1. Mission

1839 Words
_Paris_ Une silhouette longiligne se détachait dans la pénombre des rues sales. Elle marchait toute de noir vêtu, la capuche de sa longue cape penchant sur son dos. Éclairés par la seule lumière des flambeaux, ses longs cheveux blonds tombant sur ses épaules frêles, fascinaient mendiants et manants à la quête d’un sou pour pouvoir encore subsister jusqu’au printemps. Les gentilshommes s’inclinaient devant elle, tandis que les gueux et les femmes de joie, reconnaissant les traits purs de la femme à la peau d’albâtre, fuyaient pour trouver refuge dans les tréfonds de la capitale. Les talons de ses hautes bottes de cuir cessèrent de frapper le pavé glacé et elle leva la tête lorsqu’elle se tint devant une simple porte en bois. Elle frappa trois fois de la pointe de ses phalanges et attendit. Un judas se révéla dans la porte, masqué par une simple languette de bois. « Le mot de passe ? », croassa une voix d’un autre âge. Un léger sourire se dessina sur ses lèvres rouges et elle se pencha davantage en avant pour venir murmurer : « Ouvre cette p****n de porte, orchidoclaste (insulte du Moyen Âge : casse-couille) avant que je te fesse les joues. » « Demoiselle Emmanuelle, vous savez qu’il y a le protocole », se plaignit la voix, de l’autre côté de la porte. Elle se mit à rire de manière sombre et resta parfaitement immobile. Un soupir se fit entendre et la porte s’ouvrit lentement sous le grincement des charnières métalliques. Emmanuelle entra et s’arrêta un instant pour secouer la tête devant le gardien. Elle posa les poings sur ses hanches et lui fit un sourire moqueur : « Était-ce donc si dur de m’ouvrir ? » « Je ne fais qu’obéir aux ordres du maître », grommela le portier aux traits difformes en gardant les yeux rivés au sol. Son dos vouté montrait sa difformité de bossu alors que sa peau était marquée par la vérole. Emmanuelle approcha délicatement les doigts de la main et releva doucement le menton de la créature hideuse qui servait de concierge au bâtiment. « Pourquoi n’es-tu donc pas encore des nôtres ? Par notre sang, tu pourrais devenir bien plus joli. » Le rouge monta aussitôt aux joues du portier, peu habitué à de telles attentions du sang de ses maîtres. « Je ne le souhaite pas, demoiselle Emmanuelle. » « Mais tu es si vilain », coupa aussitôt la jeune femme à la peau d’albâtre. Ses yeux bleu bordé de rouge prirent une teinte plus sombre et elle vint placer son visage à quelques centimètres du sien. « Tu n’es pas sot pourtant. Tu sais bien que les miens et moi pouvons t’offrir la beauté et l’éternité. » « Je sais que je suis hideux à vos yeux. Mais, je suis né mortel et souhaite le demeurer. Je sais bien que je suis laid et n’en ai cure. Le seigneur m’a fait ainsi, et ainsi, je demeurerai. » Emmanuelle retira sèchement ses doigts de sous le menton du portier et se mit à claquer la langue avec dégoût en se remettant en marche. « Tu adores ton dieu et tu sers sans honte des monstres que son Église méprise. Puisse ton âme avoir de la valeur pour ton créateur lorsque tu te présenteras devant lui. » Elle se mit à emprunter un dédale de couloirs, ouvrant des portes, et empruntant une quantité d’escaliers qui la conduisaient dans les profondeurs du ventre de Paris. Ainsi, elle parvint enfin dans une galerie qui la mena dans les catacombes éclairées par les lumières des bougies disposées sur des crânes inconnus. La musique lugubre d’un clavecin était jouée, mêlée aux cris étouffés des serviteurs venus donner leur sang. « Emmanuelle », appela une voix masculine, douce et suave. « Approche donc, descendante de mon clan. » Elle roula les yeux, agacée par l’atmosphère pompeuse du lieu et les courbettes que les humains lui faisaient à son approche. Un serviteur tira une chaise habillée de feuilles d’or et elle s’assit sans cérémonie. « Pourquoi m’as-tu fait appeler, Augustin ? » demanda-t-elle en tendant sa cape noire au serviteur. Elle leva le menton et grimaça en voyant le vampire de légende qui se trouvait devant elle. « Pourquoi tes yeux sont-ils devenus si rouges, Augustin ? » Le vampire se tenait debout devant un trône placé sur une pile de crânes. Ce roi sans couronne était simplement vêtu d’un pantalon noir, laissant la peau presque translucide de son torse musclé à la vue de ses convives. Ses longs cheveux blonds ondulés, preuve de sa parenté avec Emmanuelle, tombaient gracieusement dans son dos et n’étaient retenus que par un foulard rouge. Il essuya négligemment ses avants bras ensanglantés à l’aide d’une serviette de soie. Puis, il descendit d’une grâce féline les quelques marches qui le séparaient de son invitée et vint appuyer ses mains, sur le bout des accoudoirs du fauteuil, où avait pris place Emmanuelle. Il rit doucement devant l’air placide et peu impressionnée qu’elle avait devant lui. Puis, il se pencha à son oreille. « Ne parle pas aux fripons, jeune Emmanuelle. » Elle gonfla les joues et fit un pff sonore en relâchant l’air entre ses lèvres. « Tu m’as fait venir jusqu’ici pour me dire ça ? Et, de quel fripon parles-tu ? » « Du portier, ma douce Emmanuelle », répondit gracieusement le vampire. « C’est un fripon et tu le laisses