Chapitre 10-2

2153 Words
— Maintenant que tu me le dis, si. Tu devais être en train de traquer nos chers brigands. — Il ne s'est pas présenté au moment prévu pour partir. Bonneau avait froncé les sourcils. — Voilà qui ne lui ressemble guère. Alors tu penses… —… qu'il a aperçu Tristan s'enfuir et qu'il l'a suivi pour ne pas le laisser seul sur les routes. Bonneau était resté un instant songeur avant de conclure : — Ta déduction va ravir Sérain. Son fils à la merci des dangers pour rattraper mon petit-fils… Tu n'as pas l'impression que les catastrophes s'enchaînent ? Le vieil homme s'était redressé et avait frotté les mains sur son pantalon, son geste répétitif trahissant sa nervosité. — Je crois que nous devons prévenir le roi. Plus vite, il aura manifesté son mécontentement, plus vite, nous pourrons agir. — Je pense inutile de s'inquiéter plus que de raison. Sekkaï possède une monture rapide. Il n'a pas dû mettre beaucoup de temps à rejoindre Tristan. Avec un peu de chance, ils seront revenus tous les deux avant même que nous ayons dépêché des soldats pour les rechercher. — J'espère, avait soupiré Bonneau. Bon, allons voir Sérain. Aubin s'était légèrement crispé. Le roi n'appréciera pas du tout la situation actuelle et ses ordres résonneraient bientôt dans les moindres recoins du château. Effectivement, une fois la nouvelle connue, Sérain avait promptement réagi. Aubin avait bien tenté de rationaliser les circonstances, mais le souverain ne l'avait pas entendu de cette oreille. Il envisageait d'envoyer un groupe d'hommes au plus vite quand Lomaï avait débarqué dans la salle de réunion. — Bonjour, messieurs. Désolée de vous déranger, car vous me paraissez bien occupés, voire préoccupés. Elle avait jeté un coup d'œil surpris vers Aubin qu'elle croyait parti avant d'ajouter : — Je cherchais Merielle. L'un d'entre vous l'aurait-il aperçue ? — Elle doit s'amuser avec Naaly, avait hasardé Bonneau, la crainte au cœur que la loi des séries ne le poursuivît de ses effets pervers. Il ne manquerait plus que sa petite fille eût entraîné son amie dans une histoire contestable. — Où seraient-elles ? avait insisté Lomaï. Un silence profond avait accueilli sa question. — Bon, les garçons, c'est le moment de tout me dire, car, là, clairement, vous me faites des cachotteries dont je ne vais pas apprécier la teneur quand je les découvrirai. Alors ? Sous le regard de Lomaï devenu subitement dur, Sérain s'était incliné. — Sekkaï a disparu. Les traits de la reine s'étaient aussitôt décomposés. Puis Lomaï s'était ressaisie pendant que son époux poursuivait : — Tristan s'est enfui et notre fils semble parti le rechercher. Je m'apprêtais à dépêcher quelques soldats pour les ramener au plus vite. — Et tu crois que Merielle et Naaly les auraient suivis ? La question de Lomaï stupéfia tout le monde. Non, aucun d'entre eux n'avait envisagé cette possibilité. Cependant, présentée ainsi, cette éventualité leur avait paru d'une évidence folle. Bonneau s'était senti totalement anéanti, n'osant imaginer le pire si ses deux petits-enfants étaient responsables à eux seuls de tout ce bazar. Il connaissait les risques de plus en plus élevés des escapades dans la forêt, d'autant plus que les méfaits de la b***e organisée se rapprochaient régulièrement d'Avotour. — Pour le moment, nous ne possédons aucune certitude à ce sujet. Autant vérifier immédiatement dans les chambres des filles que leurs affaires n'ont pas bougé. Dès que nous disposerons de ces informations, nous enverrons une escorte aussitôt pour retrouver ce petit monde en vadrouille, en espérant que nos deux demoiselles aient emprunté la même direction que les garçons. Par les fées, mes soldats ont intérêt à leur mettre la main dessus ! — Bonneau, pourquoi Tristan serait-il parti et vers où ? demanda Lomaï. — Je crois que, voulant rejoindre son père et Hang, il s'est orienté vers la forêt de Trérour. Naturellement, pourquoi fuir le danger quand il était possible de foncer droit dedans ? — Sérain, je pourrais accompagner nos hommes si vous le souhaitez, avait proposé Aubin. — Pas encore. Je leur laisse une chance de rentrer penauds au bercail, sinon je lancerai les chiens derrière eux ! Derrière la colère perceptible de Sérain, à peine voilée, perçait en parallèle sa grande détresse à imaginer ses enfants seuls dans cette forêt de plus en plus périlleuse. Alors que le groupe s'était dispersé, Lomaï avait rappelé Bonneau dans le couloir. — Ne me raconte pas d'histoires, s'il te plaît, nous nous connaissons depuis trop longtemps, j'ai bien vu ta tête et les inquiétudes que tu ressentais. Je n'ai pas encore réfléchi à ce qui s'était produit avec Aila, mais, étrangement, j'ai l'impression que tous ces événements sont imbriqués les uns dans les