Chapitre V

2452 Words
Chapitre V Le lendemain, Matthews ne tint pas sa promesse. Il ne vint pas chercher Rylee qui avait passé sa journée à attendre. Elle avait essayé de se trouver quelque chose à faire pour se convaincre qu'elle ne l'attendait pas mais à chaque fois qu'elle avait entendu un moteur vrombir devant chez elle, elle avait espéré que c'était lui. C'était trop beau pour être vrai, elle ne devait pas croire qu'elle lui plaisait et qu'il en avait quelque chose à faire d'elle. Et puis de toute façon, il ne lui fallait pas un type comme Matthews. Certes il était terriblement beau, mais il était à l'opposé des hommes qui l'attiraient réellement. Elle aimait les hommes de tête, charmant mais intelligent avec qui elle pouvait parler politique, musique et cinéma pendant des heures. Un Justin quoi, son ex. Matthews ressemblait trop à son père. Et bien qu'elle respectât énormément son père, elle ne souhaitait pas le même genre dans son lit, le syndrome d’œdipe très peu pour elle. Le surlendemain après-midi, Rylee se prépara pour aller en ville. Elle venait de passer plus d'une heure au téléphone avec sa grand-mère à parler de tout et de rien et comme elle déprimait dans sa grande maison, elle avait eu envie de sortir pour voir du monde et visiter la zone commerciale la plus proche ; c'est à dire, celle qui se trouvait à plus de trente-cinq kilomètres. Chiner les boutiques, acheter des vêtements, voir des gens, prendre un café dans une brasserie, faire des choses qu'elle avait l'habitude de faire avec des amis, elle en avait bien besoin. Elle arriva dans la zone en question et fut surprise d'y découvrir une vraie zone. A force de voir des maisons plates et des arbustes, elle s'attendait presque à trouver des magasins faits en rondins de bois et tôles ondulées. Mais en arrivant sur le parking, c'était un flot d'enseignes les unes à côtés des autres. Beaucoup de commerces, de restaurants et même un cinéma. Alléluia. De quoi lui rappeler qu'il y avait une vie en dehors de Paradise Hill. Elle s'enquit de découvrir toutes les boutiques, ne sachant plus où donner de la tête. Elle avait tellement ruminé durant ces deux premières semaines, enfermée dans sa prison dorée à effectuer travaux çà et là, qu'elle comptait dépenser sans compter pour se redonner du baume au cœur. Après être passée dans une boutique de vêtements, elle se dirigea vers le centre commercial. Elle y fit quelques courses et pensa même à s'acheter une nouvelle carte mémoire pour son appareil photo. Son shopping terminé, elle se posa sur une terrasse d'un bar-restaurant. Pendant qu'elle goûta une première gorgée de son smoothie fraise-banane, le journal local vola à ses pieds. Elle le ramassa, et se permit de le lire. Outre les décès et les mariages, elle remarqua que plusieurs disparitions avaient eu lieu. Des personnes des environs. Étonnant pour une petite ville d'avoir autant de personnes disparues. Des filles en l’occurrence qui avaient toutes disparu à trente kilomètres à la ronde. Rien de très rassurant ! Elle essuya un frisson puis continua la lecture. Une offre l'interpella. C'était la vente aux enchères du cabinet de vétérinaire dont Matthews lui avait parlé. Bien sûr, elle aurait bien envie de reprendre son travail, mais l'argent et l'ambition lui manquaient. Elle avait un but en venant ici, et elle ne devait pas le perdre de vue. Dix-neuf heures résonnaient au tintement des cloches de l'église du village. La première fois qu'elles les avait entendues, ses poils s'étaient hérissés, mais avec le temps, elle avait fini par s'y habituer. Elle sortit les nombreux paquets de son coffre puis les déposa sur le perron en bois. Elle chercha les clés dans son sac à main et vit sur le sol un pense-bête collant qui avait dû tomber de la porte. Elle le ramassa et constata que c'était