Hari
De retour dans mon bureau, je m'installe confortablement dans mon fauteuil, les pieds sur le grand meuble en verre devant moi, les mains derrière la tête. Mon entretien avec Brianna Andrews ne cesse de se rejouer en boucle dans ma tête. Jeune fille intéressante, charmante, douce, gentille, drôle et rêveuse. Professionnelle malgré son jeune âge et sa timidité, mais aussi très attirante. En toute franchise, je ne serais pas contre l'idée de faire un bon nombre de choses non professionnelles avec elle...Mais non. Impossible.
Pas après l'histoire compliquée que j'ai vécue avec Gwenaëlle. Rien que le fait de penser à elle suffit à m'exaspérer. Je me relève d'un coup, soudainement alerte, et vais me placer devant l'une des grandes baies vitrées de mon bureau. D'ici, la vue sur la ville est si prenante qu'elle me donne l'impression d'avoir le plein pouvoir. Comme si j'étais le maître et que la ville m'appartenait. Comme si je la contrôlais. Contrairement à ma vie sentimentale très médiocre. Merci Gwenaëlle. p****n d'ex-femme.
Après notre mariage et notre séparation catastrophiques, je me suis fait la promesse de ne plus jamais retomber amoureux. Quelques coups d'un soir par ici, quelques amis avec avantages en nature par-là, mais c'est bien tout. Hors de question que je revive une telle histoire.
Toc...Toc...
- Entrez !
Je jette un dernier coup d'œil à la ville puis retourne m'asseoir à mon bureau tandis que Lola entre dans la pièce. Le brouhaha derrière elle me fait deviner que les employés commencent à se préparer pour partir. Je remarque qu'elle a les bras chargés de nouveaux dossiers. Parfait. Encore plus de paperasse.
- Tout s'est bien passé avec Mademoiselle Andrews ? me demande-t-elle en posant le tout devant moi.
J'acquiesce d'un signe de tête.
- Oui. Elle commence lundi. Je compte sur vous pour veiller à ce que le bureau en face du votre soit prêt pour l'accueillir d'ici là.
- Ce sera fait Monsieur.
- Merci. Oh et demandez à Kelly de m'apporter un café, s'il vous plaît.
- Tout de suite Monsieur.
Elle m'adresse un sourire furtif puis se retire. A peine a-t-elle refermé la porte derrière elle que la sonnerie de mon téléphone retentit à travers mon bureau, comme pour m'empêcher de retourner à mes rêveries pour le moment. J'attrape rapidement le combiné et le plaque contre mon oreille.
- Stanford, je dis d'une voix forte et ferme.
- Hey bro !
Un petit rire discret s'échappe de mes lèvres. Lewis Deakin. Mon meilleur ami d'enfance.
- Hey Lew.
- Ça va ?
- Oui, oui. La routine quoi. Paperasse, meetings et tout le bordel. Et toi ?
- Ça va très bien merci. En fait je t'appelais surtout pour te rappeler le dîner vendredi soir. N'ayant pas eu de tes nouvelles ces derniers temps, je me suis dit que tu avais probablement dû oublier.
Je ferme les yeux, me pince l'arête du nez et pousse un soupir. Je me laisse tomber contre le dossier de mon fauteuil, téléphone toujours en main. Merde. Effectivement, ça m'était complètement sorti de la tête. Super. De mieux en mieux. Avec la chance que j'ai il va me falloir une cavalière, mais je n'en ai aucune à l'heure actuelle.
- Les garçons viendront avec leurs copines. Je suppose que tu viendras avec Julia.
Je prends une grande inspiration et attrape mon paquet de cigarettes duquel j'extirpe clope et briquet à la va vite.
- Julia et moi avons rompu.
- Quoi ? Encore ?
- Oui, Lew. Encore. Je suis étonné de voir que ça te choque toujours autant depuis le temps.
- Mais, tu ne peux pas venir en mode célibataire. Impossible. Même Nolan sera accompagné.
- Sérieusement ? Nolan Hopkins qui a toujours eu l'habitude de venir seul depuis qu'on le connaît ?
- Oui.
Je vois. Cela me donne une idée...Je parcours mon bureau du regard jusqu'à ce que mes yeux se pose finalement sur le dossier que j'ai laissé soigneusement dans un coin. Un sourire se dessine sur mon visage tandis que je l'ouvre et en extirpe la photo de Brianna. Bingo. J'ai trouvé ma cavalière. Plus qu'à espérer qu'elle ne sera pas contre l'idée d'un dîner mondain dans l'un des restaurants new-yorkais les plus chics de la ville. Rien de mieux pour la séduire...Séduire. Aussi inutile que cela puisse être, je dois reconnaître que l'idée est vraiment tentante.
Je suis rapidement rappelé à l'ordre par la voix de mon meilleur ami.
- Alors ?
- J'inviterai ma nouvelle stagiaire, je réponds en remettant le dossier en place.
- Tu as une nouvelle stagiaire ?
