Changements.

3044 Words
* Rose * La forêt qui avait été pour moi un cauchemar la veille, me paraissait aujourd'hui familière et accueillante. Sa fraîcheur me faisait du bien et je m'y suis arrêtée un instant pour respirer un tas d'arômes agréables, que je n’avais pas perçu jusqu'à maintenant. J'avais la sensation de pouvoir identifier la terre humide sous la mousse, les feuilles des arbres, l'écorce de leurs troncs, les petites fraises des bois, j'entendais le vent siffler entre les branches, l'écureuil qui faisait sa réserve dans son nid, la fourmilière en activité et la biche qui s'enfonçait dans la forêt sombre. Tant de sensations nouvelles qui me faisaient rêver, mais qui ne m'ont pas pour autant alarmée sur ce qui se tramait. Puis, je suis allée m’asseoir à l'ombre de l'unique arbre qui avait réussi à pousser sur le plateau des rocheuses. Un olivier, me semblait-il, dont les racines devaient être très profondément enracinées pour qu'il soit aussi touffu et avec de si belles feuilles. Je me suis adossée à celui-ci, et j’avais l'impression d'entendre la sève circuler dans le tronc et la sentir raisonner jusque dans mon estomac. C'était apaisant. J'ai fermé les yeux un moment, en essayant de retrouver mon calme. - Comment te sens-tu  ? Dans un sursaut, j'ai ouvert les yeux et j'ai aperçu Julian, debout à quelques pas de moi. Je ne l'avais pas entendu arriver, malgré tout ce dont j'avais été capable dans la forêt, ce fut un instant déstabilisant. - Honteuse, mais au moins, j'ai vidé mon sac, dis-je légèrement embarrassée, je sentais le rouge me monter aux joues. - Pourquoi as-tu honte  ? - Tu n'aurais jamais dû entendre tout ça, je suis désolée, tu as dû me prendre pour une hystérique, ris-je nerveusement. - Non, pas du tout. Je comprends mieux tes réactions. - Explique-toi… - Toutes les fois que je tente de faire un pas vers toi, tu recules. Quoi que ça te coûte, tu préfères souffrir plutôt que de refuser quelque chose à ta sœur. - Il y a des choses qu'elle a de droit, mais je la connais et… - Et aujourd'hui, tu en as marre de la laisser faire comme bon lui semble. - C'est vrai. J'en ai assez de la voir tout détruire sur son passage tel un Tyrannosaure affamé ! (Je sentais non pas la fureur monter cette fois, mais la tristesse et durant une minute, nous n’avons rien dit le temps que je me reprenne) Mais c'était à toi de te défendre, repris-je. Pas à moi, je n'ai fait que rajouter de l'huile sur le feu à ton sujet. Je lui ai donné le bâton avec lequel elle va me battre, si tu vois ce que je veux dire… Les larmes affluaient à nouveaux. Depuis qu'il était arrivé, Julian était resté debout à trois ou quatre pas de moi. Il s'est rapproché doucement. Une démangeaison sur l'épaule et la nuque m'a détournée de mes soucis. Plus je frottais, plus l'engourdissement de la veille revenait. Ça me brûlait, je ne tenais plus en place, j'avais l'impression d'être ébouillantée à l'huile et la douleur m'a arraché un cri. Julian a franchi les quelques pas qui nous séparaient et s'est agenouillé près de moi en une demi-seconde. - Rose, enlève tes mains, laisse-moi regarder ! - Non  ! Il a repoussé mes cheveux par-dessus mon épaule gauche, a enlevé mes mains et les a coincées d'une poigne de fer dans l'une des siennes. - Lâche-moi, j'ai mal, ça brûle ! Sangloté-je. Il a posé son autre main sur ma nuque, et la froideur de sa peau m'a coupé le souffle un instant, et aussitôt, elle eut l'effet d'un anesthésiant. J'ai cessé immédiatement de m'agiter et me suis laissé aller contre lui, complètement vidée de mon énergie. Il a relâché mes mains et m'a serré contre son torse sans enlever sa main de ma nuque. Mes paupières se faisaient lourdes et j'ai fermé les yeux. Je me suis réveillée dans ma tente. Comme personne n'était là quand je suis sortie, je suis allée prendre une douche. J'ai croisé mon père qui revenait avec la bassine et la vaisselle propre. Son visage était à nouveau serein et m'a rassuré. - Salut papa, je vais prendre une douche. - Pas de soucis ma puce. - Comment va Carra  ? - Ça a l'air d'aller. Elle est à la piscine avec Julian, si tu la cherches. Mes mâchoires se sont crispées, alors je me suis contentée d'un