Story By Delly
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Delly

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Les deux crimes de Thècle
Updated at Apr 26, 2023, 19:17
Ce maussade matin de mars, quand j’entrai dans son bureau, Mme Lachaud m’accueillit par ces mots :– Préparez vos valises pour partir demain matin, Marie-Marthe.– Mes valises ? C’est pour un temps assez long, sans doute ?– Oui, je le pense, d’après ce que m’a dit le docteur Guyon-Latour.Et elle m’expliqua qu’il s’agissait d’une jeune fille amenée par son médecin à Clermont afin de consulter cet excellent praticien. Guyon-Latour avait prescrit un traitement assez compliqué, que pouvait seule appliquer une infirmière expérimentée.
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Les solitaires de Myols
Updated at Apr 26, 2023, 19:16
C’était un jardin de couvent, aux portes de Paris. Quelques échos des bruits de la grande ville franchissaient les vieux murs roux, fleuris de ravenelles, mais sans parvenir à troubler la douce quiétude de l’enclos ombragé et frais, où les oiseaux s’en donnaient à cœur joie, certains qu’ils étaient d’être peu troublés en ce second jour de vacances qui voyait s’éloigner les dernières élèves des Dames Dominicaines.Cependant, deux jeunes filles arpentaient encore lentement une allée ombreuse. À travers le feuillage touffu des marronniers, le soleil réussissait à glisser des flèches d’or qui venaient frapper les cheveux blonds très vaporeux de l’une, les cheveux bruns, un peu rebelles de l’autre. Cette dernière avait une physionomie animée et joyeuse et causait avec une extrême vivacité. Sa compagne lui répondait doucement, un peu mélancoliquement, et sur son charmant visage au teint délicat se lisait une tristesse ou une anxiété.
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Le feu sous la glace
Updated at Apr 26, 2023, 18:46
Viviane remontait d’un pas alerte le petit sentier de douaniers qui suivait le bord de la falaise. Au-dessous d’elle, une mer paisible caressait de ses vagues paresseuses l’assise de granit dans laquelle, depuis des siècles, elle avait creusé d’étroits couloirs, des grottes, les uns et les autres jamais découverts, fût-ce aux plus basses marées. Une brume légère persistait à l’horizon, comme presque toujours sous ce ciel breton. Mais, autour de la jeune fille, sur l’onde mollement balancée comme sur la lande rude plantée de genêts, s’étendait la claire lumière d’un radieux soleil de mai qui tiédissait l’air vif aux senteurs de varech.Viviane, sans s’arrêter, consulta sa montre et eut un mouvement de contrariété.
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Le roseau brisé
Updated at Apr 26, 2023, 18:17
Flavio Salvi et le docteur Parville, son cousin, achevaient de déjeuner dans la salle à manger un peu obscurcie par les stores tendus devant les deux portes-fenêtres. Quelques coulées de lumière se glissaient jusqu’au parquet, jusqu’à la nappe tissée de rouge et de blanc, mais les deux jeunes hommes restaient dans la pénombre que parfumaient des roses pourpres et jaunes disposées dans une jatte de vieux Rouen.Le valet de chambre passa une coupe de fruits, versa dans les verres de cristal léger un vieux vin couleur d’ambre, puis disparut silencieusement. Flavio, tout en pelant une pêche, continua la conversation commencée.
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La lampe ardente
Updated at Apr 26, 2023, 18:16
En quelques traits rapides, Raymond acheva le dessin commencé, puis il leva les yeux et regarda longuement la vue qu’il venait de reproduire.Il se trouvait sur une terrasse rocheuse, entourée de pins et de bouleaux. Le regard plongeait dans la gorge au fond de laquelle bouillonnait, invisible, la torrentueuse petite rivière ; en face, il rencontrait un roc énorme, couleur de fumée, strié de roux, dressé entre les sapins et les hêtres couvrant tout ce qui n’était pas la roche nue.
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Le repaire des fauves
Updated at Apr 26, 2023, 18:11
En cet après-midi de fin juillet, le duc de Pengdale avait convié toute la jeunesse aristocratique du comté à une réception donnée pour le vingtième anniversaire de son fils unique, lord Charles Brasleigh. Des acteurs mondains occupaient le théâtre dressé dans la galerie de marbre, des couples dansaient dans les salons décorés avec une somptuosité princière, d’autres s’en allaient flirter à travers les magnifiques jardins d’Elsdone Castle dont l’entretien, disait-on, représentait une lourde charge pour le duc actuel, les revenus de celui-ci, probablement par suite d’une mauvaise gestion, étant devenus sensiblement inférieurs à ceux de ses prédécesseurs.
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Le violon du tzigane
Updated at Apr 21, 2023, 02:57
Le premier appel, lancé d’une voix rude, témoignait déjà d’une certaine impatience ; le second se fit irrité, le troisième revêtit une intonation menaçante.Mais personne n’y répondit.Et la vieille servante, ses gros sourcils blancs furieusement froncés, rentra dans sa cuisine en grommelant :– Encore à courir, cette mauvaise bohémienne ! Attends un peu, je te recevrai comme il convient, tout à l’heure !Cependant, la voix d’Aglaja était fort bien parvenue aux oreilles de la destinataire. Mais la petite tête brune de Mirka avait répondu à l’appel par un mouvement de défi, et le maigre petit corps vêtu de vieux vêtements déteints s’était enfoncé plus commodément encore dans le trou creusé du hêtre centenaire où Mirka avait élu domicile.
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L’accusatrice
Updated at Apr 21, 2023, 02:56
Le grand vieux logis des Fauveclare se mirait dans les eaux calmes du charmant petit lac appelé par tous, dans le pays, les Eaux Vertes. On y arrivait par une difficile route de montagne qui, partant de Favigny, petite cité comtoise, côtoyait des combes sauvages avant de se perdre dans une sévère forêt de mélèzes et de pins. La maison, baptisée elle aussi les Eaux Vertes, était bâtie sur l’emplacement d’une maison forte où vivaient, au seizième siècle, les ancêtres des Fauveclare, avant qu’ils ne descendissent s’installer dans le bourg, alors fortifié, de Favigny.
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L’Ondine de Capdeuilles
Updated at Apr 21, 2023, 02:56
Un domestique entra silencieusement et déposa sur le bureau le second courrier du matin. Odon, fermant le volume qu’il parcourait, éparpilla d’une main distraite les revues et les lettres. L’une de celles-ci attira son attention. Sur l’enveloppe large, de papier mince et ordinaire, une main certainement féminine avait inscrit l’adresse du marquis de Montluzac. Odon murmura :– Quelle aïeule m’écrit là ?... Oui, une aïeule, bien certainement, car on n’a plus de ces charmantes écritures, aujourd’hui.Il ouvrit l’enveloppe, sans hâte. Car il n’attendait rien de la vie. Depuis la mort du frère qui avait été son unique affection, il avait goûté à toutes les jouissances, et il ne lui restait au cœur que le vide, l’amer dédain de tout.
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La petite chanoinesse
Updated at Apr 21, 2023, 02:55
Les hôtes d’Ogier de Chancenay prenaient le thé, en cet après-midi de septembre, sur le pont du yacht mouillé devant un petit port italien. Ils avaient sous les yeux le village, avec ses maisons disséminées dans un désordre pittoresque, ses jardins à demi cachés derrière le feuillage d’énormes figuiers chargés de fruits, ses bois d’oliviers et d’orangers caressés par le soleil déclinant. Des barques, leurs voiles rousses tendues, rentraient chargées de poisson, montées par des hommes au teint brun qui saluaient au passage les étrangers. Elles allaient s’amarrer le long du port, où les femmes aux cheveux sombres à moitié couverts d’un fichu écarlate se tenaient prêtes à enlever le produit de la pêche. Et des enfants aussi bruns que père et mère couraient, se poursuivaient, nu-pieds, en jetant des cris aigus, ainsi que les corneilles aux soirs d’été.
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Les ombres
Updated at Apr 21, 2023, 02:46
La première impression de Madel – celle, du moins, qui fit empreinte dans son tout jeune cerveau et dont elle se souvint toujours, fut celle-ci : une après-midi d’été, elle était assise près de sa bisaïeule, dans le jardin. En face se dressait un coin de mur nu, ensoleillé. Des ombres dentelées s’y jouaient, en un incessant mouvement. Madel étendit ses petites mains pour les saisir. Grand-mère riait.
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La maison du Lis
Updated at Apr 21, 2023, 02:46
Un feu superbe crépitait dans la grande cheminée ; une lampe de cuivre projetait sa gaie lumière sur le petit comptoir garni de balances étincelantes, de grosses mottes d’un appétissant beurre jaune, de bocaux de pruneaux et de friandises diverses. Le long des murs s’alignaient les tiroirs et, au-dessus, les planches supportant des pains de sucre, des boîtes de conserves... toutes choses vendues par l’épicière avec bien d’autres encore, recelées par ces profonds tiroirs où les ménagères du quartier trouvaient les objets les plus divers.
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Le mystère de Ker-Even
Updated at Apr 21, 2023, 02:45
Il pleuvait depuis le matin – petite pluie fine, serrée, que les marins appellent « crachin ». Elle noyait l’horizon, étendait son triste voile gris, humide, sur la mer sombre presque tranquille aujourd’hui, sauf autour des récifs contre lesquels, toujours, elle écumait en vagues pressées, rageuses, comme demandant aux rocs sournois la proie qu’ils lui avaient si souvent procurée, depuis des siècles.
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Le sceau de Satan
Updated at Apr 21, 2023, 02:45
Arrivé à la fin de la montée, j’arrêtai ma voiture. À gauche de la route s’étendait une châtaigneraie, lumineuse sous le soleil matinal. À droite, la bondissante rivière, à demi cachée par les arbustes penchés vers sa fraîche haleine, grondait au fond du ravin profond qui formait la base d’une falaise noire, bloc de basalte autrefois jailli du sol lors de quelque puissante convulsion volcanique. Des hêtres couronnaient cette hauteur, qu’une assez large faille séparait d’une autre presque semblable, due sans doute au même bouleversement millénaire. Au bord de celle-ci, une terrasse étendait ses pilastres de pierre grise. Je sus ainsi, d’après la description de Pierre Harige, que je me trouvais en face du domaine des Roches-Noires, but de mon voyage.
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Aurore de Brüsfeld
Updated at Apr 21, 2023, 02:41
Mme de Thury posa la lettre sur le guéridon et s’enfonça plus profondément dans la bergère. Un léger pli se dessinait sur son front lisse. Elle détestait tout ce qui venait déranger sa vie tranquille de femme égoïste, ses habitudes de petites jouissances matérielles, d’existence ouatée par le dévouement de ses serviteurs. D’autre part, il était difficile de refuser ce que lui demandait son beau-frère. Aurore avait été élevée chez elle et elle se trouvait être la seule parente proche. En outre, le prince de Brüsfeld s’était toujours montré fort généreux et, vu son caractère, il ne comprendrait guère qu’elle s’abstînt de remplir ce rôle maternel près de sa fille.
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Le drame de l’Étang-aux-Biches
Updated at Apr 21, 2023, 02:41
Élisabeth se pencha un peu plus pour mieux voir le cavalier qui passait sur la route, le long de la roche abrupte, dure assise du château de Montparoux.Sans souci du danger, ni du vertige, elle était assise sur l’appui à demi ruiné d’une baie en arc d’ogive ouverte directement sur l’à-pic de la falaise. Les jambes fines et brunes pendant au-dehors, les pieds minces chaussés de sandales battaient la roche couleur de rouille. Qui l’eût vue dans cette périlleuse attitude aurait frissonné d’effroi. Mais le cavalier ne regardait pas au-dessus de lui. Bientôt il disparut au tournant de la route. Alors, Élisabeth se redressa, fit un rétablissement et se trouva debout dans la baie qui encadrait sa maigre silhouette d’adolescente, sa tête aux boucles brunes un peu en désordre.