Surpris et curieux comme toujours. Sacré Lewis.
- Pour une quinzaine de jours, je m'empresse d'ajouter.
Le connaissant, il serait bien capable d'aller se faire des idées.
- Comment est-elle ?
- Tu le découvriras vendredi.
La porte s'ouvre sur Kelly. Cette dernière s'approche de mon bureau le plus silencieusement possible afin de ne pas me déranger.
- Tu n'es pas...
- Lew, il faut que je te laisse, je le coupe, on se rappelle.
- Ok, à plus bro.
- A plus.
Je remets le combiné en place, tout en finissant ma cigarette, et attrape le café que ma seconde secrétaire et assistante d'édition vient de m'apporter.
- Kelly, j'aimerais que vous alliez acheter deux tenues de soirée pour Mademoiselle Andrews.
- Mademoiselle Andrews ? répète-t-elle confuse.
- Une nouvelle stagiaire. Vous aurez l'occasion de la rencontrer lundi.
Son visage s'illumine presque instantanément. Bien qu'elle reste silencieuse, il ne m'est pas difficile de deviner que l'arrivée d'une nouvelle stagiaire est une très bonne nouvelle pour la jeune femme extravertie qu'elle est. J'écrase ma cigarette dans le cendrier et prends une gorgée de mon café.
- Y a-t-il d'autres rendez-vous prévus pour aujourd'hui ?
- Non, le prochain rendez-vous n'est pas avant demain onze heures.
- D'accord merci Kelly. Ce sera tout pour aujourd'hui.
- A demain Monsieur.
- A demain.
Je la regarde sortir de la pièce et refermer la porte derrière elle. Une fois seul, je bois rapidement le reste de mon café tout en tapant un message que j'envoie à Owen, mon chauffeur, pour lui dire que ce soir je rentrerai à pied. Cela devrait me laisser un peu de temps pour rêvasser à Brianna Andrews en toute tranquillité, histoire de patienter jusqu'à lundi.
**
Brianna
- A Bree ! La meilleure fille que l'on puisse rêver d'avoir ! s'exclame mon père d'un ton fier.
Le doux tintement de nos verres retentit agréablement dans la pièce tandis que nous trinquons. Nous nous asseyons à la table de la cuisine sur laquelle Sonia a disposé des petites choses à grignoter en guise d'apéritif.
- Que diriez-vous d'un bon restaurant histoire de fêter ça ?
- Excellente idée, acquiesce Sonia en prenant une gorgée de son Champagne.
- Et toi Bree ? Qu'en dis-tu ?
Je sens mes lèvres s'étirer en un sourire. Comme le dirait Sonia « excellente idée ». Non seulement il y a un stage à fêter, mais en plus mon petit frère me fait une tête de chaton tout triste si convaincante qu'il m'est impossible de ne pas craquer.
- En ce qui me concerne, je suis plus que partante mais il faut juste que je prévienne maman et Bobby avant.
- Ça marche.
- Oh et bien évidemment je compte sur vous pour ne pas choisir un resto où le menu coûte les yeux de la tête, j'ajoute en attrapant mon téléphone.
- Ne t'en fais pas pour ça ma puce. Occupe-toi de rassurer Bobby et ta mère et nous on s'occupe du reste, me dit ma belle-mère.
Je pousse un soupir défaitiste tout en levant les yeux au ciel.
- D'accord.
Elle dépose un b****r sur mon front puis me fait signe de sortir de la cuisine. Je m'exécute sans broncher et regagne le salon où je me laisse tomber sur l'un des grands canapés en cuir. Je clique sur le bouton appeler. Ma mère répond au bout de la première sonnerie. Rapide comme l'éclair. C'est le cas de le dire.
- Coucou ma chérie ! Toujours à New York ?
J'émets un rire discret amusée par le ton toujours aussi enjoué de sa voix.
- Oui. Papa et Sonia ont décidé de nous emmener au restaurant Sam et moi pour fêter l'obtention de mon stage.
- D'accord et tu restes dormir chez eux ?
- Oui. Si tu es d'accord, bien entendu.
- Mais oui, aucun souci, au contraire. Je suis contente de savoir que tu passes un peu de temps avec eux.
- Merci maman.
- De rien ma puce, c'est normal. Nous te voyons demain ?
- Oui. Je passerai récupérer mes affaires après le lycée avant de filer à Long Island pour la fête anniversaire de Zac.
- Zac organise une fête anniversaire à Long Island ?
- Oui. Son père a loué une maison pour sa fête anniversaire. Après, si tu veux je peux très bien ne pas y aller et passer la soirée avec Bobby et toi à la place, je propose aussi innocemment que possible.
Malheureusement pour moi, la supercherie ne prend pas.
- Non, non. Tu y vas. Il faut que tu profites un peu de tes amis et des bons moments à passer avec eux. Ça ne te fera pas de mal de sortir un peu de tes bouquins et de ton environnement habituel.
- Oui, pas faux, je reconnais.