garder ta porte ? », se moqua-t-elle. « Il garde ma porte parce que c’est un fripon. Il n’y a pas meilleur chien renifleur pour déceler la vermine que la vermine elle-même, ma douce. » Emmanuelle fit mine d’avoir un haut le cœur. Puis, elle chassa d’un mouvement de balayage de la main, le jeune homme qui était venu lui présenter son cou. « J’ai déjà dîné, merci », lui indiqua-t-elle, un doux sourire aux lèvres. Les yeux d’Augustin continuaient d’aller de sa descendance au plat de résistance. Quand il en eut assez, il plaça une des longues mèches blondes d’Emmanuelle derrière son oreille. « Tu as toujours été fascinée par la nourriture. » Elle lui lança un regard noir et plaça, à son tour, une mèche folle derrière l’oreille de son chef de clan. « Ils sont vivants. Ils sont capables de raison et de jugement, Augustin. Par ailleurs, j'attends de voir le jour où tu en prendras pleinement conscience. » « Et voilà donc la triste raison pour laquelle tu ne te nourris que de pourceaux ? », murmura-t-il en fronçant les sourcils. Ils se turent tous les deux, continuant silencieusement à se défier du regard. Elle ne voyait pas l’intérêt de lui répondre. De plus, ils avaient déjà eu cette conversation le siècle passé. « Pourquoi m’as-tu fait venir, Augustin ? » Augustin prit la main d’Emmanuelle et la tira à lui. Puis, il plaça sa main sur son bras et ils se mirent à déambuler dans les catacombes. « Nous avons reçu un message. » « Très bien. Et, quel rapport avec moi ? », interrompit-elle aussitôt. « Le Conseil nous demande de garder une humaine », annonça-t-il sans cérémonie. Emmanuelle cessa aussitôt de marcher et leva la tête vers son chef de clan. « Une humaine ? » « Une humaine qui n’est pas encore née » soupira Augustin en tournant, à son tour, la tête vers elle. Emmanuelle regarda de tous les côtés, puis elle se mit à rire. « D’accord. J’ai ouï ta requête, mais avant ça, peux-tu me confirmer que tu n’as pas bu le sang d’un drogué ? » Augustin se mit à rire et fit non de la tête. « L’ordre vient du Conseil, ma douce. Ainsi, contre toute attente, tu es le meilleur choix pour servir de gardienne à l’enfant lorsque son âme entrera dans le cycle des réincarnations. Ton manque d’appétit m’a toujours profondément inquiété. Il me semble désormais que tu es née pour servir cette cause. » Emmanuelle cligna rapidement des cils avant d’avaler bruyamment sa salive. « Tu es en train de me dire que j’ai ta permission pour entretenir une amitié avec une humaine ? Que j’ai le droit de vivre parmi eux ? » Augustin lui répondit simplement par un sourire. Emmanuelle lui sauta au cou et se laissa porter par lui. Puis, elle attrapa son visage et se mit à poser quantité de baisers sur ses joues. « Je te promets que je ferai du bon travail. Si l'on pouvait rougir, je te dirais que tu n’auras pas à rougir de moi ! Ohlala ! » Augustin continua de marcher en la gardant au bras tandis qu’elle faisait la liste des choses dont elle aurait besoin. « Sait-on où l’enfant viendra à naître ? » « Absolument, ma douce. Cependant, nous ne savons pas encore quand. Cela sera peut-être aujourd’hui, ou dans un siècle. Le temps a si peu d’importance », murmura Augustin. « Pourquoi ai-je l’immonde sensation que tu boudes ma joie ? », se plaignit-elle. Augustin cessa de bouger, pareil à une statue de marbre avant de soupirer. « Car me voilà de nouveau seul pour quelques décennies encore dans le meilleur des cas, et pour un centenaire dans le pire. Tu es la dernière enfant née du sang des miens. Je me suis fait un devoir de t’élever jalousement lorsque tes parents ont choisi de sombrer dans le sommeil de pierre. Ta quête ne présage que la solitude pour moi. » « Tu pourras venir nous rendre visite. Pourquoi faut-il donc que tu sois si tragique à chaque fois ? », se moqua Emmanuelle en roulant les yeux. « Tu es encore jeune, douce Emmanuelle. Lorsque tu auras traversé les âges comme je l’ai fait, tu te rendras vite compte à quel point une famille est essentielle. Et, je ne prendrai pas le risque de me mêler aux hommes. Je n’ai, hélas, guère ta maîtrise, ni ton contrôle. Il faut que je m’éloigne pour que tu apprennes à vivre parmi le bétail sans risquer de t’influencer désormais », observa-t-il. Emmanuelle posa une main contre la joue d’Augustin et caressa de la pulpe du pouce, l’œil bordé de rouge du chef vampire. « Tu es en train d’essayer de changer », remarqua-t-elle, un grand sourire aux lèvres. « J’essaie, ma douce. J’essaie, mais cela n’est pas aisé lorsque j’ai toujours étanché ma soif dès qu’elle se faisait sentir. Contrairement à toi, je ne supporte pas la faim qui brûle mes entrailles. » Il la posa enfin au sol, puis il ouvrit une porte donnant accès à un grand hall où se trouvait une grande quantité de malles. « Je me suis permis de faire préparer tes affaires. Pars dès ce soir, avant que l’envie de te garder encore près de moi me gagne. » Emmanuelle dut se mettre sur la pointe des pieds pour déposer un b****r sur la joue du vampire. « Je t’écrirai », lui promit-elle. « Et j’attendrai chaque nuit que tes nouvelles me parviennent », répondit-il en s’inclinant.
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