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L’orpheline de Ti-Carrec
Updated at Apr 21, 2023, 02:36
Sur la route plantée d’ormes qui séparait Coatbez des premières maisons du bourg, Varvara Dourzen passait, tenant par la main sa petite fille. Elle était vêtue d’une robe noire très simple, à manches longues. Ses cheveux coupés, qu’elle laissait repousser, tombaient en frange soyeuse et sombre sur la nuque très blanche. De la fenêtre où se penchaient Mme Dourzen et, derrière elle, son mari, on voyait son profil de pur type caucasien, si parfaitement beau. Elle avait une taille souple, très mince, d’une rare élégance, et une allure légère, ailée, dont la grâce était incomparable.Hervé Dourzen pensa : « Quelle jolie femme, décidément ! » Mais il garda cette réflexion pour lui. Il avait appris l’art de se taire à propos, depuis qu’il était l’époux de Blanche Corbic, la fille bien dotée d’un marchand de nouveautés enrichi pendant la guerre.
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La louve dévorante
Updated at Apr 21, 2023, 02:36
Ce mois de mai 1862, les habitants de Favigny attendaient avec quelque curiosité l’arrivée de dona Encarnacion, comtesse de Villaferda. Non point que cette curiosité s’adressât à la noble dame qui, dix ans auparavant, était venue faire un court séjour à la maison des Belles Colonnes. Dona Encarnacion n’avait laissé, dans la petite ville comtoise, qu’un souvenir désagréable et le désir de ne plus la revoir. Mais on savait qu’elle serait, cette fois, accompagnée de sa belle-fille, une jeune cousine de quatorze ans, que don Rainaldo Fauveclare y Travellas, comte de Villaferda, lui-même à peine âgé de vingt ans, avait épousée trois mois auparavant. Cette union, normale en Espagne, surprenait ici. Mais surtout on souhaitait connaître la pauvre jeune créature ainsi livrée à la pesante domination de Mme de Villaferda.
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Gwen, princesse d’Orient
Updated at Apr 21, 2023, 02:36
La résidence des rajahs de Pavala, à Bornéo, se composait de plusieurs palais, construits au milieu de jardins magnifiques et reliés entre eux par de longues galeries de marbre blanc. Ils avaient chacun leur nom. Celui de Sa Hautesse Han-Kaï s’appelait le palais de la Lumière Heureuse. Sa Hautesse Han-Kaï, jeune rajah de Pavala, portait, en France, le nom du vicomte Dougual de Penanscoët. Il était, en effet, le fils du comte Ivor de Penanscoët, dont la résidence personnelle était connue sous le nom de palais du Dragon d’Or. Comment ces Bretons se trouvaient-ils à la tête de cet État hindou ?
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Fille de Chouans
Updated at Apr 21, 2023, 02:36
Le ronflement de la faucheuse rompait presque seul le silence qui régnait sur les champs maintenant à peu près complètement dépouillés. Les travailleurs, las d’une journée de chaleur orageuse extrêmement pénible, échangeaient à peine, de temps à autre, quelques interpellations sans entrain. Ils se hâtaient, car, vers l’ouest, de lourds nuages sombres, ourlés d’une teinte cuivrée, annonçaient un orage prochain.– Allons, les garçons, ça avance ! Encore une demi-heure, et tout sera fini !Ces mots étaient prononcés par un grand vieillard maigre, dont la physionomie bienveillante et noble s’encadrait d’une large barbe blanche. Il était vêtu simplement, en propriétaire campagnard. Il y avait en lui un singulier mélange de rusticité et de distinction... Et c’était celle-ci qui l’emportait un peu sur l’autre.
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La fin d’une Walkyrie
Updated at Apr 21, 2023, 02:35
Une lampe électrique, coiffée d’un abat-jour couleur de pourpre, éclairait le petit fumoir décoré avec un goût sobre. Dans la clarté douce, un peu rosée, se détachaient le visage énergique et froid du comte Boris Vlavesky, avec ses yeux songeurs, souvent ironiques, toujours énigmatiques, et près de lui la pâle et mince figure du comte Cyrille, son cousin germain. Ils appartenaient tous deux à une race ancienne et très noble. Le père de Boris avait dilapidé au jeu une grande partie de sa fortune, et sa mère avait vu la sienne diminuée par de mauvais placements. La comtesse, veuve depuis une dizaine d’années, administrait le domaine de Klevna, dont elle versait à son fils les revenus.
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La villa des Serpents
Updated at Apr 21, 2023, 02:35
Hoël ouvrit la porte de chêne vitrée de petits carreaux et descendit les trois marches de granit usé qui menaient à la cour pavée précédant le jardin.Derrière lui s’élevait la vieille façade du manoir de Lesvélec. Le granit autrefois gris pâle, extrait de carrières voisines, avait pris des tons sombres. Autour des fenêtres à petites vitres verdâtres courait un rinceau sculpté représentant des coquillages et se terminant, au-dessus de chacune d’elles, en une accolade formée de deux serpents.
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Cité des Anges
Updated at Apr 21, 2023, 02:35
Ce matin de juillet, en quittant la Sorbonne, Norbert Defrennes rencontra son ami Foury sur le boulevard Saint-Germain, et tous deux se dirigèrent en causant vers la rue Saint-Guillaume, où demeurait Norbert.Foury, brun, trapu, au visage coloré, aux gestes exubérants, était l’antithèse de son compagnon, svelte, élégant, de physionomie fine, un peu froide, d’allure souple et réservée. Leurs caractères différaient autant que l’apparence physique. Ils s’étaient liés au lycée, puis retrouvés à la Faculté des Lettres. Foury voyait dans le fils du banquier Defrennes un prêteur généreux, quand ses frasques avaient mis à sec la bourse garnie tous les trimestres par sa mère.
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Gilles de Cesbres
Updated at Apr 21, 2023, 02:35
Pasca éleva entre ses mains la blanche soierie, et un rayon de soleil, glissant à travers les branches enchevêtrées des vieux hêtres, vint caresser la chatoyante moisson fleurie jetée sur l’étoffe souple par la main de la jeune brodeuse. Campanules, muguets, légères jacinthes, fraîches roses pompon semblèrent un instant, sous ce rapide jeu de lumière, vivre et palpiter, tandis que la brise tiède, venue des profondeurs du bois de Silvi, complétait l’illusion en apportant un délicat parfum de fleurettes cachées.
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Il fuoco sotto il ghiaccio
Updated at Apr 18, 2023, 01:49
Mister Clenmare è un giovane medico di belle speranze. Discendente di una nobile e facoltosa dinastia inglese, Alwyn ha rotto con la sua famiglia e si guadagna da vivere con la sua onesta professione. Nella cittadina francese dove vive - la Francia è la sua seconda patria - attira ben presto su di sé le attenzioni dei notabili del luogo. È intelligente, colto, orgoglioso, fin troppo riservato. Pare, a qualcuno, che nasconda un segreto, e ciò non può non renderlo più interessante anche al pubblico femminile. È la bella Viviane, alla ricerca di un marito con molti soldi e poco cervello a frequentarlo senza nascondere la sua attrazione. Ma il loro amore è impossibile: i problemi economici di Alwyn sono un ostacolo insormontabile per la ragazza. Ma un colpo di scena cambia radicalmente la vita del giovane aristocratico. Nulla sarà più come prima e nel suo futuro si profila una svolta che convincerà Viviane a ripensare la sua esistenza e le sue ambizioni. Come sottolinea Natalia Aspesi parlando dei romanzi di Delly, proposto in una nuova traduzione e firma che non ha certo bisogno di presentazioni, “può girare la testa, nell'ammasso di eventi: ma una primordiale commozione, un viscerale, vergognoso piacere fanno divorare il libro. Insensatamente”. 
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Schiava o regina?
Updated at Apr 18, 2023, 01:40
La giovane e bella Lise, figliastra della nobile Catherine de Subrans, non ha mai dimenticato Gabriel, il suo primo amore. La sua vita scorre senza colpi di scena fino al fatale incontro con il principe Serge Ormanoff, un uomo affascinante e dispotico che si innamora di lei a prima vista e che rimane impressionato dalla sua somiglianza con Olga, la precedente moglie. La differenza di età e il carattere impossibile dell’uomo la feriscono. Infatti Ormanoff considera le donne esseri inferiori, giocattoli da usare a suo piacimento senza troppi coinvolgimenti affettivi. L’unione si rivela un inferno di obblighi, costrizioni e violenze non solo psicologiche. Il denaro e gli incontri mondani non sottomettono né scalfiscono l’orgoglio e il desiderio di indipendenza della giovane donna. Ma tutto si complica inaspettatamente: nel passato del principe c’è un segreto inconfessabile, un brutale assassinio che coinvolge anche la madre di Lise. E sarà proprio questo segreto a precipitare la principessa infelice a un passo dal baratro. Come sottolinea Natalia Aspesi parlando dei romanzi di Delly, proposto in una nuova traduzione e firma che non ha certo bisogno di presentazioni, “può girare la testa, nell'ammasso di eventi: ma una primordiale commozione, un viscerale, vergognoso piacere fanno divorare il libro. Insensatamente”.
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La tana delle belve
Updated at Apr 18, 2023, 00:39
Il duca di Brasleigh, un uomo dissoluto e senza scrupoli, festeggia senza troppo entusiasmo i vent’anni di lord Charles, il suo unico erede, un ragazzo insignificante e senza carattere. La sua famiglia vorrebbe per lui un matrimonio combinato con Hulda, una bella svedese di nobili origini, ma la giovane donna è pazzamente innamorata di lord Harold, amico di Charles e futuro duca di Pengdale, un ragazzo cresciuto fra i vizi e nel mito ossessivo del superuomo. Harold non ama i rapporti duraturi e vuole solo divertirsi, anche alle spalle di Hulda, che per ripicca decide di sposare Charles, attratta dalla vita facile e dall’ambizione. Il delicato equilibrio si rompe alla morte del marito, scomparso in circostanze misteriose, e con l’arrivo a corte di Yildiz, una giovane e bellissima ragazza di origini orientali che attrae subito l’attenzione di Harold, sempre alla ricerca di nuove avventure. Ma qualcosa di misterioso si nasconde nella vita del giovane duca di Pengdale, che a poco a poco si innamora perdutamente di Yildiz. E sarà proprio quest’ultima a svelare la vera identità dell’erede dei Pengdale e a scatenare il desiderio di vendetta di Hulda, un sentimento che non risparmierà nessuno dei protagonisti de La tana delle belve. Come sottolinea Natalia Aspesi parlando dei romanzi di Delly, proposto in una nuova traduzione e firma che non ha certo bisogno di presentazioni, “può girare la testa, nell'ammasso di eventi: ma una primordiale commozione, un viscerale, vergognoso piacere fanno divorare il libro. Insensatamente”.
