Jalousie (2)

4038 Words
Assise dans un des fauteuils que mon père avait dépliés autour de la table de camping, je me suis cachée derrière un livre (que j'avais déjà lu des dizaines de fois, mais que j'emmenais partout où je savais qu'un peu de lecture me ferait du bien.), pour examiner le fameux jeune homme sous toutes les coutures. À coup sûr, ma sœur m'en parlerait toute la soirée. Et dans ce genre de conversation, autant être capable de savoir quoi dire, si je ne voulais pas passer pour une sauvage. Il était vraiment très beau, sa peau parfaite était tellement pâle, qu'à côté de lui, j'avais l'air d'être bronzée. Mais ça ne le rendait que plus beau. Ses cheveux étaient cours, mais assez long pour qu'il ait pu se faire des mèches acajou qui, dans la lumière du soleil couchant, parsemaient ses cheveux noirs de magnifiques reflets. Son corps musclé se dessinait parfaitement sous son t-shirt moulant, et ses yeux noisette prenaient différentes lueurs en fonction des âneries que ma sœur débitait. J'étais tellement absorbée dans ma contemplation, que j'ai sursauté quand il m'a adressé la parole. Je n'avais même pas remarqué que ma sœur s'était éclipsée. Il s'était assis sur le coin de la table à quelques centimètres de moi. Nul doute qu'il avait remarqué que je l'admirais derrière mon livre. - Twilight  ? - Euh… Oui, dis-je en m'empourprant ridiculement. - Une histoire de vampires, il me semble, non ? - Exacte. - Tu aimes ce genre d’histoires ? Me demande-t-il en ayant l'air d'être vraiment intéressé. - Oui, c'est mon livre préféré, je l'emmène partout avec moi. Quand j'ai besoin de m'évader je me plonge dedans. J'ai été plus que ravis quand ils ont édité le format poche… Je me suis soudain tue en réalisant que je commençais à raconter ma vie et qu'il s'en fichait probablement, d'autant que Carra serait furieuse et que je n'avais pas besoin d'un conflit de plus aujourd'hui. - Et crois-tu que les vampires existent vraiment ? Me demande-t-il en souriant aussi sincèrement que sa grand-mère l'avait fait plus tôt dans la journée. Son sourire dévoilait des dents incroyablement blanches, qui auraient fait ternir n'importe quelle publicité pour dentifrice. - Ha, ha  ! Je n'en sais rien, parfois, on pourrait le croire ! Ris-je. Mais on a le droit de rêver au fantastique sans y croire pour autant, non ? Mon père nous a interrompu. Ce qui m'a permis de détacher mon regard de ce garçon si beau et qui avait l'air étonnement sincère dans sa curiosité. - Vous avez l'air de bien vous entendre avec mes filles, aimeriez-vous partager notre dîner ? Demande-t-il à Julian. - Papa  ! C'est impoli d'agir de la sorte ! Le morigéné-je. - Ce sera avec plaisir, merci. Je dois juste rapporter ces documents à ma grand-mère avant qu'elle ferme l'accueil et je suis à vous. N'oubliez pas de mettre vos bracelets, les agents de sécurité sont exigeants et ne sont pas très tendres, même avec moi, dit-il toujours avec le sourire. Il s'est tourné vers moi. - Tu m’accompagnes ? - Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée… Chuchoté-je. - Et pourquoi cela ? Chuchote-t-il à son tour en se penchant vers moi de façon à ce que je ne voie plus que ses yeux. - Parce que ma sœur sera tellement jalouse, qu'elle serait capable de me jeter dans le vide demain. Je m'étais instinctivement penchée vers lui aussi et son visage n'était plus qu'à quelques centimètres du mien. Je m'en suis aperçue quand j'ai entendu Carra sortir de la tente et que j'ai dû rapidement reculer. Elle m'a fusillée du regard quand elle a vu où se trouvait Julian (un garçon de plus, qui lui appartenait et malheur à celle qui s'en approchait). J'ai essayé d'apaiser sa tension comme j'ai pu. - Papa a invité Julian à se