POINT DE VUE D'ALEC
_4ème jours dans la semaine ; 3 jours restants_
En marchant dans la rue, un frisson me parcourt. Je n’ai aucune idée d’où je vais ni de ce que je fais. Quelque chose m’attire, m’incite à prendre l’air pour réfléchir un peu.
Il me reste trois jours avant mon anniversaire. Le feu à l’intérieur de moi grandit chaque jour davantage, me rappelant que le jour de mes vingt et un ans approche à grands pas. Je n’ai aucun moyen de l’arrêter, aucune échappatoire. Je ne peux pas retourner en Roumanie sans elle, la prochaine reine. Si je rentre seul, c’est l’exil qui m’attend, et ma famille subirait la honte.
Mes pensées se font lourdes, embrumant ma concentration, au point de me rendre inattentif à ce qui m’entoure. Je percute quelque chose – ou plutôt quelqu’un – de doux. Surpris, je me fige et attrape instinctivement la personne pour l’empêcher de tomber sous l’impact. Je me rends compte que c’est la petite femme de l’autre soir, avec ses cheveux bouclés de la couleur du café. Je sens tout en moi se figer tandis qu’elle me regarde.
C’est à ce moment-là que je réalise distraitement que j’ai laissé mes pas me guider vers cette rue familière, là où je l’ai vue pour la première fois.
Ses magnifiques yeux noisette me fixent, remplis de stupeur. De délicates taches de rousseur parsèment le haut de son nez et ses joues. Un léger souffle s’échappe de ses lèvres parfaites, rouge foncé, charnues. Ses bras frêles se trouvent contre ma poitrine, tandis que je la tiens fermement pour la protéger d’un choc plus v*****t.
Un silence s’installe, comme si nous nous reconnaissions tous les deux. Puis, sa voix douce brise ce moment, tremblante :
— Je… je suis vraiment désolée ! s’exclame-t-elle, incertaine, avec un petit sourire. Excuse-moi pour ma maladresse. On dirait que je ne peux même pas faire quelques pas dehors sans tomber.
Sa voix me fait l’effet d’une mélodie angélique. Elle esquisse un geste vers la maison mitoyenne grise située entre deux autres. Je ravale la boule dans ma gorge et m’efforce de la lâcher.
— Ne t’inquiète pas, lui dis-je avec un sourire bref, tentant de retrouver mon assurance. Est-ce que je t’ai fait mal ? demandai-je, soudain préoccupé à l’idée de l’avoir blessée par mégarde.
— Non, non, tout va bien, dit-elle en riant nerveusement.
Je la contemple, subjugué. Seigneur, je ne peux pas m’en empêcher. Elle est époustouflante. La plus magnifique femme que j’aie jamais vue.
Raven rougit en remarquant mon regard. Quelque chose en moi se brise tandis que je reconnais le martèlement incessant dans ma tête. Je recule, me détachant d’elle, animé par une urgence désespérée de me distancer. Mon esprit bat à tout rompre avec une pensée unique et douloureuse :
Sa vie ne sera jamais plus la même une fois qu’elle sera emmenée en Roumanie.
— Je suis encore désolé, m’excusé-je, les mots s’échappant rapidement, tandis que je détourne les yeux et m’éloigne pour retourner à l’hôtel, la laissant probablement sous le choc.
En tournant pour la quatrième fois dans un nouveau pâté de maisons, suivant le chemin compliqué vers l’hôtel, mon téléphone commence à vibrer dans ma poche. Je soupire, le sors et le porte à mon oreille.
— Allô ? dis-je d’une voix haletante.
— Oh, Alec chéri, c’est ta mère. Comment se passent les choses aux États-Unis ? La voix familière de ma mère résonne à mon oreille. Son enthousiasme ne cesse jamais de me surprendre.
— Ça va… murmurai-je, incertain. Elle pousse un soupir en entendant ma réponse insatisfaite.
— Pourquoi, souffle-t-elle, la grande ville de New York ne te satisfait-elle pas ? s’exclame-t-elle, presque choquée.
— La ville est… agréable, je suppose, mais ce n’est pas ça…, dis-je, tentant de la rassurer, bien que mon esprit soit désespérément tourné vers Raven. Quelque chose en moi doute de ma capacité à… l’emmener, comme ils m’ont pratiquement demandé de le faire.
— Alors, qu’est-ce que c’est ? demande-t-elle d’un ton inquiet, plein de douceur maternelle. Elle est ma mère depuis 143 ans ; ce ton, je le connais bien, l’un des nombreux qu’elle a utilisés pour moi si souvent.
— Il s’agit de ma compagne… Je ne pense pas que je puisse… commence-je, mais je suis interrompu par un murmure en arrière-plan.
— Un instant, me dit-elle en écoutant quelqu’un d’autre lui parler.
— J’arrive tout de suite, entend-je ma mère dire, probablement à mon père, avant de revenir à moi.
— Alec, je dois y aller, mais écoute-moi bien, m’informe ma mère, sérieuse. Un jour, tu seras roi, mon fils… Tu dois ramener ta compagne en Roumanie. Ton royaume dépend de toi, Alec. Ne les laisse pas tomber, dit-elle d’une voix solennelle.
La pression qu’elle exerce sans le savoir me donne l’impression que mon cœur est coincé dans ma gorge. J’avale difficilement alors que mon esprit se vide pour la première fois depuis que j’ai rencontré Raven il y a quelques jours.
Une image de Raven envahit mon esprit dans un tourbillon de pensées qui me laissent désespéré. Deux mots suffiraient pour sceller l’avenir de cette femme, sans qu’elle le sache.
— Je te le promets, dis-je, mes paroles gravant mon avenir dans la pierre.
Une fois ces mots prononcés…
Il n’y a plus de retour en arrière.
Point de vue de Raven
Depuis ce matin, un malaise ne me quitte pas. Cet homme que j’ai vu pour la première fois au café m’a mise sur les nerfs. Toute la journée, je n’ai pas pu m’empêcher de jeter des regards par-dessus mon épaule, comme pour vérifier s’il était là. Quelque chose dans ses sombres yeux marron… presque un reflet rouge sombre caché dans ses iris.
Toute la journée au bureau, je suis incapable de mettre des mots sur la sensation étrange qui fait vibrer tout mon corps. Est-ce un frisson, ou juste une vague d’anxiété ? Je ne sais pas. Sa façon de me regarder… ce n’était rien de ce que j’aurais pu imaginer. Ce n’est pas comme si je pouvais déchiffrer ce regard non plus.