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La donna del destino
Updated at Apr 18, 2023, 00:12
Gli appuntamenti mondani e il bel mondo sono solo un ricordo. Adesso Madame de Sourzy è una giovane donna con una figlia da crescere, una ragazzina vivace e sensibile. Lilian ha solo dodici anni ma comprende che non sarà facile vivere senza l’aiuto di qualcuno. E solo Lady Stanville, una zia inglese ricchissima quanto detestabile potrebbe dare loro un aiuto. Ma sarà un aiuto pagato a caro prezzo, in cambio della libertà e della dignità. Madame De Sourzy e Lily si trasferiscono nella sontuosa residenza degli Stanville. È il figlio Hugh, un industriale duro e inflessibile, a dettare legge in quella casa. E Lily, rimasta sola qualche anno più tardi, è perseguitata ogni giorno dagli Stanville. Le continue umiliazioni le rendono la vita impossibile. Unico conforto l’amicizia delle cugine, anch’esse vittime della tirannia dei padroni. Lady Stanville progetta un avvenire luminoso per il figlio Hugh: un matrimonio con Caroline Bairn, ricchissima ereditiera, le permetterebbe infatti di allontanare per sempre Lily dalla sua vita. Ma sarà proprio la bella Lilian a complicare i suoi piani e a subire l’inevitabile vendetta della donna. Come sottolinea Natalia Aspesi parlando dei romanzi di Delly, proposto in una nuova traduzione e firma che non ha certo bisogno di presentazioni, “può girare la testa, nell'ammasso di eventi: ma una primordiale commozione, un viscerale, vergognoso piacere fanno divorare il libro. Insensatamente”.
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Ahélya, il fuoco sotto il ghiaccio
Updated at Apr 18, 2023, 00:11
Quello che fino a poco tempo prima era semplicemente Mister Clenmare, uno squattrinato e talentuoso medico di provincia, oggi è diventato l’ammirato Lord Rusfolk, rampollo di una delle famiglie più in vista e ricche d’Inghilterra. Ma sono molti a desiderare la sua rovina e a invidiare il giovane lord. Soprattutto nella cerchia dei suoi amici più intimi. Viviane, la ragazza che ha rifiutato di sposarlo quando quest’ultimo era solo un medico di campagna è ora la dama di compagnia di Aurora, cugina di Lord Rusfolk. Sono Viviane e Aurora ad architettare un piano per denigrare ed eliminare la pericolosa concorrenza di Ahélya, giovanissima ragazza entrata nelle grazie di Alwyn Clenmare. Con la complicità di Lord Algernon, padre di Aurora e forse coinvolto nella morte di Walter, l’ultimo Lord Clenmare, le due donne scoprono il vero punto debole di Alwyn. Tutto diventa più facile. Viviane è a un passo da realizzare il suo sogno: sarà lei la futura Lady Clenmare. Come sottolinea Natalia Aspesi parlando dei romanzi di Delly, proposto in una nuova traduzione e firma che non ha certo bisogno di presentazioni, “può girare la testa, nell'ammasso di eventi: ma una primordiale commozione, un viscerale, vergognoso piacere fanno divorare il libro. Insensatamente”.
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La maison des Rossignols
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I Transis par l’aigre bise qui soufflait, en cet après-midi de mars, les passants hâtaient leur marche, peu soucieux de flânerie. Une pluie, mêlée de grésil, commençait à tomber... Pour s’en préserver, une fillette qui sortait d’une fruiterie ramena sur ses cheveux blonds le châle couvrant ses épaules et se mit à courir, souple et légère comme un feu follet. En deux minutes, elle eut atteint une grande maison de rapport, très vieille, sous la voûte de laquelle disparut sa frêle petite personne. Au-delà d’une cour étroite et noire, un autre bâtiment se dressait, haut de cinq étages, noir, lézardé, percé de fenêtres nombreuses. L’enfant s’engagea dans le couloir de ce corps de logis et commença de gravir l’escalier étroit, mi-partie brique et bois. La rampe usée, graisseuse, les murs d’un vert déteint, d’où se détachaient de larges plaques, les relents de cuisine et de lessive, tout annonçait le logis de pauvres. Au troisième étage, une femme qui descendait dit à la fillette, au passage : – Bonsoir, mademoiselle Lilian... Comment va votre maman, ces jours-ci ? – Pas très bien toujours, madame Justine. – Eh ! la pauvre dame, c’est le temps qui fait ça probable. S’il venait un peu de soleil, ça la remonterait tout de suite. Lilian soupira. – Je ne sais trop... Elle est si, si fatiguée ! Puis, adressant un amical bonsoir à la femme, une voisine de palier très complaisante, elle continua son ascension, jusqu’au cinquième, où elle s’arrêta devant une porte qu’elle ouvrit...|
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Cité des Anges
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I Ce matin de juillet, en quittant la Sorbonne, Norbert Defrennes rencontra son ami Foury sur le boulevard Saint-Germain, et tous deux se dirigèrent en causant vers la rue Saint-Guillaume, où demeurait Norbert. Foury, brun, trapu, au visage coloré, aux gestes exubérants, était l’antithèse de son compagnon, svelte, élégant, de physionomie fine, un peu froide, d’allure souple et réservée. Leurs caractères différaient autant que l’apparence physique. Ils s’étaient liés au lycée, puis retrouvés à la Faculté des Lettres. Foury voyait dans le fils du banquier Defrennes un prêteur généreux, quand ses frasques avaient mis à sec la bourse garnie tous les trimestres par sa mère. Il continuait ces relations d’amitié plutôt par habitude que par réelle sympathie. Foury, de son côté, se fût bien gardé de les rompre. Par M. Defrennes père, influent dans les milieux politiques de gauche, il s’était fait nantir d’une confortable sinécure administrative, et comptait que, grâce à cette protection, il pourrait quelque jour s’élever à un échelon supérieur. En somme, un type d’aimable égoïste, pas mauvais garçon, susceptible de quelques élans généreux, mais trop amateur de toutes les jouissances de la vie. Ainsi le jugeait Norbert, en toute équité. Ils marchaient d’un pas flâneur, le long du boulevard. Foury parlait de ses projets pour le mois d’août. D’abord un séjour à Cabourg, en joyeuse compagnie. Puis une quinzaine donnée à sa mère dans la maison familiale de La Rochelle. Ensuite l’ouverture de la chasse, en Gascogne, chez des cousins. Norbert recourait d’un air distrait. Ses yeux, d’un gris foncé, qui parfois prenaient une teinte presque bleue, avaient en ce moment l’expression d’indifférence et de songe qu’un observateur y eût souvent discernée depuis quelque temps surtout. Il semblait alors que sa pensée n’eût plus avec ses interlocuteurs qu’un contact léger, suffisant néanmoins pour lui permettre de se tenir superficiellement au courant de la conversation...|
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La rose qui tue
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I La brise, saturée du parfum des orangers, soulevait le journal étendu sur la table. Gemma pencha la tête pour relire l’annonce : « On demande jeune personne de bonne famille, munie de diplômes, pour instruire deux petites filles. Écrire avec tous renseignements et références à la comtesse de Camparène, Grand-Hôtel, à Cannes. » De longues coulées de soleil pénétraient jusqu’au milieu du salon vieillot, dont les murs tendus de toile de Jouy fanée s’ornaient de portraits encadrés d’une dorure ternie. Sur la petite terrasse, dans des vases en terre vernissée, de hautes digitales offraient la pourpre vive et le rose tendre de leurs clochettes. Le jardin s’étendait au-delà, abondamment fleuri, bien que négligé depuis la mort de Mme Faublans. Gemma repoussa le journal et s’accouda à la table. La chaude lumière de mars avivait les reflets moirés des cheveux blonds formant des boucles légères sur la nuque délicate, d’un blanc de nacre. De cette même blancheur nacrée, à peine teintée de rose tendre, était le jeune visage sérieux aux beaux yeux songeurs et soucieux. Une porte claqua tout à coup, des pas résonnèrent sur le dallage du vestibule. Au seuil du salon parut une jeune fille vêtue de demi-deuil. Elle jeta sur un siège le carton à musique qu’elle tenait à la main, et se laissa tomber sur le petit canapé dont la soie s’élimait. – Quelle corvée que ces leçons ! Quelles nullités que ces élèves ! La voix était plaintive, comme les yeux couleur d’un beau ciel d’été. Sur ceux-ci battaient de longs cils blonds qui formaient un séduisant contraste avec de bruns cheveux bouclés. Gemma laissa retomber ses mains sur la table et regarda sa sœur. – Je viens de voir dans ce journal quelque chose qui pourrait peut-être me convenir... Elle tendit la feuille à Mahault. Celle-ci lut, et fit la moue. – Institutrice, avec tous tes diplômes... – Tu as vu qu’ils ne me servent à rien pour trouver une situation, depuis des mois que je cherche ?..|
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La Biche aux Bois
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I Les hôtes du vicomte de Tercieux revenaient de Biarritz où ils avaient passé l’après-midi. Leurs équipages : landaus, calèches, victorias, roulaient le long de la route conduisant au château d’Uxage, entre les prés sur lesquels descendait l’apaisante beauté du soir. Au-dessus des bois qui marquaient la limite du domaine, le soleil finissait de s’éteindre en pâles reflets roses et sa lueur mourante traînait sur la campagne silencieuse. Dans les voitures se continuaient les conversations commencées au départ, la plupart potins mondains plus ou moins bienveillants. Il était surtout question aujourd’hui de l’attention que le prince Wittengrätz semblait accorder à la jolie Myrrha Nadopoulo, « cette enragée coquette », comme la qualifiait, non sans quelque aigreur, Mme de Tercieux. M. d’Amblemeuse, diplomate en retraite, assis en face de la châtelaine, fit observer : – Elle est diablement ensorcelante ! D’ailleurs, elle a de qui tenir. La belle comtesse Seminkhof, sa mère, est toujours l’enjôleuse que je connus à Moscou il y a douze ou treize ans, au moment de son remariage. – Elle est d’origine grecque, n’est-ce pas ? – Grecque, levantine, juive... on ne sait trop. Je crois qu’il existe chez elle un mélange de races. Ainsi, du reste, s’expliquerait son type un peu étrange. – Mais le premier mari ?... L’avez-vous connu ? – Non. Un riche négociant hellène, paraît-il, que cette belle personne ruina en quelques années. Plus tard, elle réussit à prendre au filet un grand seigneur russe, veuf inconsolable d’une femme délicieuse appartenant à la plus haute aristocratie moscovite. Cette jeune comtesse Seminkhof, morte après trois ans de mariage, laissait à son mari une petite fille. Sur le conseil de ses amis qui le voyaient prêt à succomber au plus violent désespoir, il se mit à voyager. Au Caire, il rencontra Mme Ismène Nadopoulo, qui entreprit de le consoler – ce à quoi elle réussit tellement bien que, six mois plus tard, elle était comtesse Seminkhof...|
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L’accusatrice
