Chapitre I

2306 Words
Chapitre I 30 ans plus tard. ― Êtes-vous sûre de vouloir acheter cette maison Madame Weston ? demanda Odile Rappemont de Rappemont Immobilier. ― Aussi sûre que je viens du Dakota du Sud, répondit Rylee tout sourire en se tournant vers sa nouvelle demeure. L'agent immobilier boudinée dans son tailleur mauve haussa les épaules. ― Bien comme vous voudrez. Vous savez dans votre budget j'en ai des beaucoup mieux. Enfin je dis ça, c'est votre problème après tout si vous voulez vivre avec des fantômes, ça vous regarde. ― Avec des fantômes ? répéta Rylee. La grosse dame haussa de nouveau les épaules en retirant la pancarte « à vendre » qui était plantée depuis des années dans la motte de terre à côté du portail en bois. Portail pour le moins inutile étant donné qu'il n'y avait plus de clôture depuis bien longtemps. ― Des gens disent qu'ils ont vu et entendu des choses pour le moins mystérieux, comme des cris, des pleurs, enfin ce genre de choses quoi. Mais ce n'est que des on-dit, si on se met à écouter tous les ragots du village, alors dans ce cas mon mari me tromperait avec cette débauchée de Sophie, la patronne du salon de coiffure en ville. En voyant le physique de son agent immobilier, Rylee n'en aurait pas été étonnée si ç’avait été le cas. Courage monsieur. ― Nous signerons le compromis demain, reprit Odile en secouant la tête. (Elle marqua une pause). Bon sang je n'en reviens pas qu'elle soit vendue, c'est Tony, mon associé qui ne va pas me croire. Paradise Hill est en vente depuis au moins trois décennies. Elle a beaucoup de potentiel, avec un bon coup de peinture, quelques travaux d'isolation, elle sera comme neuve. Odile ne savait pas si elle essayait de se convaincre elle-même en disant cela. ― A ce propos, qui viendra céder la vente ? ― Ce sera nous. La maison n'ayant aucun légataire, c'est la ville qui nous a donné procuration. Rylee secoua la tête en signe d’acquiescement. La grosse dame au chignon en banane, entra dans sa Chrysler non sans mal. Si Rylee avait eu du beurre, elle n'aurait pas hésité à l'utiliser pour l'aider à la faire glisser à l'intérieur. ― Vous venez du Dakota vous dites. Mais qu'êtes-vous venue faire jusqu'à la Nouvelle-Orléans, le Mont Rushmore ne vous plaisait plus ? Bien sûr, tous les habitants restaient plantés bêtement devant le mémorial des sculptures monumentales des quatre Présidents. Quel cliché. Elle venait d'un village bien au-dessus et très modeste : Pine Ridge. Autant dire que lorsqu'elle quitta sa ville natale, pour partir faire ses études au Dakota State University à Madison au dessus de Sioux Fall, ce fut comme un second souffle pour elle. L'université était presque plus grande que sa propre ville. La jeune femme s'approcha de la berline grise, Odile avait baissé sa vitre. ― L'instinct je crois. J'avais envie de changer d'air, mentit-elle. La grosse guimauve se pinça les lèvres. ― Un petit conseil, ne soyez pas trop exigeante avec les gens d'ici. Rylee fronça les sourcils et croisa les bras. ― Je ne comprends pas. ― Ici, ils sont... Comment dirais-je ? Plutôt bourrus. Ils n'aiment pas trop les étrangers et encore moins les gens de la Ville. ― Je viens d'une petite ville aussi. Odile alluma le contact, le moteur se mit à rugir. Question écologie, elle devait savoir ce que signifiait ce mot uniquement dans le dictionnaire. ― Tout ce qui dépasse 5000 habitants est pour eux une métropole. Vous verrez tout le monde se connaît ici, elle jeta un coup d’œil à sa montre. Bon je dois y aller, Tony me doit 100 dollars pour la perte de son pari, on se voit demain au bureau. Plus tôt se sera signé, plus tôt vous emménagerez. La Chrysler vrombissante, laissa des traces sur le gravier puis s'éloigna au loin, laissant la jeune femme devant sa majestueuse demeure qui laissa un instant sa nouvelle propriétaire dubitative. Elle ne savait pas si elle avait bien fait de céder à son instinct, celui qui lui avait ordonné d'acheter Paradise Hill. La semaine suivante, le camion de déménagement arriva. Rylee la main en visière observa les gros bonhommes sortir cartons, canapé et lit pour les rentrer dans la maison. Sous un soleil d'été indien de fin septembre, elle se dit qu'elle avait bien choisi son jour pour aménager sa maison. Elle se tourna vers son nouveau chez elle, en considérant la maison avec toujours le même sentiment en elle ; avait-elle bien fait ? L'immense bâtisse datait des années 60. Comme toute bonne maison de Louisiane, elle était recouverte de planches en bois peintes en blanc, qui avait sérieusement besoin d'un bon coup de peinture (ou d'être détruites !). Le toit, les poutres ainsi que les rambardes du balcon de la chambre familiale et du porche qui étaient gris, contrastaient avec le reste. Le jour de la visite, Rylee ne s'était pas montrée très emballée par l'union des deux couleurs. Mais à force de