autres. Explique-moi… — Viens, descendons dans le jardin. Une fois dans la cour intérieure du château, quelques souvenirs avaient resurgi dans la mémoire de Lomaï. — C'est ici qu'Aila a découvert ma liaison avec Sérain. Elle a dû nous surprendre alors que nous nous embrassions, ce qui était vraiment, je dois l'avouer, fort imprudent de notre part. La reine avait émis un petit rire. — Toutes ces années écoulées, presque vingt ans d'un amour partagé et deux enfants que j'aime plus que moi-même et qui, pourtant, n'auraient pas dû naître. Je ne veux pas les perdre, Bonneau… Je dois comprendre la raison qui a pu les entraîner sur ce chemin risqué. Le vieil homme avait cherché ses mots, conscient de ne pas tout savoir lui-même. — Tristan a déjà échappé à Pardon une fois parce qu'il désirait retrouver sa mère et qu'il croit dur comme fer qu'il est le seul à le pouvoir. — Et tu en penses quoi ? Bonneau haussa les épaules. Le couple s'installa sur un banc. — N'empêche que ce petit bonhomme m'a paru terriblement convaincant quand, même confié à ma garde, il a voulu se faire la belle. Je ne cesse de me dire que j'aurais dû l'écouter, avait poursuivi le grand-père. — Pourquoi ? — En premier, en raison de son hérédité, Tristan ne peut être un enfant comme les autres, même si tout le monde en semble persuadé. Autour de lui, le silence s'exprime de façon si intense et, pourtant, personne ne s'en occupe, comme s'il choisissait de ne pas être visible. As-tu observé ses yeux ? Tu y plonges un instant de trop et tu te laisses happer par ses prunelles encore plus noires que celles de sa mère, profondes à s'y noyer, dans lesquelles je décèle une pureté et une intransigeance identiques. Ma remarque va te paraître invraisemblable, mais je découvre tous ces faits au fur et à mesure que je te les raconte, comme si j'avais attendu seulement maintenant pour le réaliser. Alors, quand ce garçon me fixe avec le même regard qu'Aila et m'affirme : « Je dois partir la chercher », j'entends Aila m'assener une incontournable vérité. Or, je n'ai jamais empêché ma fille d'agir à sa guise, je lui ai toujours accordé ma confiance. Pourtant, à lui, j'ai dit non, et je le regrette encore. Comme je l'aurais fait pour sa mère, j'aurais dû croire ce qu'il me déclarait. Si j'avais suivi mon cœur, nous n'en serions probablement pas là… — Personne et toi, pas plus que les autres, n'aurait pu deviner que cette histoire tournerait ainsi. Tu n'es en rien responsable. Et le rôle de Naaly dans tout ça ? Bonneau avait poussé un soupir. — En ce moment, elle ne sait pas quelle bêtise inventer pour se faire remarquer… J'ignore ce qu'elle cherche, une bonne paire de taloches ou une personnalité pour l'amener à fléchir. En tout cas, elle manque totalement de discernement, mais, c'est l'âge, il faut juste attendre que ça passe, tout simplement. Tous les deux sont de braves enfants qui traversent peut-être une période plus compliquée que d'habitude. — À cause d'Aila ? — Parti depuis quelques mois d'Antan, je ne suis pas au courant des derniers événements qui ont pu se dérouler ni de quelle façon la situation se serait dégradée. A posteriori, malheureusement, je regrette de ne pas être resté. — En raison de ta hanche… Surpris, Bonneau avait levé son regard vers Lomaï. — Tu sais ? — Je crains, mon cher Bonneau, que nul n'ignore les petits soucis que ta santé rencontre, mais, crois-moi, je suis la seule assez impolie pour t'en parler. Bonneau avait esquissé un sourire. — Tu me rappelles Aila dans ses bons jours… Lomaï avait éclaté de rire. — Je vais prendre ta remarque pour un compliment ! Redevenue sérieuse, elle avait ajouté : — Si je pouvais comprendre ce qui arrive à mon amie, peut-être pourrais-je l'épauler dans ce moment difficile… — C'est également ce que je souhaiterais de toute mon âme… Comment un père pouvait-il aider sa fille qu'il aimait ? Déjà en récupérant sa progéniture saine et sauve ! Le duo était resté silencieux, chacun plongé dans ses propres réflexions. Longue nuit en perspective si les petits n'étaient pas revenus avant sa venue… Lomaï ne parvenait plus à dormir. Elle préférait presque, malgré la fatigue, cet état de veille qui lui évitait de multiplier les cauchemars. À partir du moment où un messager lui avait annoncé que ses enfants n'avaient pas encore été retrouvés, la peur s'était insinuée dans son cœur et ne la quittait plus. Depuis, tournant et se retournant, elle pensait à ce que sa vie deviendrait sans eux. Pendant un instant de faiblesse, elle s'était laissée aller à maudire Tristan et Naaly avant de se ressaisir. Parfois, certaines choses devaient arriver, inutile de chercher des responsables quand n'étaient en cause que des adolescents poussés par elle ne savait quelle folie. Pourtant, fils