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I Le grand vieux logis des Fauveclare se mirait dans les eaux calmes du charmant petit lac appelé par tous, dans le pays, les Eaux Vertes. On y arrivait par une difficile route de montagne qui, partant de Favigny, petite cité comtoise, côtoyait des combes sauvages avant de se perdre dans une sévère forêt de mélèzes et de pins. La maison, baptisée elle aussi les Eaux Vertes, était bâtie sur l’emplacement d’une maison forte où vivaient, au seizième siècle, les ancêtres des Fauveclare, avant qu’ils ne descendissent s’installer dans le bourg, alors fortifié, de Favigny. Divisée en deux corps de bâtiment, complètement indépendants, sans aucune communication entre eux, elle était restée propriété indivise des deux branches de la famille : la branche espagnole, les Fauveclare de Villaferda, et la branche française, restée fidèle au sol natal. Les Fauveclare, de tout temps, allaient y passer les jours chauds de l’été. Assis à l’ombre d’un bosquet, dans le grand verger qui s’étendait derrière la maison, Anne Fauveclare et ses neveux, Isabelle et Aubert, semblaient plongés dans une profonde méditation. Un nuage de tristesse s’étendait sur leurs jeunes visages. Anne rompit enfin le silence : – Vous verrez, vous verrez, nous nous habituerons, dit-elle. Et au moins, ici, il n’y aura plus de « louve » pour dévorer le peu qui nous reste... Nous organiserons notre vie de travail et il y aura encore des jours heureux pour nous... C’est qu’en effet un drame avait bouleversé l’existence des jeunes gens. Quelques années auparavant, ils vivaient en paix lorsque arriva à Favigny dona Encarnacion Fauveclare de Villaferda, son fils don Rainaldo et sa belle-fille dona Enriqueta, une petite Espagnole toute jeune encore. Ils venaient s’installer dans la maison familiale des Belles Colonnes, à Favigny, elle aussi propriété indivise. Dona Encarnacion était suivie d’une jeune parente, Claudia de Winfeld, qui tenait près d’elle le rôle de dame de compagnie...|
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L'Orgueil Dompté
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I Aélys de Croix-Givre, en acceptant d’épouser son cousin, le prince Lothaire de Waldenstein, avait respecté les dernières volontés de son père. Que d’événements avaient bouleversé sa jeune vie depuis qu’elle avait été mise en présence, pour la première fois, de Lothaire ! Aélys se rappelait avec émotion, malgré les années écoulées, le jour où dame Véronique, qui remplissait auprès d’elle, depuis la mort de ses parents, les fonctions de gouvernante et de dame de compagnie, lui remit, scellée des armes de Croix-Givre, l’enveloppe contenant les dernières volontés de son père, cette lettre révélant la promesse faite au mourant par Waldenstein, le père de Lothaire, d’unir son fils à la belle Aélys. Avec quelle révolte de tout son être, Aélys n’avait-elle pas pris connaissance du message, qu’elle considérait comme une atteinte à son droit de choisir seule, en toute indépendance, l’élu de son cœur ! Lothaire de Waldenstein, son futur époux ! Non, cela n’était pas possible, jamais elle ne consentirait à unir sa destinée à celle du jeune prince. Tout la séparait de lui. Dès sa première rencontre avec le jeune homme, Aélys s’était tout de suite aperçue que leurs caractères s’opposaient l’un à l’autre. Lothaire, bien qu’il se fût efforcé d’être aimable, n’avait pu lui cacher le côté orgueilleux, autoritaire, violent même, de son caractère. Devant sa volonté inflexible, tout devait plier. Aélys, tout en reconnaissant à son cousin un charme séduisant dont elle n’avait pu elle-même se défendre, avait répondu aux paroles hautaines et narquoises de Lothaire par une attitude qui exprimait son indignation, sa révolte et aussi sa ferme résolution de ne pas subir son joug sans réagir. Et c’était à cet homme fier et orgueilleux qu’Aélys, la belle Aélys aux cheveux d’or, était destinée. Elle se révoltait de toutes ses forces....|
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Le mystère de Ker-Even 2
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I À une vingtaine de kilomètres de Valenciennes, le comte de Ronchay possédait un vaste et vieux château entouré d’un parc assez important. C’était la demeure patrimoniale des Ronchay, dont Maurice se trouvait maintenant le seul descendant. Jusqu’à son mariage, il n’y avait fait que de courts séjours, préférant à cette paisible demeure les stations balnéaires à la mode ou les villégiatures chez des amis. Seul, y demeurait un vieux ménage d’anciens serviteurs, Adolphe et Caroline Dussaud, chargés de veiller à son entretien en se faisant aider par des gens du village voisin quand ils le jugeaient nécessaire. Elsa ayant choisi la Belgique pour y faire son voyage de noces, les jeunes époux, l’année dernière, s’étaient arrêtés au passage à Vanelles... Et, bien que ce fût encore l’hiver, le vieux château avait paru plaire beaucoup à la nouvelle comtesse. En automne, elle avait voulu y revenir. On avait invité quelques amis de Maurice, quelques relations faites au cours de l’été à Trouville. Elsa, très aimable maîtresse de maison, avait su rendre l’existence fort agréable à ses hôtes... Et Maurice avait convenu que Vanelles, ainsi, n’était pas du tout un logis ennuyeux. Mais Mme de Ronchay projetait d’y faire d’importantes améliorations. À ce sujet, pendant l’hiver, elle avait conféré plusieurs fois avec un architecte de son choix, au nom bien français de Wolmayer... Maurice la laissait agir à sa guise, approuvait tout à l’avance, car, en outre du désir qu’il avait de satisfaire à toutes les fantaisies d’Elsa, il s’arrangeait assez, dans son habituelle indolence, d’être ainsi déchargé de toute décision, de toute préoccupation. Elsa profitait largement de cet état d’esprit – si largement, qu’après un an de mariage, le comte se trouvait complètement annihilé, n’ayant même pas le droit de risquer une observation... C’était ainsi qu’au début de mars Mme de Ronchay avait décidé qu’ils iraient passer un mois à Vanelles, où elle voulait donner un coup d’œil aux réparations en cours...|
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Fille de Chouans
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I Le ronflement de la faucheuse rompait presque seul le silence qui régnait sur les champs maintenant à peu près complètement dépouillés. Les travailleurs, las d’une journée de chaleur orageuse extrêmement pénible, échangeaient à peine, de temps à autre, quelques interpellations sans entrain. Ils se hâtaient, car, vers l’ouest, de lourds nuages sombres, ourlés d’une teinte cuivrée, annonçaient un orage prochain. – Allons, les garçons, ça avance ! Encore une demi-heure, et tout sera fini ! Ces mots étaient prononcés par un grand vieillard maigre, dont la physionomie bienveillante et noble s’encadrait d’une large barbe blanche. Il était vêtu simplement, en propriétaire campagnard. Il y avait en lui un singulier mélange de rusticité et de distinction... Et c’était celle-ci qui l’emportait un peu sur l’autre. – Une demi-heure, monsieur Bordès ?... Croyez-vous que l’orage va attendre jusque-là ? dit un des moissonneurs. Le vieillard leva les yeux vers l’ouest et fronça un peu ses épais sourcils blancs. – Hum !... Enfin, travaillez ferme, mes gars, peut-être ça se tirera-t-il jusque-là ! Et puis, on vous prépare un bon repas là-bas, pour le dernier jour de la moisson. N’avez-vous pas vu mon petit-fils par ici ? – M. Laurent était là il y a dix minutes. Il est allé faire un tour aux vignes, qu’il m’a dit, répondit celui qui dirigeait l’équipe des travailleurs. – Bon, merci, Michel. D’un pas alerte, le vieillard se dirigea, en coupant à travers les sillons, vers le sentier qui longeait d’un côté les champs et de l’autre une haie de noisetiers, que couvraient d’ombre de jeunes chênes en pleine ardeur de sève. Le vieillard s’arrêta une seconde, en jetant un coup d’œil vers un coteau garni de vignes, qui se dressait mollement, là-bas, au-delà des champs. Puis, levant les épaules, il continua sa route en murmurant : – Il n’y est peut-être plus. Ce n’est pas la peine que je m’attarde à le chercher, par un temps pareil surtout. L’air devient absolument irrespirable !...|
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Les deux fraternités
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I Il venait de s’arrêter devant le magasin d’un tapissier décorateur. Derrière l’immense vitre, sous la clarté intense et douce répandue par les ampoules électriques, des meubles étaient disposés avec art, de jolis meubles d’une élégance raffinée, chiffonniers de bois précieux aux incrustations légères, charmants petits bureaux bien faits pour les correspondances frivoles, fauteuils Louis XVI d’une grâce exquise, recouverts d’admirables soieries... Et d’autres soieries encore, d’un rose délicieusement passé, d’un vert très pâle, d’un blanc d’ivoire, des soieries brochées, d’autres rayées et semées de fleurettes, formaient un chatoyant et luxueux décor à cette exposition d’un des plus « selects » magasins des boulevards. La lumière qui mettait en valeur toutes ces élégances éclairait aussi des pieds à la tête le curieux arrêté à la devanture. C’était un jeune homme, vêtu en ouvrier aisé. Grand et fort, il avait un visage accentué, une barbe brune épaisse et légèrement frisée. Ses paupières étaient en ce moment un peu abaissées, ne laissant qu’à demi apercevoir le regard... Mais quelle expression d’envie, d’amertume haineuse se lisait sur cette physionomie ! Un jeune couple, descendant d’un élégant coupé, entra dans le magasin ; les paupières de l’homme se soulevèrent, laissant voir des yeux clairs qui donnaient à ce visage une vive expression d’intelligence. Ils suivirent, à l’intérieur, les arrivants : lui, un bel homme à l’air sérieux et très aristocratique ; elle, une toute jeune femme brune, fort jolie, habillée avec une élégance sobre. On s’empressait autour d’eux, ils étaient évidemment des clients de marque... Et l’œil clair de l’ouvrier s’imprégnait de haine et d’envie, sa bouche aux lèvres épaisses se crispait nerveusement... – Malheur !... quand est-ce qu’on les démolira tous, ces riches ! siffla-t-il entre ses dents serrées. Il eut tout à coup un petit sursaut en sentant une main se poser sur son épaule. – Tiens, je ne me trompe pas, c’est toi, Prosper ! disait en même temps une voix sonore...|
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La Douloureuse Victoire
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I La chaude brise de juin entrait par les trois portes-fenêtres dans la grande salle longue qu’assombrissaient un peu les marronniers proches. L’ombre mouvante des feuillages dansait sur le bois verni des placards, sur la table couverte de morceaux d’étoffes, de ciseaux, de boîtes à fil, sur les visages des travailleuses et les cheveux bruns, blonds, grisonnants. Elles étaient là douze – quelques-unes âgées, comme Mme Augé qui atteignait quatre-vingts ans ; d’autres très jeunes, telle Claire Fervières, dont la légère chevelure châtain clair entourait une ronde et rieuse figure qui n’accusait pas plus de dix-huit ans. Veuves, femmes mariées, jeunes et vieilles filles se réunissaient ici, chaque samedi, et travaillaient pour les pauvres sous la présidence de Mme Fervières, la femme du notaire. Elle était assise au bout de la table. La cinquantaine proche n’altérait qu’à peine ses traits délicats et laissait à la taille toute sa finesse, toute sa juvénile souplesse. Élisabeth Fervières possédait ce charme discret, tout en demi-teintes, qui fait de certains automnes de femmes la revanche d’une jeunesse au cours de laquelle elles ont passé inaperçues, ignorées, près d’autres plus brillantes dont l’âge, ensuite, ternira l’attrait. Rien en elle ne forçait l’attention, tout la retenait : la grâce tranquille des mouvements, le pli de bonté douce que la bouche gardait à demeure, la sérénité pensive des yeux couleur de noisette, le sourire fugitif qui, des lèvres, montait jusqu’au regard, et la voix pure, doucement vibrante. Cet extérieur ne trompait pas sur la valeur morale. L’intelligence affinée s’unissait, chez Mme Fervières, à une bonté que rien ne lassait et à la plus discrète charité. Sur cette réunion hebdomadaire qui se tenait au rez-de-chaussée d’un pavillon dépendant de la maison notariale, elle exerçait, par son tact et ses vertus, une influence dont la réputation du prochain retirait maints avantages. Car elle ne laissait passer aucun propos qui eût allure de médisance et, avec une fermeté tranquille, coupait net le commérage. Toutes ces dames de l’ouvroir Sainte-Clotilde le savaient. Aussi les incorrigibles gardaient-elles pour une meilleure occasion les racontars abhorrés de leur présidente...|
