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Orietta

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| I

En dépit de la brûlante lumière du dehors, il faisait presque frais dans la grande salle où don Alberto Farnella s’éveillait de la sieste accoutumée. À travers les vitres sales de la porte vitrée apparaissait un coin de jardin très ombragé, laissé au complet abandon. Les branches d’un vieux figuier arrivaient jusqu’à cette fenêtre et achevaient d’intercepter presque toute la vive clarté de ce jour d’été. Mais don Alberto n’en avait cure. Sa vue affaiblie ne lui permettait plus la lecture et le laissait indifférent à la triste incurie où se complaisait son unique et très rustique serviteur.

Il s’éveillait en bâillant doucement. Sa main brune, mais effilée, chassa machinalement une mouche posée sur ses cheveux grisonnants, très clairsemés. Puis, elle passa lentement sur le visage amaigri, osseux, dont la teinte bronzée, acquie au soleil du Brésil, disparaissait pour faire place à la pâleur de la maladie.

Au seuil d’une porte ouverte sur le vestibule voûté, dallé de marbre en partie brisé, parut un petit homme roux, voûté, boiteux, enveloppé dans une sorte de tablier-sac couvert de taches.

– Un étranger est entré dans le jardin et demande à voir le signor comte, dit-il d’une voix de crécelle.

Don Alberto se souleva un peu sur son vieux fauteuil, aussi boiteux que le serviteur.

– Un étranger ?... A-t-il dit son nom, Luca ?

– Il a donné sa carte... Ce n’est pas quelqu’un de chez nous. Il a un drôle d’accent...

Luca avançait en parlant. De ses doigts maculés de terre, il tendit la carte à son maître, qui essaya vainement de déchiffrer le nom.

– Je n’y vois pas, dit-il avec impatience. Quel genre a ce visiteur ?

– Il est bien, signor comte !... Quelqu’un de très bien certainement. Il est habillé comme personne ne l’est ici, et...

– Fais-le entrer ! interrompit don Alberto, coupant court aux considérations généralement interminables de Luca.

Il se redressa dans son fauteuil, tira un peu, dans l’intention de la défriper, la vieille robe de chambre dont il était vêtu. Puis, il murmura : – Je me demande qui peut venir me voir, moi qui n’ai plus d’amis... plus personne...|

