Chapitre 1

1385 Words
1 Lucas ― Répète ? Je serre encore plus fort le téléphone et je suis sur le point de le broyer dans ma main alors que mon incrédulité se change en une rage brûlante. p****n, qu’est-ce que ça veut dire, elle s’est enfuie ? ― Je ne sais pas ce qui s’est passé. La voix d’Eduardo est tendue. Nous sommes rentrés chez toi il y a une demi-heure et elle n’était plus là. Les menottes étaient sur le sol dans la bibliothèque et les cordes avaient été coupées avec quelque chose de tranchant, un petit objet. Nous avons demandé aux gardes de passer la jungle au peigne fin et ils ont retrouvé Sanchez inconscient près de la bordure nord du domaine. Il avait un sacré traumatisme crânien, mais nous avons réussi à le réveiller il y a quelques minutes. Il dit qu’elle a croisé son chemin dans la forêt, mais qu’elle l’a pris au dépourvu et l’a assommé. C’était il y a plus de trois heures. Et maintenant, nous examinons les enregistrements des drones, mais ça n’a pas l’air prometteur. À chaque nouvelle phrase du garde, ma rage s’amplifie. ― Comment a-t-elle pu mettre la main sur « un petit objet tranchant » ? Et comment a-t-elle pu ouvrir les menottes, p****n ? Diego et toi étiez censés ne pas la quitter des yeux… ― C’est ce qu’on a fait. Eduardo semble complètement décontenancé. Après chaque repas, nous avons fouillé ses poches comme tu nous l’avais dit et nous avons plusieurs fois vérifié la salle de bains, c’est le seul endroit où elle pouvait être seule sans être ligotée. Elle a dû trouver le moyen de cacher un rasoir ou une lime, mais je ne sais ni quand ni comment. Soit, elle les avait depuis plus longtemps, soit… ― OK, admettons-le que vous ne vous soyez pas complètement plantés. Je respire profondément pour maîtriser la colère qui gronde dans ma poitrine. Maintenant ce qui compte c’est de trouver des réponses à nos questions et de découvrir où se trouvent les failles de notre système de sécurité. J’ajoute plus calmement : de plus, comment a-t-elle pu sortir du domaine sans déclencher les alarmes et sans qu’aucun des gardes postés sur les tours ne s’en aperçoive ? Chaque centimètre de ce périmètre est surveillé. Il y a un long silence. Puis Eduardo dit à voix basse : ― Je ne sais pas comment ça se fait qu’aucune des alarmes ne se soit déclenchée, mais il est possible que pendant une heure ou deux certaines parties des limites du domaine soient restées sans surveillance. ― Quoi ? Cette fois, je ne peux retenir ma colère. Qu’est-ce que tu veux dire, p****n ? ― On a merdé, Kent, mais, je te jure qu’on ne pensait pas que le système électronique de surveillance pourrait laisser passer quoi que ce soit. Le jeune garde s’est mis à parler plus vite comme s’il voulait se débarrasser de ce qu’il avait à lui dire. C’était juste une partie de poker entre copains. Nous ne savions pas que l’ordinateur ne… ― Une partie de poker ? Je murmure d’un ton glacial. Vous faisiez une partie de poker alors que vous étiez de garde ? ― Je sais. Eduardo semble sincèrement navré. C’était stupide, c’était irresponsable et je suis sûr qu’Esguerra va nous faire passer un mauvais quart d’heure. Nous avons seulement pensé qu’avec tout cet équipement ça ne serait pas grave. C’était seulement un moyen de se mettre deux ou trois heures à l’abri de la chaleur de l’après-midi, tu comprends ? Si ma main pouvait aller à l’autre bout du fil et étrangler Eduardo, je le ferais volontiers. ― Non, je ne comprends pas, ai-je laissé échapper. Pourquoi ne pas me l’expliquer bien tranquillement ? Ou encore mieux, passe-moi Diego pour qu’il le fasse, lui. Il y a encore un instant de silence. Puis j’entends Diego me dire : ― Lucas, écoute, mon vieux… Je ne sais même pas quoi te dire. La voix du garde, d’habitude pleine d’entrain, est lourde de culpabilité. Je ne sais pas pourquoi elle a décidé de passer sous cette tour, mais je suis en train de regarder les enregistrements des drones et c’est précisément ce qu’elle a fait. Elle est passée sous notre nez en direction de l’ouest puis elle a traversé le pont. C’est comme si elle savait où aller et à quel moment. Sa voix prend une nuance d’incrédulité. Comme si elle savait que nous relâcherions notre vigilance. Je me pince le haut du nez. p****n ! Si ce qu’il dit est vrai, la fuite de Yulia ne doit rien au hasard. Quelqu’un a donné à ma captive des détails concernant notre système de sécurité, quelqu’un qui connaît parfaitement