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L’héritier des ducs de Sailles
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I Le soleil s’abaissait sur les sommets qu’il teintait de pourpre pâle, l’ombre envahissait la vallée et venait rafraîchir la petite ville brûlée tout le jour par un ardent soleil de fin d’août. Dans son cabinet de travail assombri par les volets clos, M. des Landies, le substitut du procureur de la République de Virènes, venait d’achever sa tâche du jour. Avec un soupir de soulagement, il se levait en essuyant son front mouillé. Cela fait, il alla vers la fenêtre, ouvrit les volets et se pencha au dehors. Devant lui s’étendait un jardin extrêmement ombreux. Non loin de la maison était assise une jeune femme brune et fine, qui cousait activement, non sans jeter de fréquents regards sur le tout petit bébé endormi près d’elle dans un berceau d’osier... Elle leva vivement les yeux au bruit des volets frappant le mur. – Ah ! tu as fini, Lucien ! Viens vite ici, il fait délicieux. Veux-tu une limonade ? – Je ne refuse pas, ma petite Madeleine. Mais je croyais que Mme de Vaulan devait venir passer l’après-midi avec toi ? – En effet, et je me demande ce qui a pu l’en empêcher. Elle n’a pas mis les pieds dans son jardin aujourd’hui. En disant ces mots, Mme des Landies se levait et jetait les yeux vers l’enclos voisin, séparé du sien seulement par une haie au milieu de laquelle avait été disposée une barrière. Elle eut une exclamation de plaisir en voyant apparaître, au seuil de la petite maison blanche, sœur jumelle de celle du substitut, une grande jeune femme blonde, sévèrement vêtue de noir, qui tenait par la main un tout petit garçon aux longues boucles d’or et au teint rosé. – Enfin, chère madame ! Je n’osais plus espérer vous voir aujourd’hui. Tout en parlant, elle s’avançait et ouvrait la barrière. Mme de Vaulan lui tendit une main un peu brûlante et fébrile. – Pardonnez-moi de n’être pas venue vous prévenir. Je ne sais à quoi j’ai pensé, vraiment...|
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L’exilée
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait |I Les nuages s’étaient un instant écartés, un vif rayon de soleil d’avril frappait le vitrage du bow-window où Myrtô reposait, sa tête délicate retombant sur le dossier du fauteuil, dans l’atmosphère tiède parfumée par les violettes et les muguets précoces qui croissaient dans les caisses, à l’ombre de palmiers et de grandes fougères. C’était une miniature de petite serre. Tout au plus, entre ces caisses et ces quelques plantes vertes, demeurait-il la place nécessaire pour le fauteuil où s’était glissée la mince personne de Myrtô. Elle reposait, les yeux clos, ses longs cils dorés frôlant sa joue au teint satiné et nacré, ses petites mains abandonnées sur sa jupe blanche. Ses traits, d’une pureté admirable, évoquaient le souvenir de ces incomparables statues dues au ciseau des sculpteurs de la Grèce. Cependant, ils étaient à peine formés encore, car Myrtô n’avait pas dix-huit ans... Et cette extrême jeunesse rendait plus touchants, plus attendrissants le pli douloureux de la petite bouche au dessin parfait, le cerne bleuâtre qui entourait les yeux de la jeune fille, et les larmes qui glissaient lentement de ses paupières closes. Sur sa nuque retombait, en une coiffure presque enfantine, une lourde chevelure aux larges ondulations naturelles, une chevelure d’un blond chaud, qui avait à certains instants des colorations presque mauves, et semblait, peu après, dorée et lumineuse. Ses bandeaux encadraient harmonieusement le ravissant visage, doucement éclairé par ce gai rayon de soleil perçant entre deux giboulées. Myrtô demeurait immobile, et cependant elle ne dormait pas. Quand même sa sollicitude filiale ne l’eût pas tenue éveillée, prête à courir à l’appel de sa mère, la douloureuse angoisse qui la serrait au cœur l’aurait empêchée de goûter un véritable repos. Bientôt, demain peut-être, elle se trouverait orpheline et seule sur la terre. Aucun parent ne serait là pour l’aider dans ces terribles moments redoutés d’âmes plus mûres et plus expérimentées, aucun foyer n’existait qui pût l’accueillir comme une enfant de plus. Elle avait sa mère, et celle-ci partie, elle était seule, sans ressources, car la pension viagère dont jouissait madame Elyanni disparaissait avec elle...|
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Les ombres
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I La première impression de Madel – celle, du moins, qui fit empreinte dans son tout jeune cerveau et dont elle se souvint toujours, fut celle-ci : une après-midi d’été, elle était assise près de sa bisaïeule, dans le jardin. En face se dressait un coin de mur nu, ensoleillé. Des ombres dentelées s’y jouaient, en un incessant mouvement. Madel étendit ses petites mains pour les saisir. Grand-mère riait. Madel la regarda d’un air qui voulait dire : « Pourquoi ris-tu ? » Alors grand-mère leva le doigt et montra le vieux marronnier. Les folioles aux dentelures aiguës s’agitaient doucement, sans relâche. Le doigt de l’aïeule se dirigea ensuite vers le mur. Madel suivait avec attention ce mouvement. Grand-mère dit : – C’est l’ombre des feuilles, Madel. Les yeux bruns de l’enfant continuèrent d’aller de l’arbre au mur. Sa petite tête travaillait. Un peu plus tard, grand-mère l’emmena dans sa quotidienne inspection du jardin. Madel trottinait derrière elle en tenant les yeux fixés sur la forme noire qui avançait sur le sol, en même temps que l’aïeule. Elle se baissa tout à coup, en étendant ses bras, pour la toucher. Ses mains rencontrèrent les cailloux de l’allée, qui blessèrent la chair tendre. Grand-mère se détourna et rit encore doucement en disant : – Il ne faut pas chercher à prendre les ombres, ma petite fille. Madel vivait dans la vieille maison avec grand-mère et bonne-maman – bisaïeule et aïeule. Grand-mère était une très petite vieille dame, toute menue, au mince visage couleur d’ivoire ancien, que des boucles de cheveux blancs encadraient joliment. Ses lèvres, qui avaient la nuance des roses fanées, ses yeux d’un bleu un peu pâli souriaient souvent, car grand-mère était gaie et conservait, après toutes les épreuves de sa vie, une charmante sérénité d’âme. Bonne-maman, pas beaucoup plus grande que sa mère, était par contre douée d’un embonpoint qui l’alourdissait et la rendait casanière. Le visage restait mince, encore joli, très coloré souvent. Des yeux sérieux et tristes y répandaient une ombre de mélancolie. Elle était moins tendre que grand-mère pour sa petite-fille ; mais cependant Madel la chérissait autant, car elle se sentait très aimée d’elle. Quelquefois, les soirs d’hiver, elle venait se blottir dans les bras qui se refermaient sur son petit corps souple, et elle avait si chaud, si chaud, tout près de ce cœur qui battait fort sous le corsage noir à l’ancienne mode !...|
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Aurore de Brüsfeld
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I La femme de chambre entra, apportant le courrier qu’elle posa sur un guéridon, près de la grande bergère à oreilles. Mme de Thury étendit une petite main grassouillette et prit une enveloppe de fort vélin dont elle fit sauter le cachet aux armes de Brüsfeld. Elle déplia la feuille qui s’y trouvait contenue et lut : Ambleuse, ce 7 janvier 1860. « Madame et chère sœur, « Après un échange de correspondance avec mon cousin de Somers, nous avons décidé que le mariage d’Aurore et de Carloman aurait lieu dans trois mois, vers la fin d’avril. Vous serez très aimable de vous occuper du trousseau de ma fille. Qu’il soit convenable pour son rang. Mais il faut tenir compte que la vie à Montaubert est simple et patriarcale, ainsi que me le rappelle Gérard de Somers. Je me fie d’ailleurs complètement à votre tact et à votre goût parfait. « J’espère que votre santé vous permettra d’accompagner Aurore à Ambleuse, pour remplacer sa mère. Il suffira qu’elle arrive deux jours avant la cérémonie, qui sera tout à fait intime. Mon triste foyer doit continuer d’ignorer tout ce qui peut avoir apparence de fête. Gérard de Somers, empêché par ses infirmités, ne viendra pas et Carloman sera accompagné seulement de son frère cadet. « En vous remerciant des soins que vous avez donnés à Aurore, je vous baise les mains, Madame et chère sœur. « Carloman, prince de Brüsfeld. »...|
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Bérengère, fille de roi
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I Gaspard, dans son inquiétude et son désir exaspéré de savoir, avait osé se glisser jusqu’à la pièce précédant le cabinet de M. de Rochelyse. Là, il avait légèrement écarté la portière juste au moment où Wennaël baisait les beaux yeux qui le regardaient avec tant d’amour. Mais le mouvement du chien, son grondement, avaient fait fuir Sorignan, dont les pas étaient heureusement amortis par l’épaisseur des tapis... Et il était rentré dans la salle de garde, il s’était affalé sur un siège en frissonnant de colère et de désespoir. À ce moment-là, il avait compris, il s’était avoué que, bien réellement, il aimait Bérengère et que ce n’était pas seulement un intérêt compatissant pour l’enfant sans famille, sans expérience, qui faisait bouillonner son cœur d’une telle indignation contre M. de Rochelyse. « Cette pauvre petite Bérengère !... Cette pauvre petite Bérengère ! songeait-il en frissonnant. La voilà perdue ! Cet homme en fait son jouet... et puis il la rejettera et elle se trouvera avec une existence brisée, un cœur déchiré... Comme elle le regardait ! Pauvre enfant, comme elle l’aime ! » Et Gaspard s’enfonçait les ongles dans la paume des mains en revoyant par la pensée les yeux éclairés d’une si ardente tendresse... et ces lèvres... ces lèvres odieuses s’appuyant sur les délicates paupières blanches, tandis que la ravissante jeune femme frissonnait de bonheur entre les bras amoureusement refermés sur elle. Ah ! il aurait dû se jeter sur cet homme... tout braver, tout risquer, pour lui enlever Bérengère !... Et, cependant, il sentait bien qu’il n’aurait pas eu le dessus. Déjà, il savait, par ses compagnons, que le duc joignait à une prodigieuse force musculaire la plus extraordinaire adresse à l’épée. En un instant, le garde rebelle aurait été maté, désarmé... ou, plus certainement encore, réduit pour jamais à l’impuissance par une bonne lame passée à travers son corps. De cela, que serait-il résulté de bon pour Bérengère ?... Rien, absolument rien. Tandis qu’en patientant, qu’en cachant sa douleur et sa colère, il serait là si, un jour, elle se trouvait dans la détresse, dans le désespoir... il serait là pour la protéger, pour l’aider, s’il en était besoin. Ainsi Gaspard ruminait-il ces pénibles pensées, au moment où avaient paru le duc et Bérengère... Et de les voir là, tous les deux, lui avait donné une telle secousse qu’il n’avait pu dissimuler sa pénible émotion....|
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Ahélya, fille des Indes