Matthews. « Je suis passé aujourd'hui, vous n'étiez pas là. Je repasserai demain. » Elle se mit à sourire bêtement. Il était passé ! Il ne l'avait pas oubliée !... Puis elle se ravisa, c'était hier qu'il devait venir. Après tout, c'était toute la journée d'hier qu'elle avait passé à l'attendre. Elle entra dans la maison puis haussa les épaules avec un petit sourire en coin ; il était passé. Point. Quatorze heures s'affichaient sur son horloge à motif de plumes. Elle s'était enfin décidée à appeler son opérateur pour poser une ligne fixe. Mais au bout du cinquantième standardiste, son problème n'était toujours pas réglé. Quelle manie les opérateurs ont de savoir que les gens sont tellement dépendants de leur réseau qu'ils se permettent de prendre leur temps pour envoyer bouler les clients. Un enfer quand il s'agit de s'expliquer avec eux. Rylee nettoyait son appareil photo en espérant que Matthews ne l'oublie pas une nouvelle fois. Et elle fut agréablement surprise quand elle entendit le pick-up écraser les graviers. Elle se leva du canapé et se dirigea vers le miroir à côté de la fenêtre. Elle y arrangea son chignon, dégagea quelques mèches et frotta son khôl qui avait commencé à couler à l'extérieur de l’œil. Quand il toqua, elle prit un air faussement décontracté puis lança : ― Vous êtes en retard. ― Oh seulement de 48 heures. Elle croisa les bras, puis il s'excusa vraiment. ― Je voulais vous prévenir mais je n'avais pas votre numéro. Elle se tourna vers lui en haussant un sourcil. ― C'est une façon détournée de me le demander ? ― Ah je vois... Vous êtes plutôt signaux de fumée. Elle ne put s'empêcher de rire. Elle qui comptait bouder un peu pour se donner un air de fille caractérielle, c'était fichu. Chaque fois qu'il était là, elle se sentait comme une adolescente en pleine puberté. Elle lui servit un café et allèrent se poser sur le canapé. Après avoir échangé leurs numéros et quelques banalités, il lui expliqua son absence de la veille, rien de bien grave ; juste le maréchal-ferrant qui avait décalé son rendez-vous d'une journée en avance. Bref, il rentra dans le vif du sujet : le manoir. ― Nous avons une bonne demi-heure de route pour y accéder. ― Nous ? ― Bien sûr ! Vous ne croyez quand même pas que je vais vous laisser y aller toute seule ? ― Je suis une grande fille vous savez. Bien sûr qu'elle aimait l’initiative qu'il avait prise de venir avec elle. Elle allait passer un après-midi entier avec lui, sans parler du fait qu'ils allaient rester l'un à côté de l'autre durant plus d'une heure de trajet. ― Grande fille ou non, c'est perdu dans les bois et c'est une très vieille bâtisse, on ne sait pas ce qui peut se passer, les fondations doivent être mauvaises. Si vous tombez dans une douve cachée il faut bien que quelqu'un vienne nourrir votre chien. Elle secoua la tête en souriant après quoi elle monta à l'étage pour se changer. Quand elle redescendit, il constata que même avec un sweat à capuche à poche ventral, un jean noir retroussé et une paire de Superstar, qu'elle était toujours aussi jolie. Pourquoi les hommes devaient constamment penser à autre chose en voyant une fille ? C'était inscrit dans le code génétique ou ce besoin de reproduction était irrépressible ? Il se força à détourner le regard et sortit son téléphone mais pesta quand il s'aperçut que son réseau ne passait pas. ― Bon je dois avoir une carte dans la boîte à gants. Ça fera l'affaire. Assise côté passager dans le pick-up à peu près propre de Matthews, Rylee regardait défiler le paysage. Elle était de nature curieuse et bavarde, mais depuis deux ans, elle n'arrivait plus à flirter. Elle avait complètement oublié les codes pour minauder et séduire. Pourtant il fallait bien rompre ce silence cérémonial et pesant. Heureusement Matthews lança la conversation. ― Au fait, ton fameux