Titre-1
Jean-François Rousseau
Eros Agora
Roman
© Lys Bleu Éditions – Jean-François Rousseau
ISBN : 979-10-377-0038-4
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La pluie repousse les rêves, je regarde tomber ces gouttes sans fin, sans espoir, sans chemin, sans but précis si ce n’est de s’écraser comme moi, triste similitude, lucide constat. À quarante-huit balais, il me reste l’insomnie, la pluie, et la nuit. C’est le moment où je ressens un semblant de calme, où je peux redevenir ce looser alcoolique et obsédé sans honte ni remords. Je m’affronte devant ces éléments qui n’ont rien à m’envier. Cet espoir de fin du monde me réconcilie avec moi-même, avec ce que je suis devenu par la force des choses, surtout par la force de ma libidineuse conviction. À travers cette boueuse clarté, j’aperçois mon visage défait, lice de n’être qu’une merde, sans relief ni contour, juste une infirmité sans forme ni fierté.
Sale période ! Je me dis. Spéciale, spatiale même tant elle est incontrôlée, bordélique, sans but ni dénouement, sans valeur réelle, formelle, officielle. C’est juste un marasme de l’âme, un ouragan psychologique, un tourbillon des sentiments, un tsunami émotionnel, l’idée fixe d’être un moins que rien, un laid perdant, une loque affreuse. J’ai depuis plusieurs mois cette incapacité à passer à autre chose, à positiver la moindre seconde. À vouloir respirer le meilleur, j’ai soufflé le pire, et c’est bien fait pour ma gueule. Comment une fille d’à peine vingt-quatre ans peut s’enticher d’un vioc du double de son âge, si ce n’est pour lui pomper un max de blé et en profiter plein gaz avant de le laisser sur le bas-côté de la route ?! Et dire que pour cette p*****e, j’ai laissé ma femme et mes enfants. Pas la peine de préciser qu’ils ne veulent plus entendre parler de moi par les temps qui courent, j’ai bien essayé, mais en vain. J’ai plaidé comme j’ai pu devant eux le démon de midi, le côté fulgurant des corps et non attirant des cœurs, mais rien n’y a fait.
J’ai tout essayé, même rampé comme une couleuvre soumise, pas une once de compassion ni de pardon. Je les comprends, je ne mérite pas de repentance, ils me le rendent au centuple et je le vaux amplement. Qui mériterait qu’on le relève alors qu’il a laissé les siens “K.O” debout ?! Personne ! Et certainement pas moi. Le pire, c’est que si j’arrivais à me dire qu’ils ont leur revanche ça voudrait dire que je compte encore un peu pour eux, mais c’est bien plus grave que ça. C’est de l’indifférence, du mépris à mon égard, pas un brin de jubilation devant mon malheur, juste aucune réaction, les portes sont restées closes comme les portables décrochés. Le coup le plus dur à encaisser fut le jugement du divorce il y a environ six mois, l’ironie du sort a voulu que ce soit au moment où ma p*****e s’est barrée !!
Ça fait plus de deux ans maintenant qu’ils m’ont soustrait à leur vie, période faste s’il en est pour moi, l’abruti que je suis fondant de faux espoirs auprès de ma p*****e au point d’acheter un appart, et de dilapider mon plan d’épargne entreprise comme un gros looser que je suis. Que d’épreuves depuis, mais c’est le divorce qui fut vraiment le coup de grâce, l’arrêt de mort, l’arrêt de tout espoir, juste l’abîme devant moi, ça m’a laissé sur le carreau. Les seuls à m’avoir soutenu jusqu’alors sont les l****s de gin. Trop lâche pour en finir dignement, il faut que la déchéance s’en mêle et m’aide à finir la distance.
Je sais pertinemment que tout le monde pense que j’ai ce que je mérite, et que je suis pitoyable de minauder sur mon sort, mais c’est juste que je pense sincèrement tout ce qui m’arrive, que j’ai l’intime conviction que je ne m’ouvre qu’à l’improbable, à l’impalpable, à l’incapable. Je ne suis flexible que pour le désordre et le désarroi affectif, et c’est bien la nuit que je me sens le plus à ma place, c’est le seul moment où je peux m’accepter. Comme un vampire, le jour m’effraie, je le fuis comme la peste, et cette fuite est une manière de m’éviter, de ne pas avoir à me regarder dans une glace. Le répit que m’octroient l’obscurité et l’alcool m’aide à me sortir de moi-même, à m’enfouir hors de moi pour m’épanouir la gueule dans les chiots et l’estomac exsangue de ne manger que des glaçons.
