Chapitre 1

1025 Words
Chapitre 1 Vingt-quatre ans plus tôt, Sur Terre : L’homme vêtu de noir contourna la caravane sombre attelée au gros pick-up. Il maintint le paquet contre son corps, comme s’il craignait qu’il ne disparaisse. Entendant une toux suivie de plusieurs voix dans le chapiteau, il marqua une pause. Le paquet dans ses bras bougea légèrement, le ramenant à sa mission. Il n’avait pas beaucoup de temps. S’approchant de la caravane, il déposa lentement le bébé emmailloté sur la marche. Un bref instant, sa main resta en suspens au-dessus de la joue pâle. Le chagrin et le regret, deux émotions qu’il n’avait encore jamais ressenties, le tiraillèrent. — Prends soin de toi, ma fille, je viendrai te chercher quand tu seras plus âgée, si je le peux, murmura la voix apaisante dans un étrange dialecte. De la tristesse assombrit ses yeux bleu vif alors qu’il tirait une enveloppe de sa chemise et la glissait dans la couverture avant de se redresser. Il retourna dans l’ombre de la caravane quand les voix s’approchèrent. Il ferait bientôt jour, et il devait partir avant qu’il y ait assez de lumière pour que les gens qui allaient et venaient parmi le rassemblement de camping-cars ne puissent le voir. Il venait de se glisser sur le côté de la caravane quand il entendit la porte s’ouvrir. Un lent hoquet surpris suivi d’un cri étouffé fendit l’air. Se penchant en arrière, il attendit de voir s’il avait pris la bonne décision. — Walter ! appela une femme. Walter, viens là ! Une voix profonde lui répondit : — Qu’est-ce qu’il y a, Nema ? Mentalement, il pouvait presque voir ce que la femme avait découvert : la même peau pâle et délicate, les mêmes cheveux d’un doré vif et la promesse de ses propres yeux bleus, les seuls traits évidents qu’il avait transmis à sa fille. Serrant les poings, il se força à rester immobile, silencieux, en attendant de voir s’ils accepteraient le précieux cadeau qu’il avait déposé devant leur porte. — C’est un bébé, murmura Nema d’un ton larmoyant. N’est-elle pas magnifique, Walter ? — Allons, Nema… Qu’est-ce que c’est que ça ? Une lumière tamisée s’alluma, puis il entendit un froissement de papier. L’espace d’un instant, seuls les aboiements d’un chien au loin et le coassement bas des grenouilles dans un étang brisèrent le silence. — Qu’est-ce que ça dit ? demanda doucement Nema. — Je vous en prie, protégez notre fille. Elle a besoin d’un foyer aimant où elle sera acceptée pour qui elle est. Elle s’appelle Ricki. Je vous confie mon cœur… Je vous en supplie, protégez-la et prenez soin d’elle comme si c’était votre propre enfant. — Oh, Walter, dit-elle en reniflant. Elle est magnifique. On a une fille, une belle fille à nous. — Nema… Walter poussa un soupir. — Elle est belle, tout comme toi. On part dans seulement quelques heures. — On ne va pas… Elle hésita en regardant le nourrisson endormi dans ses bras. — Non, je connais un avocat qui peut s’occuper de la paperasse, répondit Walter d’une voix bourrue. — Ricki, dit tendrement Nema. Ricki Rose Bailey. — Nema. — Ça ne dérangerait pas Rose. Elle aurait adoré avoir une petite sœur qui porte son nom. Je sais qu’elle la regarde en ce moment même et qu’elle sourit avec fierté. — C’est un nom magnifique, Ricki Rose. La gorge de Walter se noua au souvenir de leur superbe fille, morte pendant l’accouchement voilà un an. Il avait failli perdre Nema aussi. Elle avait dû subir une opération en urgence afin de ne pas se vider de son sang. Par conséquent, ils ne pourraient jamais avoir l’enfant dont ils rêvaient. Ses doigts tremblaient quand il tendit timidement une main vers la joue du nourrisson endormi. Lorsqu’il leva les yeux, il vit de l’espoir, de la peur et des larmes dans ceux de sa femme bien-aimée. — Aussi magnifique que toi, Nema. Je t’aime. Elle leva la tête et sourit. — Je t’aime aussi, Walter, murmura-t-elle avant de faire claquer sa langue. Tu peux aller voir si Mary a du lait maternisé ? Je dois sortir ce qu’on avait préparé pour Rose. Oh, Walter, on a une fille ! Il contempla le petit corps de son épouse. Faisant tout juste un mètre six, elle ressemblait elle-même à une enfant vue de dos. Il semblait la dominer du haut de son mètre vingt-quatre. Un soupir lui échappa lorsqu’il pensa aux deux boîtes cachées au fond du placard dans leur chambre. Elle avait refusé qu’il donne les affaires pour le bébé, elle n’était pas prête. Il savait qu’elle espérait qu’ils adopteraient un jour un enfant, mais il avait craint qu’aucun juge ne le leur permette. Ce n’était pas parce qu’ils étaient tous deux atteints de nanisme, mais à cause de leur mode de vie. En tant que propriétaires du Cirque de Magik, petit mais unique, et rempli de personnalités tout aussi singulières venant du monde entier, ils étaient tout le temps sur la route. Il avait employé tout l’argent dont il avait hérité, en plus de ce qu’il avait gagné en tant que membre du cirque, pour le racheter aux anciens propriétaires et en faire l’un des meilleurs spectacles de tous les temps. Un sourire illumina lentement son visage lorsqu’il entendit Nema chanter doucement. — Je suis père, dit-il avec un petit rire. On a une fille. La silhouette qui se tenait dans l’ombre s’éloigna silencieusement quand la porte se ferma. Son cœur était plus léger alors qu’il laissait derrière lui le spectacle itinérant qu’il avait découvert plus tôt. Il avait passé la majeure partie de la journée à les écouter et à les regarder de loin. Au fond de lui, il savait que c’était l’option la plus prometteuse pour protéger sa fille de ceux qui voudraient la tuer, comme ils avaient tué sa mère. Il s’arrêta brièvement pour regarder une dernière fois l’étrange rassemblement de tentes, de caravanes et de petits stands de foire avant de se retourner. Un nourrisson n’avait pas sa place là où il allait. Il ne vit pas les deux hommes qui l’étudiaient tandis qu’il disparaissait dans la brume matinale.
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