brownie allégé, il était super bon. C'est quoi le secret ? L'atmosphère intime et confiné que formait le trajet dans la voiture instaura le tutoiement. Rylee ne releva pas, elle préférait d'ailleurs. ― Si c'est un secret je ne peux te le dire. ― Tu as mis 20 grammes de beurre en moins c'est ça ? ― Impossible, je ne mange pas de beurre. Mais si le manoir en vaut la peine, alors je te dirais mon secret. Il hocha la tête en souriant. ― Est-ce que je peux te poser une question ? ― Oui ? ― Qu'est-ce qu'une jeune femme, visiblement brillante comme toi, est venue faire ici ? Et toute seule qui plus est. Enfin je veux dire, déjà pourquoi avoir acheté cette maison ? Elle n'était pas du genre à jouer les jeunes femmes mystérieuses. Elle n'avait pas grand chose à cacher. Enfin du moins, même si elle ne souhaitait pas s'étendre sur sa vie privée, elle ne pouvait mentir sur sa motivation. ― Je recherche ma mère. ― Ah oui ? Comment ça ? Ici ? ― Il y a deux ans, ma mère a disparu sans laisser de traces. Puis il y a un an, nous avons fait une annonce au journal télévisé pour la retrouver. Elle marqua une pause. Deux semaines après, nous avons reçu une lettre de sa part disant qu'elle était ici même. Mais rien d'autre. Aucune piste. Rien. ― Donc tu as acheté cette ruine pour rechercher ta mère dont tu ne sais plus rien depuis deux ans sur un coup de tête ? Sans détacher son regard des arbres qui défilaient, elle acquiesça puis ajouta : ― De toute manière j'avais besoin de changer d'air. Il leva les sourcils en lui faisant comprendre qu'il voulait en savoir plus. Voyant qu'il ne cessait de la regarder, elle leva les yeux au ciel en lui faisant remarquer qu'il était bien trop curieux. Il assuma la remarque. ― Il y a deux ans je devais me marier. La réponse, le surprit. Il écarquilla les yeux et hocha la tête. Il lui demanda pourquoi elle avait failli se marier. Elle poursuivit : ― Parce que... Parce que ça ne s'est pas fait. C'est tout, c'est comme ça. Elle avait dit cela sur un ton acrimonieux. ― Je suis désolé, si tu ne veux pas en parler. ― Effectivement je ne le souhaite pas. Elle baissa la tête et se mit à faire tourner autour de son poignet les gros bracelets en cuir qu'elle portait à chaque bras. Matthews qui ne savait plus quoi dire, prit un virage puis un autre et s’engouffra sur la nationale. Malgré le fait qu'elle ne souhaitait pas en parler, elle avait éveillé sa curiosité. Et il détestait rester sur sa faim, il voulait tout de même connaître quelques détails. ― Si je peux me permettre, moi je m'en mordrais les doigts de ne plus être avec une femme comme toi. Elle fit volte-face. ― Pardon ? ― Oui, je veux dire, il doit être dégoûté de ne plus être avec toi. Tu es bien partie pour venir ici pas vrai ? ― Mais non pas du tout. La technique de prêcher le faux pour savoir le vrai avait l'air de fonctionner. Elle était réceptive. ― Bien, je ne comprends pas alors ce qu'il y a de difficile à comprendre dans ton histoire. Elle semblait bouillir de l'intérieur, elle n'avait pas envie de le dire. Même si ce n'était pas un secret, elle détestait parler de sa vie d'avant. Chaque fois qu'elle énonçait le récit de son passé, elle avait l'impression de rouvrir des brèches. Et elle avait mis tellement de temps à les refermer qu'elle ne souhaitait plus entailler les cicatrices que son histoire avait laissées. ― Tu sais, on a tous rompu un jour ou l'autre. Ça fait partie de la vie, c'est comme ça. Moi-même j'ai eu des déceptions, assura-t-il. ― On n’a pas rompu. Il tourna la tête vers elle avec un air dubitatif. ― Et bien alors quoi ? Tu es toujours avec et il t'attend sagement dans le Dakota que tu rentres ? Elle leva les mains et les laissa retomber. Elle craqua. Elle explosa comme un bouchon de champagne sous la pression. ― Il est mort ! Voilà pourquoi ! Matthews resta