joindre à nous pour le dîner… Son visage s'est éclairé. - C'est vrai  ? Et qu'as-tu répondu ? Demande-t-elle en se tournant vers lui. - J'ai accepté, mais je dois d'abord aller donner ça à ma grand-mère avant qu'elle rouspète, dit-il en brandissant un dossier. - Super  ! Je peux t’accompagner ? Ma sœur me désespérait, j'ai poussé un soupir las en m'enfonçant davantage dans mon fauteuil, et Julian s'est à nouveau tourné vers moi, comme pour y trouver une réponse. J'ai haussé les épaules en pensant « je te l'avais dit ». - Bien sûr, répondit-il à Carra qui m'a gaiement tirée la langue dans le dos de Julian, et pensait certainement que je ne la voyais pas puisque c'est lui que je regardais. - Il ne m'avait toujours pas quitté des yeux. - À tout à l'heure, me souffle-t-il en se levant. Ils se sont éloignés tous les deux, Carra s'est accroché à son bras et roucoulait sans retenue. - Mais c'est quoi cette manie de s'approprier tous les mecs qu'elle aperçoit ! Grogné-je. - Toi, tu es jalouse… - C'est ridicule. Je ne le connais pas, pourquoi serais-je jalouse  ? - Parce qu'il te plaît. - Papa, le physique ne fait pas tout, c'est juste que ça m'agace de la voir sauter sur le premier venu et qu'elle ait envie de me tuer si j'ai le malheur de lui parler ! Et puis d'abord, tu ne devrais pas t'aventurer dans ce genre de discussion. Malheureusement pour moi, c'était vrai, il me plaisait énormément. Et si jusqu'à présent, je n'avais jamais dramatisé le fait que ma sœur mette le grappin sur tous les garçons qui me plaisaient, aujourd'hui cela me faisait bouillir. Une espèce de réaction chimique sévère me rongeait tout à coup de l'intérieur. J'allais avoir dix-sept ans et je n'avais jamais eu de petit ami à cause d'elle, parce qu'avant l'âge de quinze ans, je ne voyais pas l'intérêt de s'encombrer d'un petit ami. Et quand mes hormones ont commencé à me travailler, il n'y avait plus de place pour moi. Carra et moi, sommes l'exact opposé, à croire que l'une de nous aurait été adoptée : elle est blonde aux cheveux lisses, les yeux bleus, elle bronze facilement et se prend pour une poupée mannequin. Elle est aguicheuse et déraisonnable en tous points. Moi, je suis brune aux cheveux bouclés, les yeux verts, et je reste blanche quasiment toute l'année. Les seules couleurs que je puisse prendre pendant l'été en escaladant les parois rocheuses, disparaissent en quelques semaines à peine. Je ne passe pas mon temps à m’exhiber devant les garçons et j'étais – sans me vanter – la plus sérieuse de nous deux, surtout en ce qui concerne le travail scolaire (je me demande encore comment ma sœur à fait pour être acceptée à l'université). Mais il n'a jamais été fait part que l'assiduité faisait fuir les garçons. Au moins avant, je les intéressais un tant soit peu, à partir du moment où Carra est devenue une reine de la mode et du maquillage, s'en a été fini de moi, à l'instant même où elle faisait son apparition. Elle a toujours été jalouse, ma poitrine était bien plus généreuse que la sienne, alors elle faisait en sorte de mettre ses atouts féminins en avant, je trouvais ça vulgaire, mais n'y prêtais plus guère attention. Alors qu'est-ce que ce garçon pouvait bien avoir de particulier, pour que je porte autant d'importance à tout cela ? Surtout que je ne le connaissais quasiment pas à vrai dire… J'aidais mon père à mettre la table, le dîner était presque prêt, et les tourtereaux revenaient. Carra m'énervait de plus en plus. Nous sommes passés à table, l'ambiance transpirait la joie, mais je n'avais aucune envie d'y participer. Ce dont personne, si ce n'est peut-être Julian, n'a paru remarquer. - Alors comme ça, vous êtes des accrocs de la grimpe ? Demande Julian. Pensait-il que je