II

746 Words
IILa Casa Santa-Anna était un asile destiné aux bourses très modestes. Ancienne maladrerie, on l’avait, vaille que vaille, adaptée à sa nouvelle destination. Les murs sombres, percés d’étroites fenêtres grillées, ne lui donnaient pas un engageant aspect, en dépit de la beauté du paysage environnant. Mais les déments jouissaient du grand air pur, et les moins atteints d’entre eux passaient des heures dans le jardin ombreux qu’ils entretenaient eux-mêmes, le budget de l’établissement ne permettant pas la dépense d’un jardinier. Lord Shesbury fut reçu dans un parloir garni de sièges en paille par la directrice, grande et maigre personne à mise négligée, à l’abord méfiant, mais qui se fit aimable aussitôt devant la haute mine et l’élégance aristocratique du visiteur. La signora Darielli était très mal, mais elle avait encore l’usage de la parole. Depuis quelques jours, elle cessait de déraisonner et, plusieurs fois, elle avait parlé de sa petite-fille en demandant ce qu’elle était devenue. Si le signor marquis voulait la voir, c’était le moment, car, dans quelques heures peut-être, elle ne serait plus en vie. Le long d’un couloir sombre, aux relents de cuisine, lord Shesbury suivit la directrice jusqu’à la grande pièce qui servait de dortoir. Un rayon de soleil, pénétrant par les fenêtres étroites et haut placées, arrivait jusqu’au lit où se mourait donna Paola. Walter vit un menu visage ridé, coiffé d’un bonnet d’où s’échappaient des mèches de cheveux gris. Les paupières closes s’ouvrirent, découvrant des yeux foncés, qui s’arrêtèrent avec quelque effarement sur l’étranger. – Chère signora, voici une visite pour vous, dit la directrice avec un sourire amène. Le marquis de Shesbury, qui vient au nom de don Alberto Farnella... – Don Alberto Farnella ? répéta la malade. Elle parlait difficilement. Mais le regard que rencontrait lord Walter était très lucide. – Veuillez nous laisser, signora, dit-il à la directrice, qui s’empressa de disparaître avec une révérence. Lord Shesbury s’assit près du lit étroit et se pencha vers la vieille dame. – Je désire vous faire parler le moins possible, donna Paola. En quelques mots, je vous mettrai au courant du motif qui m’amène ici. Puis, je vous adresserai une question... En écoutant le jeune homme, donna Paola laissa voir l’émotion, la surprise, l’agitation la plus vive... Et, tout à coup, l’interrompant, elle bégaya entre deux suffocations : – Mais je... la reconnaîtrais, ma petite-fille... Un cercle... un cercle rouge sous le bras... – Ah ! vous aviez remarqué ? dit lord Shesbury avec un accent de triomphe. Une des enfants avait ce signe, d’après le témoignage de la nourrice. S’il existe encore, rien ne sera plus facile que d’identifier Faustina Falsdone... ma sœur. – Votre sœur ? Oui... la fille de cet homme, qui tua ma fille... Les traits de la mourante se contractèrent, une lueur douloureuse passa dans le bleu foncé des yeux. – Ma Bianca !... Si belle et qui l’aimait tant ! J’aurais voulu connaître son enfant... Mais c’est fini pour moi... Elle ferma les yeux en murmurant : – Vous direz à ma petite-fille que je la bénis... Le cercle rouge... c’est le cercle rouge qu’il faut voir... – Êtes-vous seule à l’avoir remarqué, donna Paola ? – Non... Il y avait là une jeune servante à qui je l’ai montré... Elle est partie le soir même pour son village, où ses parents se mouraient de la fièvre... Rosa Martino à... Portalla... Ce furent les derniers mots que put prononcer la pauvre femme, saisie d’étouffements. Une garde arriva à l’appel de lord Shesbury qui, sortant du dortoir, alla rejoindre la directrice. Il lui dit de donner à ses frais tous les soulagements possibles à la mourante, et, quand elle aurait quitté ce monde, de lui faire faire des obsèques très convenables, pour lesquelles il déposerait une somme chez un banquier de Pérouse. Après quoi, s’étant informé où se trouvait le village de Portalla, il s’y fit conduire en voiture le jour même. Rosa Martino était mariée, mère de famille. Lord Shesbury la trouva dans sa pauvre demeure et obtint facilement d’elle la confirmation de la remarque faite par donna Paola. – Oui, c’était un assez grand cercle rouge, signor. Il ressortait bien sur la peau très blanche de l’enfant. Oh ! je m’en souviens tout à fait ! Elle reçut avec stupéfaction et ravissement les pièces d’or que lui remettait ce beau seigneur, en échange du renseignement obtenu, qui semblait le satisfaire grandement. Le lendemain, Walter se rendit à Feruzia pour voir les actes d’état civil concernant les deux enfants. Le curé lui donna confirmation de la seconde demande de renseignements faite sept ans auparavant par un homme d’affaires de Florence – au nom d’un parent des enfants, avait-il dit. Lord Shesbury alla ensuite informer don Alberto du résultat de sa démarche près de donna Paola. Puis, ayant appris que celle-ci était morte deux heures après sa visite, il décida d’assister aux obsèques, comme représentant de Faustina, petite-fille de la défunte. Après quoi, il reprit la route d’Angleterre.
Free reading for new users
Scan code to download app
Facebookexpand_more
  • author-avatar
    Writer
  • chap_listContents
  • likeADD