Chapitre 1

1909 Words
Chapitre 1 Du vent, des nuages et des arbres immenses à perte de vue. Pas de doute, j’étais bien de retour dans le Montana. Je m’efforçais de faire tranquillement le deuil du soleil méditerranéen, des fêtes estivales, de l’odeur de la mer et du fromage lorsque le chauffeur de taxi pris soudainement la parole : — Vous avez de la chance dis donc, d’habitude à cette période de l’année, il fait déjà frisquet ! Sur ces belles paroles teintées d’ironie (du moins c’est comme cela que je les percevais, il ne pouvait décemment pas être sérieux) il ouvrit un peu plus sa fenêtre, laissant s’engouffrer un air froid qui me donna la chair de poule. Je fus obligée de tirer sur mes manches et de transformer mon t-shirt manches ¾ en t-shirt à manches longues pour ne pas mourir congelée. J’avais oublié le climat hostile de cette ville, Larry, là où j’avais passé les dix premières années de ma vie avec mes parents, mon frère et mes grands-parents. Bon en même temps, à cet âge-là, on est des survivants de l’extrême ! On ne craint ni la chaleur ni le froid. Quelle douce époque… Au loin j’aperçus enfin le bâtiment qui allait m’accueillir cette année, l’Université. Pourquoi étais-je revenue ici ? Une pulsion, un besoin pressant de remettre les pieds ici, d’arpenter de nouveau les lieux de mon enfance. C’est étrange ce phénomène de nostalgie qui nous fait croire que les meilleures années de notre vie sont derrière nous, durant l’enfance. On croit que rien n’a changé et pourtant, tout est différent. Ma maison sera habitée par une autre famille, les gens me seront inconnus et je m’étais inscrite sur un campus où je n’avais jamais mis les pieds. J’allais être la petite nouvelle. Génial… Le taxi s’arrêta devant l’entrée principale. — Et voilà ma fille ! La belle université de Larry ! Je restais un moment à observer par la vitre l’agitation qui régnait dehors. Les dortoirs n’étaient pas très loin et tout le monde semblait s’être donné rendez-vous pour un dernier briefing avant la rentrée de demain. Le vent froid ne semblait pas les gêner le moins du monde alors que je frissonnais depuis le départ de l’aéroport. — Merci et bonne journée, répondis-je au chauffeur. — Bonne chance à toi et ne t’aventures pas trop loin dans la forêt ! Il me fit un clin d’œil et partit. Je restais un moment scotchée sur le trottoir avec mes deux valises et mon sac à dos. Il plaisantait bien sûr. C’était évident. Il plaisantait. Tandis que je répétais cette phrase dans ma tête telle une prière, je pris une valise dans chaque main et entamait mon périple jusqu’à la porte de la fac. Je sentis un nombre incalculable de paires d’yeux se tourner vers moi, suivi de chuchotements. Je ne perçus que des brides, des mots soufflés par le vent : « la nouvelle », « de France », « pourquoi ? », etc. J’alimenterai sûrement les conversations quelque temps et je détestais ça. Je m’efforçais de continuer ma route l’air de rien, en fixant sans cesse cette porte en bois qui semblait s’éloigner à chaque pas. Pour ne rien arranger, le vent s’accentuait, comme s’il voulait m’empêcher d’avancer. Une bourrasque m’obligea à tourner la tête pour ne pas recevoir de la poussière dans les yeux. C’est alors que je le vis, ce regard d’un vert flamboyant. Je fus happée par son pouvoir sans que je puisse y résister. Lui aussi me fixait intensément, immobile, ses cheveux se soulevant légèrement sous l‘effet du vent. Pourquoi me regardait-il ainsi ? Et pourquoi ne pouvais-je détacher mes yeux des siens ? Mes pieds continuèrent leurs mouvements vers l’entrée mais mon esprit était ailleurs, vers lui. Ses yeux descendirent légèrement, s’arrêtant sur mon collier. Il était composé d’une pierre d’un vert si brillant qu’une émeraude aurait faitpâle figure à ses côtés, une pierre d’un vert aussi intense que ses yeux. Je l’avais trouvésur la tombe de mes grands-parents, joliment attaché à une rose blanche. Je l’avais alors pris en souvenir d’eux et ne le quittais plus depuis. Pourquoi avais-je cette impression grotesque qu’il était lié à ce bijou ? — Aïe ! Gémit une voix féminine. Je me rattrapais juste à temps à mes valises pour ne pas m’écrouler. Je venais de percuter quelqu’un. Logique, quand on ne regarde pas où on va. — Je suis désolée, dis-je