tu me sers un verre de sang, frérot? me demanda t-elle l’air de rien.
- Je n’ai pas de sang, lui lançai-je froidement en allant m’asseoir sur le canapé disposé perpendiculairement au sien pour reprendre mon jeu vidéo.
- Ta cargaison est terminée ou tu ne bois pas du sang? demanda t-elle encore.
- Je n’en bois pas.
Je sentis son regard acier peser sur moi et je compris ce qu’elle essayait de faire. Elena avait le don de détecter les mensonges; elle les sentait même à des kilomètres à la ronde.
Elle finit par se lever pour se diriger je ne sais où avec une nonchalance non feinte.
- Et je peux savoir où tu vas? lui demandai je sans lâcher mon jeu vidéo du regard.
- À la cuisine. Tu as du steak au moins?
- Ne me dit pas que tu comptes extraire le sang qu’il y a dedans, ironisai-je.
- Non, j’ai plus interessant. Je vais carrément manger le steak tout cru avec un couteau et une fourchette, me répondis t-elle sur le même ton avant de me tourner le dos.
Ses paroles me donnèrent néanmoins un haut-le-cœur quand mon cerveau m’envoya une représentation d’elle en train de dévorer un morceau de steak cru suspendu à une fourchette en prenant soin de bien s***r le sang à l’intérieur. J’éteins le jeu et déposai les manettes sur la table avant de soupirer. Je me levai ensuite pour aller rejoindre Elena à la cuisine. Il était temps de mettre les choses au clair. Je la trouvai, la tête enfoncée dans le réfrigérateur, certainement entrain de chercher la fameuse viande.
- Ah enfin, c’est pas trop tôt! J’ai vraiment crue que j’allais y passer toute ma vie, s’exclama t-elle en brandissant un bocal transparent où reposait une forme sanglante.
Elle referma le réfrigérateur et posa sa trouvaille sur le plan de travail avant d’aller chercher des ustensiles.
- Pourquoi est-ce que tu es là? l’interrogeai-je sans préambule.
- Devrai-je avoir une raison particulière de te rendre visite, Peter?
- Répondre à une question par une autre, c’est tout toi.
Je la vis esquisser un petit sourire en s’accaparant d’un couteau pour découper le steak.
- Tu me manquais, c’est tout. Ça fait plus de 10 ans qu’on s’est perdus de vue. Fallait bien qu’on se revoit un jour. Je suis ta grande sœur après tout.
J’eus un rictus amer en secouant la tête.
- Plus de DIX ans, explosai-je en appuyant sur le «dix». Et tu reviens tout simplement comme si c’était hier que tu étais partie sans rien me dire. Comme si c’était hier que je m’étais réveillé en trouvant cette lettre de toi me disant que tu partais en aventure. Dis-moi, qu’as-tu récoltée de ton aventure? Tu n’as même pas pris la peine de me dire en face que tu t’en allais. Tu es partie juste comme ça en me laissant une lettre et tu penses que tu vas revenir te réinsérer aussi facilement dans ma vie?
- Dix ans, ce n’est rien par rapport à l’existence qui nous attend. Dix ans, c’est comme un mois pour nous dans notre durée de vie. Pourquoi en faire tout un plat? Je suis là maintenant, c’est ça l’important, répliqua t-elle sérieusement sans cesser de découper la viande.
- Ah bon? Pour toi peut-être dix ans c’est de l’amusement mais pour moi, non.
Un bruit de fer heurtant du marbre se fit entendre et je compris qu’elle venait de lâcher son couteau sur le plan de travail. Son regard gris me sonda avec effarement alors qu’elle se tournait lentement vers moi.
- Qu’est-ce que tu veux dire par là ? demanda t-elle prudemment.
- J’ai entamé le processus pour arrêter ma transformation, lâchai-je en évitant son regard.
Ni une, ni deux, elle était déjà devant, le visage déformé par la colère. L’air dans la pièce s’alourdit en même temps et je suffoquai presque.
- Depuis quand et avec qui?
Je ne répondis pas et me contentai de croiser les bras sur ma poitrine pour toiser ma sœur du même air hautain qu’elle arborait d’habitude. Cela sembla encore attiser sa colère puisqu’elle se saisit du col de ma chemise et me plaqua à grande vitesse contre le mur, les yeux noirs.
- Tu vas me répondre oui? rugit-elle.
La force qui émanait d’elle me surprit un court instant avant que je ne m’aperçoive que je ne pouvais pas faire le poids contre elle. Mes capacités étaient considérablement affaiblies en raison du rituel que je suivais. Ma force et ma vitesse ne faisaient même pas le tiers de celui de ma grande sœur. Il me fallait donc obéir si je voulais finir en un seul morceau. De la même manière qu’Elena pouvait se comporter en jolie brebis docile, elle pouvait aussi agir en taureau enragé et c’était tout sauf beau à subir.
- Bientôt deux ans avec une jeune femme, soufflai-je.
- Son nom, idiot!
- Emma...Emma Hardins.
Elle me relâcha d’un coup comme si je venais de lui brûler les mains et j’en profitai pour respirer convenablement.
Maudit vampire!
- Espèce d’abruti! As-tu conscience de ce que tu fais? Ne peux-tu donc pas m’écouter?
- Non Elena! Je suis navré mais sur ce point là, je ne serai jamais d’accord avec toi. Je refuses de faire partie de ces monstres, tu m’entends! m’écriai-je.
- Où est-elle?
Je pris quelques secondes avant de comprendre qu’elle parlait d’Emma. Aussitôt, ma colère descendit et je passai une main dans mes cheveux blonds; une coloration qui ne me quittait jamais.
