L'Incendie des Mémoires

823 Words
Le thé, bien fort et amer, que Liam avait donné à boire n’avait pas été touché. En face de lui, Élise se tenait immobile, les doigts crispés sous ses cuisses, le dos raide. Un silence lourd pesait, pareil à celui juste avant l’orage. Chaque mot semblait prêt à tout faire basculer. « Raconte, » fit-elle tout bas, sans que le ton ne flanche. Liam inspira lentement, un peu comme quand on entre dans une eau froide et sombre. « Léa, c’était ma grande sœur. Une tête bien faite, pleine de rêves. Le labo Mnémosyne l’a prise quand ils en étaient encore au stade test. Elle pensait qu’ils cherchaient un remède contre Alzheimer. » Un rire sec sortit de sa gorge. « Marc, ton père, était journaliste d'investigation. C'est lui qui a commencé à se méfier. » Il s'est levé, pas moyen de rester en place, puis il a marché vers l'âtre énorme, dos à Élise, comme s’il parlait au roc. « Au départ, rien de bien méchant. Des études mal expliquées. Des chiffres qui semblaient exagérés. En creusant, Léa est tombée sur ce que préparait vraiment Vasseur : la “restructuration mentale” n’aidait personne. C’était une arme. Ils à effacer certains souvenirs, tout en glissant de fausses mémoires dans la tête de gens, afin de faire avancer leurs objectifs politiques ou financiers. Des figures importantes qu’on pouvait alors… “remodeler” autrement » Élise a eu soudain très froid. Ce que disait Vasseur, remettre les souvenirs en place, lui faisait maintenant peur. « Léa avec Marc ont rassemblé des indices - dossiers, enregistrement. C’était risqué, ils étaient au courant. Pour te mettre en sécurité, ils t’ont laissée chez Édith et Jean, sous une fausse excuse, juste quelques jours. Un plan était prévu : entrer dans un programme de protection… » Son ton a flanché. « Ils n'ont jamais eu le temps. » Il s'est retourné, le visage tordue par la souffrance. « La Fondation avait compris. Après, ils sont arrivés ici. Ça remonte à vingt-huit ans. Je me trouvais là ce jour-là. J’ai repéré le véhicule sans plaque, aussi les hommes habillés en noir. Ensuite, ils les ont traînés malgré eux. Léa m'a crié de me cacher, de protéger les preuves. J'ai obéi, comme un lâche. » « Et l'incendie ? » murmura Élise. « Y a pas eu d’incendie ! » cria-t-il en frapant sur la table, si fort que la tasse vibra. « La version officielle vient de la Fondation - ils l’ont mise dans toutes les têtes, même la tienne. Un truc banal chez toi, des cadavres brûlés qu’on pouvait plus reconnaître. Propre, nettoyé vite fait. Du coup, tout était réglé. Et avec ça, ils avaient une excuse parfaite : leurs foutus “soins”, pour prétendument guérir ton choc. » Les pièces du casse-tête se mettaient en place dans la tête d’Élise, dessinant peu à peu quelque chose de glaçant. Ses migraines quand elle était petite, puis ces rendez-vous avec le prétendu “psy” conseillé par Vasseur… Pas une aide médicale. Plutôt un conditionnement sournois. « Pourquoi m'avoir laissée en vie ? » demanda-t-elle, horrifiée. « Parce que tu étais une preuve vivante que leur méthode fonctionnait ! » lança Liam. « Tu étais leur cas parfait. Une gosse dont ils avaient effacé l'identité et l'histoire, remplacé par des faux souvenir. Tu étais la preuve de leur succès. Plus tard, sûrement utile. Ils t’ont surveillée, contrôlée, depuis toujours. » Elle sentit un haut-le-cœur arriver. Sa journée ressemblait à un test quelconque. Pas sûr que ses décisions ou souvenirs soient vraiment à elle. Soudain, Liam s'arrêta net, le regard fixé vers la vitre. Il écarquilla les yeux aussitôt. « Non », fit-il tout bas. Il a foncé vers la vitre, tirant légèrement sur le tissu. Ensuite, Élise s'est redressée, l'air tendue. « Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? » « Une voiture. Elle est passée au ralenti, juste avant. Une berline noire, plaque provisoire. Voilà comment ils font » Un frisson d’angoisse remplissait l'air. La dangerosité ne restait pas vague. En fait, elle se tenait dehors, tapie dans le soleil qui faiblit sur les Cévennes. « Ils sont au courant que tu es là », murmura Liam en pivotant vers elle. Il était blanc comme un drap. « On est repérés. » Elise a cessé d'avoir peur, pour ne plus ressentir que de la rage. Tout lui avait été pris : ses parents, son histoire, sa vie entière. Puis ces hommes ont débarqué, prêts à lui arracher ce qui restait - la vérité qu’elle cherchait depuis le début. Elle crispa les mains, percevant la morsure de ses ongles au creux de sa peau. « On fait quoi ? » elle a dit, d’un ton bizarrement posé. Liam la fixa, puis soudain, un peu d’admiration vint avec l’inquiétude dans son regard. « On se bat », grogna-t-il. « Mais pour ça, il faut sortir d'ici. Vivant. »
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