La Reine d'Ivoire

***Aurora*** Les cris me tiennent encore éveillée la nuit après toutes ces années, mais c'est le sang qui coule du corps mutilé de mon père qui me hante dans mes rêves à chaque fois que je ferme les yeux. Je n'oublierai jamais cette nuit... J'avais presque treize ans lorsque cela s'est produit. Presque. Et pourtant, j'ai été accusée de la mort de mon père. Aux yeux de ma meute, j'étais devenue une louve à part entière et c'était moi qui avais assassiné mon père. Treize était un chiffre magique pour les loups-garous, car à treize ans, nos loups se réveillaient enfin et nous pouvions enfin nous transformer. Comme tout jeune loup-garou, j'étais excitée à l'idée de réaliser ma première transformation, mais la nuit précédant mon treizième anniversaire était tout sauf une occasion joyeuse. Je ne faisais que me retourner dans mon lit, incapable de dormir à cause de toute cette excitation, lorsqu'une tape sur mon épaule a interrompu mes pensées. C'était mon père. Il avait deux valises et une grande enveloppe entre les mains. "Aurora, habille-toi. Nous devons partir !" a-t-il dit à voix basse, me tendant l'une des petites valises. "Emballe tes affaires rapidement !" Je l'ai regardé, les yeux grands ouverts et confuse. "Quoi ? Pourquoi ?" "Mija, il n'y a pas de temps pour expliquer. S'il te plaît, dépêche-toi. Je te retrouverai en bas. Vas-y maintenant !" a-t-il ordonné avant de se précipiter hors de la pièce. Je me suis changée en enfilant un jean et un t-shirt, et j'ai jeté mes affaires dans la valise. Mes mains tremblaient pendant que je travaillais et mon esprit allait à cent à l'heure. Où pouvions-nous bien aller à cette heure tardive ? me suis-je demandée. Lorsque j'ai terminé ma tâche, j'ai descendu les escaliers sur la pointe des pieds et j'ai trouvé mon père qui cherchait frénétiquement quelque chose. "Que cherches-tu ?" ai-je demandé. Il m'a fait signe de me diriger vers la porte. "Mets tes affaires dans la voiture et attends-moi", a-t-il dit distraitement, continuant de fouiller les placards. J'ai suivi ses instructions et me suis dirigée vers la voiture, glissant mes affaires sur le siège arrière. C'est alors que j'ai entendu un bruissement dans les buissons et les bois derrière moi. Une branche d'arbre s'est brisée et je me suis tournée pour voir une paire d'yeux verts me regarder, l'odeur de chair pourrie emplissant mes narines. Des renégats ? Comment des renégats ont-ils pu pénétrer sur notre territoire sans que les gardes les remarquent ? ai-je pensé. Plus de renégats sont apparus à travers les buissons et j'ai lentement reculé loin d'eux. Un petit gémissement s'est échappé de ma bouche, mais je ne pouvais pas crier. Les renégats sont sortis dans la clairière, révélant leur fourrure emmêlée et leurs griffes noires tranchantes. Les sept me fixaient avec des sourires maléfiques aux lèvres. L'un d'entre eux s'est appuyé sur ses pattes arrière, se préparant à sauter. Un grognement sourd est sorti de sa bouche lorsqu'il s'est jeté sur moi et j'ai fermé les yeux, ne voulant pas voir ma propre mort lorsque soudain, j'ai entendu un grognement furieux venir de derrière moi. Une bagarre a éclaté, mais j'ai refusé d'ouvrir les yeux et je suis restée figée de peur. Et aussi rapidement qu'elle avait commencé, les grognements se sont arrêtés. J'ai entendu un bruit sourd et un gémissement, ce qui m'a forcée à ouvrir les yeux. Mon père gisait sur le sol tandis qu'un renégat se dressait au-dessus de lui, ses canines déchirant la gorge de mon père tandis que des blessures de défense étaient dispersées sur son corps inerte. J'ai retrouvé ma voix et j'ai poussé un cri d'horreur. Les bois silencieux s'animaient désormais des sons de hurlements et de pas lourds. Le renégat a lâché la gorge de mon père et ils se sont rapidement tous enfuis dans la direction d'où ils venaient. "Papa !" ai-je hurlé en enfonçant mes doigts dans sa fourrure trempée de sang et en tenant sa tête entre mes bras. Il n'y a eu aucune réponse. Ma mère et mon frère, Salvador (alias Chava), se sont