me joindrais enfin à la conversation ? J'ai remarqué au passage qu'il ne mangeait guère et taquinait plus qu'autre chose la nourriture dans son assiette. - Plutôt oui, répond mon père joyeusement. - Moi pas tellement, en venant ici, je fais plaisir à ma sœur, continue Carra. Depuis le début du repas, Carra m'empêchait d'ouvrir la bouche à chaque fois que Julian disait quelque chose, afin de se rendre intéressante, et d'éviter que ce dernier ne me regarde un peu trop longtemps. Je l'ai fusillée du regard, refusant de lui être soumise encore une fois. - C'est bizarre, dis-je à l’intention de Carra que je continuais de fixer. Jusqu'à hier, c'était encore ton sport favori… - Ça faisait longtemps que je n'en avais pas fait, je m'en lasse… - Menteuse  ! - Rosalyne  ! Crie-t-elle faussement outrée. - Carra  ! Dis-je plus fort, en me levant et en me penchant au-dessus de la table, pour lui montrer toute l'ampleur de ma colère. - Ça suffit les filles… Commence mon père. - Non  ! Hurlé-je. Il n'est pas question que je la laisse m'humilier encore une fois ! Dis-je à mon père. Tu ne t'es jamais souciée de me faire plaisir pour quoi que ce soit ! Continué-je toujours à l’intention de Carra. Et le pire, c'est que tu n'as jamais eu aucun respect pour ce qui compte le plus à mes yeux ! Et encore une fois, tu vas te faire un plaisir de tout gâcher ! J'en pleurais de rage, mes yeux voletèrent une demi-seconde vers Julian (qui n’était pas surpris, mais plutôt intrigué par ma colère) avant de revenir à elle. - Je montrai toute seule, demain, je ne voudrais surtout pas te gâcher la vie ! Aucun ne bougeait, Carra était stupéfaite et furieuse à la fois. J'ai tout laissé en plan et je suis partie, sans prendre la peine de ramasser la chaise que je venais de faire tomber. J'ai arpenté les allées du camping jusqu'à trouver un petit chemin qui menait sur les plateaux des rocheuses, en traversant une petite forêt. Je me perdais dans la contemplation du soleil couchant, les larmes coulaient toutes seules le long de mes joues. Pourquoi Carra était-elle devenue si méchante, menteuse, capricieuse et j'en passe ? Maman ne nous avait jamais élevées comme ça… Je suis restée là un long moment et je me suis rendue compte qu'il faisait nuit seulement quand j'ai entendu un bruit dans les broussailles, qui m'a fait sursauter. Je me suis levée, et j'ai inspecté les alentours. Rien en vue, je retournais au camping, mais je n'étais pas très rassurée. Le petit bout de chemin qui passait dans la forêt était sombre et je n'y voyais rien. Soudain, j'ai ressenti une violente piqûre au niveau de mon épaule droite. Quand j'ai posé ma main, j'ai senti quelque chose couler. Paniquée, je me suis mise à courir jusqu'au camping, les lumières m'ont rassurée, mais j'ai continué à courir en suivant les premières pancartes indiquant des toilettes et dans l'allée « du Loup blanc » j'ai bousculé quelqu'un en passant. - Rose  ? C'était Julian, je n'ai pas pris le temps de m'arrêter ou de lui répondre. Mon épaule s'engourdissait et j'avais mal. En arrivant dans les toilettes, j'ai foncé directement sur le premier lavabo. Heureusement les lieux étaient déserts. Je me suis rincée la main, elle était pleine de sang, j'ai nettoyé mon épaule avec du papier essuie-mains. Je n'avais rien d'autre qu'un point rouge de la taille d'une pièce d’un cent au niveau de l’omoplate, et je ne saignais plus. La tête me tournait, je me suis appuyée contre le mur et me suis laissé glisser sur le sol, paupières closent, le temps que mon étourdissement passe et je rentrerai à la tente. - Rose  ? Est-ce que ça va ? Sa voix bourdonnait dans mes oreilles, mais je savais que c'était lui. - Julian, qu'est-ce que tu fais là ? Ce sont les