les horaires des gardes. ― Est-ce qu’elle a vu qui que ce soit ? La possibilité la plus logique serait que le traître est soit Diego soit Eduardo, mais je connais bien ces deux jeunes gardes et ils sont trop loyaux et trop futés pour ce genre de double jeu. À part vous deux, est-ce que quelqu’un a parlé avec elle ? ― Non. En tout cas, nous n’avons vu personne. La voix de Diego se tend comme s’il devinait mes soupçons. Évidemment, elle passait une bonne partie de la journée toute seule ; quelqu’un a pu venir chez toi en notre absence. ― C’est vrai. Bordel, le traître aurait même pu contacter Yulia avant mon départ pour Chicago. Je veux que tu examines les enregistrements des drones concernant tout ce qui s’est passé autour de chez moi depuis quinze jours. Si quelqu’un a mis ne serait-ce qu’un pied dans ma véranda, je veux le savoir. ― Entendu. ― Bon. Et maintenant, partez à la poursuite de Yulia. Elle ne peut pas être loin. Diego raccroche, visiblement il veut se racheter pour la bourde qu’ils ont faite, Eduardo et lui, et je remets le téléphone dans ma poche en me forçant à lâcher prise. Ils vont la rattraper et ils vont la ramener. J’ai besoin d’y croire, sinon je serai hors d’état de travailler ce soir. Tout en attendant des nouvelles de Diego, je m’occupe des gardes pour m’assurer qu’ils sont tous en position dans la maison qu’Esguerra habite pendant son séjour à Chicago. Cette demeure est dans le quartier résidentiel de Palos Park et elle est bien située pour assurer sa sécurité, mais je vérifie quand même les caméras qui viennent d’être installées pour voir s’il n’y a pas d’angles morts et je passe en revue l’horaire des patrouilles avec les gardes. Je le fais parce que c’est mon boulot, mais aussi parce que j’ai besoin de ne pas penser à Yulia et d’oublier la colère qui m’étouffe et me brûle la poitrine. Elle s’est enfuie. Je n’avais pas plus tôt tourné les talons qu’elle s’est précipitée vers son amant, vers ce Misha qu’elle m’a imploré d’épargner. Elle s’est enfuie alors que deux jours auparavant elle m’avait dit qu’elle m’aimait. Quand j’y pense, la rage qui m’envahit est à la fois violente et irrationnelle. Je ne sais même pas si c’est à moi que s’adressaient les paroles de Yulia ; elle les a marmonnées dans un demi-sommeil et je n’ai pas eu l’occasion de la confronter. Et pourtant j’ai passé une nuit blanche avant de partir en me demandant si elle m’aime ou non. Pour la première fois de ma vie, j’ai senti que j’étais proche de quelque chose… proche de quelqu’un. Je t’aime. Je suis à toi. Putain, quelle menteuse ! J’ai du mal à respirer en me souvenant des tentatives de Yulia pour me manipuler, pour se mettre dans mes petits papiers afin que j’accepte de sauver la vie de son amant. Dès le départ, elle s’est servie de moi. À Moscou, elle a couché avec moi pour obtenir des renseignements, ensuite elle a fait semblant d’être une captive docile pour faciliter sa fuite. Les moments que nous avons partagés ne comptent pas pour Yulia, et moi non plus. La sonnerie du téléphone qui est dans ma poche interrompt ces amères réflexions. Je l’attrape et je vois que le numéro vient du domaine. ― Oui ? ― On a un problème. Diego parle d’une voix saccadée. Il semble que cette fille avait encore mieux organisé le moment de sa fuite qu’on ne le pensait. Il y avait une livraison de provisions au domaine cet après-midi et la police de Miraflores vient juste de retrouver le chauffeur, il marchait le long de la route à quelques kilomètres de la ville. Apparemment, il aurait pris en stop une belle Américaine juste au nord du domaine. Il était persuadé qu’il s’agissait d’une touriste qui avait perdu son chemin jusqu’au moment où elle a tiré un couteau et l’a fait sortir de la camionnette. C’était il y a un peu plus d’une heure. ― p****n ! Avec une voiture, Yulia a tellement plus de chance de réussir à nous échapper. ― Fais fouiller Miraflores et retrouve cette camionnette. Demande de l’aide à la police du coin. ― C’est ce qu’on fait. Je te tiens au courant. Je raccroche et je rentre dans la maison. Les beaux-parents d’Esguerra viennent déjà d’arriver dans l’allée, ils viennent dîner avec mon patron et sa femme et ce n’est pas le moment de le déranger. Mais il faut quand même l’informer de ce qui s’est passé et je lui envoie par mail un message d’une ligne : Yulia Tzakova est en fuite.
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