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I Pendant la longue absence de lord Rusfolk aux Indes, la vieille chapelle de Loreyl-Castle avait été aménagée pour la célébration du culte catholique, qui était celui du nouveau lord, de sa mère et d’Ahélya. Tous trois y entendirent la messe pour la première fois, le lendemain qui suivit la visite au château de sir Fabian Hartwill. Dès que l’office fut terminé, lord Rusfolk décida d’explorer, mieux qu’il n’avait pu le faire jusqu’alors, le vieux bâtiment de Loreyl-Castle et surtout la Tour rouge. – Venez-vous avec moi, Ahélya ? demanda-t-il à sa cousine. Il est vrai que vous devez connaître tout cela... – Cela ne fait rien, répondit la jeune fille. Je vous accompagnerai bien volontiers, car j’aime beaucoup ces vieilles pierres et les souvenirs qu’elles me rappellent. Lord Rusfolk demanda à Harriston de leur servir de guide. Ce fut une visite passionnante durant laquelle le premier intendant donna à son maître les explications qu’il demandait. Après que les visiteurs eurent escaladé d’étroits escaliers dissimulés dans des murailles énormes, pénétré dans des chambres secrètes désignées sur un vieux plan que lui avait remis son fidèle serviteur, lord Rusfolk s’étonna de ne trouver sur le document aucune indication de la communication qui, d’après la tradition, devait exister entre la crypte de la vieille chapelle et les souterrains de la Tour rouge. – Cela n’a rien d’étonnant, expliqua Harriston à son maître, car le secret, transmis oralement par le chef de famille à son héritier, s’est perdu en l’an 1124. À cette époque, le seigneur de Loreyl-Castle était Éric Clenmare, époux d’une belle Castillane de noble famille qu’il avait ramenée d’un de ses nombreux voyages à travers le monde. À peine âgé de vingt-six ans, il disparut et l’on n’entendit plus parler de lui : il emporta le secret dans sa tombe. Les seigneurs qui lui succédèrent à Loreyl-Castle firent effectuer des recherches, mais elles n’eurent aucun résultat...|
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Le feu sous la glace
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I Viviane remontait d’un pas alerte le petit sentier de douaniers qui suivait le bord de la falaise. Au-dessous d’elle, une mer paisible caressait de ses vagues paresseuses l’assise de granit dans laquelle, depuis des siècles, elle avait creusé d’étroits couloirs, des grottes, les uns et les autres jamais découverts, fût-ce aux plus basses marées. Une brume légère persistait à l’horizon, comme presque toujours sous ce ciel breton. Mais, autour de la jeune fille, sur l’onde mollement balancée comme sur la lande rude plantée de genêts, s’étendait la claire lumière d’un radieux soleil de mai qui tiédissait l’air vif aux senteurs de varech. Viviane, sans s’arrêter, consulta sa montre et eut un mouvement de contrariété. « Déjà dix heures ! murmura-t-elle. Je vais être en retard pour la visite du docteur... Mais, bah ! la cousine peut bien se passer de moi ! » Toutefois, elle pressa le pas, après avoir soigneusement ramené autour de son visage le grand voile blanc qui la protégeait de l’air marin. Un fort joli visage, en vérité : de grands yeux noirs, sous les paupières bordées de longs cils foncés, faisaient encore mieux ressortir l’éblouissante fraîcheur de l’épiderme. Mais, en ce moment, la petite bouche bien modelée avait un pli d’ennui ou d’amertume et les beaux yeux décelaient une irritation mal contenue. Le sentier tournait, pour rejoindre bientôt un chemin conduisant au manoir de la Ville-Querdec. Un roulement de voiture venait maintenant aux oreilles de Viviane. En un bond souple, la jeune fille sauta sur un petit tertre rocheux. Le chemin lui apparut, encaissé entre deux talus garnis de haies. Un cabriolet s’y engageait à ce moment. Deux hommes s’y trouvaient. Viviane eut un mouvement de satisfaction. « Bon, voilà seulement le docteur Lebras, pensa-t-elle. Je serai arrivée presque en même temps que lui. Sans doute est-ce son remplaçant qu’il amène à ma cousine pour le lui présenter. » Viviane reprit sa route et, cinq minutes plus tard, par le chemin où l’avait précédée le cabriolet, elle arrivait en vue de la Ville-Querdec, propriété de sa cousine, Mme de Friollet...|
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Le roseau brisé
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I Flavio Salvi et le docteur Parville, son cousin, achevaient de déjeuner dans la salle à manger un peu obscurcie par les stores tendus devant les deux portes-fenêtres. Quelques coulées de lumière se glissaient jusqu’au parquet, jusqu’à la nappe tissée de rouge et de blanc, mais les deux jeunes hommes restaient dans la pénombre que parfumaient des roses pourpres et jaunes disposées dans une jatte de vieux Rouen. Le valet de chambre passa une coupe de fruits, versa dans les verres de cristal léger un vieux vin couleur d’ambre, puis disparut silencieusement. Flavio, tout en pelant une pêche, continua la conversation commencée. – ... Ce cousin de mon père, Paolo Salvi, m’écrit ces jours-ci que l’on fait des fouilles aux environs de Parenza, où il habite une vieille maison fort intéressante par les meubles et objets d’autrefois qu’elle renferme. Lesdites fouilles, paraît-il, mettent au jour une villa romaine dont semble fort enthousiaste mon vieux cousin. Connaissant mes goûts, il m’offre l’hospitalité pour que je puisse en juger par moi-même. – Et tu acceptes ? – Peut-être. La réponse tomba nonchalamment des lèvres longues et fines qui conservaient presque toujours un pli de léger dédain. Les dents petites, éclatantes, bien rangées, mordirent dans la chair juteuse et parfumée piquée au bout de la fourchette. Pendant un instant, Flavio et Parville gardèrent le silence. Sortant d’une pièce voisine, un très bel angora sauta sur une chaise placée près de Flavio et leva sur lui ses yeux d’un vert doré. – Tu devrais m’accompagner, Emmanuel. Flavio regardait son cousin, paraissait examiner avec attention ce mince visage au teint clair d’homme du Nord dont n’avait jamais pu avoir raison le grand air du large qui hâle les figures des marins. Il était même trop clair, ce teint, et joint à la maigreur des traits, de tout le corps, dénotait un état de santé peu satisfaisant...|
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L’héritage de Cendrillon
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I Le train s’arrêta avec un bruit de wagons heurtés, accompagné du grincement des roues mal huilées. C’était un train de petite ligne et, comme tel, composé du plus vieux matériel de la Compagnie. Il marchait toujours avec une sage lenteur, sans se soucier des récriminations de ceux qu’il transportait, et faisait devant chacune des petites gares de son parcours de longues pauses qui demeuraient inexpliquées pour les profanes, la ligne n’ayant jamais le moindre encombrement et les voyageurs étant plutôt rares, sauf au moment des foires et des fêtes du pays. À la gare de Dreuzès, deux personnes descendirent d’un wagon de troisième classe. Le chef de gare et l’homme d’équipe jetèrent un coup d’œil apitoyé vers l’homme qui s’avançait lentement, d’un pas chancelant. Son corps d’une effrayante maigreur flottait dans ses vêtements usés, fanés, sa haute taille se voûtait comme celle d’un vieillard. Mais le visage surtout frappait par sa lividité, par ses traits profondément creusés et ses yeux très enfoncés dans l’orbite. L’étranger, de la main gauche, tenait un vieux sac de cuir ; l’autre serrait celle d’une petite fille d’une douzaine d’années, vêtue d’une robe grise dont l’étoffe élimée attestait un long usage. Un vieux chapeau de paille noire était posé sur la chevelure d’un blond merveilleusement doré, qui formait une lourde natte tombant sur le dos de l’enfant. L’homme marchait comme un automate. Il tendit machinalement ses deux billets au chef de gare qui enveloppait d’un regard curieux ces gens inconnus dans le pays... Des gens pauvres, sûrement. Mais l’homme, sous son allure abattue, conservait un air de fierté, de distinction tout à fait indéniable. Cependant, il semblait que cet étranger connaissait déjà les lieux. Sans une hésitation, il se dirigeait vers une petite route traversière qui conduisait directement au village dont le clocher pointait vers le ciel d’un bleu très pâle...|
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Salvatore Falnerra
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I Dans la rue du Cherche-Midi, au rez-de-chaussée d’une maison étroite et haute, existait depuis nombre d’années un magasin d’antiquités, qui avait appartenu d’abord à un sieur Erdhal, se disant sujet hollandais, mais que des gens initiés assuraient originaire de la très prussienne province de Silésie... Après fortune faite – ou bien sa mission secrète réalisée, prétendaient certains de ces gens clairvoyants que personne n’écoute – l’antiquaire s’était retiré, en cédant son fond à un Italien du nom de Ricardo Clesini. Ce personnage arrivait de Rome, où il tenait auparavant un commerce de joaillerie. Sa femme l’accompagnait – la belle Sephora, ancienne danseuse à l’Alfieri de Florence, qu’un accident de voiture avait rendue infirme... Ils s’étaient installés dans la maison de la rue du Cherche-Midi, achetée par eux, et s’étaient aussitôt activement occupés de leur nouveau commerce. Ricardo allait et venait, en province, à l’étranger, pour l’achat de meubles ou d’objets anciens. Ce petit homme maigre, chauve, au teint jaune et aux yeux brillants, possédait un flair extraordinaire pour dénicher l’objet rare, et une adresse non moins remarquable pour l’obtenir à petit prix... La vente regardait surtout Mme Clesini. Elle s’y entendait fort bien et, tout en roulant gracieusement le client, s’arrangeait pour qu’il se trouvât généralement satisfait de son marché. Un après-midi, vers deux heures, un homme vêtu avec une certaine élégance ouvrit la porte du magasin dont le timbre résonna longuement. Au fond, une portière de damas vert fut soulevée, une femme apparut et dit en italien, d’une voix calme, au timbre profond : – Ah ! c’est vous, Manbelli. – Votre message m’a été remis tout à l’heure, signora. – Venez par ici. Orso Manbelli traversa le magasin encombré, mais où chaque meuble, chaque objet, était placé dans un ordre parfait et un sens artistique incontestable... Sephora l’attendait, sa belle tête aux lourds cheveux noirs ressortant sur le fond vert de la portière qui retombait à demi derrière elle. Son visage d’une pâleur ambrée, dont quelques traits rappelaient l’origine sémitique de sa famille maternelle, portait les marques d’une santé précaire ; une de ses mains serrait le bec d’ivoire de la canne qui aidait sa jambe infirme. Mais rien n’aurait pu éteindre le feu de ses yeux noirs, l’ardeur inquiétante de ce regard où brûlait une vie intense...|
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Des plaintes dans la nuit
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I Le vent glacé qui soufflait, en cette veille de Noël 1880, dans les rues couvertes de neige, n’invitait guère les passants à s’attarder devant les étalages élégants et les tentantes promesses des magasins parés pour cette époque de fêtes, en la bonne ville de Fürtsberg. Le ciel d’un gris de lin strié de blanc, le jour terne de cette fin d’après-midi augmentaient encore l’unanime désir de gagner le logis clos, joyeusement éclairé, ou les salles de brasserie dont les lumières s’allumaient déjà comme une alléchante invitation, comme un défi à la tristesse du dehors. Mais tous n’avaient pas le loisir de fuir la nuit glaciale. Quelques pauvres femmes, mal défendues contre le froid par des vêtements trop minces, s’occupaient à balayer la neige pour en former des tas, que le vent implacable éparpillait de nouveau. Alors, avec une résignation navrante, les mains bleuies recommençaient l’inutile besogne. Car ce travail de Danaïdes représentait le prix du repas de ce soir. Une petite femme mince et frêle s’arrêta tout à coup, en lâchant son balai. Déjà très pâle auparavant, elle devenait livide, et elle chancela en se retenant à la porte d’une maison de luxueuse apparence. – Léna, voyez donc !... Cette malheureuse se trouve mal ! s’écria une voix harmonieusement timbrée. En même temps, une fine main gantée de clair s’étendait pour soutenir la balayeuse, et un charmant visage de jeune fille se penchait vers elle. Une grande femme maigre, qui avait la correcte apparence d’une femme de chambre, se courba à son tour vers la malheureuse qui s’évanouissait décidément tout à fait. La jeune fille, dont les beaux yeux foncés témoignaient d’une ardente compassion, dit vivement : – Il faudrait la soigner ! Si nous appelions Wilhelm pour aider à la monter ?...|