toilettes des filles. - Je te signale qu'il est près de minuit et que ton père te cherche. - Dit lui que je rentrerai dans quelques minutes… Ma bouche me faisait l'effet d'avoir été anesthésiée. Je n'avais toujours pas ouvert les yeux, j'ai appuyé ma tête qui me tournait sur mes genoux. - Je ne vais pas te laisser là, je te ramène, de toute façon, tu n'es même pas en état de marcher. Il m'a pris dans ses bras et m'a serré contre son torse, sans difficulté aucune, comme si je ne pesais que trois pommes cuites. Il était dur comme la pierre, mais je ne m'étais jamais sentie aussi bien. Comme si son torse avait été moulé pour que je puisse m'y fondre. - Laisse-moi, si Carra te voit, elle va me tuer ! - Ne dis pas de bêtises et laisse-moi faire. Je l'ai laissé faire, de toute façon, je n'étais plus en état de me battre. Et j'étais si bien que… Seul mon cœur s'affolait, mais je n'avais pas la force de le calmer. Sa démarche souple me berçait et je commençais à sombrer dans le sommeil quand j'ai entendu la voix de mon père. - Rose  ! - Ne vous inquiétez pas M. Bower, elle s'était juste endormie sur le plateau des rocheuses « du Loup blanc ». Mais comment savait-il où je me trouvais avant que je le croise dans le camping ? Je ne voulais pas y réfléchir maintenant, j'ai senti mon père me prendre dans ses bras et quand j'ai senti la main de Julian desserrer mes doigts, j'ai réalisé que je m'étais inconsciemment agrippée à lui. Sa main était froide, mais la douceur de sa peau me faisait penser à toutes les fois où j'avais plongé ma main dans le paquet de farine, alors que ma mère faisait de la pâtisserie. Je me suis levée à l'aube et me suis habillée sans bruit pour ne pas réveiller Carra et subir sa fureur. J'ai laissé un mot à mon père sur la table avec le petit-déjeuner, j'ai pris mon matériel et j'ai filé jusqu'à la paroi que j'avais repérée la veille depuis le plateau. C'était fantastique de voir la couleur de la roche rougir au fur et à mesure que le soleil montait. J'avais l'impression d'évoluer en même temps que lui, et de voir les paysages du Nouveau-Mexique que j'avais pu voir en photos. J'étais ravie qu'il n'y est rien ni personne pour me gâcher mon plaisir. Jusqu'au détour d'un renfoncement de la paroi… - Julian  ? - Salut Rose, comment vas-tu ce matin ? - Bien, merci de t'en soucier. - Bon anniversaire. - Merci… J'étais stupéfaite. - Comment sais-tu que c'est mon anniversaire aujourd’hui ? - Ta sœur l'a dit hier soir après ton départ. En l'entendant mentionner ma sœur, ce fut comme s'il avait soufflé sur ma bonne humeur et qu'elle s'était envolée brutalement. - Tu n’es pas censé être avec elle d’ailleurs ? Me renfrogné-je. - Pourquoi cela ? - Ma sœur parle quand elle dort, si tu vois ce que je veux dire… - Et qu'a-t-elle dit ? - Elle n'avait que ton prénom à la bouche, des éloges mielleux et une affreuse envie de te mettre dans son lit. Oh, elle a dit aussi « Julian mets un pull, t'es gelé. » Mais je pense que c'est le plus insignifiant de tout son bla-bla. Maintenant avances ou pousse-toi s'il te plaît. Il a eu l'air vraiment surprit par ce que je venais de lui dévoiler sur ma sœur, mais n'a rien ajouté de plus et s'est exécuté. Nous sommes montés jusqu'au sommet, en silence. C'est vraiment un excellant grimpeur. Nous nous sommes installés à l'ombre d'un arbre. Sa proximité provoquait des palpitations dans mon estomac et mon cœur s'emballait comme la veille au soir. - Tu sais, ma sœur n'appréciera guère quand elle apprendra que son petit ami a passé sa matinée en ma compagnie, l'abandonnant seule à sa manucure. - Son petit ami  ? Rose, je ne sors par avec ta sœur. - Ah. Désolée pour toi, mais elle n'a pas l'air de le prendre comme ça. Enfin, c'est