Chapitre 3 : Amyliana

1432 Words
Chapitre 3 : Amyliana — T’as entendu ? Je relève la tête de mon bouquin de latin, quand Denis me saute dessus. — Entendu quoi ? Il roule théâtralement des yeux avant de s’asseoir à mes côtés après que j’ai retiré mon sac pour lui faire de la place. Denis est le seul ami que j’ai ici, à la fac. Il est grand, brun, le genre de canon que toutes les nanas s’arrachent. Sauf moi. Entre nous, c’est clairement platonique. Une simple amitié qui date de bien avant le collège, de l’époque où il avait encore son appareil dentaire et moi des poux. — Un meurtre, derrière chez toi. Je pouffe, même si la situation n’a rien de drôle. Mais Denis est si détaché de ce qu’est mon quotidien, que c’en est parfois marrant. Il vit dans les hauts quartiers de Logen, moi dans les bas. Ça a l’air si con dit comme ça, parce que normalement une ville, représentée par une seule personne devrait être ce quelque chose d’uni, de cohérent. Sauf que non. Les hauts quartiers sont réservés aux riches. Belles villas qui trônent sur des terrains de pelouse verdoyante, poubelles intégrées aux décors, même les trottoirs sont joliment dallés. Leur parc est tondu chaque semaine, des fleurs ornent les alentours des commerces, et un centre commercial y sera bientôt ouvert. Les bas quartiers, là où j’ai grandi, et là où je suis toujours, sont tout l’inverse. Immeubles délabrés et tagués, parcs et jeux pour enfants détériorés, hangars abandonnés. Deal en rue, drogues jetées dans les rigoles. Meurtres et règlements de comptes y sont légion. Les bars sont de mises, les sirènes de police et d’ambulance sont devenues un bruit de fond tellement banal que nous ne nous retournons même plus pour voir de ce qu’il s’agit. Bref, un contraste hallucinant pour un même endroit sur une carte. — Tu sais, les règlements de compte, ce n’est pas ce qu’il manque ici. Tu vis trop loin des réalités de la vraie vie mon gars. La vie, ce n’est pas que des pool-partys dans lesquelles les nanas sont à poils et que l’alcool coule à flots. Il y a des méchants, aussi. — N’importe quoi, rit-il. Je sais bien ce qu’il se passe par chez toi avec tout ce que me dit mon père. D’ailleurs, quand je serais le maire de Logen, je compte bien changer tout ça. T’imagines ? Une ville sans tous ces crétins ? Sans toutes ces putes qui longent le trottoir ? Mon père ignore volontairement la misère de ces quartiers et ça me saoule que Logen ne ressemble plus à grand-chose. Tu ne trouves pas que c’était mieux avant ? Quand nous étions gosses ? Je réprime la grimace que ces mots me causent et esquisse un sourire de façade. — Quand tu seras maire ? Tes ambitions sont à la hausse, c’est cool. Tu comptes reprendre le flambeau de ton père ? — Ouais, et tu seras la comptable attitrée de la ville. — Mais bien sûr, ricané-je. En attendant, laisse la future comptable étudier son latin, sinon elle va foirer son année. — Fais juste attention à toi, Amy. Je te jure à chaque fois que j’entends les conneries qu’il y a chez toi, je flippe. — Ne te tracasse pas. Je ne sors pas la nuit. Il hoche la tête et se lève pour rejoindre sa b***e de potes, qui l’attend sur le terrain de basket. S’il savait que mes nuits, je les passe les jambes écartées devant des hommes de la trempe de son père, je ne sais pas s’il me parlerait toujours, ni l’estime qu’il aurait réellement pour moi. Lui, il n’a jamais manqué de rien, n’a jamais connu les pulls tricotés en laine qui grattent parce que ses parents n’ont jamais eu de souci de fric et n’hésitaient donc jamais à dévaliser les boutiques. Les miens avaient à peine de quoi poser un morceau de pain sur la table chaque soir, c’est dire. Alors, quand mon connard de père s’est barré, nous rayant définitivement de sa vie, j’en ai encore plus bavé, et il a fallu que je trouve une solution d’urgence : Ernie, en l’occurrence. Ma virginité l’avait fait rire, mon insistance et ma détermination beaucoup moins. Sérieusement, j’en m’en tapais de la donner à n’importe quel homme contre un paquet de fric. Il fallait que je mange, il fallait que ma mère se soigne. Rien d’autre n’importait à mes yeux. Mon premier chèque avait été une véritable fiesta ! Ce jour-là, j’étais fière de montrer à ma mère un frigo plein, et de lui faire prendre ses foutus médicaments. Elle ne savait pas exactement ce que je faisais, et sa maladie l’empêchait de se demander