Chapitre 1

906 Words
Chapitre 1Je bâille aux corneilles. Quand je passe ma nuit à jouer, c’est toujours pareil. Les jeux vidéos me permettent de m’échapper de mon quotidien. Ça m’aide. C’est une sorte de thérapie, un endroit pour me cacher de mes vieux démons. Depuis que je vis seul, je ne dors plus beaucoup. Mes cauchemars me font peur. La vie me terrorise. — Tom, tu as dix ans. — Et alors ? J’ai plein de copines qui me collent à l’école. Comme d’habitude, Nathan est en pleine prise de bec avec Tom, le gamin de Betty. Mes deux employés sont radicalement différents. Nathan est bruyant. C’est le type le plus exubérant que je connaisse. Pour s’exprimer, il fait de grands gestes démesurés et lorsqu’il n’a pas ce qu’il veut, il se met à bouder tel un gosse capricieux. Betty, quant à elle, est aussi discrète qu’un serpent. Elle se faufile sans qu’on puisse la voir venir et au moment où on s’y attend le moins, elle mord. Et croyez-moi, elle mord tout et n’importe quoi, Méduse. — Salut Tom. Je frotte la tête brune du garçon assis sur le bureau de Nathan. Nous travaillons en espace ouvert. Tous les trois dans la même salle. Ça nous permet de rester motivés. — Ah, salut mec, répond le gamin sous le regard ahuri de mon collaborateur. Je l’aime bien. Il me fait penser à moi, avant. La façon désinvolte dont il me parle ne plaît pas à Nathan. Il plaque ses mains sur sa taille en s’exclamant : — Et tu le laisses t’appeler comme ça ? Alors que je n’ai même pas le droit d’avoir ton numéro de portable ! Ça me fait sourire. — Parce qu’on sait tous les deux que tu passerais ton temps à essayer de me draguer. Surtout à me harceler ! Déjà, il m’envoie une dizaine de mails par jour pour me demander tout un tas de trucs stupides. La dernière fois, il m’a proposé de me tailler... mon crayon de bois. Nathan est bisexuel. Je suis devenu rouge comme une tomate et l’ai entendu glousser depuis le fond du hangar. — Comme la fois où tu as essayé de te taper ma mère tiens, renchérit Tom. Nathan ressemble à une brindille ! Betty ne couchera jamais avec lui. Elle préfère les hommes baraqués. Le genre de gars qui joue les ténébreux au grand cœur pour la jeter sans aucun scrupule une fois l’affaire conclue. Et je ne parle pas des soldes d’hiver, mais bien de cul ! C’est ce qu’il s’est passé pour Tom. À l’époque, elle était folle amoureuse d’un con, soi-disant rempli de secrets, au lourd passé qui ne lui permettait pas de se confier ni de laisser son téléphone portable allumé... Connerie monumentale ! Il l’a mise en cloque et s’est tiré avec la première cruche qui passait dans le coin. En l’occurrence, ma mère. — La ferme, morveux ! Va jouer ailleurs. Betty, reprend ton môme ! Sous le ton désapprobateur de son collègue, la jeune femme lève enfin la tête de ses dossiers. — Il a raison, tu vas être en retard à l’école. Là où toutes tes copines t’attendent, souligne-t-elle en imitant son fils. À l’évidence, Tom n’est pas d’accord. Il saute du pupitre de Nathan pour se poster devant celui de sa mère en pleurnichant : — Mais maman... Le téléphone sonne. Betty souffle. — Separagence bonjour, en quoi puis-je vous aider ? Tout en récitant lesdites présentations de l’agence, l’employée observe sa progéniture d’un œil sévère. Ne jamais contrarier sa mère. Elle serait capable de vous décapiter en un seul regard. — Va à l’école ! répète-t-elle en couvrant le combiné avec sa main. Tom abdique, son sac de classe sur le dos et le menton bas. — Bye, microbe. Le sourire moqueur de Nathan le fait grogner puis il m’envoie une œillade complice avant de passer la porte. Je me tourne vers mon employé. Sa coupe de cheveux est de pis en pis. Une sorte de crête rose un peu bancale sur une épaisseur blonde, on dirait un coq. Un coq mélangé à une asperge : Nathan est une poêlée de poulet et asperges sauce citron. — Tu es affligeant. Je poursuis mon chemin pour me laisser tomber sur mon fauteuil. À vingt-cinq ans, je me sens aussi en forme que mon grand-père. Tout cela avant qu’il ne rencontre Madame Zora ! À présent, de nous deux, il est le plus dynamique. Écouler mes nuits devant un écran n’est plus de mon âge. Je commence à me laisser aller. Je n’ai pas taillé ma barbe depuis un bail et mes cheveux bruns — bien que mieux coiffés que ceux de mon collègue — retombent sur ma nuque en bouclant. La voix de Betty résonne dans toute l’agence. C’est une commerciale, elle parle fort. — A-t-elle des fleurs ou un parfum favori ? Les fleurs ne servent à rien. Ça se termine toujours de la même façon. Sur le site, les clients ont le choix : soit ils demandent de l’aide pour mettre un terme à leur relation amoureuse en douceur. Soit ils nous appellent pour rompre avec perte et fracas. Dans ce cas-là, nous faisons appel à un agent. La meilleure d’entre toutes se nomme Abigaëlle Monclair. Une perverse briseuse de ménages. Les agents sont payés à la course. C’est le même système que Deliveroo, le service de bouffe à domicile. Chaque individu s’inscrit sur le site. Ils sont sélectionnés par Betty et elle leur adresse un message pour leur exposer les détails de leur mission. Ils peuvent se connecter quand ils le souhaitent. En gros, ce sont des intérimaires. Le client paie la première moitié avant la course et le reste lorsque tout est terminé. Les dossiers rouges sont la passion de Betty Lévèque. Ce sont ceux qui me rapportent le plus. Ceux qui finissent dans les cris et les pleurs : les séparations sans ménagement. Une affaire rondement menée ! C’est mon gagne-pain. Je suis Corentin Connard, l’enfoiré qui a fondé cette entreprise.
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