Chapitre III
Les mains enfoncées dans le terreau frais, Rylee plantait les bulbes de fleurs sur le côté de la maison. Elle n'avait jamais eu la main verte. En vérité elle n'aimait pas du tout le jardinage, tondre la pelouse, tailler les arbres, arroser les plantes c'était le rôle d'un homme et son père ne lui avait jamais appris tout ça. De surcroît dans son ancien chez elle, c'était un jardinier qui s'occupait de tout ça.
Tapant aussi fort que possible pour enfoncer le clou dans la planche du perron, Rylee essaya de rafistoler le plancher du porche comme elle le pouvait. Pas d'hommes, pas d'ouvriers pour faire le travail à sa place, elle n'avait pas d'autres choix que de s'occuper elle-même du bricolage. Après tout il ne fallait pas être diplômé d'Harvard pour planter un clou ou repeindre un volet.
Elle jeta un œil à son chien qui entreprenait de nouer des relations amicales avec les oiseaux en leur courant après. Évidemment c'était un échec. Elle posa son marteau et descendit les marches pour le caresser alors qu'il s'allongeait sur le flan, résigné à se faire des copains.
― Bah alors mon gros, tu t'éclates à courir après les oiseaux ! Tu vas t'ennuyer cet hiver.
Il lui rendit sa tendresse en relevant le museau pour lui lécher le menton. En riant, elle se releva pour chercher un bâton qu'elle lui jeta à plusieurs reprises, jusqu'à ce qu'il en ait assez et ne finisse par se coucher de nouveau.
Alors qu'elle s'apprêtait à reprendre son bricolage, une bourrasque de vent lui fit envoler ses cheveux. Le ciel s'était assombri d'un seul coup, menaçant la Nouvelle-Orléans d'un orage v*****t. Oui car elle le savait bien qu'ici les orages étaient plutôt tumultueux. Elle se réjouissait de ne pas avoir décidé en se levant le matin même de repeindre les volets.
Elle attacha ses chaises les unes aux autres contre le saule pleureur. Le vent commençait à devenir de plus en plus fort et avant qu'elle n'eût fini de protéger sa voiture à l'aide d'une bâche, des éventuels grêlons, le tonnerre retentit apeurant son chien qui se mit à couiner et à courir dans la cour. Elle l’appela plusieurs fois, mais celui-ci ne l'écouta pas. Elle n’eut pas le temps de l'attraper qu'il s'échappa et prit la fuite sur la route.
Manquait plus que ça !
Elle grommela alors que la pluie se mit à tomber comme des hallebardes. Elle courut chercher les clés de sa voiture et se précipita à l'intérieur. Elle recula en trombe, et prit la même direction que son chien. Par chance il continuait de courir au bord de la route, avant de s’engouffrer de nouveau dans la ferme des Anderson. Elle freina d'un coup sec sur le gravier mouillé et sortit de sa voiture où elle l'appela en espérant qu'il revienne. La pluie formait un épais rideau d'eau, elle ne voyait pas à plus de dix mètres devant elle et plongea les deux pieds dans une flaque d'eau.
Et puis quoi encore ?
― Rylee ! entendit-elle derrière elle. Elle se retourna et vit à l'entrée du hangar à boxes, Matthews qui lui faisait signe de la rejoindre. Elle ne perdit pas une minute avant de venir à lui.
― Iden a eu peur du tonnerre, il est encore venu chez vous, expliqua-t-elle.
La pluie faisant beaucoup de bruit quand elle touchait le sol, ils devaient presque crier pour s'entendre.
― Ma mère l'a récupéré. On l’a enfermé dans un box, suivez-moi.
Elle suivit son hôte en enfonçant sa tête dans les épaules pour se protéger de la pluie qui fouettait ses oreilles et son visage ; dans le couloir il lui désigna le box en question.
― Vous pouvez attendre que la pluie se calme un peu avant de repartir si vous voulez.
Il s'éloigna en direction du fond du couloir.
― Où allez-vous ? demanda-t-elle.
― Je dois vous laisser, nous avons une jument qui est en train de mettre bas et le vétérinaire ne peut pas se déplacer.
― Laissez-moi jeter un œil.
Il s'arrêta net puis se tourna vers elle en haussant les épaules.
