Catherine, le 23 septembre 2008

757 Words
Catherine, le 23 septembre 2008Pourquoi ressentir comme une évidence que ce voyage à Genève serait à sens unique ? Au moment où l’A330 amorçait sa descente vers Cointrin, je fermai les yeux. L’appareil traversait les nuages, légèrement ballotté. Je n’étais pas revenue dans ma ville natale depuis des années. Il avait fallu la mort de mon père, quelques jours plus tôt, pour que ma tante Danielle cherche à me joindre et exige que je vienne « prendre mes responsabilités ». L’enterrement avait déjà eu lieu. On allait me reprocher mon absence encore longtemps. Mais il y avait la maison, tout ce que Papa possédait encore et qui allait me revenir. Après la fuite de Maman, au lieu de se rapprocher de lui, je m’en étais éloignée. Aujourd’hui, j’en étais consciente. Il avait fait de moi sa princesse et je l’avais laissé mourir seul. – Il faut redresser votre siège, madame. Autour de moi, on s’agitait. Les passagers, après une nuit dans l’avion, se réjouissaient de retrouver la terre ferme, de respirer. Pour moi, cet atterrissage signifiait-il véritablement une libération ? Rester dans l’avion, n’était-ce pas continuer à s’abriter dans le passé ? Ne rien affronter ? * * * J’avais quitté New York très vite, avec un peu trop de bagages pour une visite de politesse mais pas assez pour un départ définitif. Ces deux derniers mots m’obsédaient d’ailleurs depuis quelque temps. J’avais souvent évité mon mari et j’avais quitté notre maison sans lui dire au revoir, par superstition. Ne pas prononcer les mots, c’était ne pas entrer en matière… L’ultimatum arrivait à son terme, je le savais bien. Steve m’avait donné trois ans. Trois ans pour lui faire un enfant. Ou tout perdre. Je connaissais parfaitement les clauses du contrat. Un enfant, c’était la sécurité, l’éternelle reconnaissance de Steve et de sa famille, le confort, la fortune. Mais un enfant, c’était aussi la fin de la liberté, la gestion de sentiments inconnus, dont je n’avais pas envie, une forme de dépendance que je détestais par avance et surtout – surtout ! – un don de soi ou plutôt de mon corps que je n’étais pas prête à faire. Un enfant devait être le fruit d’un élan, d’un besoin et non l’expression d’un statut ou d’une convention sociale. Un enfant ne m’apporterait rien. Mais Steve, les parents de Steve, la fortune de Steve ne s’accommodaient pas de ce point de vue. Avec vingt ans de plus que moi, Steve avait beaucoup moins de patience. Cet homme avait pourtant toujours été à mes pieds. Notre rencontre, il y a dix ans, tenait du conte de fées. J’avais 23 ans. Wilson, 43 ans, faisait alors la Une des magazines les plus cotés. Il enseignait vaguement, écrivait un peu et sortait beaucoup. Il était promis à un avenir bardé de dollars, puisque son père lui céderait un jour les rênes d’un empire textile énorme. C’était l’homme qu’il me fallait. A l’époque de nos fiançailles, on nous voyait partout. Nous formions un couple glamour dont les médias ne se lassaient pas. Mes origines américaines, côté maternel, agrémentaient encore la fable. « Grande, mince, les cheveux blonds cendrés, les yeux verts, “Katie” Wilson symbolise l’icône idéale pour un héritier en mal de descendants » avait osé écrire un journaliste. Amoureux fou, Steve Wilson n’avait toutefois rien brusqué. Il avait patiemment attendu que je fasse de lui un père, sans jamais être exaucé. Le jour de ses 50 ans, alors qu’une immense garden-party réunissait dans notre propriété les habituelles personnalités riches, influentes et pique-assiettes, Steve m’avait prise à part. J’ai cru qu’il m’annoncerait une surprise, un voyage, comme il le faisait souvent. Mais il avait un air sombre : – Si j’ai 50 ans aujourd’hui, avait-il commencé, tu es entrée dans ta trentième année. C’était donc ça ! Un cadeau qu’il prévoyait pour moi… – Il est temps que tu me fasses un enfant. – Là, tout de suite ? avais-je essayé de plaisanter. Mais Steve ne souriait pas. – Tu as trois ans pour le faire. Après, ce sera trop tard. – Pour toi ou pour moi ? dis-je encore en souriant. – Pour nous. La dureté de son regard m’avait déstabilisée. J’avais tendu vers lui une main qui se voulait affectueuse, mais qu’il ne prit pas. Pour la première fois depuis notre rencontre, Steve ne cédait pas à mon charme. On ne s’imagine pas comme c’est perturbant… Il avait l’air si grave, que je l’ai pris au sérieux. Je crois que j’ai balbutié un truc comme : « Je vais y réfléchir. » C’est tout juste s’il ne m’a pas donné une petite caresse comme on le fait à un chien bien obéissant avant de le réexpédier à sa niche. Moi, il me renvoya à nos invités et on ne reparla plus jamais de cet ultimatum. Quelques minutes plus tard, au milieu de la fête, Steve était redevenu l’adorable mari que tous connaissaient. Mais je n’avais pas oublié, j’avais juste repoussé l’échéance. Or Steve fêterait prochainement ses 53 ans et le délai serait échu. Lorsque l’avion toucha le tarmac, les passagers furent un peu secoués. A Genève, j’allais avoir une autre histoire douloureuse à gérer.
Free reading for new users
Scan code to download app
Facebookexpand_more
  • author-avatar
    Writer
  • chap_listContents
  • likeADD