en l’aidant à se redresser. —Au moins ça remet les idées en place, plaisanta-t-elle. Je levaienfin les yeux et aperçusla victime de ma maladresse. Plus petite que moi, elle avait les cheveux roux mi- longs, éparpillés dans tous les sens à cause du vent et un visage lumineux, sur lequel on n’imagine pas autre chose qu’un sourire. — Je suis Lena Parker, dit-ellespontanément en me tendant la main. J’observai un instant cette main légèrement potelée qu’elle me tendait tout naturellement, sans aucune retenue. Une chaleur naissante au fond du cœur, je fis de même. —Je suisEmilee Bell. Et encore désolée, j’étais absorbée par autre chose. Un rapide coup d’œil m’apprit que le propriétaire de ces yeux hypnotiques s’était volatilisé, il était parti. Nulle trace de sa présence n’était visible, c’était comme si je l’avais imaginé. —Tu cherches quelqu’un ? Lena ne me quittait pas du regard. —Euh... non. Je ne connais personne de toute façon. Triste vérité. — Tu veux de l’aide ? Je peux te faire visiter si tu veux ? me proposa-t-elle. Je tentais de déceler une quelconque curiosité mal placée ou un sentiment de pitié face à ma solitude mais je ne vis rien de tout ça. Lena était sincère et franche. Je souris intérieurement. Son altruisme envers moi me fit presque monter les larmes aux yeux. Non non non! Je n’étais pas du tout stressée et en manque d’amies. J’étais juste très fatiguée par le voyage. Je décidais de valider mentalement cette excuse avant d’accepter son offre. — Ce serait cool, merci beaucoup ! Je me faisais l‘effet d‘être une mule égarée avec mes deux valises et mon sac à dos. Au moins aurais-je moins l’air d’une touriste paumée grâce à elle. Tout sourire elle empoigna une de mes valises et me proposa de m’accompagner jusqu’à l’accueil. — Lena ? Où vas-tu ? Demanda une voix aiguë qui me fit crisser des dents malgré moi. J’identifiai la coupable d’un rapide coup d’œil. C’était une fille blonde, grande et mince, elle composait le groupe dans lequel Lena se trouvait avant que je ne la bouscule. — Je reviens ! Lui lança cette dernière. Elle est nouvelle alors je l’accompagne pour les formalités. La blonde me regarda de haut et m’adressa un sourire crispé. En une minute, je venais d’attiser sympathie et mépris. C’était une bonne moyenne. Nous reprîmes notre marche et j’aperçus alors devant moi le bâtiment principal de la fac, si grand et majestueux que l’on aurait pu croire à de l’architecture française. De part et d’autre,quatre autres bâtiments, plus modernes, sûrement les dortoirs. Nous gravîmes les quelques marches du perron et j’aperçus un écriteau avec une flèche : « accueil ». Nous suivîmes la direction indiquée et traversâmes un long couloir plein de résonance avant d’apercevoir une porte un peu en retrait sur la droite avec la même affiche. Elle me proposa la garde de mes affaires en attendant que j’effectue ces quelques formalités. Timidement, je frappai deux coups à la porte, qui résonnèrent bruyamment contre les murs en pierre, attendis quelques secondes et entrai après qu’on m’ait donné la permission. - Bonjour, dis-je en entrant. Mes yeux s’écarquillèrent d’eux même. L’accueil semblait avoir 6 siècles d’avance sur l’architecture du couloir que je venais de traverser. A gauche se trouvait quelques sièges et un distributeur automatique, à droite la porte des toilettes et au fond, devant moi, une plate-forme d’accueil où une femme était assise en train de pianoter sur son ordinateur dernier cri. Elle semblait assez petite, un peu ronde, ses cheveux bruns négligemment attachés en queue de cheval, les lunettes sur le bout du nez. Un vrai cliché vivant. Je m’avançai pour arriver à sa hauteur. — Bonjour, redis-je —Ah oui, bonjour ! Vous devez être Melle Bell je suppose ? — En effet, répondis-je surprise qu’elle sache qui je fus. Elle remarqua sûrement mon air étonné puisqu’elle me lança aussitôt : — Vous êtes la dernière à être arrivée et puis une étrangère en ces lieux c’est assez rare, j’espère que vous vous y plairez ! me lança-t-elle en souriant à pleine dent. — J‘espère aussi, lui répondis-je en étirant mes lèvres à mon tour autant que je le pouvais. Elle se mit à fouiller dans un tiroir qui se trouvait juste derrière elle. —Alors….non, non, non…. Ah voilà ! dit-elle