"L’Héritier du Pacte"

Point de vue : Héroïne Je n’ai jamais aimé les miroirs. Pas parce qu’ils me renvoient une image que je déteste… au contraire. On me dit souvent que je suis belle. Trop belle, même. Mais cette beauté, je ne l’ai jamais choisie. Elle attire les regards comme un piège, elle donne aux gens des idées… et aujourd’hui, elle me condamne. Mon reflet me fixe, drapé dans une robe blanche qui ne m’appartient pas. C’est ma mère qui l’a choisie, pas moi. Les dentelles sont fines, la jupe tombe parfaitement… mais j’ai l’impression de porter un déguisement. Mes mains tremblent sur le tissu, comme si elles savaient que ce mariage n’a rien de romantique. — Tu es magnifique, murmure ma mère derrière moi. Magnifique. Le mot tombe lourd, presque amer. Elle me regarde avec fierté, comme si elle venait de me façonner de ses mains, prête à être livrée à celui qu’ils ont choisi pour moi. Aujourd’hui, à dix-huit ans, je vais épouser Liam Varnell. L’élève le plus envié de mon lycée. Riche, populaire, toujours tiré à quatre épingles… et aussi distant qu’un mur de glace. Il a tout ce que je n’ai pas : l’argent, la liberté, l’assurance. Et il a aussi quelque chose que je n’ai jamais voulu… moi. Ce mariage n’est pas un choix. C’est un pacte vieux de plusieurs décennies, scellé par deux vieilles femmes qui s’aimaient comme des sœurs : ma grand-mère, et celle de Liam. Elles avaient juré que leurs familles seraient unies, que leur sang se mélangerait, pour « préserver un lien éternel ». Romantique ? Non. C’était juste un marché déguisé en promesse. Et aujourd’hui, je suis la marchandise. Mon père frappe doucement à la porte et entre, vêtu d’un costume qu’il ne portera sûrement plus jamais. — C’est l’heure, dit-il simplement. Ses yeux évitent les miens. Je comprends. Il sait qu’il m’offre à un avenir que je n’ai pas choisi, mais il ne dit rien. Peut-être parce qu’il croit à cette promesse d’une vie meilleure. Peut-être parce qu’il se ment à lui-même. --- La cérémonie a lieu dans le jardin immense de la maison Varnell. Les fleurs blanches sont alignées avec une précision militaire, et des rangées de chaises dorées attendent les invités. Le soleil tape fort, mais je sens un frisson dans mon dos. Liam est là, au bout de l’allée. Costume noir sur mesure, sourire poli figé sur ses lèvres. Ses yeux, d’un gris métallique, me balayent comme on observe un objet avant de l’acheter. Je le connais depuis l’enfance. Ses parents emploient les miens depuis cinq ans, comme personnel de maison. Je l’ai vu grandir, et lui aussi. Mais il y a toujours eu cette distance glaciale entre nous. Ce sourire de façade, et cette lueur dans son regard… une lueur qui me mettait mal à l’aise. Je marche vers lui, chaque pas résonne comme un coup de marteau dans ma tête. Les invités nous observent, ravis de cette « belle union ». Personne ne sait, ou personne ne veut savoir, que derrière mon sourire forcé, il y a un gouffre. Le prêtre parle, les mots se mélangent dans mon esprit. « Honneur », « fidélité », « amour éternel »… des promesses qui ne sont pas les miennes. Quand il me demande si j’accepte de prendre Liam pour époux, ma gorge se serre. — Oui, dis-je, presque inaudible. Liam répond avec assurance. On nous déclare mari et femme. Il prend ma main, l’embrasse… et dans ce contact, il y a déjà quelque chose de froid, de calculé. Ce n’est pas un b****r, c’est un sceau. Le pacte est scellé. --- La réception est somptueuse. Des tables recouvertes de nappes blanches, des plats que je n’ai jamais goûtés, des invités qui rient et trinquent. Liam est parfait. Charmeur, souriant, racontant des anecdotes à tout le monde. Il joue son rôle à la perfection. Pourtant, chaque fois que ses yeux croisent les miens, son sourire disparaît. Il me scrute comme un propriétaire qui évalue son bien. Et plus la soirée avance, plus je sens une tension sourde grandir en moi. Vers la fin, il s’approche, pose sa main sur ma taille et se penche à mon oreille. — Souris, ma femme. Les gens nous regardent. Je m’exécute. Mais dans son ton, il n’y a rien de tendre. C’est un ordre. --- La nuit tombe. Nous montons dans sa voiture de luxe, direction la villa. Je n’ai pas dit un mot depuis le départ. Il conduit vite, le visage fermé. Arrivés devant la maison, il coupe le moteur et reste silencieux quelques secondes. — Tu sais pourquoi tu es ici, n’est-ce pas ? dit-il enfin. Je fronce les sourcils. — Parce que nos familles… — Non. Parce que tu m’appartiens maintenant. Le ton est sec, tranchant. Mon estomac se noue. J’entre dans cette maison en sachant que je laisse quelque chose derrière moi : ma liberté. Cette nuit-là, je comprends que mon mariage n’est pas un conte de fées. C’est une cage dorée. Et Liam tient la clé.