et fille de roi, les siens apparaissaient tout aussi fautifs. À leur décharge, leur éducation les avait préservés de tout, alors qu'elle, au même âge, vivait dans la misère, s'occupait de sa mère et combattait chaque jour dans la rue pour survivre. Ses enfants ! Son cœur se contracta avec une rare violence, et, suffoquant, elle s'assit sur le lit, tentant de se reprendre à nouveau. Les larmes au bord des yeux, elle se leva d'un bond, puis alluma une chandelle avant d'enfiler sa longue veste de velours. Ses pieds nus sur les pierres glacées du couloir, son bougeoir à la main, elle franchit en courant la distance qui la séparait de la chambre de son fils. Y pénétrant, elle se figea. Elle se souvenait de ces années où elle avait regardé son enfant grandir, plus lentement que la plupart des garçons, elle aurait pu le rassurer, mais elle n'en avait pas eu besoin, Sekkaï avait vécu ce léger décalage avec un profond détachement, sauf quand Naaly débarquait comme un tourbillon dans son existence, le poussant dans ses retranchements. Elle seule possédait cette imparable capacité à l'énerver. Puis, quand elle repartait, la vie de Sekkaï reprenait son cours tranquille. Si le prince ne pouvait que regretter la présence de la jeune fille, sa jumelle, elle, se réjouissait de son arrivée. Comment imaginer une amitié si solide entre deux personnalités aussi dissemblables, l'une aux allures de garçon manqué, provocatrice dans l'âme, et une autre qui se comportait en demoiselle sage et bien élevée ? Naaly dans l'existence de Merielle représentait un vent de folie, une façon brutale, mais appréciable de sortir de son cadre étriqué, un instant de liberté qu'elle ne rencontrait qu'auprès d'elle. Deux adolescents, si différents, les siens… Son ventre se contracta de douleur. Une larme vacilla sur le bord de son œil et commença à couler sur sa joue. D'un geste brusque, elle l'essuya. Il était trop tôt pour pleurer. Reprenant sa marche, elle se dirigea vers la chambre de Merielle, puis s'assit sur le lit, posant le bougeoir sur la table toute proche, se perdant dans ses souvenirs. Les jumeaux grandissaient si vite et, à deux en même temps plutôt que l'un après l'autre, tout semblait s'accélérer. Se mettant à trembler, elle resserra ses bras autour d'elle, mais rien n'y fit. Elle ne pouvait continuer ainsi, son ventre contracté, sa tête prête à exploser, emplie d'une insupportable souffrance qu'elle ne savait comment endiguer. Elle pensa à eux si fort que, cette fois, les larmes jaillirent sans qu'elle cherchât à les retenir. Son origine wallane n'y changea rien, leur rencontre avec les fées ayant abandonné en elle un impérissable souvenir, Lomaï lança son esprit vers elles et les supplia, si elles l'entendaient, de préserver ses enfants. Submergée par le chagrin, la reine éclata en sanglots. Enfin, ses pleurs taris, Lomaï se ressaisit, son cœur toujours empreint d'une insondable tristesse. Se tournant, ses yeux découvrirent l'aube sur le point de naître. À l'instant même, Sérain devait prendre de nouvelles dispositions pour rechercher sa descendance, sa présence auprès de lui serait inutile. Elle songea à se recoucher, mais retourner dans son lit pour se laisser envahir encore une fois par la peur et la souffrance ne la tenta pas. Attrapant sa chandelle, elle se redressa. Devant la porte, un sentiment bizarre s'insinua en elle… Elle haussa les épaules et ouvrit le battant, avant de se figer à nouveau. Non, quelque chose la tracassait. Mais quoi ? Levant sa lumière, elle observa la pièce avec attention. Elle avait dû rêver. Pourtant, sur le point de faire demi-tour, elle ne bougea pas. Décidément, quelque chose ne lui convenait pas. Elle recommença tout ce qu'elle avait fait depuis son arrivée dans la chambre, poser le bougeoir, s'asseoir sur le lit, tourner la tête vers la fenêtre, reprendre la chandelle pour repartir et ce fut à ce moment qu'à la périphérie de son champ de vision, elle entraperçut une petite tache claire qui émergeait du coffre, un petit coin, comme celui d'une… lettre ! Son cœur battant la chamade, elle s'agenouilla et s'escrima à récupérer l'objet de sa convoitise, bien coincé sous le meuble. Elle n'allait quand même pas se laisser ennuyer ainsi ! En désespoir de cause, le poussant de son épaule, elle parvint à tirer le vélin qu'elle distinguait à présent parfaitement. Une fois entre ses doigts tremblants, dans la lueur de la flamme, elle lut et elle sut. L'instant d'après, sans même songer à se changer, elle parcourait les couloirs et dévalait les escaliers en courant pour se rendre à la salle de réunion, le papier en main. Elle frappa et, sans même attendre de réponse, ouvrit le battant en grand. Elle clama :
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