silencieux. Il avait honte. Il venait de prendre une gifle verbale monumentale. Quel idiot il venait de faire. Il avait voulu profiter de ce moment pour se rapprocher d'elle, pour la découvrir et lui montrer qu'il était un type bien et finalement c'était tout le contraire. Il avait perdu une belle occasion de se taire. ― Je... Je suis désolé. Vraiment. Elle appuya son coude sur la portière pour y poser sa tête et se mit à regarder dehors. Elle avait déjà repris son calme. ― Excuse-moi, je n’aurais pas dû te forcer à m'en parler, concéda Matthews. Elle répondit sans tourner la tête. ― Ça va, c'est rien. Tu ne pensais pas à mal. ― Si je regrette. Je ne sais plus quoi te dire. ― Parce qu'il n'y a rien à dire. C'est ainsi. Il se tut. Il avait tellement de questions à lui poser. Quand ? Comment ? Quel âge avait-il ? Comment t'en es-tu sortie ? Mais finalement il opta pour une autre question. ― C'est pour ça tes bracelets ? Et mince, quel abruti... Sans le regarder, elle se mit à les toucher. Elle n'avait pas envie de répondre. Mais s’il posait la question, c'est qu'il devait avoir compris. Il n'était pas si idiot que ça. Voire très observateur. ― Allez, assez parlé de moi tu veux. Parle-moi un peu de toi. Il esquissa un sourire, ravi de voir qu'elle n'était pas rancunière. Pourtant elle aurait pu, il venait quand même de lui faire parler de son défunt fiancé. Il ralentit à la vue d'une voiture en panne sur le côté et répondit : ― Il n'y a pas grand chose à dire. Je suis né ici, j'habite encore chez mes parents. Non pas parce que je ne veux pas partir, mais parce que mon lieu de travail est 24 heures sur 24. Mes parents ont besoin de moi alors je ne vois pas l'intérêt de partir de chez eux. Il se tut, réfléchit un instant puis reprit : ― Je n'ai pas d'enfants, je n'ai jamais été marié et... Et j'habite chez mes parents. ― Tu l'as déjà dit. ― Et bien, tu vois, on a déjà fait le tour de ma vie. Il la faisait rire. Il était maladroit mais drôle. ― Tu ne sors jamais ? demanda-t-elle. ― Si bien sûr ! Mais attends, je ressemble tant que ça à un ours ? Elle esquissa un sourire et pensa que si tous les ours étaient aussi beaux que lui, qu'il y a longtemps qu'elle aurait vécu au beau milieu d'une forêt. ― Non ! Mais il y a tellement rien à faire ici. ― Avec mes potes on sort dans la ville d'à côté. Là où il y a la grosse zone commerciale. Tu devrais aimer il y a plein de trucs de filles là-bas. ― Oui j'y suis allée hier. Il comprit alors, pourquoi il avait trouvé porte fermée la veille. ― Un jour je t’emmènerai dans des bars, tu verras. Elle tourna la tête en direction de la vitre, elle put sourire sans qu'il ne la remarque, du moins c'est ce qu'elle pensait. Elle ne s'imaginait pas qu'il le remarquerait dans le reflet. Elle était contente de cette proposition. Il décéléra et tourna dans un chemin qui s'engouffrait dans la forêt. ― C'est vraiment au fin fond des bois ? Il se rapprocha de son volant pour mieux scruter les bosses formées par les remous devenus secs. Avant que la boue ne durcisse, les sangliers viennent régulièrement se vautrer en famille dans la fange. Résultat quand le soleil durcit le sol, des monticules de terre abîment le chemin. Le pick-up remuait brutalement par moment. ― Non bien sûr que non. Je veux juste te v****r et t'enterrer dans un trou. Elle sourit en hochant la tête. Quelques minutes à rouler au pas dans le chemin et Matthews s'arrêta devant un grand portail en fer forgé noir et rouillé. Des piques se trouvaient au sommet et un muret commençait de chaque côté où il s'était écroulé après quelques mètres jusqu'à avoir disparu, rendant de ce fait le portail inutile. Matthews s'approcha du pare-brise et leva les yeux pour observer l'énorme bâtisse. ― Voilà mademoiselle. Nous sommes arrivés.
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