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Mitsi
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I Ce matin de juin, une amazone et deux cavaliers parcouraient au petit trot la route large, bien entretenue, bordée de vieux arbres, qui conduisait aux forges de Rivalles et à la superbe résidence désignée dans le pays sous le nom de « Château Rose ». L’amazone était jeune, très blonde et d’une incontestable beauté. Les yeux d’un bleu vif avaient beaucoup d’éclat et la fraîcheur du teint pouvait soutenir toutes les comparaisons. Elle montait fort bien, avec beaucoup d’aisance. Son compagnon de gauche fit remarquer : – Vous devenez une excellente écuyère, Florine. Celui-là était le directeur des forges, Flavien Parceuil. Bien qu’il eût dépassé largement la soixantaine, il restait d’allure encore jeune et, visiblement, était plein d’activité. Une barbe grise très soignée terminait son visage long et pâle, creusé de petites rides. La bouche avait un pli dur, et les yeux se cachaient fréquemment sous de molles paupières flétries par l’âge. Le second cavalier n’était autre que Christian Debrennes, vicomte de Tarlay, maître et seigneur non seulement des importantes forges de Rivalles et du Château Rose, mais encore d’une grande partie du pays, fort loin à la ronde. Le beau Tarlay, comme on l’appelait à Paris et dans tous les endroits à la mode. Il venait d’atteindre ses vingt-trois ans. Cinq ans auparavant, en 1870, il s’était engagé, avait combattu avec une ardente bravoure. Puis, la guerre finie, il avait repris ses études, qu’il menait brillamment, la nature l’ayant doué d’une rare intelligence et d’une extrême facilité, il commençait alors de s’occuper des forges dont son père, toujours malade, laissait la direction à Parceuil, leur parent éloigné. Mais bientôt, le jeune homme n’avait plus guère songé qu’à l’existence mondaine qui lui réservait des succès bien faits pour flatter son orgueil. Adulé chez lui et au dehors, disposant d’une fortune presque sans limites, puisque chaque année les forges prenaient plus d’importance, il était devenu le plus parfait égoïste du monde, n’ayant souci que de satisfaire sa volonté fantasque et ses désirs impérieux...|
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Pour l’amour d’Ourida
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I Ourida n’avait même pas la ressource de confier son anxiété à Mlle de Francueil. Celle-ci, complètement épuisée par le travail intensif de ces derniers jours, devait garder le lit. Sa vue, tout particulièrement, était en fort mauvais état. Mais elle n’avait pas les moyens de se rendre à Clermont pour consulter un oculiste. Mme de Varouze – sans doute afin de la tenir dans une plus stricte dépendance – s’abstenait depuis cinq ans de lui envoyer les cinquante francs mensuels qu’elle lui avait généreusement alloués. Le peu d’économies qui lui restait avait servi à payer quelques médicaments pour fortifier Ourida, un vêtement plus chaud ou des chaussures supplémentaires pour l’enfant qui souffrait du froid dans ce rude climat. Elle se trouvait donc maintenant sans ressources, au grand chagrin de la jeune fille qui se désolait de ne pouvoir rien pour elle. – Oh ! si j’étais libre de travailler à mon compte, disait-elle avec une douloureuse impatience. Mais non, il faut que notre labeur profite à cette femme, qui vous tue ainsi à petit feu ! Mlle Luce hochait la tête sans répondre. Elle semblait plus froide, plus concentrée que jamais... Ourida en ressentit une impression fort pénible en ce moment où elle aurait eu tant besoin d’affection et de réconfort moral. Déjà décidée à ne pas faire partager son souci à cette femme abattue, fatiguée, elle s’affermit davantage encore dans sa résolution. Il fallait qu’elle portât seule le poids de ses craintes, de même que, quelques jours auparavant, elle avait conservé en elle l’espoir que lui avait donné le prince Falnerra. Comme, le dimanche matin, Mlle Luce était incapable de se rendre à l’église, Brigida déclara que « Claire » viendrait avec elle. La perspective n’avait rien d’agréable pour Ourida. Néanmoins, puisqu’il s’agissait d’accomplir son devoir dominical, elle se soumit sans murmurer à la corvée que représentait ce trajet en compagnie de la femme de charge. Au début de la messe, Lionel apparut dans le banc du château, où avait pris place Brigida et la jeune fille. Sa présence parut fort pénible à Ourida, qui se félicita d’être séparée de lui par la femme de charge. Il sortit le premier, quelques instants avant la fin de la messe, et, dehors, la jeune fille ne l’aperçut pas. Mais comme les deux femmes s’engageaient dans le sentier de la forêt, elles le virent qui les attendait...|
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Lysis
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I Jean de Malay s’en allait d’un pas alerte à travers champs, avec ses chiens sur les talons. C’était un beau garçon, nerveux et souple, robuste sous une apparence élégante. Son visage aux traits fermes, un peu bruni par l’air vif, exprimait la joie de vivre, d’être jeune, sain, de conscience tranquille et d’âme enthousiaste. Au passage, les paysans occupés à leurs travaux le saluaient avec une familiarité respectueuse. – Bonjour, monsieur Jean ! – Bonjour, Mousseaume... bonjour, Maellet. Beau temps pour travailler, aujourd’hui ? – Sûr, monsieur Jean ! Et le blé sera superbe, cette année. Jean jetait un coup d’oeil connaisseur sur les vagues d’épis qui ondulaient très loin, jusqu’au pied des coteaux couverts de vignes. Il était le plus grand propriétaire terrien de la contrée et s’occupait de faire valoir ce domaine transmis jusqu’à lui par ses ancêtres. Un régisseur dirigeait sous ses ordres les ouvriers agricoles. Mais Jean avait coutume de tout voir de près par lui-même et ne laissait à personne le soin d’encourager moralement les paysans qui vivaient autour de la Varellière. Car il avait une âme profondément religieuse et très attachée à tous ses devoirs, ce charmant Jean de Malay dont les yeux d’un brun doré, gais ou pensifs selon les heures, mais toujours si expressifs et si vivants, eussent fait tourner bien des têtes, s’il l’eût voulu. Sa mère avait cultivé avec soin les qualités précieuses en germe dans cette jeune âme et, avant de quitter ce monde, l’admirable chrétienne qu’elle était avait pu contempler en lui l’épanouissement de cette œuvre d’éducation à laquelle étaient consacrés tous ses jours avec le souci des pauvres et l’accomplissement de ses devoirs de châtelaine. – Marie-toi maintenant, mon cher enfant, lui avait-elle dit tendrement en caressant la tête blonde appuyée contre elle, tandis que Jean étouffait ses sanglots...|
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Le roi de Kidji
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I – Maudite petite fille ! L’exclamation s’échappait des lèvres d’un jeune cavalier d’une quinzaine d’années, monté sur un joli petit cheval camarguais. Dans le sentier où il venait de s’engager, un énorme paquet de fleurs était tombé tout à coup sur les naseaux de l’animal qui, effrayé, se cabrait furieusement. Et son maître, tout en le contenant d’une main déjà ferme, apercevait au-dessus de lui, dans l’ouverture d’une tonnelle couverte de jasmins et de roses, un blanc visage d’enfant encadré d’une masse de cheveux blonds, soyeux et argentés – un visage délicat, et charmant, où brûlaient d’admirables yeux noirs, en ce moment éclairés de gaieté moqueuse. Un léger éclat de rire répondit au cri de colère du jeune garçon. – Vous êtes toujours aimable, monsieur Raymond de Faligny ! – Aimable pour une petite sotte qui cherche à me faire casser la tête ! Ah ! bien, par exemple ! Le teint blanc se couvrit soudainement de rougeur, les yeux devinrent sombres... Et la petite fille, se redressant, dit avec un accent de dédain singulier dans cette bouche d’enfant : – Je savais bien qu’il n’y avait pas de danger pour vous, car vous êtes bon cavalier. Mais je voulais vous faire mettre en colère, parce que vous détestez papa et moi ! Elle se tenait debout dans l’ouverture, en attachant sur Raymond un regard lourd de rancune. C’était une petite créature très fine, âgée d’une dizaine d’années. Son teint avait la blancheur froide des neiges immaculées. Mais quand une émotion agitait l’enfant, comme en ce moment, il devenait d’un rose délicat de fleur vivante. Les yeux et les cils noirs, les cheveux aux reflets d’argent achevaient de donner un charme étrange à cette physionomie, qu’il devait être difficile d’oublier, ne l’eût-on vue qu’une fois. Raymond, qui venait de mater définitivement son cheval, leva de nouveau vers la tonnelle un regard chargé d’orage. – Ah ! c’est ce que vous vouliez ? Eh bien ! il n’y a pas besoin, pour cela, de lancer des fleurs à la tête de mon cheval... car, en colère contre le docteur Norsten, je le suis tous les jours, puisqu’il est l’héritier, le descendant de Luc d’Anfrannes, le voleur... et qu’il détient lui-même ce qui m’appartient. – Menteur ! Menteur !...|
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Rue des Trois-Grâces
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I La demie de midi sonnait à Saint-Sulpice quand Régis arrêta sa voiture devant le bel immeuble ancien dont son oncle était propriétaire. Il fit jouer la trompe, et la concierge vint ouvrir le portail, avec un sourire sur sa figure fanée de quinquagénaire. – Bonjour, monsieur Régis ! Vous avez fait un bon voyage ? – Très bon, Coralie. Tout va bien ici ? – Mais oui, monsieur, tout à fait bien. Régis engagea la voiture sous la voûte. Une vaste cour s’étendait derrière le bâtiment principal. À gauche se trouvaient les garages ; dans le fond s’élevait un antre corps de logis d’un étage, dont une partie du rez-de-chaussée était occupée par les bureaux de M. Martin Dorians, architecte réputé autant pour sa valeur que pour sa conscience professionnelle, et qui avait fait de son neveu Régis son associé. Remettant sa voiture aux mains du valet chauffeur, qui flânait près du garage en fumant une cigarette, Régis revint au bâtiment principal et gagna le premier étage. Il ouvrit la porte avec sa clef, traversa la grande antichambre ornée de beaux meubles anciens et entra dans le petit salon parfumé de la senteur des violettes, fleurs préférées de Mme Dorians. – Ah ! te voilà, cher enfant ! M. Dorians, assis près de la cheminée, tournait vers l’arrivant un visage joyeux. – Oui, mon oncle. J’ai fait un peu de vitesse pour arriver à l’heure du déjeuner. – Va vite te changer, pour ne pas faire attendre le soufflé de Rosa, qui en ferait un drame, dit en riant Mme Dorians. Régis baisa affectueusement la main qu’elle lui tendait. – Faites servir, ma tante. J’en ai pour dix minutes et je mangerai le soufflé retombé, s’il y a lieu. Nous n’en dirons rien à Rosa...|
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Le sphinx d’émeraude