signe de tête et me suis précipitée sous la douche. Après avoir ruminé un bon moment sous la douche et m'être savonnée jusqu'à en avoir la peau toute rouge, je me suis rincée et je suis sortie rapidement. Puis je suis allée voir dans le miroir dans quel état pouvait être ma nuque pour m'avoir fait autant souffrir. J'ai été surprise de découvrir que les fameuses taches de mon épaule étaient à présent de jolies fleurs et celles-ci s’étiraient comme du lierre jusqu'à la racine de mes cheveux. - Alors voilà la fameuse décalcomanie ! Je suis vachement douée ! Dit une voix chantante et harmonieuse, dans mon dos. J'ai sursauté et me suis retournée. Une magnifique jeune femme, à la peau blanche comme de la craie, les cheveux d'un noir ébène parsemé de reflets bleus, les yeux noisette et un corps de rêve, se trouvait devant moi, le sourire collé sur ses lèvres rouges. - Bonjour, je suis Amanda Andrew, la grande sœur de Julian. - Oh. Bonjour. Il a effectivement mentionné votre nom tout à l'heure, mais j'aurais dû vous reconnaître, vous vous ressemblez beaucoup. - C'est vrai, dit-elle en souriant. Comment te sens-tu  ? - Sauriez-vous me dire ce qui se passe ? - Je le sais, mais je n'ai pas le droit de t'en parler malheureusement. Je sais, c'est injuste parce que c'est quand même à toi que ça arrive. Mais je ne peux malheureusement pas déroger à cette règle. Tu comprendras plus tard que c'est primordial. Elle avait dit tout ça avec une telle nonchalance que c'en était presque effarant. Mais je me suis contentée d’acquiescer, comme si mon corps ne réagissait pas à ce qui se passait dans ma tête. - Je suis Rose Bower, lui dis-je en lui tendant la main. Elle l'a serrée délicatement. - Je suis ravie de te rencontrer Rose. Est-ce que ça te fait mal ? - Non, plus maintenant, mais tout à l'heure, c'était horrible. - Julian m'en a soufflé un mot. - Oui… Heureusement que vous avez le sang-froid… - Que dis-tu  ? Amanda me regardait, si surprise par mes paroles que ses yeux ressemblaient à des soucoupes volantes. - Pardonne-moi, je ne voulais pas t’offenser ! M'excusé-je aussitôt, de peur d'avoir dit quelque chose de mal. C'était juste une constatation. - Ne t'en fais pas, j'ai juste été surprise. Peu de gens nous voient tel que nous sommes, et généralement ils préfèrent nous fuir… Julian m'a beaucoup parlé de toi, mais il ne m'avait pas dit que tu étais si observatrice. - Probablement parce qu'il passe la plupart de son temps en compagnie de ma sœur, qui elle, est loin d’être perspicace, et je n'ai jamais fait de telle remarque en sa présence. - J'ai fait la connaissance de Carra tout à l'heure, certainement qu'elle voulait vérifier le mensonge sur ta décalco… - Ou bien vérifier que tu étais bien la sœur de Julian et pas une menace pour elle ! - Crois-moi, elle n'a pas été déçue. - Tu lui en as vraiment fait une ?  ! M'exclamé-je. - Bien sûr  ! Mon frère ment rarement et quand il le fait, c'est pour de bonnes raisons. Viens, on va les rejoindre à la piscine. Tu pourras admirer mon chef-d’œuvre. - D'accord, mais il faut d'abord que je m'arrête prendre mon maillot et prévenir mon père. Elle m'a accompagnée à ma tente, et j'ai senti en Amanda, l'âme d'une véritable amie. Nous nous sommes échangées nos numéros de téléphone et quand je suis arrivée près de mon père, j'avais retrouvé le sourire. - Papa, je te présente Amanda, la sœur de Julian. Amanda, voici mon père, Nathan Bower. Je vous laisse papoter pendant que je me change. Je me suis changée rapidement, et quand je les ai rejoints, ils se tutoyaient déjà. - Rose, montre-moi l’œuvre d'Amanda, elle m'a dit que c'était magnifique. J'ai attaché mes cheveux en un chignon, et lui ai montré mon dos. - Amanda c'est fantastique  ! S'écrie-t-il. - Il n'est pas terminé, nous verrons ce que ça donne au fur et à mesure ! Lâche-t-elle avec un enthousiasme auquel j'aurais cru si je n'avais pas su qu'elle jouait le jeu. - Je suis sûr que ce sera parfait, dommage que ça parte ! - Papa, es-tu sérieux ? Lui demandé-je en le dévisageant suffisamment pour vérifier s'il ne blaguait pas. - Bien sûr  ! Ma puce, c'est ton anniversaire, et tu es de loin la jeune fille la plus sérieuse que je