votre problème après tout, mais juste un conseil, méfie-toi d'elle, c'est une croqueuse d’hommes ! Il rit. C'était le plus beau son que j'avais jamais entendu. Il a passé un doigt sur mon épaule. La douceur de sa peau a provoqué un frisson qui a parcouru mon échine de haut en bas. - Ça te fait mal ? Je l'ai dévisagé, il fronçait les sourcils, l'air inquiet. - Non, pourquoi  ? - Regarde… Je me suis dévissée le cou pour voir ce qui pouvait bien l'intriguer. J'ai étouffé quelques jurons de surprise quand j'ai vu des petites taches noires qui étaient apparues à l'endroit exact ou je m'étais fait piquer la veille. - Qu'est-ce que c’est ? Lui demandé-je. Il secouait la tête comme s'il ne savait pas ce que c'était, mais son regard triste disait clairement le contraire. - Ça ne doit pas être si grave, si je me sens mal, j'irai voir le médecin, mais pour l'instant rien de trop inquiétant. On redescend  ? Mon père a dû préparer le déjeuner, et ma sœur sera ravie de te voir… Ma dernière phrase était si acide, que j'avais presque l'impression qu'on m'avait pressé un citron dans la bouche. Mais il n'a pas relevé. Nous sommes redescendus en silence, et avons fait le chemin pour aller au camping dans la même ambiance. Je mourrais d'envie de lui poser plein de questions, mais il valait mieux pour mon grade que je n'en sache pas trop à son sujet. En arrivant à proximité de mon emplacement, j’ai aperçu Carra qui tournait en rond. Quand elle nous a vus, elle s'est précipitée sur nous. - Julian, où étais-tu, je t'ai cherché toute la matinée ? Elle m'a fusillée du regard quand elle a vu que nous étions tous deux équipés. - Je te signale que j'ai des choses à faire, moi, lui dit-il sèchement. J'avais envie de grimper et j'ai rencontré Rose sur la paroi… - Et ne t'inquiète pas, tu auras tout le loisir de profiter de lui pendant le repas, il va manger avec nous. N'est-ce pas ? Dis-je à Julian en le toisant, pour qu'il comprenne qu'il avait intérêt à dire oui s'il ne voulait pas avoir ma mort sur la conscience. - Exact, soupire-t-il. Je les ai laissés seuls et suis allée rejoindre mon père. - Salut papa  ! - Rose, ma puce, comment vas-tu  ? Ça s'est bien passé ce matin ? - Génial  ! Un pur plaisir  ! Et j'ai rencontré Julian sur la paroi, tu devrais le voir grimper, il est excellent ! Dis-je en enlevant mon harnachement. - Au fait, bon anniversaire ! - Merci papa. - Tu as faim  ? - Je meurs de faim  ! - Dans ce cas appel ta sœur, c'est prêt. - Inutile, nous sommes là, crache Carra dans mon dos. À n'en pas douter, elle avait entendu les éloges que je venais de faire sur Julian, et ne pensait qu'à une chose, m'arracher la tête. - Eh, la vipère, ça t'écorcherait la bouche d'être polie ! Lui lancé-je. Ou alors crache ton venin tout de suite, mais ne gâches pas nos vacances ! - Papa  ! Hurle-t-elle. Elle était choquée que je m'adresse à elle de cette manière, et en réalité, je me suis moi-même étonnée. Mais j'en avais ras-le-bol que ça ne marche que dans un sens. Tout ce que j'espérais, c'était que mon père le comprenne, lui aussi. - Carra, Rose a raison, j'en ai assez de ton comportement. Julian, venez avec moi, on va les laisser s'expliquer. Julian et mon père se sont éclipsés. - Vas-y, je t'écoute  ! Lui dis-je en m’asseyant dans un des fauteuils. - Qu'avez-vous fait hier soir ? Lance-t-elle avec le regard plus noir que jamais, certainement renforcé par la couche excessive de mascara, de crayon et d'eyeliner noir. - Qui ça « vous » ? - Moque-toi de moi, tu sais très bien de qui je veux parler ! Toi et Julian ! Qu'est-ce que vous avez fait hier soir ? - Lui, je n’en sais rien, je le croyais avec toi jusqu'à ce qu'il me trouve et me remmène. Je me suis alors souvenue qu'il