- En voyage à Paris, répondis je sans grande conviction. Elle m’a dit vouloir régler une affaire personnel.
- Et tu es sûre qu’elle reviendra? s’enquit ma sœur.
La question fit accélérer les battements de mon cœur quand je me rappelai des conséquences qui pourraient découler du non-retour d’Emma ici. Les pensées se mirent à se bousculer dans ma tête et je la secouai pour les chasser.
NON!
Emma était amoureuse de moi, j’y avais veillé. Les femmes sont des êtres très sensibles. Elle ne pourra tenir longtemps sans avoir envie de revenir me voir. Mais en même temps, un doute s’insinua en moi. Voilà une semaine qu’elle m’avait annoncée sa rapide altercation en France mais jusque là, je n’avais reçu aucun message ni appel d’elle. Je me souvenais bien qu’elle avait demandée à ce que je lui laisse un peu de tranquillité et que je n’avais pas à m’inquiéter mais je ne pouvais m’empêcher de trouver tout cela bizarre. Emma n’agissait jamais en cachotière; elle me disait tout. Mais pour cette fois-ci, elle a décidée garder le silence sur ce qui l’envoyait en France. Sans parents ni famille, je ne voyais pas du tout quelle affaire personnelle elle pourrait avoir. J’avais longtemps réfléchi sur la question mais lorsque je l’appelais, je tombais directement sur son répondeur.
- Je t’avais bien dit que ce rituel était de la folie, de n’importe quoi, continua ma sœur.
Un élan de nervosité me prit soudain et j’envoyai mon poing s’écraser contre le mur derrière moi.
- Non! Elle va revenir! Elle m’aime trop pour rester aussi longtemps loin de moi, assurai je avec force.
- Vraiment ? me défia Elena en s’approchant de moi.
- Ça fait deux ans que nous sommes ensemble p****n! m’écriai-je agacé.
Elena me fixa impassible quelques instants et je me demandais à quoi elle pensait. J’essayai de pénétrer sa tête mais bien évidemment, elle en avait empêchée l’accès. 95% des vampires verrouillaient leurs pensées. C’était une pratique utile et sécurisée entre eux, je devais admettre.
Sans un mot de plus, elle me tourna le dos et sortit de la cuisine à grands pas. Je lui emboîtai le pas et la vis prendre son sac à main pour l’accrocher à son épaule droite.
- Tu t’en vas? lui demandai je doucement.
Mine de rien, sa présence avait emplie l’appartement et je m’étais senti moins seul. Depuis le départ d’Emma, la solitude était devenue une alliée à moi bien que je ne l’aime pas mais je n’avais pas le choix. Il me fallait suivre le rituel du nettoyage à la lettre. Mais le fait qu’Elena veuille déjà s’en aller, me rendit quelque peu triste. Après tout, c’était ma sœur; nous avions grandis ensemble et pris soin l’un de l’autre. Même après 10 ans de séparation, les liens fraternels demeuraient toujours, c’était inéluctable.
- Oui, me répondît-elle simplement.
Je la regardai se diriger vers la porte d’entrée et ma main ne put s’empêcher de la retenir par le bras. Le regard qu’elle posa sur moi faisait transparaître de la colère mais aussi de l’inquiétude. Je savais que ce que je faisais était vraiment égoïste et méchant mais s’il y avait un autre moyen de procéder, je l’aurai certainement emprunté.
- Je suis vraiment désolé Elena mais...
- Je sais, me coupa t-elle froidement.
Un blanc gênant s’installa subitement entre nous et je pressai son bras pour avoir toute son attention.
- Si elle ne revient pas, j’irai moi-même la chercher.
Elle ne me répondît mais se dégagea d’un coup de mon emprise et sortit en coup de vent de mon appartement. Debout, les bras ballants, j’entendis la porte claquer bruyamment suivit de bruits de talons martelant nerveusement le sol puis se fut le silence complet. Dame solitude était revenue étaler sa couche près de moi et c’est dans un soupir que j’allai m’affaler sur un canapé. Je saisis mon téléphone portable et composai le numéro d’Emma. Bien évidemment, je tombai sur son répondeur.
« Ici Emma! Laissez-moi un message! »
- Salut chérie, comment vas-tu? Qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi ne veux-tu pas prendre mes appels? Réponds-moi s’il te plaît, tu me manques.
Je serrai mon portable entre mes mains et fermai les yeux. Finalement, j’envoyai le message avant de jeter le petit appareil sur ma gauche. Il était fort probable qu’il y ait une part de vérité dans ce message. À force de fréquenter quelqu’un pendant deux ans, c’était normal de ressentir son absence dès que vous passez quelques jours sans lui. Si Emma était là, à cette heure ci, elle m’aurait déjà fait à manger et serait couchée sur mes cuisses pendant que je jouais à un jeu vidéo. Je ne pouvais pas dire que je n’aimais pas ces moments de pure intimité mais je n’avais pas le droit d’aimer Emma ou plutôt, je ne devais pas l’aimer. J’en souffrirai par la suite et je ne voulais pas cela. C’était soit elle, soit moi. Mon choix avait déjà été fait depuis longtemps et ça peut paraître égoïste mais en aucun cas, je ne finaliserai ma transformation vampirique quitte à sacrifier une vie...
Hello! Comment allez-vous ? Chapitre sur le point de vue de Peter; le petit ami d’Emma. Comment l’avez-vous trouvé ?
Merci pour les 100vues, merde, c’est vraiment rapide !!! Bref, je vous aime !
Bisous bisous!
Freetop812.