la regarder et de la comparer aux maisons bleues, roses ou gris anthracite de son village, elle avait fini par la trouver typiquement sobre et indémodable. Elle possédait un étage et un grenier aménageable, ce qui la rendait massive de l'extérieur. Son jardin tout autour avait besoin d'un bon coup de tondeuse et de cisaille. La végétation avait comme qui dirait reprit ses droits. Rylee donna une caresse à son chien Iden qui venait de se coller à sa jambe. Un chien japonais de race kaiken. Chien docile, pot de colle, mais bon chien de garde dans l'ensemble. Elle n'avait jamais entendu parler de cette race, jusqu'à deux ans auparavant quand elle avait décidé de combler son vide affectif par la présence d'un chien. Après des mois de recherche, elle avait fini par tomber sur un élevage. Deux mois plus tard elle se retrouvait avec un carton dans sa voiture contenant une magnifique boule de poil bringé. Rylee tapota la tête de son chien puis s'avança vers les déménageurs à la carrure de rugbymen à la pré-retraite, qui étaient en sueur. L'un des trois s'assit sur le porche, prit sa casquette noire de crasse et s'essuya le front dégoulinant de sueur avec. ― Vous avez terminé ? demanda-t-elle. ― Non, il reste deux trois trucs, mais on avait bien besoin d'une petite pause. Bon Dieu qu'il fait sacrément chaud aujourd'hui. Elle se mit à sourire. ― Ne vous en faites pas, je ne suis pas pressée. J'ai préparé de la citronnade si vous voulez. ― M'en voulez pas m'amzelle mais je serais plus partant pour une bonne petite bière. Les deux autres hommes renchérirent derrière. Évidemment que les hommes préféraient la bière, et heureusement qu'elle en avait prévu. ― Vous auriez dû faire les travaux avant d’emménager si vous voulez mon avis. Elle haussa les épaules avant de se diriger dans la cuisine, où le frigo était déjà installé. Elle en sortit une cruche de citronnade et s'en servit un verre. Le déménageur n'avait pas tort, mais le temps de tout rénover elle n'aurait pas mis les pieds ici avant l'année prochaine. Au moins en étant sur place, elle serait obligée de tout rénover si elle voulait vivre confortablement. Le verre à la main, elle s’appuya contre le chambranle de la porte de la cuisine et observa son salon qui juxtaposait sa cuisine. Contre le mur, trônait une magnifique cheminée en brique ― dont elle remarqua qu'il en manquait une ― qui devait être ramonée avant cet hiver. Elle poussa un long soupir ; oui c'était vrai, l'intérieur avait besoin d'un bon rafraîchissement. Le parquet devait être ciré et le papier peint à rayures vertes devait absolument être enlevé. Elle ne pouvait même pas parler de mauvais goût, juste de mode dépassée. Elle but son verre d'une traite puis ouvrit le tiroir de son frigo pour y prendre trois bières à peine fraîches. Elle retourna dehors, sous le porche où les déménageurs attendaient avec impatience leur récompense si bien méritée. ― On n’aurait pas oublié votre table de salle à manger ? demanda en se grattant le crâne chauve, l'un des trois gros bonhommes. ― Non ne vous en faites pas. Je n'en ai pas. Rylee n'avait jamais aimé les salles à manger, bien trop conventionnelles à son goût. Au final personne ne venait assez souvent pour justifier que tout ce mobilier imposant devait prendre de la place dans une pièce. Et puis, ici, qui viendrait la voir ? Après avoir échangé quelques banalités avec les trois bonhommes pendant qu'ils sifflaient leur bière, Rylee retourna dans le salon où elle jaugea l'emplacement des meubles. Elle en était satisfaite. Elle retira les plastiques de son canapé et ses fauteuils, laissant apparaître un grand canapé en demi-lune à coussins en peau de pêche. Hors de question d'avoir du cuir dans sa maison. Outre le fait que cela venait d'un animal, elle avait toujours détesté cette matière si froide l'hiver et trop chaude l'été. ― Le piano on vous le met où ? demanda l'homme à la casquette sale, en tenant à bout de bras l'énorme instrument avec son binôme. Elle désigna l'emplacement derrière le canapé, là où normalement serait une table de salle à manger. Aussitôt ils le déposèrent. Elle n'avait jamais vraiment eu l'oreille musicale, mais sa mère voulait à tout prix qu'elle sache jouer d'un instrument de musique. Mais son père l'avait déjà inscrite à son premier cour de Taekwondo et au vu de ses prouesses sur un tatami comparées à celles devant un cahier de partitions, elle avait choisi son camp. Elle effleura les touches du piano du bout des doigts tout en imaginant sa mère pianoter en fermant les yeux, se concentrant uniquement sur la mélodie. Elle aurait donné n'importe quoi pour la revoir jouer. Le gros déménageur répondant au nom de Zed se cala le long de la porte d'entrée. Il sortit une cigarette et la coinça dans le coin de sa bouche. ― C'est bon mam'zelle, on a tout déchargé. Quand les déménageurs quittèrent le