le pourquoi du comment, et tant mieux. Par-contre, une fois la nuit tombée, je m’étais écroulée de dégoût, j’en avais gerbé ma dignité. Un dégoût profond pour moi, pour l’homme de la soixantaine qui s’était chargé de déchirer mon hymen à coups de queue sans aucune once de douceur. Je m’en voulais d’avoir dû en arriver là, et je m’en hais encore. J’ai voulu partir de ce job miteux, plusieurs fois même, mais c’est impossible. Comment ferais-je autrement ? Caissière ? Même pas en rêve. Une seule épicerie dans mon coin, et je n’ai pas vraiment le style bon chic bon genre pour bosser dans les hauts quartiers. Alors je continue de faire ce que je fais, même si pour certains c’est ignoble de vendre son cul pour un paquet de billets verts. Ça paie mes études, et une partie des factures, le reste, je m’en fous. ∞ À vingt et une heures, je me prépare pour le boulot. Je sors une jupe en cuir de mon armoire, et un dos nu, que j’enfilerai sur place. Je file dans la douche, le cœur lourd, l’estomac noué. Je devrais être habituée, après tout ce temps passé au Club, pourtant je ne le suis toujours pas. Sentir des mains rugueuses de purs inconnus sur notre corps n’a rien de sensuel ; se déhancher et leur offrir des orgasmes simulés n’a rien de trépidant. J’ai l’impression que ma vie ne changera jamais, que je suis condamnée à vivre ainsi, jonglant entre le club et la fac. Et si je finissais comme Carla ? Pas que je déblatère contre mon amie, loin de là. Mais me prostituer jusqu’à la fin de mes jours pour nourrir mon gosse m’est inenvisageable, alors que pour elle, c’est simplement le cours de la vie. Vivre. Mais vit-on seulement ? Je ne pense pas non. Nous respirons ces nuages de pollution par habitude, nous avançons dans la rue parce que la menace y est toujours présente, nous nous levons chaque matin parce qu’il faut bosser pour payer, pour manger, pour crever, au final. Mais nous ne faisons que de survivre dans l’unique but d’atteindre le rêve que beaucoup ont : partir d’ici. Mon rêve, le leur, celui de tout un chacun. Je coupe l’eau, après m’être lavée en vitesse et m’enroule dans une serviette de bain. D’une main, j’efface la buée qui a condensé sur le miroir et soupire. Je ne suis pas moche, mais pas non plus un canon de beauté. On va dire que physiquement, rien ne me plaît ni me déplaît chez moi, c’est déjà ça. Comme quoi la pourriture intérieure ne se voit pas toujours. Je suis juste une nana vide de sensation et d’émotion, que la vie n’a pas épargnée. Ne rien ressentir ? C’est devenu mon créneau. Je suis un automate, rien d’autre. Je renaîtrais lorsque je serais ailleurs, loin d’ici et que de s***r des bites durant des heures ne sera plus mon métier. ∞ — Alors beauté, en retard ? Je jette mon sac sur le banc devant les casiers et l’ouvre, en répondant à Carla : — Ouais, il y a un truc bizarre qui m’est arrivé. — Quoi ? Je sors une robe rouge de mon sac et la montre à mon amie, d’un œil sceptique, presque noir. — Avant de venir, j’avais préparé une jupe et un dos nu. Je les ai posés sur mon lit et je suis allée me doucher. En revenant dans ma chambre, il y avait cette robe sur mon lit. — Montre. Elle prend la robe tandis que je détache mes cheveux avant de les démêler de mes doigts. — Elle est canon en tout cas. Sexy aussi. — Mais pas à moi ! paniqué-je. Carla fronce les sourcils, et je me déshabille. — Je pensais avoir des hallucinations, parce que cette nuit, j’ai cru voir un homme ou une forme humaine dans ma chambre. Mais quand j’ai allumé, il n’y avait rien, ni personne. Et là ? Une robe apparaît mystérieusement sur mon pieu ! Je deviens folle ou quelqu’un s’introduit chez moi ? — C’est glauque, me répond-elle en me rendant la robe que je m’empresse de mettre. Il y avait un mot avec ? — Juste un papier genre post-it. — Et ? Elle remonte la fermeture éclair dans mon dos en même temps que je tire sur le bas tant elle est courte, et je me demande si j’ai bien fait de l’enfiler pour ce soir. — Rien, juste un « A ». — Un « A » ? — Ouais, juste cette initiale de merde qui ne veut rien dire. — « A » comme Amyliana ? — Peut-être, mais ça reste super glauque et je n’aime pas ça… — Peut-être un admirateur qui a voulu te faire un beau cadeau ? Je la regarde, estomaquée, mais grimace. — Je ne pense pas non. Faut que j’y aille ou Ernie va me tomber dessus.
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