― Ne m'en voulez pas mais je ne pense pas que vous nous serez d'une très grande aide.
Il la planta dans le couloir et disparut dans le box sous un éclat de tonnerre. Elle fronça les sourcils et prit son chien pour le monter dans la voiture. Arrivée chez elle, elle monta les escaliers et fouilla dans un carton qui était resté dans la dernière chambre qui servait de stockage. Elle en sortit une mallette noire qui n'avait pas servi depuis deux ans. Sans perdre une minute, elle redescendit.
― Reste là mon chien, je reviens tout de suite.
Elle se mit au volant, alluma le contact et enfonça la pédale d'accélérateur. Elle se dirigea de nouveau vers le ranch. Sous la pluie battante, elle courut jusqu'au box où la jument, une magnifique appaloosa, allongée sur la paille, paraissait souffrir.
― Mais qu'est-ce que vous faites ici ? lança Matthews en voyant la jeune femme retirer sa veste.
― C'est qui ça Matt ? demanda le quinquagénaire grisonnant qui se trouvait près de la tête de la jument.
Rylee ne répondit pas. Elle ouvrit sa mallette qui regorgeait d'objets chirurgicaux, laissant le jeune homme dubitatif en en voyant le contenu. Elle enfila une paire de gants en latex préalablement stériles et prit un stéthoscope qu'elle posa sur le ventre de la jument.
― Il vous fallait un vétérinaire ? Et bien me voilà.
Matthews se passa une main sur le visage. Il n'en revenait pas. Un instant il aurait presque failli ne pas la croire, jusqu'à ce qu'il voie tout le matériel qu'elle avait ramené.
― Le poulain est toujours vivant, en revanche la mère est trop stressée, est-ce qu'elle a tous ses vaccins à jour ? Tétanos et influenza ?
― Bien sûr ! répondit le père.
Elle retira l'instrument d'écoute de ses oreilles.
― Matthews il me faudrait des serviettes, un seau avec du savon et si vous avez des bandages ce serait très bien. Vous, désigna-t-elle en regardant le père de famille. Tenez-moi la lampe.
Le travail commença. L'animal se mit à perdre cinq l****s de liquide amniotique sur la paille. Matthews revint avec un seau, des serviettes et même des bandages.
― b****z-lui la queue, ordonna-t-elle au jeune homme.
La jeune femme, reprit son stéthoscope pour jauger les mouvements du petit poulain. Elle prit une serviette et la plongea dans le seau d'eau savonneuse et se mit à nettoyer l'entrecuisse de la jument.
― Vous croyez qu'elle va s'en sortir ? demanda inquiet, Matthews.
― Elle oui, en revanche lui je ne sais pas. Écartez-vous il arrive.
Comme l'avait prévenu Matthews, tout n'allait pas se passer comme prévu. Une membrane rouge velouté sortit de la jument.
― Qu'est-ce que c'est ? s'inquiéta le père du jeune homme.
― C'est le placenta qui s'est rompu.
Elle prit rapidement un ciseau rond et coupa la matière visqueuse puis demanda à Matthews de venir à ses côtés.
Le ciel lui, continuait de gronder en harmonie avec la pluie torrentielle qui s'abattait sur les tuiles du toit, résonnant dans tout le hangar.
― Il faut que vous la rassuriez.
La jument qui fatiguait de plus en plus, respirait fort tout en hennissant de douleur. Rylee se leva en retirant un gant puis fouilla dans sa mallette pour en sortir un autre en latex mais cette fois plus long, puisqu'il montait jusqu'à l'avant bras. Elle l'aspergea de lubrifiant.
― Parlez-lui, essayez de la distraire, ça risque de ne pas lui plaire.
Le jeune homme s'exécuta, il caressa la jument tout en lui murmurant des paroles que Rylee n'était pas en mesure d'entendre étant donné sa concentration.
― Allez ma belle pousse ! Je vais l'avoir !
Jack, le père du jeune homme, resta les bras croisés à l'entrée du box. Sa femme l'avait rejoint pour leur apporter du café. Mais étant donné la complexité de la situation, le café eut le temps de refroidir.
― Ça y est je l'ai, dit-elle en tirant à la fois de toutes ses forces mais avec délicatesse sur le petit sabot.
