002 - un petit souvenir

1589 Words
Arrivé près de la tombe d’une certaine Isandre Sabine Papon, Matthew tourna à droite puis continua droit devant. Eric Henri Caen, Marguerite Emile, Titouan Maloret. Il lisait chaque nom de manière mécanique, comme au jour de l’enterrement. Il n’avait pas tenu le choc de l’annonce de la mort, alors, chaque élément qui l’entourait était devenu son ancre. A l’enterrement, ces noms étaient devenus ses bouées, et il s’en était servi pour ne pas voir ce qui se passait devant lui. Les Adieux. Il tourna à gauche et s'arrêta. La tête baissée, les jambes droites, la respiration lente. Aujourd’hui, le temps était beau, comparé aux derniers jours nuageux. Un léger vent soufflait à son sens opposé, lui donnant une allure un peu plus dramatique. Il effectua un dernier pas et leva son regard vers elle. Devant lui, une tombe entièrement grise et pour l'instant complètement lisse. On voyait parfaitement qu'elle est récente, intacte. La mort venait tout juste de l’habiter. Deux bouquets de fleurs y étaient déposés, le premier composé de camélia et d’anémone semblait dater de plusieurs jours au vu des pétales ternis, le second avait surement été déposé la veille, c’était un beau bouquet de lilas. L’homme posa ses genoux au sol et lit pour la je-ne-sais combientième fois ces quelques mots inscrits sur la gravure : " Andrew Petterson. 19/06/2017 07/01/2036. Tu fus un fils, frère et ami dont personne n'obligera le nom. Repose en paix." Matthew admira la tombe plusieurs minutes, son visage n’affichant aucune émotion. Pour la première fois, Matthew leva son regard pour voir ce qui l’entourait. L’odeur des lilas l’avait éveillé pour quelques minutes. Il regarda les fleurs, d’un bleu tendresse et se demanda si ce serait tout ce que son frère aurait à présent. Les larmes commençaient à lui monter, et alors, pour ne pas se laisser aller à cette émotion qui tentait de refaire surface, il conta quelques histoires de leur passé à cette tombe qui ne répondrait pas : - Maman et papa se disputaient souvent quand on était enfant. Tu t’en rappelles ? Demanda-t-il la voix grave. Tu n’aimais pas les entendre, quand ils commençaient tu devenais silencieux. Et un jour, tu m’as dit vouloir les quitter, que tu voulais t’enfuir dans les bois. Et on l’a fait, on en avait marre, on voulait que tout s’arrête. On a marché pendant longtemps, en discutant pour penser à autre chose, on a marché tellement longtemps, sans regarder autour de nous, et finalement on s’est rendu compte qu’on ne connaissait pas le chemin du retour, qu’on ne savait pas où l’on était. Il émit un petit rire mélancolique puis repris son monologue. On a tourné en rond une bonne demi-heure… En tout cas pour nous ça semblait être une éternité. Tu as commencé à paniquer et à pleurer. Alors on a trouvé un tronc d’arbre et on s’est assis. Tu m’as avoué que des fois des enfants de ta classe te frappait, mais que tu n’osais jamais te défendre. Tu m’as dit que tu n’en pouvais plus, que des fois, tu voulais sauter de ta fenêtre. Je savais que tu étais très émotif, que tu ressentais énormément de choses mais ça… ça m’a bouleversé. Je me souviens t’avoir consolé, t’avoir pris dans mes bras, puis nous nous sommes endormis sur ce tronc. On s’est réveillé à cause d’aboiements, il y avait un chien devant nous, et il nous aboyait dessus et on était terrorisé. Ensuite Mr. William est arrivé et nous a fait descendre. Il nous a ensuite ramené à la maison et là, on a sûrement dû en avoir pour au moins trois mois sans sortir de la maison ni regarder la télé et deux mois de vaisselle. Il se mit à rire, cette fois, on pouvait voir les larmes couler sur ses joues. Tu sais, sanglota-t-il, Ce genre de moments-là, c'étaient mes préférés. Même si on finissait avec les plus grosses punitions au monde, c'était les meilleurs moments passés avec toi. Ce soir-là, je me suis promis de te protéger quoi qu’il m’en coûte mais aussi de protéger tous ces moments que nous vivions. « Et je n’ai pas réussis à te protéger » pensa-t-il en laissant couler les larmes. Il se leva après avoir déposé un papier sur l'édifice et dit