VI (6)« Romeo, génial Seigneur-Général…
— ®Vous ®ne ®parlez ®pas ®respectueusement ?
— Pas dans mon bureau.
— ®Comment… ?
— … se fait-ce ? Ne parle respectueusement qu’en public. Et seulement si tu veux être glorifié par…
— … ®le ®Tout-®Puissant…
— … voilà.
— Que pensez-vous de mes actes… martiens ?
— Tu as été très téméraire. Cet académicien était un félon, tu as bien fait de le tuer.
— Pouvez-vous m’en dire plus à son sujet, Maître ?
— Il préparait une révolution martienne, soutenue par les ouvriers.
— Ce n’était donc pas une prise d’otage.
— Bien sûr que non. Il fallait mater dans l’œuf cette révolte. Qui sait comment tout cela aurait fini, hum ?
— Je préfère ne pas imaginer.
— Attitude fort sage.
— Son poste est désormais vacant.
— Non. Je te nomme Ministre plénipotentiaire. Dès qu’un Académicien ou un ministre décède, tu prends sa place. Tu cumuleras donc bon nombre de fonctions.
— Je vous remercie, Maître.
— Et je fais de toi mon secrétaire-particulier, également. Tu as encore beaucoup à apprendre.
— Mille mercis, Maître.
— Allons, allons, Romeo, allons… Antinoüs a organisé une orgie en ton honneur. Sois à la hauteur !
— Je me montrerai digne, Maître. »
Dans la Salle orgiaque aux mille couleurs, les convives se comptent par centaines…
« Antinoüs, le mari de toutes les femmes, la femme de tous les maris !
— (rires académiques)
— Gloussez, chers Académiciens, gloussez comme il vous plaira.
— Quelle femme n’avez-vous point encore baisée ?
— La vôtre, si mes souvenirs sont bons…
— s****d, gentil s****d !
— Dites-lui de m’attendre encore une semaine ou deux…
— Saleté de pédéraste !
— Et, concernant les hommes, Antinoüs ?
— Plaît-il ?
— Quel est celui qui manque à votre collection ?
— Le Grand Académicien, hélas.
— Ce sera difficile…
— Malheureusement vrai. Il préfère les valets.
— Des rumeurs, Antinoüs, ce ne sont que des rumeurs…
— Point de rumeur, mon cher. Vérité, vérité.
— En Océanie, vous n’êtes pas comblé ?
— Je le suis jusqu’à la prochaine rencontre.
— Voilà notre homme !
— Vous aussi, vous couchez dans son lit ?
— Antinoüs… »
Romeo Styx, vêtu de son costume de cérémonie, digne d’un antique et authentique général romain cuirassé, le corps entièrement épilé, luisant, le port altier, la démarche assurée, saluant les divas se pâmant à chacun de ses pas, saluant les damoiseaux le hélant, observant les couples, souvent mixtes, se lovant dans quelque drap richement brodé, debout, par terre ou suspendus par toutes sortes de cordages, quand d’autres se massent érotiquement à l’aide d’onguent, arrive près d’Antinoüs.
« ®Veni, ®vidi, ®vici.
— Bravo, Seigneur-Général !
— Excellent, mon cher ex-disciple !
— Superbe, ô mon Roméo !
— Merci, mes amis.
— Quelle chaleur il devait y avoir.
— À la limite du supportable, en effet.
— Seigneur-Général, une signature pour mes sœurs et moi, s’il-vous-plaît ! ! !
— Bien sûr… voilà.
— Merci ! ! ! Oh ! Il est trop beau-eau-eau ! ! !
— Ah, ces divas ! Il n’y en a pas, sur Mars ?
— Je ne sais. À vrai dire, je n’ai pas pensé m’y distraire.
— Romeo est bien trop sérieux…
— Prenez exemple sur lui, Antinoüs.
— Tu mérites une fessée, vilaine !
— Non mais euh, ça va pas ? !
— Seigneur-Général, avez-vous localisé le patron de la Police Robotisée pour la Prévention du Crime ?
— Non, hélas.
— Cet homme, humain ou robot, est décidément un expert dans l’art de la furtivité.
— J’ai mobilisé des troupes dernièrement, sans succès.
— Je vous crois, Seigneur-Général.
— Il peut être dangereux.
— N’ayez crainte, chers confrères, les Humanibis sont invincibles.
— Ne soyez pas aussi sûr de vous, Seigneur-général. Un meurtrier obstiné n’a peur d’aucun mur.
— Ce n’est pas un mur qu’il trouvera, mais des millions de canons !
— De quoi mourir épuisé…
— Antinoüs !
— Désolé, je vais aller voir les divas. Cela vaut mieux.
— Seigneur-Général ?
— Oui ?
— J’ai appris qu’un académicien se fournit au marché noir.
— Rumeur ?
— Je ne sais.
— Le marché noir est au Comptoir de la Lune.
— Oui.
— Il est donc hors de notre juridiction.
— Mais un Académicien demeure un Académicien.
— En quoi se fournit-il ?
— En armes.
— Qu’en fait-il ?
— Soit il les revend sur Mars…
— Soit ?
— … soit il prépare un coup d’État.
— Je ne suis guère avancé.
— L’information est de première urgence.
— Je devrais mobiliser les Humanibis sur la base de telles allégations ?
— Oui, Seigneur-Général.
— Et ma réputation, si c’est un canular ?
— Et votre réputation, si c’est un triomphe ?
— …
— Alors ?
— Cela mérite réflexion.
— La meilleure défense…
— … c’est l’attaque.
— Et vous avez prêté serment, sur votre honneur, à la vie, à la mort, ne l’oubliez pas.
— J’en parlerai au Grand Académicien.
— Sage décision.
— D’ici là, n’en parlez à personne…
— Promis.
— … ou je vous tuerai, vous aussi. »