Chapitre IV
Le lendemain, le soleil s'était invité dans la chambre de Rylee qui s'éveillait paisiblement. Évidemment, après la pluie le beau temps, se dit la jeune femme. Ce n'était pas un proverbe Indien mais ça aurait pu l'être. Elle trouva la force de se lever et de rejoindre la cuisine pour y prendre son petit déjeuner.
Elle enfila un vieux jogging et un débardeur puis sortit pour décrocher les chaises de jardin qui s'étaient un peu cassées à force de cogner les unes contre les autres. Une fois terminée, elle alla chercher son pot de peinture et ses pinceaux. Elle décrocha ses volets et les posa sur deux tréteaux, elle passa tout l'après-midi à les repeindre. Entre les allers-retours à la cuisine, aux toilettes et à jouer avec son chien, elle avait fini par en peindre seulement deux. Tant pis, au moins cela avait eu le mérite de l'occuper.
Un bruit de moteur attira son attention, elle releva la tête, plissa les yeux et vit un pick-up bleu faisant de la poussière quand il se gara dans sa cour.
Matthews en sortit avec un paquet à la main.
― Salut ! lança-t-il en la rejoignant.
― Bonjour.
― Je passais par là et je vous ai vue. Il lui tendit le paquet. Tenez c'est pour vous. Pour vous remercier de ce que vous avez fait.
― C'est gentil, mais je n'ai fait que mon travail.
Il sourit.
― Quelle fausse modestie. Allez prenez ça, ce n'est pas grand chose mais comme je ne vous connais pas, je ne savais pas ce qui vous ferait plaisir.
Elle ouvrit le paquet cartonné et y découvrit une luxueuse boîte de chocolats.
― Et comme je suis une femme, vous vous êtes dit que je devais forcément aimer le chocolat.
Il grimaça.
― Ok je vois. Je me suis trompé ?
― Ce qui est fou avec les préjugés c'est que parfois il donne raison. Elle sourit. Et vous avez raison, j'adore le chocolat.
― Ouf, vous m'avez fait peur.
Il enfonça les mains dans ses poches et regarda autour de lui.
― Je vois que vous n'avez pas chômé ici. Volets, porche, petit salon de jardin.
― Il faut bien s'occuper quand on n’a ni télé, ni téléphone et ni emploi.
Et ni famille, ni amis, finit-elle dans sa tête.
― Vous avez l'eau chaude et l'électricité ? Sinon je peux vous montrer ce que c'est, c'est une super invention.
Elle leva le menton pour le défier, mais se mit à rire.
― Vous voulez boire quelque chose ?
― Et bien je n'ai pas spécialement soif, mais je vais quand même dire oui, juste parce que je suis curieux de voir ce que vous avez bien pu faire à l'intérieur.
― Ah c'est gênant car je n'avais pas l'intention de vous faire entrer, le puits est derrière la maison.
Ses yeux pétillaient de bonne humeur, elle le faisait rire.
― Bon c'est bien parce que je dois rentrer mes chocolats avant qu'ils ne fondent. Suivez-moi.
Il entra dans la maison et fut agréablement surpris par une odeur de gâteau qui cuisait au four.
― Ça sent super bon.
― Ah oui le four !
Elle se précipita dans la cuisine pour en sortir la pâtisserie qui avait manqué de peu de griller. Matthews se cala le long du chambranle profitant du spectacle. Malgré ses cheveux attachés en chignon ébouriffé et son vieux jogging qu'elle avait dû voler au secours populaire, il la trouva sublime ; par respect, il évita de s'attarder davantage sur le débardeur qui mettait en valeur sa généreuse poitrine.
― Ça a l'air bon.
― Ça l'est, répondit-elle comme si elle ne comprenait pas l'allusion de vouloir y goûter. C'est un brownie.
Elle arrivait à garder la ligne en s’empiffrant de gâteau à 800% de matière grasse. Génial.
― Allégé, ajouta-elle.