précipités hors de la maison et j'ai entendu le cri le plus dévastateur sortir des lèvres de ma mère. Chava restait là, choqué, la vie quittant rapidement ses yeux. Il a repris ses esprits lorsque Mia, ma petite sœur, est sortie pour voir ce qui se passait. Il est allé vers elle et l'a ramenée à l'intérieur pendant que maman continuait à crier sa peine à la Déesse de la Lune. En quelques minutes, des gardes sont arrivés chez nous. Ils n'ont pas demandé d'explication ni de détails. Tout ce qu'ils ont vu, c'était le corps sans vie de mon père par terre. J'étais coupable à vue d'œil. Ils n'ont même pas questionné les valises dans la voiture et dans la maison. Ils pensaient que je cherchais à m'enfuir, car elles contenaient mon passeport et d'autres documents. Après avoir été accusée de la mort de mon père, ma mère et mon frère ont déversé leur colère sur moi. Mia a complètement arrêté de me parler, surtout après avoir accompli sa première transformation et découvert qu'elle était aussi une louve argentée comme papa et Chava. On ne m'a jamais permis de me transformer. Ils avaient peur que je tue à nouveau. Malgré le fait d'être étranger, mon père s'était élevé dans les rangs grâce à son talent. Il était devenu le gamma très respecté de la meute et le gardien de confiance de la Luna. Lorsqu'il est décédé, l'Alpha et la Luna étaient dévastés de perdre leur ami le plus proche et leur guerrier le plus fort, donc naturellement, ils me détestaient aussi. Avec papa parti, notre famille est retournée à la maison de la meute. Mia, Chava et maman ont reçu des chambres confortables pendant que j'étais enfermée dans le sous-sol. Cela fait cinq ans depuis sa mort et peu importe ce que je disais, je n'ai pas pu convaincre ma famille ni ma meute de mon innocence. Alors, j'ai abandonné. Chaque jour, je subissais les abus de ma meute, travaillant jour après jour comme leur esclave, aujourd'hui ne faisant pas exception. "No tengo todo el pinche dia, perra {Je n'ai pas toute la journée, salope.} Où est ma nourriture ?" me crie dessus Salvador, en claquant des doigts. "Elle est sur la table, Monsieur", je chuchote, essayant de garder ma voix stable. "Parles plus fort !" crie-t-il. Mince, je l'ai déjà contrarié. Il est toujours sur les nerfs à l'approche de l'anniversaire. "Oui, Chava", je réponds rapidement. Je ressens une douleur intense sur ma tête alors que Chava me tire par les cheveux et me jette contre le réfrigérateur. Je tombe par terre, mes yeux s'emplissent de larmes alors que je le regarde. Son visage est rempli de rage et de haine. "C'est Monsieur pour toi, perra. Ne me manque plus jamais de respect !" grogne-t-il en me donnant un coup de pied dans l'estomac avant de se diriger vers la salle à manger. "Je suis désolé, Monsieur", je gémis. Je me relève rapidement et continue de mettre les assiettes et les couverts pour les autres membres de la meute. Mia entre et prend une pomme dans le panier à fruits, m'ignorant complètement. "Félicitations pour ta remise de diplôme anticipée. Je suis vraiment fière de toi !" dis-je, lui adressant un sourire timide. Elle me regarde avec dégoût et s'en va. Mon cœur se brise en la regardant prendre place à côté de Salvador et qu'il la serre dans ses bras. Il la félicite et ils se plongent dans une conversation profonde, en riant et plaisantant ensemble. Ils semblent si heureux ensemble. Après avoir servi le petit-déjeuner, je me retire dans ma cave avec une assiette de restes et je mange tranquillement. J'entends les éclats de rire venant de la salle à manger et les membres de la meute qui discutent joyeusement. Notre meute organise une fête aujourd'hui pour honorer les diplômés. J'aurais dû aussi être diplômé cette année si je n'avais pas été contraint d'abandonner en deuxième année. Je dois préparer la nourriture et aider à installer les décorations de fête pour ce soir. Plusieurs membres de nos alliés les plus proches, dont la meute River Moon, vont également obtenir leur diplôme et sont invités à célébrer avec nous lors de la cérémonie de ce