Après plusieurs minutes à tenter l'impossible pour le sortir, dans un claquement de foudre, le poulain apparut enfin sur la paille.
― Il est vivant ? s'enquit Jack.
Rylee regarda un instant le nouveau né et vit qu'il respirait.
Elle sourit en repoussant une mèche de son front avec son poignet.
― Oui il l'est.
Tous éclatèrent de joie, instinctivement Matthews serra la jeune femme dans ses bras. Elle jeta un œil au petit poulain et lorsqu'elle vit qu'il allait bien, elle sortit du box avec son matériel pour laisser la maman s'occuper elle-même du reste.
― C'est un miracle que vous soyez venue ! s'exclama le patriarche.
Rylee qui relâchait la pression s'assit sur une botte de foin. Elle s'essuya le front et accepta volontiers le café, bien que froid, que lui tendait la mère de famille.
― Il faudra vérifier que la mère évacue bien le reste du placenta. Si quelque chose ne va pas vous savez où me trouver.
― Ah bon et où ça ? demanda Jack avec un large sourire.
― A Paradise Hill, répondit-elle en remettant sa veste sans s’apercevoir que sa réponse venait de faire évanouir le sourire à son interlocuteur.
― Qu'est-ce que vous dites ?
Elle sortit ses cheveux du col de sa veste et se pencha sur sa mallette avant de lui répondre de nouveau la même chose.
― On vous remercie pour ce que vous avez fait. Mais ça ira maintenant.
Le ton de Jack était devenu froid et cela n'avait échappé à personne.
― Bon très bien... J'y vais.
Elle fit un signe de tête et se faufila entre tous pour se rendre à sa voiture. Matthews fit les gros yeux à son père. La pluie continuait de tomber mais le tonnerre et les éclairs avaient cessé. Elle sentit une pression sur son bras alors qu'elle venait de jeter sa mallette sur le siège côté passager. C'était Matthews.
― Vous n'allez pas partir comme ça ?
― Votre père visiblement n'a plus besoin de moi. C'est une drôle de façon de dire merci chez vous.
Il secoua la tête.
― Il ne faut pas lui en vouloir, mon père est un peu rustre. Il a du mal avec les étrangers mais je suis sûr qu'il vous est très reconnaissant.
Matthews se passa une main derrière la tête. La pluie ne le dérangeait même pas.
― Écoutez Monsieur Anderson, je suis fatiguée et toute trempée, je vais rentrer et prendre une bonne douche.
Elle entra dans sa voiture. Le jeune homme posa les mains de chaque côté de la vitre qu'elle ouvrit.
― Au fait il va lui falloir un prénom à ce poulain.
Elle souffla.
― Quelle lettre sommes-nous ?
― F.
― Alors je crois que vous avez déjà trouvé.
Il fronça les sourcils avant de comprendre l'allusion puis sans plus attendre, elle quitta la cour du ranch.
Le soir, Rylee passa une excellente nuit. Elle s'était effondrée dans son lit après une bonne douche brûlante, satisfaite d'elle-même, de ce qu'elle avait réussi à faire.
Elle n'avait pas exercé depuis plus de deux ans. Depuis la disparition de sa mère. Elle avait revendu son cabinet ce qui lui avait attiré les foudres de son père. Il avait bien tenté de la faire changer d'avis, lui expliquant que ce qu'elle entreprenait était perdu d'avance et que cela ne mènerait à rien.
Mais elle ne l'avait pas écouté.
Car si son père ne l'avait pas supporté, sa grand-mère, elle, l'avait confortée dans son aventure. Il savait que sa fille avait toujours été têtue mais au point de tout quitter pour partir à des milliers de kilomètres de chez elle, jamais il ne l'aurait pensé capable de faire cela.
Elle avait pris toutes ses économies et celles de sa grand-mère pour investir une grosse partie dans la maison.
Dans cette maison.
Pendant plus de deux mois, la maison qui était alors en vente n'avait cessé d'apparaître de manière intempestive sur son écran, tel un spam. En cliquant dessus elle avait eu un sentiment bizarre, un sentiment de possession. Comme si la maison était déjà à elle.
Ce n'était pas elle qui avait trouvé Paradise Hill. C'était Paradise Hill qui l'avait trouvée.