Quelquefois, j’alterne le menu, et j’avoue que savourer des mots est aussi un bon moyen de m’oublier. Je lis jusqu’à m’abrutir et j’écris jusqu’à m’épuiser. Au petit matin, ivre de rasades métaphoriques, je m’affale sur le futon défraîchi que j’ai victorieusement échangé aux puces contre un canapé ”hi Tech” en cuir que j’avais acheté grâce à ma p*****e, au temps de ma splendeur. p****n, s’il y avait eu que le canapé ! Le seul truc que je n’ai pas cramé de cette période de ma vie est le frigo dernier cri qui fabrique de la glace pilée, bien utile pour mes gin-fizz nocturnes.
J’ai troqué ou flambé tout le reste, ça fait un bien fou d’ailleurs de voir ses souvenirs merdiques partir en fumée, tiens, peut-être une idée si je veux en finir avec ma ganache pathétique. J’ai tout viré, car je ne voulais plus que “Mme la p*****e” hante mon appart, car bien sûr c’est mon appart, comme c’était mes meubles, mon fric. Le seul truc qu’elle possédait, c’était son cul, magnifique d’ailleurs ! Qu’elle maniait avec une dextérité certaine et redoutable, une dextérité à faire perdre les pédales à tout bon mari et bon père de famille.
Je vis aujourd’hui avec l’anxiété de n’être que moi-même, véritablement imparfait, bancal, banal, atrophié de cette expérience qui a détruit ma vie. Il est dur de se dire que tout à coup on ne contrôle plus rien, on n’est plus sûr de rien, on perd toute confiance en soi. Tout ce que l’on a mis des années à construire, la manière dont on a façonné son image à coup d’expériences instructives, son être profond que l’on a bâti à force d’abnégation et de patience, tout se dissout dans le doute, encouragé par l’infamie et le dégoût de soi. Tout ce dont j’étais si fier, mon charisme, ma gouaille, mon élan, mon envergure séductrice, tout ce qui me définissait comme l’élu dans le cœur de mon ex-femme, tout a disparu ! Le dandy que j’étais, chargé de formation d’une des banques les plus renommées, qui électrisait son assistance, maîtrisant son show parfaitement, galvanisé par le simple fait de se retrouver en salle. L’égo gonflé à l’hélium s’est rapidement rétamé comme un vulgaire ballon de baudruche.
Il fallait me voir à l’époque, distillant de précieux conseils à tous ces débutants friands d’anecdotes et de savoirs, surtout les débutantes ! J’étais devenu le Casanova des stagiaires excitées, le charmeur des galbes épilés, l’agitateur de tout ce qui porte jupes ou talons, l’explorateur des grandes, des petites, des brunes, des blondes, des maigres, des grosses, des maquillées peu ou prou, des sophistiquées plutôt ou pas, des effarouchées vierges ou presque, des expérimentées gourmandes ou rassasiées, enfin, tout ce qui représentait la gent féminine dans son extraordinaire généralité me stimulait ! Le pire, c’est que je n’avais aucune envie de les faire succomber, le seul but était de jouer un peu, la séduction comme un platonisme de situation assez poussé pour que mon égo s’en nourrisse, et retourne bien sagement dans ses draps mariés le soir venu.
Un mec quoi, fier et fort de ne tromper que les icônes qu’il couche sur le papier, un mec qui prend soin de plaire pour une satisfaction purement esthétique, égocentrique, égoïste, mais toujours inoffensive. Un mec fier de voir dans les yeux de sa femme tout l’amour qu’elle lui témoigne à travers son magnétisme. Fier de voir qu’elle n’en jalouse aucune, car sûre de sa fidélité au fond, il joue avec toutes, mais c’est avec elle qu’il vit.
La confiance que ma femme me témoignait fut à la hauteur de sa rancœur et de son dédain sitôt l’accroc, le coup de canif que j’ai planté dans notre contrat nuptial. Le plus dur, ce qui m’a vraiment achevé, est de ne plus compter aux yeux de celle qui m’a toujours idolâtré. De voir l’amour se tarir à la source de ses sentiments, de voir qu’il n’y a plus de flamme, de magie, d’attirance, que du dédain, du mépris, du dépit. Le coup de grâce est de ne plus se sentir désiré, et de fait ne plus désirer.