avait dit m'avoir trouvé sur le plateau des rocheuses « du Loup blanc », j'ai donc récité la même histoire pour ne pas trahir ma vérité. Que j'avais eu la trouille dans les bois, que je m'étais fait piquer par quelque chose et n'avais rien dit. Malheureusement Carra avait déjà remarqué mon épaule. - Vraiment  ? Et ton tatouage, tu l'as fait toute seule ? - D'ailleurs depuis quand t'as le droit d'en avoir un et pas moi ! - Alors c'est donc ça ! Tu es jalouse  ! Elle était écarlate de colère. Moi, j'en riais presque. Elle était passée du coq à l’âne sans crier gare. - Pour ta gouverne, je ne suis pas au courant des faits et gestes de Julian, pour la simple et bonne raison, que c'est à toi qu'il s'intéresse aux dernières nouvelles, et avec toi qu'il a passé le plus de temps, donc si tu lui reproches quelque chose, dis-le-lui en face, je ne suis pas ton facteur ! Je sentais les larmes monter et je n'avais qu'une crainte, qu'elles me trahissent. - De plus, ce n'est pas un tatouage, je… - Amanda, fait de magnifiques décalcomanies, me coupe Julian qui revenait avec mon père. - C'est qui cette Amanda, demande amèrement Carra en le toisant. - Ma sœur. - Arrête de le harceler de la sorte, il n'est pas ta propriété, cesse donc de prendre tes rêves pour la réalité, Carra ! Hurlé-je. Regarde-toi, depuis que maman est morte, tu es devenue un vrai monstre ! Les seuls sentiments que tu es capable de ressentir sont la colère et la jalousie… - Ce jour-là, je me suis retrouvée toute seule, vous m'avez abandonné, alors je fais comme je peux pour avoir un peu de compagnie. - Tu dis n'importe quoi  ! Papa et moi, on a toujours été proche, tu ne t'en étais jamais aperçue parce que tu étais toujours dans les jupes de maman ! Mais le jour où elle est tombée malade, c'est moi qui suis restée avec elle, et ce, jusqu'à la fin, pendant que toi, tu sortais en boite de nuit, que tu faisais la fête à tout va avec MES amis, et que tu rentrais complètement ivre à la maison ! Je me faisais passer pour toi quand elle était trop faible pour faire la différence entre nous, parce que je ne voulais pas qu'elle ait une mauvaise image de toi ! Je ne voulais pas qu'elle comprenne que tu l'avais abandonnée ! Quand elle est morte, on a tout fait pour essayer de se rapprocher de toi, mais c'est toi qui nous fuis à longueur de temps. Ça fait deux ans que tu m'empêches d'avoir des amis, parce que tu te les appropries tous, deux ans que pas un seul garçon n'a pu faire attention à moi, ne serait-ce que cinq minutes, puisque tu t'arranges toujours pour être là au moment propice. Tout ça pour quoi ? En faire tes marionnettes, et me raconter tes exploits, pour les jeter quand ils ne te sont plus utiles ! Ça fait deux ans que tu me gâches toutes mes vacances, mes anniversaires et chaque moment heureux que je pourrais avoir, juste pour que l'on s'intéresse à toi ! Tu es orgueilleuse et égoïste ! Mais tu ferais mieux de t'intéresser aux autres de temps en temps, avant de penser à ta petite personne ! Je tremblais de rage, les joues en feu et inondées de larmes. Mon père en avait les yeux humides et brillants de tristesse, il s'est calmement assis dans un fauteuil. Julian avait dû cesser de respirer tellement il était immobile et interdit devant ma crise de nerf. Carra pleurait en silence, et pour la première fois en deux ans, j'ai cru lire du regret dans ses yeux. - Je suis désolée, au final, c'était peut-être moi qui avais besoin de cracher mon venin… Dis-je doucement. Excuse-moi papa, mais je n'ai plus très faim, j'ai besoin de me calmer, je serai au même endroit qu'hier, si tu me cherches. Ils m'ont laissé partir, même Carra n'en a pas rajouté.
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