d’une manière triomphante en brandissant ce qui semblait être mon dossier. Vous êtes inscrite en section histoire, et le numéro de votre chambre est le 124, tenez ! me dit-elle en me tendant une clé. — Merci —Je vous donne aussi votre emploi du temps et les plans du bâtiment, si jamais il y a quoique que ce soit n’hésitez pas venir demander un renseignement ! — Je vous remercie, je n’y manquerai pas, répondis-je poliment. Sur ce je sortis, et me retrouvai de nouveau dans le couloir en compagnie de Lena. Je lui indiquai le numéro de ma chambre et, comme je m’en doutais, elle me proposa de m’accompagner. Sans gêne ni retenue, elle n’hésita pas à me questionner sur ma présence ici. Mes réponses étaient courtes voir un peu évasives mais elle n’insistait pas, se contentant d’enchaîner sur une autre question ou de me parler un peu d’elle. Lorsqu’elle apprit que mes grands-parents étaient décédés dans cette ville seulement deux ans plus tôt, son visage se recouvrit d’un voile de tristesse qui fit ressurgir mon propre deuil. Sentant sans doute le malaise, elle enchaîna sur un autre sujet. Décidément, le destin avait mis sur ma route une personne bien étrange mais tellement agréable qu’elle me fit oublier un instant l’endroit où je me trouvais. Le chemin qui menait aux dortoirs était relativement court. Il ne nous fallut pas plus de 5 minutes. Deux bâtiments se suivaient, le premier indiquait les numéros 1 à 100 et le deuxième les numéros 101 à 200. Par un rapide calcul je déduisis le nombre d’élèves composant la fac, le résultat était maigre. Elle m’expliqua que ces deux bâtiments étaient réservés aux troisièmes années et les deux autres qui se situaient à l’opposé, aux deuxièmes et premières années. La répartition résultait du hasard, filles et garçons cohabitaient. Deux étages composaient chaque bâtiment, heureusement pour mon dos, on s’arrêta au premier. Arrivé à un palier, on tourna à gauche et traversa un long couloir assez spacieux. On passait largement l’une à côté de l’autre malgré les valises. Les numéros défilaient de part et d’autre, 120, 121, 122,123…. Et enfin 124. — Et voilà, dit-elle d’un ton enjoué, tu es arrivée à destination. Je sortis la clé de ma poche et l’introduisis dans la serrure. Je fus surprise de découvrir une chambre plutôt chaleureuse. A droite le lit bordait le mur, en face des étagères, qui me permettront d’entreposer mes bouquins, une large fenêtre terminait le mur qui forma un angle droit pour terminer dans une porte, sûrement un placard. Enfin, le bureau se trouvait directement à ma gauche, dos à la fenêtre. — Pas trop mal, dis-je après avoir inspecté la chambre des yeux. — Oui c’est vrai que l’on n’a pas à se plaindre, me répondit elle, on est loin des mouchoirs de poche que l’on trouve dans les autres universités. Tiens je te pose tes affaires là, me dit-elle en désignant le lit. — Oui, merci pour ton aide, lui dis-je en souriant. — Je te laisse t‘installer tranquillement, je vais rejoindre Amber et les autres. — La fille aux cheveux blonds ? — Oui, on se connait depuis très longtemps, dit-elle comme si elle cherchait à justifier son amitié avec elle. — C’est cool vas-y, lui répondis-je, j’ai plein de choses à faire de toute façon. — Ok. On se verra sûrement à la cantine ou en cours alors. Après un signe de la main et un sourire, elle disparut de la chambre en fermant la porte derrière elle. Bientôt le bruit de ses pas dans le couloir ne fut plus qu’un lointain souvenir. Le silence était apaisant. Assise sur le lit je me laissai tomber en arrière et commençai seulement à me rendre compte de l‘endroit où j‘étais et de la décision que j‘avais prise. J’étais dans une chambre inconnue et entourée de personnes inconnues. J’avais peur, l’inconnu me faisait peur. C’est alors que les paroles du chauffeur me revinrent brusquement en mémoire : « ne t’aventure pas trop loin dans la forêt ! ». Je frissonnais. C’était ridicule. Il n’y avait bien qu’en Amérique qu’une simple phrase pouvait susciter autant d’imagination. Je me giflais mentalement pour me remuer. De nouveau assise sur le lit, je lorgnais d’un œil mauvais ces deux pachydermes qui me servaient de valise. La corvée commençait maintenant…
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