Récit d'un oiseau

936 Words
 Nous étions seulement à quelques semaines après la mort de l’oncle Didier. À mon âge, une bêtise est quelque chose d’ordinaire, mais le fait que je l’ai commise pour des raisons monstrueuses changeait tout. J'avais cassé le bol préféré de Maman. C'était un cadeau, m'a-t-elle brièvement expliqué un jour. Un cadeau très précieux. Le dernier présent d'un ami disparu depuis longtemps. Lorsque l'oncle Didier fut enterré, je n'étais plus qu'un observateur étranger. Maman revenait à ses préoccupations habituelles, Fiona revenait au lycée et à ses nombreux amours et moi à mes bêtises. Je retrouvais mes amis, mes professeurs. Les devoirs se succédaient jours par jours. Tout était à l'image de notre quotidien, mais tout était parti. J'ai l'impression que chaque pas que je posai sur les allées de ma vie était empreint d'encre noire, indélébile, et que Maman le ressentait encore plus que moi. C'était à cette époque qu'elle a probablement décidé de commencer l'écriture. Des années durant elle enseigna pour nous faire vivre, mais quand la situation financière s'est suffisamment améliorée, elle put enfin délaisser l'enseignement pour revenir à sa passion de jeunesse, l'écriture. D'abord, elle commença par des récits pour enfants, et me les lisait toujours en premier. Je me souviens encore de sa première œuvre : les contes des oiseaux de Ferinelle. Ce soir-là, je m’étais mise au lit. Je tournai le dos à la lumière qui me brûlait les yeux et souriant, je regardai mère entrer dans la chambre et s’installer à mes côtés. Puis Fiona nous rejoignit. Nous nous installâmes confortablement sur mon lit, et Maman sortit un livre illustré, un livre d'enfant. - Regardez mes chéries, c'est un autre livre pour enfant que Maman a écrit d'elle-même. Ça parle d’une histoire assez réaliste mais centré sur les oiseaux. Nous étions appuyées tendrement contre elle. - Le chant du rossignol, lisais-je comme titre. - Oui, c'est cela. Pardonnez-moi que la lecture des contes arrivent un peu tard pour vous deux. Fiona haussa les épaules, jouant les blasés à cause de son âge. - Ne t’inquiète pas mère. On s’en accommode très bien. - Et puis, comme tout le monde dit, renchéris-je amusée, vaut mieux tard que jamais. C'était une magnifique œuvre, sur la couverture, un rossignol perché sur un arbre, nous regardait, de son regard voilé, partageant avec nous tant de secrets dont le sens toutefois nous échappaient comme ce contraste entre le vert de son plumage et le vert des arbres. C'était si étrange de sentir la différence entre leurs nuances ; du même ton, de la même couleur, mais si différente que s'en était troublant. Était-ce seulement accidentel ? Ou bien… - De quoi parle le livre Maman ? - D'un conte fabuleux, le rôle principal revient à un oiseau, un oiseau qui a réalisé la véritable importance de l'amitié… Lisons-le ensemble alors mes princesses… Et d'une même voix : - « Il était une fois un monde merveilleux, un monde recouvert par une immense jungle, et qui renfermait tous les êtres de la terre… » Plus je lisais plus j'en fus émue. L'histoire ? Elle pourrait être interprétée de diverses manières, selon l'esprit de ceux qui la liront. Chacun aura sa manière de comprendre les vœux du récit. Si un enfant la racontait, il dirait seulement que c'était une merveilleuse histoire, qui parlait d'un rossignol qui vivait dans un univers enchanté, qui avait des amis et qui rencontra un animal aussi laid que lui était beau. Au début, il le détesta, il le rejeta à cause de son apparence repoussante, mais les regrets, et plus encore, les qualités exceptionnelles cachées derrière le corps hideux de l'oiseau maigrelet, changera son cœur et suscitera son affection, qui naîtra et grandira au fil du temps. Et à la fin, il l'aimera, totalement, pour lui-même. Ses amis lui demandèrent de choisir entre eux et cet animal, et comme tout merveilleux chevalier de conte, il laissa parler son cœur et choisit le laideron. Et après, lui et son ami vécurent à jamais heureux et aidèrent beaucoup d'autres à l'être aussi. À la fin de sa lecture, cet enfant serait heureux à son tour de ce qu'il avait ressenti, il la racontera ensuite à ses amis, à ses parents, et vivra pour un temps dans un monde illusoire ou tout le monde, non… Le monde lui-même apparaîtra comme un royaume de perfection, il essayera de revivre dans sa réalité même l'histoire, mais malgré tout cela, malgré cet émerveillement le rossignol ne restera jamais pour lui que cela, une histoire. Mais moi, pour moi, ce que je vis, c'était tout autre. Ce que je compris, c'était tout autre. Je me demandais si c'était-ce parce que pour la première fois, j'ai connu la fatalité. Que ma conscience de la valeur de la vie s'était réveillée. Peu importait, et je crois bien que la réponse ne serait jamais de toute façon exacte. En approfondissant juste assez ce récit de mille plumages, on retrouvait dans chaque mot la beauté de l'amitié, le courage des amis, la grandeur de l'âme ainsi que les défauts indéracinables comme lâcheté et la discrimination, qui enlaidissaient autant les êtres, en résumé donc, tout ce qui façonnait le monde. Cette histoire-là, ce n'était pas un enfant qui allait la raconter, c'était moi. Par où commencer ? Je devais d'abord fermer mes yeux et me rappeler chaque détail du récit, chaque émotion que j'ai ressenti, et la morale profonde que le livre essayait aussi vaillamment de transmettre. Alors telle était l’histoire…
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