soir. Même leur Alpha se joindra à nous. Après avoir englouti ma pitoyable excuse de petit-déjeuner, je me dirige vers l'abri où sont stockés tous les accessoires de fête. La maison de la meute Lluvia Blanca est un manoir de style espagnol à trois étages. Une grande cour en forme de L se trouve au centre de la maison, l'extrémité avant étant reliée à l'entrée principale et à l'allée circulaire, et l'extrémité arrière menant à l'arrière-cour. Il y a une piscine à l'extrémité gauche du jardin et un petit amphithéâtre à droite. Il y a également un jardin de roses équipé de magnifiques fontaines, tandis que les bois servent de clôture naturelle le long de la propriété. Les festivités de ce soir auront lieu dans le petit amphithéâtre et le jardin de roses. J'accroche des guirlandes de fête le long des colonnes bordant l'amphithéâtre et gonfle ce qui semble être des milliers de ballons avant de pouvoir retourner en cuisine et aider à la préparation des repas. Ensuite, je balaye et nettoie la salle à manger, les deux salons, la salle de jeux et le théâtre. Il est presque 19 heures lorsque je termine enfin mes corvées. Je saute dans ma minuscule douche pour me débarrasser de la crasse et de la boue que j'ai accumulées tout au long de la journée. Je ne possède aucune robe, mais ce n'est pas grave de toute façon. Je travaillerai lors de l'événement de ce soir, servant du punch aux fruits et des boissons alcoolisées à nos invités, et non pas en train de danser et de socialiser. De plus, je ne suis pas du genre à bien paraître en robe, j'ai trop de cicatrices à cacher. Je mets un jean noir et une chemise blanche boutonnée, et je tresse mes longs cheveux noirs en une tresse française. J'applique une couche de fond de teint et de correcteur pour dissimuler les bleus sur mon visage causés par mes bastonnades quotidiennes, et j'ajoute un peu d'ombre à paupières brune pour mettre en valeur mes yeux couleur miel. Un rapide coup de mascara termine le tout. Malgré le maquillage, cependant, je suis toujours déçue de mon reflet dans le miroir. "Joyeux 18e anniversaire", je murmure à moi-même. Joyeux anniversaire Aurora, dit doucement ma louve. Mes yeux s'ouvrent grand. Reyna, tu es toujours là ? Où étais-tu ? Je n'ai pas eu de tes nouvelles depuis des mois ! Bien sûr que je suis là. Aujourd'hui est ton 18e anniversaire. Je dois être là pour t'aider à trouver notre compagnon, rit-elle. Notre compagnon ? J'avais presque oublié cela. Les loups-garous peuvent sentir leur partenaire une fois qu'ils ont 18 ans, ce qui signifie que ce soir, je pourrais potentiellement le rencontrer. Je ris d'excitation. Un compagnon ! Un fort coup sur ma porte me fait redescendre sur terre. "Les invités arrivent. Lève ton p****n de cul et va là-haut", prévient ma mère. Je mets rapidement des ballerines noires et cours vers mon poste près de l'amphithéâtre. Notre alpha, Miguel, et son fils Javier se tiennent au centre de la scène de l'amphithéâtre, regardant la meute. Quatre seniors se tiennent au pied de la scène, fièrement vêtus de leurs toques et écharpes. Mia est parmi eux, elle a travaillé dur pour obtenir son diplôme un an entier avant les autres. Un par un, l'Alpha Miguel appelle les quatre diplômés pendant qu'un énorme tonnerre d'applaudissements éclate après chaque appel de nom. Maman et Chava rayonnent de fierté devant notre magnifique Mia. Même si elle m'a à peine adressé la parole, je ne peux m'empêcher de sourire en la voyant sur scène. Mon loup interrompt mes pensées avec son excitation. Reyna, qu'est-ce qui te prend ? je marmonne. C'est alors que cela me frappe, l'odeur la plus incroyable du monde, un mélange de miel et de pommes vertes. Notre compagnon ! Il est là ! dit-elle joyeusement. Notre compagnon ? Où ? je regarde frénétiquement autour de moi. Soudainement, le jeune Alpha de la meute River Moon, Oliver Artaud, et trois des diplômés de sa meute montent sur scène. L'Alpha se racle la gorge en balayant la foule du regard. Ses yeux se fixent dans ma direction et je rencontre son regard. Compagnon.