Toute ma carrière professionnelle s’est traduite à travers ses encouragements. D’aspect timide au départ, j’étais un apprenti sorcier qui tâtonnait et essayait de trouver sa place devant un auditoire, je suis devenu ensuite un charmant expert, domptant l’espace, dominant le ton, contrôlant l’emphase, captivant l’attention. Tout ça a bien entendu fini par se payer, à force d’en voir défiler sous mon nez, de jouer avec le feu, je me suis brûlé au cul de cette p*****e qui m’a cramé à petit feu pour ensuite m’immoler à grosses flammes, billet première classe direction l’enfer que je vis aujourd’hui.
J’ai l’impression à ce stade que je suis devenu un autre, aussi déliquescent et transparent maintenant, que brillant et incontournable avant. Je ne désire plus, je ne supporte même plus mon ombre, je succombe petit à petit, me dégrade, me désintègre. Au début, on ne comprend pas trop et on perd confiance peu à peu, pour perdre carrément son boulot au final. Alors on descend, on tente de s’oublier tellement on s’exècre, et on attend de tomber lentement, mais sûrement.
J’ai l’impression que mon existence est un labyrinthe inextricable où chaque issue n’est qu’un leurre, où chaque direction que j’emprunte m’égare un peu plus. J’ai même menti à mes parents, leur laissant croire que tout aller bien ! C’était toujours une torture de rester devant ma mère, le winner que je représentais à ses yeux. Et que dire de mon père, sans cesse à m’ériger en exemple à suivre. Quel bel exemple tient, même pas capable de dire à ses parents que je suis une merde, trouvant des excuses pour éviter de les voir, pour ne plus les voir carrément depuis le divorce et le départ de la p*****e. Solitaire, misérable, et lâche, incapable de tout leur avouer, c’est vers mes enfants qu’ils ont trouvé la vérité. Au moins, ça me permet maintenant de ne plus leur mentir et du coup, ne plus avoir véritablement de contact avec eux, tellement j’ai honte.
Être seul est mon salut, mis à part la visite d’une seule personne que j’accepte et qui m’aide un tant soit peu à garder le cap. Une âme charitable qui m’alite de ces tuyaux affectueux, j’ai nommé la fabuleuse et non moins truculente Mme Da Cerva, la concierge de mon immeuble, qui, de bonne grâce, vient de temps en temps remettre de l’ordre dans mon taudis. C’est le cerbère lusitanien qui me sépare du gouffre, qui stigmatise, cristallise, et immobilise par de petits plats salutaires, la cirrhose que je me construis prudemment.
Elle a été le témoin privilégié de ma déchéance, de mon installation enthousiaste avec la p*****e à notre séparation pathétique, elle a toujours été là. Du premier jour où j’étais fier comme un Roméo pléthorique, jusqu’au moment où j’ai glissé vers l’aversion de moi-même. Pour boucler ses fins de mois, elle fait le ménage et le repassage pour les proprios et tout naturellement pour nous, vu que ma p*****e n’en était pas au point de s’abîmer les ongles avec une serpillière. Comme une mère, elle est restée préoccupée par mon sort, une sorte de connivence filiale s’est instaurée entre nous à partir du moment où elle venait, et vient toujours, deux fois par semaine.
Toujours présente, plus encore depuis que je suis reclus où plus rien ne me raccroche à la réalité, elle continue le ménage, mais, en plus, s’improvise cuisinière à domicile quand elle vient, ce qui me change des pizzas surgelées. C’est la seule personne que je vois, que je supporte. C’est réconfortant de voir que je peux me raccrocher à ses branches maternelles, si minces et usées soient-elles.
En attendant, j’ai besoin de dérouiller, la souffrance comme un expiatoire, le purgatoire comme l’ultime villégiature qui m’héberge, qui m’aide à y voir clair avec moi-même. Je reste dans cette prison que je me suis façonnée, geôlier intime et sadique, condamné à ma propre sentence, accusé suicidaire. Je me fortifie de ces barreaux pénitentiaires pour mieux m’ensevelir, remparts punitifs nécessaires devant le lynchage collectif, cellule carcérale qui me laisse à ma répugnante personne, seul avec mes tourments que j’ai essayé d’analyser au début.