― Ah.
Comment un brownie pouvait être allégé ? Le but de ce gâteau est d'être foncièrement gras et riche en sucre.
Elle lui servit un verre d'eau et l'invita à sortir de l'autre côté de la maison par la cuisine.
― Vous avez encore du boulot mais vous avez pas mal avancé.
― Je n'ai que ça à faire ici. Il me faut faire des activités chronophages, sinon je m'ennuie mortellement.
Il but une gorgée de son verre.
― En même temps, il n'y a pas grand chose à faire dans le coin. Au fait, je tenais à m'excuser pour l'attitude d'ours mal léché de mon père.
Elle balaya de la main.
― Ce n'est pas grave, c'est déjà oublié. Mais s’il est mal léché vous devriez vous en prendre à votre mère.
La réplique était osée mais il éclata de rire. Elle avait de l'humour il aimait ça.
― Alors vous êtes une vraie vétérinaire ?
― Bien sûr j'ai toujours vécu entouré d'animaux et avec mon père nous possédons quelques chevaux. Ça me semblait logique de me spécialiser dans les pathologies équines.
Il acquiesça de la tête.
― Vous comptez ouvrir un cabinet ici ?
Elle haussa les épaules.
― Je ne sais pas, j'hésite. Mais rien ne me dit que je resterais ici.
En fait, elle ne savait pas combien de temps cela allait prendre pour découvrir ce qu'elle était venue chercher. Mais il fallait bien trouver un moyen de faire rentrer de l'argent. Elle n'allait pas vivre ad vitam æternam sur ses réserves.
― Le vétérinaire le plus proche est à vingt-cinq kilomètres au sud. Celui que nous avions en ville a fermé il y a plus de trois ans. Les gens seraient ravis de voir quelqu'un de nouveau s'installer. Surtout qu'aux alentours ce n'est pas les chevaux qui manquent.
C'est pas faux, se dit-elle.
― J'aurais bien aimé faire des études, mais j'ai dû aider mon père à la ferme, je me dis que ce n'est peut-être pas plus mal. Je ne suis pas doué pour grand chose à part pour m'occuper des chevaux, des vaches et accessoirement monter des murs.
― C'est déjà pas mal.
Ils s’avancèrent dans le jardin.
― Comment va votre poulain ?
― Foudre ? Il va bien.
― Vous l'avez vraiment appelé Foudre ?
Il fronça les sourcils.
― Pourquoi ce n'est pas comme ça que vous espériez qu'on l'appelle ?
Elle rit.
― Si je vous taquine.
― On avait le choix avec Petit Tonnerre mais ce n'est pas la bonne lettre et puis c'est déjà pris.
Elle s'arrêta et lança sur un ton narquois :
― Vous vous moquez de mes origines ?
― Non, mais puisque vous en parlez, si ça ne vous dérange pas, j'aimerais bien faire un selfie avec vous pour montrer aux copains que je connais Pocahontas.
Elle le regarda bizarrement.
― Un selfie qu'est-ce que c'est ?
Il écarquilla les yeux mais avant qu'il ne dise quoi que se soit, ajouta :
― Ça va, je plaisante. Vous me prenez pour quoi ? Vous croyez que j'ai appris la médecine en lançant du sable dans du feu en invoquant les esprits du dieu des poneys tout en dansant sous la pluie ?
― Ah c'est donc ça que vous faisiez dans ma cour hier soir, répondit-il en faisant mine de se souvenir.
Elle lui mit une tape sur le ventre puis ils rirent ensemble jusqu'à ce que le téléphone de Matthews ne coupe ce moment affable. Il décrocha et eut une brève conversation avec son interlocuteur.
― C'était mon père, je dois y aller.
Elle fit un signe de tête et l'invita à repasser par la cuisine. Ils passèrent dans le hall quand Matthews fut interpellé par un des cadres qu'elle avait accrochés. En l’occurrence celui du combi Volkswagen abandonné dans une forêt.
