Chapitre 2

1099 Words
Chapitre 2— Petite nuit, Coco ? me demande Betty, deux tasses de café dans les mains. En rassemblant ses cheveux roux sur une seule de ses épaules, elle s’assoit de l’autre côté du bureau. Sa peau est aussi claire que celle d’une poupée de porcelaine. Sur ses joues, malgré sa fine couche de fond de teint, elle a quelques taches de rousseur qui ressortent. Ses yeux, d’un vert intense et sombre, sont maquillés. Élégante et élancée, Betty est une très belle femme. Ce n’est pas rare que nous partagions quelques minutes autour d’une boisson chaude. Nous discutons beaucoup. Je crois que, dans notre malheur, nous nous comprenons un peu. Betty vit seule depuis que Benjamin l’a quittée. Elle se bat bec et ongles pour qu’il n’obtienne pas la garde de Tom. Il faut dire que la belle-mère de Tom a l’âge d’être sa grand-mère. À la tienne, Maman. — Je suis pire que les gosses, je souffle en attrapant le café qu’elle m’a apporté. Parce qu’au moins, les gosses, ils tombent de fatigue à un moment ou un autre. Pour ma part, même à bout de forces, je n’arrive jamais à dormir profondément. Mes nuits sont hantées par les fantômes du passé. Un seul fantôme, qui ne cesse de me parler durant mon sommeil... Comme dans Ghost. D’ailleurs, je n’ai pas la prétention d’être aussi sexy que ce type, mais je suis un peu le Patrick Swayze des temps modernes. Mis à part qu’à mon âge, il se rasait la barbe, nous sommes tous deux grands, aux yeux clairs avec la même touffe de cheveux épaisse sur le sommet du crâne. RIP Patrick. — Tu joues toujours avec cette fille, Éphéméride quelque chose ? Éphémère2. Betty se tient le menton en cherchant le pseudo de ma partenaire de jeu. Dans ce monde virtuel, je pourrais assurément la demander en mariage. Ce monde où le passé n’existe pas. Ce monde où je ne suis pas Corentin Connard, le patron de Separagence et le fils indigne qui ne côtoie plus sa mère. Elle ne s’attend pas à ce que je réponde alors elle rajoute : — Tom est déjà dépendant des écrans ! J’observe Nathan, occupé à classer son tas de dossiers verts. Nous avons beaucoup de clients en cette période de l’année. Avant Noël, les gens font du tri. Je reporte mon attention sur mon interlocutrice. — Tu vas avoir du fil à retordre, je réponds, un fin sourire sur les lèvres. Tom est aussi en forme que mon grand-père quand il s’envoie en l’air avec madame Zora... Pépé adore le trampoline. — Tu n’as pas idée ! Hier soir, j’ai retrouvé un paquet de préservatifs sous son lit. Je manque de m’étrangler. Ce gamin est un génie, ça aurait dû être le mien. Ça aurait pu. Betty et moi avons eu une aventure, il y a plusieurs années. Mais je ne suis pas le genre de gars qui l’attire réellement et elle n’est pas non plus la femme qui pourra me sauver du cataclysme de ma vie. D’ailleurs, je crois que cette fille n’existe pas. La cloche indiquant l’arrivée d’un visiteur nous fait tourner la tête au même moment. — Matt ? Tout va bien ? je m’enquiers en voyant débarquer mon voisin. Nous vivons l’un au-dessus de l’autre depuis des années. Notre immeuble est en fait une maison aménagée en deux appartements : celui de Matt et Constance, sa femme et le mien. Nous possédons chacun un étage. Et comme ces deux-là sont adorables, il n’y a jamais eu de problème. Jusqu’à ce qu’il débarque ici. — Salut, Corentin, est-ce que je peux te parler ? Seul à seul ? Il se frotte la nuque en reluquant le sol. Ça sent le roussi ! Lui qui d’habitude est souriant et bon vivant me paraît déboussolé. Betty s’empresse de se lever pour disparaître en quatrième vitesse. D’un geste de la main, j’encourage mon voisin à prendre sa place. Est-ce qu’il vient me dire que ma mère m’attend de pied ferme chez moi ? Élisa, ma mère est la réincarnation du tyrannosaure : vieille et aussi coriace que ces bêtes immondes ! — J’ai besoin de ton aide. Il faut que je quitte Constance. Tout compte fait, il est évident que rendre visite à maman aurait été plus sympa que de discuter avec mon voisin. Je ne pensais pas que Matt serait de ceux qui font le ménage avant les fêtes de fin d’année. Néanmoins, je serai prêt à parier sur du vert. Nathan a dû le sentir, lui aussi, car, depuis son propre bureau, il l’observe d’un air affamé. Nathan, les dossiers verts. Betty, les dossiers rouges. — Ça ne se passe plus comme tu le veux entre vous ? Habituellement, je ne pose pas de questions quant aux motivations de mes clients. C’est plus délicat quand il s’agit de mes proches. Parce qu’on peut le dire, Matt et Constance sont beaucoup plus que de simples voisins. — Je suis malade, Corentin, je vais finir dans un fauteuil. Je déglutis. — Qu’est-ce que tu veux dire ? Mon ami se tord dans tous les sens, évitant mon regard à tout prix. Je ne le trouve pas mourant. Matt est un homme grand et baraqué. Il rase ses cheveux à blanc et se parfume d’eau de Cologne à tout-va. Difficile de l’imaginer souffrant en ayant cette image de lui en tête. Il soupire. Si je pouvais sonder son âme, je suis certain que j’y verrai un garçon apeuré. — J’ai la sclérose en plaques. Je ne veux pas que Constance ait à subir ça. Elle n’a que trente ans ! Quand j’ai fondé cette entreprise, j’avais exclusivement en tête des gens trop lâches pour faire faux bond à leur compagnon de route. Pourtant, en cinq ans de métier, je me suis rendu compte que Separagence avait aussi ce rôle, celui d’aider des femmes battues, des hommes malades et parfois même des enfants. Néanmoins, aujourd’hui, j’aimerais juste avoir à m’occuper des lâches. Comment faire croire à Constance que Matt n’en vaut pas la peine en sachant qu’il va affronter seul sa maladie ? Je suis Corentin Connard. L’enfoiré qui a monté cette entreprise... — Il faut que tu m’aides, répète mon voisin. Je sors une feuille blanche du bac de l’imprimante. — D’accord, je vais le faire. Je commence à noter toutes les informations nécessaires sur Constance. Il me donne le nom de ses fleurs préférées, me précise l’heure à laquelle elle sera chez elle. Il me parle d’elle comme s’il me récitait un poème d’amour. Victor Hugo lui-même en frissonnerait. Quand nous en avons terminé avec la paperasse, je le raccompagne, une main bienveillante sur son épaule. Ça me crève le cœur d’avoir à faire ça. Je préférerais prendre sa place. Matt est un gentil garçon, pas moi. La porte claque. Je me retourne pour me diriger vers mon bureau. La femme de ménage n’est pas passée depuis un bail. Il y a des toiles d’araignée dans les coins de murs. Nathan lui a fait peur la dernière fois qu’elle est venue. Cet idiot a passé son temps à la fixer, exactement comme il détaille Matt en cet instant, l’air mort de faim, à travers la vitrine de la boutique. — Calme tes ardeurs, Clara Morgane, tu baves, lui lance Betty, incrédule.
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