POINT DE VUE D'ALEC
Le taxi s’arrête devant un immense bâtiment de verre. L’hôtel est à couper le souffle. C’est le genre d’endroit qu’on ne verrait jamais en Roumanie. Le bâtiment doit bien faire quarante étages, peut-être plus. Le mot « gratte-ciel » prend soudain tout son sens.
— Vos bagages sont en cours d’acheminement vers vos chambres, déclare un homme en lunettes de soleil qui s’approche de DeMalo et moi dès que nous sortons du taxi.
— Merci, lui dis-je, tandis que DeMalo lui adresse un simple signe de tête.
Le ciel vire au gris sombre alors que le soleil disparaît à l’horizon. L’obscurité commence déjà à s’installer.
Nous pénétrons dans un hall bondé. Certains sont en train de s’enregistrer, d’autres discutent debout, et quelques-uns sont assis sur des canapés en satin. Un jeune homme en smoking s’approche de nous. Cet hôtel doit avoir une politique très stricte sur la tenue de ses employés.
— Bienvenue au Winston Grand Hôtel, Monsieur Gheata, dit-il poliment. Ton frère est avec toi ?
Je jette un regard en arrière. Évidemment, DeMalo est déjà adossé contre un mur, en train de flirter avec une femme.
— Il est juste là-bas. Excuse-moi une seconde, je vais le chercher, dis-je rapidement avant de me diriger vers lui.
Il me regarde quand j’arrive à ses côtés et se détache de l’Américaine à contrecœur. Je lève les yeux au ciel avant de marcher à nouveau à ses côtés.
— On pourrait au moins réserver nos chambres avant que tu ne commences à charmer toutes les femmes, lui dis-je, exaspéré.
— On ne peut jamais être trop prudent, dit-il en riant.
Je souris malgré moi.
— Tu as bien raison, mon frère, réponds-je en riant avec lui. Autant j’essaie d’être sérieux, autant avec DeMalo, c’est presque impossible.
— Permettez-moi de vous accompagner à vos suites, propose le jeune employé de l’hôtel lorsqu’on s’approche de lui.
Nous le suivons jusqu’à l’ascenseur. Il appuie sur le bouton correspondant au 43e étage.
— On ne doit pas s’enregistrer ? demande DeMalo alors que l’ascenseur commence à monter.
— Tout est déjà arrangé pour vous deux. Tenez, dit-il en sortant deux cartes de sa poche. Voici vos cartes-clés.
Il nous tend les cartes, et les portes de l’ascenseur s’ouvrent.
Nous le suivons dans un couloir jusqu’à arriver au bout, où deux ensembles de portes doubles nous attendent, l’un à droite et l’autre à gauche.
— Voici vos suites. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, des numéros de téléphone se trouvent près des appareils pour que vous puissiez contacter le hall, nous informe-t-il.
J’acquiesce.
— Merci, dis-je poliment.
— Profitez de votre séjour, répond-il avant de repartir dans le couloir.
DeMalo est déjà en train d’ouvrir la porte de sa suite à droite. Je me retourne, insère ma carte dans la fente et la porte émet un clic. Je tourne la poignée et pousse les deux battants pour découvrir une suite royale.
Les lumières illuminent la pièce, révélant un décor raffiné. Le thème noir et blanc me rappelle ma chambre en Roumanie, mais tout ici est beaucoup plus moderne. Un lit king-size trône au milieu de la pièce, recouvert d’une couette blanche et d’oreillers en soie noire. Un canapé et des fauteuils sont disposés devant une télévision fixée au-dessus d’une cheminée.
La pièce est magnifique, mais ce qui attire vraiment mon attention, c’est la vue.
Le mur de verre au fond de la chambre donne sur la ville illuminée. Les rues sont un enchevêtrement de lumières mouvantes, dessinées par les phares des voitures. Avec ma vision accrue, je distingue nettement les silhouettes des passants au loin.
Je soupire et m’effondre sur le canapé, mes yeux rivés sur la fenêtre.
♱
— Où vas-tu ? demandé-je à mon frère alors que nous déambulons dans les rues presque désertes.
— Je ne sais pas. Quelque part tranquille. Peut-être un bar ou un truc comme ça, répond DeMalo.
Je hoche la tête. Ce soir, je prévois juste de me nourrir. Je n’ai pas l’intention de chercher ma compagne tout de suite. Après tout, c’est ma première nuit dans la grande ville.
— Retrouve-moi à l’hôtel, lui dis-je en m’engageant dans une ruelle.
Mais il attrape mon poignet.
— Tu ne m’as pas dit ce que tu comptes faire ce soir. Tu veux que je passe dans ta suite… ?
— DeMalo, gémis-je en l’interrompant. Je vais juste me nourrir. Je ne vais pas trouver mon âme sœur et la ramener illico, grogné-je.
Il rit et me tapote dans le dos.
— Détends-toi, mec. Tu sais que je plaisante, rigole-t-il avant de traverser la rue. À plus tard à l’hôtel ! lance-t-il avant de disparaître en un clin d’œil.
Quelques feuilles s’envolent à son passage, puis le calme revient. J’entre dans une ruelle et me concentre.