Je n'aurais pas été contre l'idée de passer une petite soirée tranquille chez moi, à regarder un film avec Bobby et ma mère ou à lire un bon livre près de la cheminée du salon, mais bon. Je suppose que ma mère a raison. Il faut que j'en profite. D'autant plus qu'il s'agit de ma dernière année de lycée. Après ça mes amis et moi prendrons des chemins différents pour poursuivre nos études.
- Sinon ton patron ? Comment est-il ?
- Maman...
- Bah quoi ? J'ai le droit d'être curieuse, non ?
Je lève les yeux au ciel tout en secouant la tête. Une fois de plus, le côté confidente semble prendre le dessus sur le côté maternel. Sacrée maman. Je me lève du canapé et arpente la pièce d'un pas lent, mon bras libre plié sur mon ventre. Je lui réponds calmement que Mr. Stanford est un jeune homme très galant, gentil, intéressant et sérieux. Bien évidemment je m'abstiens de lui avouer que mon corps n'a cessé de s'émoustiller tout le long de l'entretien. Ce n'est pas le moment pour elle d'aller se faire des idées. Et puis, cela ne veut absolument rien dire. Enfin...Pas que je sache. Ma mère m'écoute d'une oreille attentive, se contentant d'acquiescer par-ci par-là. Une fois la petite histoire terminée, je l'entends murmurer comme pour elle-même :
- Intéressant...
- Maman !
- Quoi ? Depuis Matthew tu n'as eu aucun petit copain ! Il serait peut-être temps d'en trouver un, non ? Et puis vu comment tu me décris ton directeur de stage, il a l'air plutôt pas mal, se défend-elle.
- Et plus âgé que moi, j'ajoute.
- Et alors, ça n'est pas toi qui te plaignais de l'immaturité des garçons de ton âge ?
Maman : 1. Moi : 0.
Je dois dire qu'il est vrai que Mr. Stanford dégage quelque chose de particulier. Quelque chose que j'ai ressenti durant cette première rencontre et cet entretien avec lui, mais cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas que je garde la tête froide au contraire. Je dois de rester calme et plus que tout, professionnelle. Mr. Stanford est mon patron de stage. Ni plus, ni moins.
- Maman, il va falloir que je raccroche. Papa, Sonia et Sam m'attendent, je prétexte afin de couper court à la conversation.
Mieux vaut s'en arrêter là avant que je ne m'embrouille.
- Pas de souci ma puce.
J'émets un soupir silencieux, soulagée qu'elle cède aussi rapidement. La connaissant, je craignais qu'elle ne cherche à rallonger encore un peu plus cet échange.
- Embrasse Bobby pour moi.
- Promis je le ferai, je t'aime.
- Je t'aime aussi maman.
- A demain.
- Oui, à demain.
Je raccroche et glisse mon téléphone dans la poche arrière de mon jean. Je regagne la terrasse prenant soin de fermer la baie vitrée derrière moi. J'avance jusqu'à la balustrade et ferme les yeux inspirant un grand coup. L'air frais de cette soirée d'hiver emplit agréablement mes poumons tandis que le brouhaha de la ville qui ne dort jamais me parvient jusqu'aux oreilles, telle une douce musique. Une sensation d'excitation soudaine s'empare de moi et me parcourt de la tête aux pieds. Deux semaines à New York ! Je vais passer deux semaines à New York !
Les vibrations de mon téléphone me sortent de mes pensées. Je rouvre les yeux et m'empare de mon mobile, curieuse. Le numéro qui s'affiche m'est inconnu. Bizarre. Je me demande qui peut bien m'envoyer un message. Tous mes proches, aussi bien ma famille que mes amis, ont mon numéro. A moins que ce ne soit une blague des garçons, ce qui ne serait pas étonnant les connaissant.
Prenant une petite inspiration, je déverrouille mon téléphone et clique sur le message.
Je me suis permis de prendre votre numéro dans votre dossier. Rendez-vous lundi matin comme prévu. J'aimerais également savoir si vous accepteriez de dîner avec moi mardi soir et de m'accompagner à un repas avec des amis vendredi soir. Ne vous en faîtes pas pour vos tenues. Je m'en occupe. Mr. Stanford.
Je sens les battements de mon cœur redoubler d'intensité dans ma poitrine tandis que je relis le message afin de m'assurer que ça n'est pas mon imagination qui me joue des tours. Un message de mon patron m'invitant à dîner avec lui deux fois dans la même semaine. Il vient à peine de m'embaucher et il m'invite déjà à dîner deux fois ? Original... C'est bien la première fois que je vois ça.
- Ma puce, on y va !
- J'arrive papa !
Je jette un dernier coup d'œil rapide au message puis verrouille mon téléphone que je remets à sa place. Je répondrai ce soir. Pour le moment je veux juste profiter de la soirée avec mon père et sa famille. Et puis, après tout...Cela ne lui fera pas de mal de languir un peu. Comme le dit le proverbe : « tout vient à point, à qui sait attendre ».
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