terrain, Rylee entreprit de vider tous les cartons. Pas question de laisser tout en branle et de se croire dans un appartement d'étudiant mal rangé. Elle voulait se sentir chez elle le plus tôt possible...Et surtout cela l'occuperait. Elle monta à l'étage où le couloir menait sur cinq pièces. La salle de bain et une chambre (sa future) et deux autres chambres à droites, dont une qu’elle condamnerait pour faire un dressing digne de ce nom. Elle se dirigea dans la salle de bain où elle y installa le miroir au-dessus du lavabo blanc poussiéreux. Elle en profita pour prendre deux minutes pour recoiffer sa longue tignasse châtain foncé, presque noire. Rylee était une beauté descendant des Sioux, plus précisément de la réserve indienne de Sioux Fall exilée à Pine Ridge depuis plusieurs générations. Sa peau était hâlée comme ses ancêtres paternels, sa silhouette était athlétique de part ses origines et le sport de combat. Sa mère venait du Wyoming, elle en avait hérité les traits fins, typiques des visages pâles. Un nez aristocratique et une bouche bien dessinée sublimaient son visage tout en lui donnant un air supérieur voire hautain. Elle sortit dans le couloir pour descendre les escaliers quand elle entendit des bruits de pas venir du grenier. Elle s'arrêta quelques secondes pensant que c'était son chien, mais celui-ci était en bas en train de jouer avec son jouet en caoutchouc couineur. Elle s'avança doucement vers les cinq marches et attrapa la poignée. De l'autre côté de la porte elle entendit de plus en plus les pas. Comme si quelqu'un courait. Elle tourna la poignée mais la porte resta bloquée. Elle mit quelques coups d'épaule mais celle-ci aussi vieille qu'elle était, ne s'ouvrit pas. Soudain, les bruits de pas s'arrêtèrent. Elle descendit les escaliers pour aller chercher son téléphone portable, Odile avait probablement oublié de lui laisser la clé. Elle composa le numéro mais fut forcée de constater que le réseau ne passait pas. Elle se souvint alors que la grosse dame lui avait dit de sortir derrière au milieu du jardin, le seul endroit où les portables captaient. Elle sortit avec son téléphone à l'oreille et finit par trouver du réseau, d'où elle était, elle pouvait voir la fenêtre du grenier. Là, où elle avait entendu les pas. ― Allô ? ― Bonjour Odile c'est Mademoiselle Weston. ― Quelque chose ne va pas ? demanda aussitôt l'agent immobilier. Rylee se racla la gorge. ― Ne vous en faites pas, tout va bien, mais vous avez oublié de me donner la clé du grenier. A l'autre bout du fil, Odile semblait réfléchir. Puis elle répondit : ― Non pas du tout ma chère. Elles sont sur votre trousseau, celui où il y a toutes les autres clés. C'est marrant que vous m’appeliez, justement je parlais de vous avec Tony, figurez-vous que …. Pendant qu'Odile continuait son monologue, Rylee observait la fenêtre du grenier où elle vit une silhouette. C'était une femme vêtue d'une robe avec de longs cheveux. Rylee en laissa retomber son bras qui tenait son téléphone. Sans tenir compte de ce que son interlocutrice était en train de lui dire, Rylee raccrocha et rejoignit les escaliers en passant par la porte-fenêtre de la cuisine. Quand elle arriva en haut, la porte du grenier était ouverte. C'est quoi ce cirque ? Prudemment elle avança dans le long couloir, les cinq marches grincèrent sous le poids pourtant léger de la jeune femme. Elle passa la tête dans l'encadrement de la porte. La pièce était vide. Seule une malle qui était là le jour de la première visite, avait été oubliée par les anciens propriétaires (30 ans avant). Rylee se pencha sur le vieux coffre fait de bois et recouvert de cuir vert foncé. Elle voulut l'ouvrir mais il était fermé par un important verrou. Elle regarda sur son trousseau s’il y avait une grosse clé mais rien ne correspondait. Elle souffla et se résigna à l'ouvrir dans l'immédiat. De toute manière, la malle ne bougerait pas d'elle-même. Elle trouverait bien un moyen de l'ouvrir dans les jours à venir. Calmement elle redescendit les escaliers pour se servir une tasse de thé. Elle était venue ici dans un but bien précis et peu importe le temps que cela prendrait. Elle avait quitté son Dakota natal pour retrouver sa mère qui avait disparu deux ans auparavant. Personne ne savait pourquoi sa mère avait décidé de disparaître ici, à Little Wood à la Nouvelle-Orléans, en laissant juste un mot. Posée sur la table de sa cuisine à attendre que sa tasse de thé ne refroidisse, Rylee réfléchissait à ce qu'elle avait entendu. Touchant ses gros bracelets en cuir qu'elle portait à ses deux poignets elle tenta de se convaincre à voix haute : ― C'était réel, la porte était fermée... La porte était vraiment fermée. Il y avait des pas, ce n'était pas dans ta tête cette fois-ci. Tu n'es pas folle. Tu ne l'es plus. Tu ne l'es plus.
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