Cette ruelle débouche bientôt sur une autre rue, puis sur une autre ruelle. Je m’enfonce de plus en plus dans le dédale des rues et des allées sombres. Tout est calme. La plupart des gens dorment. Parfois, un chat fouille dans une poubelle ou une bourrasque fait trembler quelque chose, mais rien de plus.
Soudain, alors que j’approche d’une nouvelle ruelle, j’entends une toux. Je m’arrête et tends l’oreille. Un pied s’étire dans mon champ de vision depuis l’allée. J’entends les battements de cœur d’un homme juste au coin. Je serre les poings, ferme les yeux et continue d’avancer, trébuchant volontairement contre son pied pour le réveiller.
— Hé ! Regarde où tu marches ! grogne-t-il en repliant son pied.
Je m’arrête et me tourne vers lui. L’homme bourru me fixe, et je lui souris, sentant mes dents s’allonger.
J’attends ce moment.
Leur sang se glace et leurs visages pâlissent lorsqu’ils aperçoivent mon sourire sadique. Ils ne s’attendent jamais à voir des crocs dans un sourire comme le mien. Si faibles et si lents. Figés sur place.
Oui, j’attends ce moment.
Je le saisis par les épaules et le plaque contre le mur de briques, entendant les briques craquer sous l’impact. Je sens le sang suinter lentement de lui à cause des blessures que je viens de lui infliger. Ce n’est pas mon genre, mais ça fera l’affaire.
Un grondement monte dans ma gorge alors que j’ouvre la bouche, sifflant. Mes crocs se plantent dans son cou, perforant directement son artère. La veine épaisse cède sous mes dents. Il tente de me frapper, mais ses coups pathétiques ne m’affectent en rien. Il s’affaiblit de plus en plus. Encore un peu, et…
Mort. J’entends ses derniers battements avant que son cœur ne s’arrête lentement. Je retire mes crocs de son cou et essuie le sang de mes lèvres. Il glisse contre le mur de briques et s’effondre au sol.
Nous ne sommes plus que tous les deux, jusqu’à ce que je l’entende.
Des talons claquent sur le béton. Des talons hauts, imposants. Je m’écarte de la lumière du lampadaire. J’écoute attentivement et entends les battements de cœur irréguliers d’une personne stressée. Des sanglots étouffés.
Je lève les yeux, et là, je la vois.
Cette petite femme fragile et magnifique. Ses bas noirs moulent ses jambes fines. Une jupe vert foncé tournoie autour de ses cuisses. Un débardeur noir, enfoncé dans la jupe, est surmonté d’une veste en cuir. Elle est absolument irrésistible et exquise.
Ses sanglots silencieux se font entendre de l’autre côté de la rue, alors qu’elle s’enlace elle-même, cherchant du réconfort. Je ressens une étrange pitié pour elle, sentant son cœur battre douloureusement au rythme de ses sanglots. Tout ce que je veux, c’est me précipiter vers elle et caresser sa joue.
Je me reprends lorsque j’entends un bourdonnement émanant de sa poche. Elle sort son téléphone, et je me concentre pour écouter sa voix angélique.
— Laisse-moi tranquille, grogne-t-elle.
Je suis surpris par sa férocité. Visiblement, elle ne veut pas parler à la personne à l’autre bout de la ligne.
— Raven, s’il te plaît…
La voix d’une femme résonne au téléphone, pleine de supplication. Raven… pense-je, quel nom magnifique… Il lui va si bien.
— Non ! N’essaie même pas de me provoquer, mère ! Tu es tout sauf une mère pour moi, et je ne veux rien avoir à faire avec ta famille d’apparence parfaite ! Qui sait, tu as menti en disant que papa était mon père… J’espère que tu as aussi menti en prétendant être ma mère ! crache Raven dans le téléphone avant de raccrocher.
Son cœur bat encore plus vite, à un rythme que je n’aurais même pas pensé possible. Elle pousse un cri étouffé de colère et lance son téléphone au sol, le brisant en mille morceaux. Une douleur vive me traverse la poitrine en la voyant ainsi.
Elle reste là, debout, reniflant et pleurant. Tout en moi me pousse à partir. Je ne peux pas rester ici. Tout ce que je veux, c’est l’empêcher de pleurer, caresser sa joue, sentir sa peau douce sous mes doigts, enfouir mes mains dans ses cheveux…
Mais je dois partir. Il faut que je m’éloigne d’elle, maintenant.
Soudain, mon talon heurte une bouteille de verre, qui roule sur le sol en produisant un bruit métallique. J’entends son cœur rater un battement. Elle se fige, regarde autour d’elle, immobile.
— Bonsoir ? Sa belle voix se brise légèrement alors qu’elle scrute les alentours.
Je sens mon cœur sans vie battre soudainement dans ma poitrine, comme s’il cherchait à s’échapper. Une partie de moi veut répondre, lui dire bonsoir, saluer cette magnifique Américaine.
Elle ouvre la bouche, prête à dire quelque chose, mais je me suis déjà retourné et j’ai disparu en un clin d’œil.
ASUIVRE....