ces mots : - Elle finira par venir. Elle ne t’abandonnera pas. Il quitta ensuite le cimetière le cœur gros mais moins lourd qu’à son arrivé. Durant le trajet en bus, il reçut un appel de Luc, un vieil ami, il n’eut pas envie de répondre, mais il savait la situation de son ami, et donc son devoir le poussa à répondre : - Salut Mat. - Salut. Lui répondit-il. - Tu fais quoi ce soir ? - Rien de spécial. Quelques mots, c’était tout ce qu’il pouvait offrir. Il ne se posa pas de questions sur ce dialogue sans vie. - Nora fête ses cinq ans aujourd'hui alors... Dit-il hésitant. Je sais que ce devrait être l'anniversaire de ton frère mais ça ferait plaisir à la petite. Si ça te dit... Tu peux passer à l'hôpital, tu sais qu’elle t’adore. - je ne sais pas mec.... Souffla Matthew. Je verrais. - Ok, souffla son ami. Matt ? - Oui ? - Je sais que ça doit être dur, mais ne te fais pas ça. Je ne parle pas uniquement de Nora. Mais de ta vie. Matt ne répondit pas, à la place, il laissa entendre à Luc ses sanglots, pendant quelques minutes ils restèrent ainsi : Matthew, désormais accroupi sur le trottoir pleurant tout ce qu’il pouvait, le téléphone à la main. Et Luc, de l’autre côté, le soutenant avec des phrases telles que « ça va aller » et « je sais ». Une femme passa devant lui, et demanda s’il allait bien, il ne put répondre. Elle ne s’attarda alors pas sur lui et continua sa route. Ça va aller. Entendit-il encore son ami lui dire par le mobile. Il renifla une dernière fois avant de se lever, et essuyer son visage à l’aide de sa manche puis il répondit à son interlocuteur par un « oui » si bas que celui-ci ne sut s’il avait bien entendu lorsque son téléphone s’éteignit. Il prit le prochain bus et reprit le chemin inverse de l’allée, mais cette fois-ci, il descendit à l’arrêt Dash. Il alla ensuite dans la maison d’édition, trois ruelles plus loin, valida son badge à l’entrée et longea les couloirs vers son bureau, toujours ce cette démarche calme et froide qui, étonnement, fait retourner les personnes à son passage. Meysane, une femme au physique maghrébin le salua d’un sourire compatissant puis s’approcha des papiers en main. -            Matthew heum. Mr. Cullen veut te voir. Donc… Il hocha de la tête et changea de direction. Et alla dans le bureau de son patron. Mr. Cullen était une personne très stricte, bien vêtu et surtout maniaque : quand Matthew était sorti de son bureau lors de leur premier entretien, après quelques présentations et instructions, Cullen s'était précipité vers son tiroir et y avait sorti un magnifique mouchoir en coton à carreaux bleu. Il avait ensuite nettoyé chaque endroit où Matthew avait pu laisser passer sa main. Et ensuite, il avait nettoyé les sienne avec son gel hydroalcoolique. Tout devait être parfait, chaque travail devait être soigné donc, quand Mr Cullen appelait dans son bureau, c’était très rarement pour féliciter mais plutôt sermonner. Mais cette fois-ci, ce ne fus pas le cas, le patron de la boîte salua Matthew, lui fit part de son travail des dernières années qu’il trouvait « excellent » puis, ralentissant sa voit, il lui présenta ses condoléances, essaya de parler avec Matthew et de lui faire exprimer les sentiments qu’il ressentait. Il ne réussit pas. Alors, il laissa son employé s’en aller en espérant de sa part qu’il aille mieux dans l’avenir. Matthew se redirigea vers son bureau, et repris tous les travaux qu’il avait mis de côté depuis le décès. Après plusieurs heures de travail, Matthew regarda sa montre : 19h. Une heure plutôt, Luc lui avait envoyé un message lui indiquant l'heure de la fête. Il s'était alors affalé sur sa chaise et avait pris le temps de réfléchir, il avait repensé à sa petite nièce qui l'adorait et s'était dit qu'il ne pouvait pas continuer à vivre ainsi, alors, il lui avait répondu avec un émoji pouce en l’air, puis s’était remis au boulot. Il décida après mure réflexion, de s’y rendre, pensant que cela ferait surement plaisir à Nora, et quitta donc son boulot trente minutes plus tard, après avoir fini tout son travail de la journée.
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