― C'est joli.
Il plissa les yeux et fut surpris de voir la signature de la jeune femme où l’on pouvait clairement lire son nom.
― C'est de vous ?
Elle se posa contre le mur.
― Oui c'est de moi.
― Vous aimez la photographie ?
― En fait pas particulièrement, j'aime juste capturer des endroits comme celui-ci. L'anniversaire de tata Suzette ou le mariage de Ginette et Robert ne m’intéressent pas pour que j'en fasse un métier. Les écrivains écrivent pour se raconter des histoires, moi je photographie un instant pour saisir une histoire, leur histoire.
Matthews ne disait mot. Il l'écoutait.
― Par exemple ici, un jeune homme idéalisait le film Into The Wild, il a donc volé le combi de son père et a atterri dans les bois pour partir vivre comme Christopher McCandless. Le cadavre du jeune homme a été retrouvé un mois après à côté du véhicule.
― On y croirait presque.
― Mais c'est ce qui s'est vraiment passé.
― Ah oui et comment le savez-vous ?
― Je suis tombée sur l'article de presse qui en parlait. Triste histoire.
. Elle le raccompagna jusqu'à son pick-up et lorsqu'il alluma le contact il ouvrit la vitre.
― Je suis en train de penser à ça, j'en connais un moi, d'endroit abandonné.
― Vu votre odeur je dirai la salle de bain non ?
― Ça c'est pas cool, j'ai eu une rude journée aujourd'hui.
Il baissa la tête pour se sentir le torse puis ajouta :
― Un manoir abandonné dans les bois ça vous dirait ?
Rylee écarquilla les yeux.
― Vous rigolez ? J'adorerais !
― C'est dommage Dakota, j'étais prêt à vous y emmener mais vu comme vous venez de me casser avec mon odeur, je ne sais pas si je vais le faire.
Elle leva l'index et courut dans la maison. Elle en revint quelques secondes après avec un papier d’aluminium. Il entrouvrit le paquet et comprit qu'il s'agissait d'une part de brownie.
― Bon ça va. Je passe vous le dire demain alors.
― Pourquoi demain ?
― Comme ça, ça me fera une occasion de revenir vous voir. A demain Dakota.
Sur ces paroles un brin enjôleuses, il recula le pick-up et prit la route en direction du ranch. Elle rentra chez elle en exécutant une sorte de danse de la victoire, ravie de voir qu'elle ne laissait pas indifférente le jeune homme.
De surcroît il lui avait même trouvé un petit surnom.
Elle monta dans la chambre vide pour fouiller dans un des trois cartons qui n'avait pas encore été vidé. Elle en sortit son Nikon dernière génération. Qu'est-ce qu'il lui avait manqué. Si ce fameux manoir existait réellement, elle ne savait pas si elle aurait assez de place sur sa carte mémoire.
Elle mit son appareil devant son œil droit et retira le cache sur l'objectif. Elle retrouva le temps d'un instant les émotions qui l'envahissaient chaque fois qu'elle arrivait sur un lieu. Le bruit que faisait le zoom quand il reculait ou avançait, le son subtil de l'obturateur, tout lui revenait. Comment avait-elle pu oublier tout cela ? Elle se rappela combien elle aimait ça, et se dit que le manoir serait les prémices de cette nouvelle vie.
Elle se leva et se mit au-dessus des escaliers, son angle de vue lui permettait de voir tout le couloir, elle positionna son appareil et prit une photo. Elle jeta un œil sur l'écran numérique et pensa aux retouches qu'elle pourrait apporter pour lui donner un côté ancien, comme si sa maison n'avait jamais été habitée. Elle descendit les marches et se posta juste devant pour prendre la globalité du salon. Quand elle regarda de plus prêt son écran, elle vit une forme à côté de l'âtre de la cheminée. Elle fronça les sourcils et zooma sur la forme floue. Elle crut discerner un visage ; une femme.
Elle regarda autour d'elle mais rien.