Chapitre 3 – Le Point de Rupture

741 Words
Je croyais avoir déjà connu le pire. J’avais tort. Ce soir-là, il pleuvait fort. Les éclairs illuminaient les vitres de notre chambre, et le tonnerre couvrait presque le bruit de la porte qui s’ouvrait. Liam entra, trempé, ses cheveux collés à son front. Mais ce qui me glaça le sang, ce ne fut pas l’eau qui ruisselait sur lui… c’étaient ses yeux. Gris, froids, déterminés. — Debout. Ma voix hésita : — Liam… il est tard, je… — J’ai dit debout, Alina. Il ne criait pas. Il n’avait pas besoin. Ce ton bas, sec, me faisait plus peur que n’importe quel hurlement. J’obéis. Il s’avança, retira sa veste trempée, et la laissa tomber au sol. L’odeur d’alcool et de pluie se mêlait à celle, métallique, que je reconnaissais trop bien : le sang. — Qu’est-ce que… — Tais-toi. Ses mains se sont posées sur mes épaules, pas doucement. Ses doigts ont glissé jusqu’à ma gorge, pressant légèrement, juste assez pour m’empêcher d’avaler ma salive. — Tu n’es toujours pas enceinte, m’a-t-il dit en me fixant. Tu comprends ce que ça veut dire ? Je savais. Et je savais aussi que tout ce que je pourrais dire ne changerait rien. Il m’a poussée vers le lit. Les éclairs illuminaient la pièce par à-coups, dessinant des ombres sur ses traits durs. Il a sorti quelque chose de la table de chevet : des menottes en cuir. — Ce soir, on règle ce problème. Le cuir froid a enserré mes poignets. Il n’y avait pas de passion dans ses gestes, juste une mécanique brutale. Chaque fois que je tournais la tête, sa main me ramenait de force vers lui. Je sentais chaque mouvement, chaque poussée, comme un coup porté à ce qui restait de moi. Il ne s’arrêtait pas. Il revenait encore et encore, comme s’il voulait effacer toute trace de résistance en moi. Quand il a enfin quitté la pièce, je suis restée attachée quelques minutes, immobile, à écouter le bruit régulier de la pluie. Mon corps tremblait, mais pas de froid. Mon esprit, lui, avait cessé de lutter. --- Je me réveille avec la sensation d’une brûlure diffuse sous la peau, comme si mon corps s’était couvert d’ecchymoses invisibles. La chambre est encore plongée dans une pénombre bleutée, trop propre pour être vraie, trop calme pour être honnête. Les rideaux lourds filtrent une lumière timide, la moquette absorbe mes pas, et je déteste ce silence qui fait résonner en moi la nuit que je voudrais oublier. Je m’assois. L’air morde mes côtes. Mes poignets gardent l’empreinte fantôme de ses mains. Liam dort, étendu sur le dos, le torse nu, le visage impassible comme un marbre sculpté. Il a cette beauté qui ne pardonne rien. Un ange façonné pour régner et punir. Ma cage dorée respire à son rythme. Je glisse hors du lit. Mes pieds trouvent le tapis chauffant et, par réflexe, je lisse les draps, effaçant les plis, effaçant les preuves, effaçant… moi. Dans la salle d’eau, je me passe de l’eau froide sur le visage. Mon reflet a des yeux gonflés, la bouche craquelée. Je pince mes joues pour réveiller un peu de couleur. “Tiens-toi droite, Alina. Respire. Obéis.” Les mots de la veille tournent encore comme des clous. Aujourd’hui, je dois préparer le repas pour toute sa famille. Dans le dressing, je choisis une robe simple, noir profond, col discret, manches longues. Un cordon serre ma taille — assez pour marquer la silhouette, pas assez pour m’étouffer. Mes cheveux, je les attache en une queue lisse, sans un fil qui dépasse. Si je m’efface suffisamment, peut-être qu’on ne me verra pas saigner à l’intérieur. Dans la cuisine, la brigade est déjà au travail. Mais “aujourd’hui, c’est toi”, a dit Liam hier, sa bouche à mon oreille, son ordre murmuré comme une promesse qu’on ne discute pas. Alors j’avance vers le plan de travail. Les domestiques baissent les yeux et reculent d’un pas. Ils connaissent les règles. Ils savent que la nouvelle épouse doit prouver qu’elle sert. Je dresse les ingrédients : viande marinée, herbes fraîches, légumes taillés au millimètre. Le couteau pèse entre mes doigts. À chaque tranche nette, j’essaie de découper un peu de ma peur. Les casseroles s’animent, l’huile frémit, la vapeur s’accroche à ma peau. Je cale les temps, surveille les sauces, rectifie le sel, anticipe les appétits des Varnell. Ils aiment quand la table raconte qu’on s’est agenouillée pour eux.
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