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I
IEn dépit de la brûlante lumière du dehors, il faisait presque frais dans la grande salle où don Alberto Farnella s’éveillait de la sieste accoutumée. À travers les vitres sales de la porte vitrée apparaissait un coin de jardin très ombragé, laissé au complet abandon. Les branches d’un vieux figuier arrivaient jusqu’à cette fenêtre et achevaient d’intercepter presque toute la vive clarté de ce jour d’été. Mais don Alberto n’en avait cure. Sa vue affaiblie ne lui permettait plus la lecture et le laissait indifférent à la triste incurie où se complaisait son unique et très rustique serviteur. Il s’éveillait en bâillant doucement. Sa main brune, mais effilée, chassa machinalement une mouche posée sur ses cheveux grisonnants, très clairsemés. Puis, elle passa lentement sur le visage amaigri, osseux, dont la teinte bronzée, acquie au soleil du Brésil, disparaissait pour faire place à la pâleur de la maladie. Au seuil d’une porte ouverte sur le vestibule voûté, dallé de marbre en partie brisé, parut un petit homme roux, voûté, boiteux, enveloppé dans une sorte de tablier-sac couvert de taches. – Un étranger est entré dans le jardin et demande à voir le signor comte, dit-il d’une voix de crécelle. Don Alberto se souleva un peu sur son vieux fauteuil, aussi boiteux que le serviteur. – Un étranger ?... A-t-il dit son nom, Luca ? – Il a donné sa carte... Ce n’est pas quelqu’un de chez nous. Il a un drôle d’accent... Luca avançait en parlant. De ses doigts maculés de terre, il tendit la carte à son maître, qui essaya vainement de déchiffrer le nom. – Je n’y vois pas, dit-il avec impatience. Quel genre a ce visiteur ? – Il est bien, signor comte !... Quelqu’un de très bien certainement. Il est habillé comme personne ne l’est ici, et... – Fais-le entrer ! interrompit don Alberto, coupant court aux considérations généralement interminables de Luca. Il se redressa dans son fauteuil, tira un peu, dans l’intention de la défriper, la vieille robe de chambre dont il était vêtu. Puis, il murmura : – Je me demande qui peut venir me voir, moi qui n’ai plus d’amis... plus personne... Un pas ferme, décidé, résonnait sur les dalles du vestibule. Don Alberto tourna la tête vers la porte et, entrevoyant une haute et svelte silhouette, dit avec courtoisie : – Vous m’excuserez, signor, de ne pas me déranger pour vous recevoir. Mais la maladie m’oblige à l’immobilité. – C’est moi qui vous prie de m’excuser pour ce dérangement, répondit une voix au timbre harmonieux, en un italien très pur, mais avec un accent anglais prononcé. Don Alberto tressaillit. En se penchant vers l’étranger, il demanda sur un ton de défiance : – Vous êtes anglais ? – Mais oui, signor... Ma carte a dû vous l’apprendre. – Je n’ai pu la lire, j’y vois trop peu... – Je suis lord Walter Falsdone, marquis de Shesbury. – Lord Walter Falsdone ?... Le fils de... de lord Cecil ? Une crispation passait sur le visage altéré. – Oui, don Alberto. Je viens savoir si, décidément, il n’y a pas moyen d’identifier ces deux jeunes filles, Orietta et Faustina. – Ah ! c’est pour cela ?... Moi, je n’ai pu autrefois. Mais peut-être reste-t-il un espoir... Le regard de Walter étincela. – Un espoir, dites-vous ? – Oui... Prenez une chaise... Y en a-t-il encore une qui soit solide ? Voyez vous-même, my lord... Tout est ruine, abandon, ici... Un pli d’amertume crispa sa lèvre, tandis qu’il ajoutait : – En moi comme autour de moi. Walter, ayant découvert un escabeau à peu près en bon état, vint s’asseoir près du malade. Et, aussitôt, il demanda : – De quel espoir parlez-vous donc, don Alberto ? – La mère de Bianca Darielli – de lady Bianca Falsdone, puisqu’elle a droit légitimement à ce nom – devint folle après la mort de sa fille. Le saviez-vous ? – Oui, je le sais. – Elle est encore dans l’asile où je la fis interner à ce moment-là. Jusqu’ici, aucune amélioration ne s’était produite dans son état. Mais on vient de m’informer qu’elle est mourante, d’une pneumonie, et que son cerveau malade paraît se dégager. – L’adresse de cet asile ? dit vivement lord Shesbury. Je vais m’y rendre aussitôt... Car, dans la lettre que vous écriviez à mon père, vous disiez, n’est-ce pas, que donna Paola se trouvait seule près de sa fille, quand celle-ci mit au monde l’enfant ? – Je le crois, du moins... Car je ne pus découvrir si quelqu’un d’autre l’avait assistée... Peut-être, au cas où elle aurait une période de lucidité avant de mourir, pourriez-vous savoir si elle a remarqué un signe quelconque... par exemple, ce cercle rouge sous le bras qui existait encore chez l’enfant que nous avons au hasard nommée Faustina, peu de temps avant que je les envoie toutes deux à votre père. – Oui, c’est un espoir... le seul, n’est-ce pas ? – Le seul, et bien faible. Donna Paola, dans l’émoi et l’agitation de ces moments, peut n’avoir rien remarqué. Mais enfin, pour ne se faire aucun reproche, l’essai est à tenter. Moi, je ne puis plus rien maintenant. Je suis un être à demi mort qui, personnellement, ne tient plus à connaître la vérité à ce sujet. – Quoi ! vous ne souhaitez pas savoir laquelle de ces deux enfants est votre fille ? Cependant si, comme je le soupçonne, elle est celle que nous nommons Orietta, vous auriez lieu d’en être fier. Don Alberto secoua la tête. Un sourire amer entrouvrait ses lèvres sèches, ombragées d’une épaisse moustache grisonnante. – Il est trop tard. J’aurais pu aimer ma fille, autrefois... Mais dans la crainte d’aimer la fille de lord Falsdone, je n’ai voulu m’attacher à aucune de ces enfants. Et maintenant, il est trop tard ! répéta-t-il avec une profonde tristesse. Après un court silence, lord Shesbury demanda : – Voulez-vous me donner l’adresse de cet asile ? – La Casa Santa-Anna, tout près de