connaisse. Ta sœur me fera probablement une crise de jalousie, mais elle sera majeure dans trois semaines, alors peu importe. Si tu souhaites le garder, je ne t'en empêcherai pas. - Papa, t'es génial  ! Merci  ! Je l'ai serré dans mes bras, même si je savais au fond de moi que cela serait définitif quoi qu'il souhaite ; avoir son approbation était pour moi un soulagement. - Amusez-vous bien, moi, je vais rejoindre les cow-boys de la pétanque ! Il s'est éloigné tout guilleret, son sac de boules toutes neuves à la main. - Amanda. T'es un génie  ! Dis-je en l'embrassant sur la joue. - Je sais  ! Elle a éclaté de rire et nous sommes parties en direction de la piscine. - Tu dis que peu de gens vous voient tels que vous êtes, pourtant Carra a bien remarqué que Julian avait la peau froide ! - C'est différent, pour elle, il est comme un autre, elle croit seulement qu'il a froid comme quelqu'un qui a « du sang de navet » ou bien qu'on appelle « c*l gelé ». D'autant qu'elle s'en est rendue compte à la fraîcheur du soir, en pleine journée, elle ne le remarque pas, le soleil nous réchauffe et les boissons chaudes nous permettent de faire monter notre température. Toi en revanche… Disons que tu es capable d'en savoir plus. Elle m'a souri, j'ai compris que j'avais une sorte de don particulier, mais qu'elle ne pouvait pas m'en dire plus. Je lui ai souri à mon tour et nous avons changé de sujet. - Quand nous sommes arrivées au bord de la piscine, Amanda m'a entraînée vers les chaises longues opposées à celle de Carra et Julian (je savais que c'étaient les leurs en reconnaissant la serviette rose de ma sœur sur l'une d'elle). - Ce sera plus facile à encaisser, me souffle-t-elle. - Comment ça  ? J'ai tourné la tête en même temps qu'elle, en direction de la piscine. Julian et Carra roucoulaient à quelques centimètres l'un de l'autre, dans un coin. J'ai eu un haut-le-cœur et j'ai détourné la tête en espérant qu'Amanda n'est rien remarquée. - Il n'y a rien à encaisser, dis-je en faisant mine d’être indifférente à la scène qui se déroulait dans mon dos, ma sœur a un nouveau mec, que veux-tu que j'y fasse ? - Regarde-moi, me dit Amanda. Je te jure d'être ton amie en toutes circonstances, alors fais-moi confiance et ça va aller, OK ? Malgré moi une larme m'avait échappé, et Amanda n'était pas dupe. Alors, j'ai acquiescé et même si j'avais un nœud à la gorge, j'étais bien déterminée à gérer les choses. - On va plonger  ? Me dit Amanda en rigolant de bon cœur. - Avec plaisir ! Répondis-je en comprenant ce qui lui passait par la tête. Nous sommes passées devant les tourtereaux et Carra m'a interpellée. - Tiens voilà ma sœurette ! - Défoule-toi, me souffle Amanda, le sourire aux lèvres avant que je me retourne. À part elle, personne ne t'en voudra. - Carra  ! M'exclamé-je faussement enjouée. - Pourquoi ne vous êtes-vous pas installée près de nous ? - Je me suis agenouillée au bord de la piscine et me suis penchée de façon à être tout près d'eux. Tellement près, que s'en était presque indécent. - Parce que j'ai passé dix-sept ans de ma vie à te pourrir la vie, je ne tenais surtout pas à en rajouter une couche en vous dérangeant toi et ton baratineur de petit ami, dis-je en terminant ma phrase en toisant durement Julian. Amanda s'est mise à pouffer de rire. Je me suis relevée et l'ai rejointe. - Paraîtrait que tu te sois encore évanoui… Continue Carra moqueuse. - Quand on te plante une aiguille d'encre dans la peau, c'est parfois inévitable… Répliqué-je en souriant. - Comment ça  ? Se renfrogne-t-elle. - Oh  ! Désolée, j'avais oublié de te dire que papa m'a autorisé à me faire tatouer définitivement… Mais le tien est très mignon ! Même avec une patte en moins, soit dit en passant… Elle avait un éléphant sur le bras près de l'épaule, mais à force de batifoler dans l'eau, il lui manquait déjà une patte. Je lui ai tourné le dos, j'ai pris le bras d'Amanda et me suis éloignée. Heureusement qu'il n'y avait qu'elle pour gober tout ce que je pouvais lui dire ! D'ailleurs Amanda avait dû envoûter mon père, afin qu'il y croie lui aussi, d'habitude, il me démasquait toujours. À moins que je devienne également douée dans le domaine ! - Bien joué, me