Préambule, le samedi 6 décembre 2008Comme d’habitude, la Vieille-Ville était noire de monde. Marlène était en retard. La course des femmes était déjà lancée. Puisqu’elle avait manqué sa sœur en haut du Bourg-de-Four, elle parviendrait sans doute à la voir juste avant la Tertasse. Comme beaucoup d’habitués, elle connaissait toutes les astuces pour se faufiler entre les vieux murs.
En débouchant vers le haut de la place du Grand-Mézel, elle vit qu’elle n’était pas la seule à avoir eu cette idée. La foule s’était agglutinée en dessous de la fontaine. La catégorie en piste était celle des femmes IV, V et VI, les coureuses les plus âgées. Ce n’était pas forcément pour elles que le public venait, mais surtout pour les deux catégories à venir, les Elite femmes suivies des Elite hommes, deux moments « phares » de la compétition.
Sa sœur courait bien, mais loin derrière les championnes. Elle réussirait sans doute à la voir. Et si ce n’était pas pour ce tour, ce serait pour le suivant. Elles avaient choisi quelques endroits stratégiques, afin que celle qui courait puisse interpeller ses proches. Parce que, au sein du public, il était extrêmement difficile de repérer les siens…
En contournant le bassin en pierre de taille, Marlène perçut un gémissement. Une femme en tenue de course rose s’appuyait des deux mains au bord du bassin. Blême. Encore une qui avait voulu dépasser ses limites… Elle avait peut-être abandonné pendant la première course des femmes qui avait eu lieu un moment plus tôt. La malheureuse prenait à présent de l’eau dans ses mains et s’en inondait le visage. Elle devait avoir une trentaine d’années.
Marlène se dirigea vers elle. La fille respirait par à-coups, elle paraissait avoir de la peine à se tenir debout.
– Je peux vous aider ? demanda Marlène en posant doucement sa main sur le dos de la jeune femme.
– Je ne…peux…plus…souf..fler.
Elle se laissa tomber et se recroquevilla sur le sol.
– Allons, allons, vous avez fait un gros effort, mais ça va passer… tenta de rassurer Marlène en cherchant des yeux un commissaire de course qui pourrait appeler les secours…
Plusieurs personnes s’étaient retournées et regardaient la scène, sans pour autant apporter leur aide.
La fille en rose eut un haut-le-cœur bruyant et se mit à vomir. Marlène recula, dégoûtée.
D’autres personnes eurent le même réflexe et le cercle s’agrandit.
C’est à ce moment qu’une femme, également en rose, fendit la foule et se précipita vers la malheureuse. Elle se pencha, chuchota quelques mots, lui mit la main sur le ventre.
Marlène eut l’impression que la malade tentait de repousser la nouvelle venue…
– Il faut peut-être la laisser tranquille, osa Marlène. Elle fait un malaise…
– Je sais, c’est ma cousine, elle fait souvent des crises comme ça, répondit la coureuse en aidant la malade à se mettre debout avec une certaine brusquerie. Je vais m’occuper d’elle.
Avisant les dossards des deux filles, Marlène put enfin mettre un prénom sur chacune.
– Ecoutez, Catherine, tenta-t-elle, d’un ton apaisant, je crois vraiment qu’elle ne se sent pas bien. Ne voulez-vous pas que j’appelle les secours ?
Elle perçut alors une voix rauque qui siffla : « Mêlez-vous de vos affaires ! »
Résignée, Marlène fit un pas en arrière pour les laisser passer. Le reste du public s’était déjà détourné de la scène. Elle se retrouva seule et la dernière chose qu’elle vit fut le regard désespéré de la jeune femme qui se laissait ainsi emmener et dont la bouche silencieuse prononça un ultime « Au secours ! »…
PREMIÈRE PARTIESEPTANTE-QUATRE JOURS PLUS TÔT