Pérouse. – C’est à Pérouse que je suis descendu. – Eh bien ! rien ne vous sera plus facile. Vous direz que vous venez en mon nom... Il serait en effet désirable, pour ces enfants, que la situation fût éclaircie. Bientôt, elles seront en âge de se marier... Vous n’avez rien trouvé, dans leur physionomie, dans leurs manières, qui pût vous mettre sur la voie ? – Parfois, il me semble découvrir, chez Faustina, des gestes, des jeux de physionomie qui me rappellent mon père et ma sœur. – Se ressemblent-elles toujours ? – Oui, mais Faustina n’est qu’un pâle reflet d’Orietta, au point de vue beauté, au point de vue caractère. Cette dernière est ardente, orgueilleuse, capable, je le crois, de fervents dévouements comme de longs ressentiments. Avec un sourire léger, lord Shesbury ajouta : – J’en ai eu la preuve personnellement. Quand elle arriva autrefois à Falsdone-Hall, je me montrai pour elle peu accueillant, je fus même v*****t et peu courtois. Or, elle m’en veut toujours de cela. Tout au contraire, elle se montre pour ma sœur, de caractère généralement peu agréable pourtant, une amie affectueuse et dévouée. Don Alberto passa la main sur son front – Béatrice était ainsi, murmura-t-il. Elle eut grand-peine à pardonner... Elle ne le fit qu’en voyant sa cousine revenir malheureuse, abandonnée. Alors, elle demanda à Dieu le courage de répondre, quand Bianca, malade, lui fit demander de venir : « Oui, je serai chez elle tout à l’heure. » Elle aussi avait une vie ardente, concentrée, sous une apparence orgueilleuse... – Je crois qu’Orietta est votre fille, don Alberto. – Qu’importe ! Qu’importe ! Mon cœur est desséché, mon cœur est mort. Béatrice le tua, quand je compris qu’elle n’avait jamais cessé d’aimer cet homme, ce... Pardon, lord Shesbury, je ne veux pas oublier qu’il fut votre père. – Il s’est amèrement repenti dans les dernières années de sa vie, don Alberto. – Que Dieu ait pitié de lui ! dit sourdement le malade. Je suis à mes derniers jours, j’essaye de ne plus tant haïr, avant de paraître devant notre souverain juge. Mais la tâche est difficile... Dites aux enfants de prier pour moi. Orietta m’a écrit, vous le savez, sans doute ? – Oui, elle m’en a informé, en me faisant parvenir le billet que vous lui aviez envoyé. C’est une fière nature, don Alberto, une nature comme je n’en vois guère d’autre semblable parmi les femmes de ma connaissance, ajouta Walter avec un demi-sourire sarcastique. – Tant mieux ! Si elle est ma fille, elle tient cette qualité de ma mère et de moi. Bianca avait une nature plus faible, plus influençable... Irez-vous à Feruzia, my lord, pour voir les actes d’état civil, certifiant le mariage de votre père et la naissance de sa fille ? – Peut-être, mais seulement après ma démarche à la Casa Santa-Anna. – Est-ce votre père qui a fait demander autrefois – il y a environ dix ans – des renseignements au sujet de ces enfants ? – Oui, ce fut lui. – Mais les mêmes démarches furent faites l’année suivante. – Comment cela ? À quelle époque ? Mon père mourut en mars 1870. – Attendez que je me souvienne... Le curé de Faletti m’a parlé de cela l’autre jour. Un individu, une sorte d’homme d’affaires venu de Florence, se présenta chez lui en demandant à voir les actes d’état civil concernant la naissance de ces deux enfants. Le curé le renvoya à Feruzia, où Bianca et Béatrice s’étaient mariées et où étaient nées leurs filles. C’est un homme doué d’une mémoire étonnante, malgré son grand âge ; il se rappelle très bien la date : septembre 1870. – Donc, ce ne fut pas mon père qui agit en cette circonstance. – Plus tard, il reçut un mot du curé de Saint-Paul, à Aberly, lui demandant un extrait des actes de baptême d’Orietta et de Faustina Farnella. Il les envoya, en expliquant l’impossibilité d’attribuer à l’une plus qu’à l’autre l’un quelconque de ces deux actes. J’ignore comment votre curé, là-bas, s’en tira... – Je l’ignore comme vous. Il faudra que je m’en informe... Mais le cas des renseignements demandés peu de temps après la mort de mon père ne s’explique pas. Je n’en ai jamais été avisé... C’est une chose singulière... – Oui, qui pouvait avoir intérêt à cela ? Du côté Farnella et Darielli, elles n’ont plus de parenté... Serait-ce quelqu’un de votre famille, poussé par la curiosité, my lord ? – Je le saurai, dit brièvement lord Walter. Il se leva, en s’excusant d’avoir peut-être fatigué le malade. – Bah ! cela n’a plus d’importance ! Ce qui me reste à vivre n’en sera guère abrégé... Vous me mettrez au courant du résultat de votre démarche, my lord ? Car je serais heureux d’apprendre que ces enfants sont sorties d’une situation bien étrange... et gênante. Les souhaits sont tout ce que je puis pour elles. Soyez bon à leur égard, lord Shesbury. Du reste, ce que vous faites en ce moment me prouve que vous vous intéressez très sérieusement à elles. – Le plus sérieusement du monde, don Alberto. J’irais aux extrémités de la terre, si je savais y trouver la solution de cette énigme. Sur ces mots, lord Shesbury serra la main brune, décharnée, et quitta la pièce. Don Alberto demeura immobile, écoutant le bruit des pas qui s’éloignaient. Puis il murmura : « Il n’a pas la voix de son père... J’aime la sienne, nette, impérieuse, mais où je sens la loyauté... Son pas annonce une nature volontaire, décidée... Lord Falsdone était un faible, Bianca aussi, donna Paola aussi. Et Béatrice... Béatrice n’a pas eu la force de chasser la passion de son cœur. Moi aussi, je suis faible... Je n’ai pas su dominer la haine et la douleur... Seigneur Dieu, je ne suis qu’un orgueilleux ! » Ses mains se froissaient, se crispaient l’une contre l’autre. Il courba la tête et, sur sa joue creusée, des larmes coulèrent, signes amers du repentir.

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