dit-elle. Au fait, il faut que je te dise, en temps normal, quand on se fait tatouer, on ne doit pas se baigner. Et je sais que ta sœur est stupide mais… - Je sais, et je ne dois pas m'exposer au soleil, mais on peut se détendre sous un parasol, regarde là-bas, il y a assez d'ombre pour se tremper au moins les jambes ! Je lui ai fait un clin d’œil, nous avons ri et sommes allées gaiement jouer la comédie. - Je n'aime pas ta sœur, me dit Amanda. Après les événements de ce midi, Julian est venu m'en parler. Mais même après tout ce que tu lui as dit, elle est quand même venue me voir, et n'a cessé de se vanter de t'avoir fait complètement péter les plombs. Et puis… Je ne sais pas, il y a quelque chose qui ne me plaît pas chez elle… - J'ai vraiment cru qu'elle regrettait, mais quand mon père m'a appris qu'ils étaient tous les deux ici, alors j'ai compris que non. C'est une véritable sorcière, elle finira par avoir ma peau un jour ! Et ton frère joue un double jeu, je le déteste malgré que je sois irrésistiblement attirée par lui. C'est incompréhensible. Et, bien nul, parce que je le connais depuis à peine deux jours et tout ce que je sais de lui, c'est le fait qu'il soit excellant en escalade. Je n'aime pas tout ce que je ressens... - Je ne le comprends pas non plus, me dit-elle. Mais ne te laisse pas faire. - Je n'en ai pas l’intention. Je me suis fait marcher dessus par ma sœur bien trop longtemps. Le tigre en moi, s'est réveillé. J'ai explosé de rire, elle s'est jointe à moi. - Tu vois que tu peux te faire des amies sans que je te les pique ! S'exclame Carra en passant derrière nous. - Carra, tu dépasses les bornes ! S'énerve Julian. - Il est temps de s'éclipser, m'annonce Amanda. Le fauve est sorti de sa cage  ! Nous sommes sorties de l'eau, j'ai attrapé mon sac et elle m’a entraînée vers la sortie, tendit que Carra et Julian se disputaient. Nous sommes retournées à la tente, où je lui ai offert un rafraîchissement, qu'elle a refusé poliment. J'ai aussitôt compris mon erreur et lui ai proposé une boisson chaude. Elle a pris un thé tandis que j'avalais en quatrième vitesse un verre de jus d'orange et une barre de céréales, que mon estomac a appréciés. - Fais-toi jolie, ce soir il y a une soirée karaoké, et quelque chose me dit que tu as une voix formidable ! Me dit Amanda au bout d'un moment. - Je ne sais pas si elle est formidable, mais elle est déjà mieux que celle de ma sœur, qui chante comme un crapaud baveux ! Ris-je. - Je n'en serais pas si sûr à ta place, dit joyeusement l'intéressée qui nous avait déjà rejoints. - Ah  ! Mais quelle plaie  ! Tu me poursuis ou quoi  ? - Rosalyne a décidé de faire sa rebelle… C’est enfantin… Dit-elle en faisant sa grande Dame. - Je joue à ton propre jeu Carra, dis-je sèchement et très sérieuse. Je me suis levée et je suis allée farfouiller dans ma valise pour prendre des vêtements que j'avais prévus pour ce genre de soirée, ainsi que ma trousse de maquillage et les chaussures adéquates. J'ai fourré le tout dans mon sac de plage et je suis ressortie. Carra a éclaté de rire. - Tu comptes aller à la soirée comme ça ? Dit-elle en reluquant mon bikini et mon paréo. - Non, je n'ai juste pas l’intention de me retrouver dans la même tente que toi pour me changer, et t'entendre me dire que mes fringues sont ringardes et démodées. De plus je pense qu'Amanda ne verra pas d’inconvénient à ce que je me change chez elle. - Bien sûr que non petite sœur ! Amanda s'est levée de son siège, m'a pris la main, et m’a entraînée à sa suite, sous l’œil ahurit et les joues écarlates de Carra. - Et toi, tu ne dis rien ! Crie-t-elle à Julian. - Qu'est-ce que tu veux que je lui dise ? Moi, je n'empêche pas ma sœur d'avoir des amis, dit-il sèchement. Ça lui fait les pieds à cette g***e ! Nous avons croisé mon père. - Salut ma puce, ça va avec ta sœur ? - Elle gueule… Dis-je en haussant les épaules. Il rit. - Pour changer, dit-il en s'éloignant. Ravis que tu aies retrouvée le sourire ! - Moi aussi  ! Tu viens à la soirée  ? - Bien sûr  ! Je veux t'entendre  !
Free reading for new users
Scan code to download app
Facebookexpand_more
  • author-avatar
    Writer
  • chap_listContents
  • likeADD