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I Dans le jour terne tombant des hautes fenêtres étroites, la grande chambre paraissait infiniment austère et triste, avec ses murs couverts d’une tapisserie usée, ses meubles massifs en bois sombre, le lit à colonnes drapé de lourdes tentures foncées, la cheminée de pierre noircie où brûlait un maigre feu totalement insuffisant pour réchauffer, en cette aigre journée d’octobre, la malade grelottante dans son fauteuil à haut dossier sculpté. Le baron de Pelveden, de plus en plus dominé par le démon de l’avarice, surveillait jalousement la provision de bois rentrée à l’automne et comptait chaque bûche apportée dans l’appartement de sa femme. Mme de Pelveden serrait autour d’elle un vieux manteau doublé de fourrure datant de l’époque où, jeune encore, avide d’hommages et de plaisirs, elle était une des beautés en renom de la cour. Un fichu de laine noire couvrait en partie ses cheveux gris, cachait les oreilles et s’attachait sous le menton par une agrafe d’or ornée d’améthystes. Le visage, frais et vermeil qu’avait jadis chanté Pierre de Ronsard, n’était plus qu’un visage de vieille femme malade, blafard, creusé de rides, avec des yeux pleins de sombres pensées qui rêvaient dans l’ombre des paupières mi-baissées. Aux pieds de la baronne, sur un vieux coussin de velours, se tenait assise une fillette occupée à filer diligemment. Elle paraissait tout au plus quatorze ans. Sa robe de grossière étoffe flottait autour d’un corps délicat, visiblement amaigri. La petite tête fine semblait se courber sous le poids d’une chevelure d’un chaud brun doré, qui tombait en deux nattes de chaque côté d’un visage menu et charmant, très blanc, trop blanc même, un visage d’enfant qui souffre, qui s’attriste, avec ce pli aux coins de la petite bouche pourprée et cette ombre d’inquiétude dans les yeux d’un ardent bleu violet, sur lesquels frémissaient des cils presque noirs...|
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La vengeance de Ralph
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I Mme de la Ridière entra dans la salle à manger, où Serena achevait de couvrir des pots de confitures et demanda : – Avez-vous bientôt fini ?... Léonie vous attend pour que vous l’aidiez à étendre le linge dans le pré. La jeune fille tourna vers l’arrivante son délicat visage ambré, aux grands yeux noirs veloutés qu’ombraient de longs cils bruns. – J’ai encore trois pots de gelée, madame. Ce sera fait dans un instant. – Dépêchez-vous ! Il faut profiter de ce rayon de soleil. Je crois que vous flânez beaucoup, ainsi que me le faisait remarquer Simonne. La jeune fille ne répliqua rien et posa d’une main tranquille, sur un pot de gelée d’orange, le papier préalablement humecté de blanc d’œuf. Mme de la Ridière l’enveloppa d’un coup d’œil hostile, et ses lèvres s’ouvraient pour une remarque désagréable quand, derrière elle, surgit une grande fille blonde, vêtue de blanc, une raquette de tennis à la main. – Je pars, grand-mère. À ce soir ! – Bon. Amuse-toi bien, Simonne. Une moue plissa la grande bouche aux lèvres trop fortes. – Les Gilliet ne seront pas là. Aline joue comme une mazette, et le petit Gazier est assommant, avec ses prétentions à l’esprit. – M. Morel viendra-t-il ? – Je ne crois pas. Il doit être aujourd’hui à Rouen, pour la succession de son oncle. – Le voilà devenu un bon parti, maintenant. Il faudrait tâcher que, de simple flirt, il se transforme en prétendant. – On fera son possible, grand-mère !... La situation serait assez belle, en effet. Nous irions habiter une grande ville, naturellement... peut-être Paris.....|
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Les seigneurs loups
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I En serrant autour d’elle la grande cape noire dont le capuchon couvrait sa tête, Oriane passait comme un léger fantôme sombre dans la somptueuse blancheur de la forêt encore parée de ses neiges. Elle marchait aussi vite que le lui permettaient les sentiers glissants, car la nuit était proche maintenant. Sa grand-tante allait s’inquiéter, et aussi Claude, le vieux serviteur fidèle. Mais son goût pour la solitude majestueuse de la forêt l’avait dominée, une fois de plus. Elle y avait cherché, pour quelques instants, l’oubli du passé douloureux et celui de l’inquiétant présent. Car l’année 1793 allait finir, et elle avait été marquée à son début, pour les Cormessan, par l’expulsion hors de leur château de Pierre-Vive, vendu comme bien national à un marchand de chevaux du pays, Paulin Plagel. Ils s’étaient réfugiés dans une maison de garde que leur louait ledit Plagel, satisfait de les avoir délogés pour se mettre à leur place. Auparavant, ils n’étaient pas très riches. Maintenant, c’était la pauvreté, le continuel souci du lendemain. Et d’autres angoisses encore, d’autres douleurs pesaient sur l’âme d’Oriane, sur celle de Mlle Élisabeth, sa tante, mortellement atteinte dans sa santé. À travers le grand silence de la forêt neigeuse, l’appel d’une voix masculine retentit tout à coup : – Mademoiselle Oriane ! – Me voilà, Claude ! Quelques instants plus tard, la jeune fille et le vieillard se rencontraient. Claude dit sur un ton grondeur : – Vous serez donc toujours la même, Mademoiselle ? Si la pauvre demoiselle ne s’était pas endormie, elle aurait encore été bien inquiète. Pensez donc, avec tous ces vilaines gens d’aujourd’hui ! – Je ne rencontre jamais de ceux-là dans la forêt, mon bon Claude. Nos bûcherons, nos forestiers restent fidèles à leurs maîtres, au fond... – Il ne faut pas trop se fier à certains d’entre eux, je le crains. Plagel est adroit pour propager ses idées révolutionnaires, et surtout son neveu, Victorien... – L’ami de mon oncle...|
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Une misère dorée
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I « On offre à une famille de trois ou quatre membres au plus le logement et la nourriture dans une demeure seigneuriale, à des conditions requises qui seront exposées à qui en fera la demande. Le domaine est admirablement situé, dans une des plus belles contrées forestière de l’Autriche. Écrire poste restante aux initiales I.-L., à Vienne. – On exigera les plus sérieuses références. » Le professeur Lienkwicz abaissa un peu le journal qu’il tenait très rapproché de ses yeux de myope. Une expression pensive paraissait sur sa physionomie fine, flétrie par l’âge, les soucis et la souffrance physique, dans ses yeux bleus où, malgré les tristesses passées et présentes, se lisaient toujours la sérénité, l’invariable bonté, la douceur un peu mélancolique qui révélaient si bien l’âme d’Adrian Lienkwicz : aimable, affectueuse, paisible, mais un peu faible, aisément découragée sous les épreuves de la vie..., âme charmante, mystique, éprise des passés lointains et des légendes d’autrefois, capable de se sacrifier sans murmure au devoir, mais fort peu apte à réagir et à lutter. Adolescent, il avait été, à l’Université de Vienne, à la fois adoré et tourmenté de ses camarades. Ceux-ci raillaient sa tranquille aménité, ses goûts studieux et paisibles, sans pouvoir échapper toutefois à la séduction de cet être souriant et affable, généreux jusqu’à l’imprudence, qui savait apaiser d’un regard les plus farouches bretteurs et ne connaissait pas le moyen de refuser à qui que ce fût son aide matérielle ou morale. Jeune homme, il avait conquis, par sa douceur élégante et ses manières raffinées, la fille du professeur Zulman. Par un effet de la loi des contrastes, ces deux êtres très différents s’étaient sentis attirés l’un vers l’autre. Sidonia Zulman était une nature combative, douée d’énergie et de décision, apte, prétendait son père, à conduire de grandes entreprises. Elle était bonne aussi – non pas toutefois à la manière d’Adrian. Grâce à elle, les débris de la fortune des Lienkwicz se trouvèrent sauvés de la ruine qui avait englouti le reste ; la générosité du professeur fut dirigée par une intelligence pondérée, qui saisissait aussitôt le bien fondé des demandes et savait prémunir l’excellent cœur d’Adrian contre les entraînements irréfléchis...|
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Malereyne
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I La petite ville de Rocamore était bâtie sur une falaise rocheuse qui dominait la lente rivière aux belles eaux claires, vers laquelle se penchaient les saules et les yeuses. Une partie des remparts qui l’entouraient jadis subsistait encore, du côté de la basse ville, où se dressaient aussi les deux tours de la porte de l’Horloge. D’antiques demeures, la vieille église mi-romane, mi-ogivale, les halles aux belles voûtes avaient échappé aux saccages des luttes entre seigneurs rivaux, des guerres de religion, du vandalisme révolutionnaire. Très vieille cité, qu’avait précédé un oppidium romain si l’on en croyait les archéologues périgourdins. Et l’un d’eux disait même que ce sol rocheux, creusé de souterrains où se réfugiaient autrefois les habitants de Rocamore lors des sièges, devait recéler des habitats préhistoriques. Mais personne, dans la ville, ne s’intéressait à ce très lointain passé. Les gens de Rocamore aimaient leurs vieilles pierres, leurs jardins riches en fleurs et en fruits et ne s’en éloignaient guère, ou du moins pour peu de temps. Au reste leur existence, en ce milieu du XIXe siècle, ne différait guère de celle que menaient leurs aïeux des siècles précédents, sinon qu’ils utilisaient parfois le chemin de fer pour aller à Périgueux ou, beaucoup plus rarement, pour faire un court séjour à Paris ou à Bordeaux. Dans la rue des Fontaines s’élevait un très grand logis, bâti en longueur, avec un étage surmonté de hauts toits. Ses fondations dataient des premiers temps du moyen âge, assurait-on. Sur ses murs épais, les siècles avaient passé sans aucun dommage. Sa physionomie extérieure restait la même que jadis. La porte cochère avait toujours son lourd marteau de bronze représentant une tête d’homme barbu, et plus loin le vantail d’une autre porte, sous une petite voûte cintrée, conservait ses clous soigneusement polis par la main diligente d’un serviteur...|
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Le repaire des fauves
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I En cet après-midi de fin juillet, le duc de Pengdale avait convié toute la jeunesse aristocratique du comté à une réception donnée pour le vingtième anniversaire de son fils unique, lord Charles Brasleigh. Des acteurs mondains occupaient le théâtre dressé dans la galerie de marbre, des couples dansaient dans les salons décorés avec une somptuosité princière, d’autres s’en allaient flirter à travers les magnifiques jardins d’Elsdone Castle dont l’entretien, disait-on, représentait une lourde charge pour le duc actuel, les revenus de celui-ci, probablement par suite d’une mauvaise gestion, étant devenus sensiblement inférieurs à ceux de ses prédécesseurs. Le maître de céans, grand vieillard au front chauve, à la mine indolente et distinguée, circulait au milieu de ses hôtes avec l’aide d’une canne dont ses jambes rhumatisantes ne lui permettaient plus de se passer. Il adressait un mot à l’un, à l’autre, avec l’air de courtoise indifférence qui lui était habituel dans ses relations mondaines. De fait, lord George Brasleigh, huitième duc de Pengdale, ne s’intéressait guère qu’à lui-même et – dans de moindres proportions – à son entourage familial. Sa nature molle, sans ressort, égoïste et orgueilleuse, n’avait jamais été capable d’une amitié sérieuse. Par contre, elle faisait de lui une proie toute désignée pour la femme habile, souple, ambitieuse, qui, vingt-deux ans auparavant, réussissait à se faire épouser par lui en secondes noces et lui donnait le fils vainement désiré au cours de sa première union. Elle était suédoise, de bonne famille bourgeoise, fille d’un professeur de musique. Sa voix, très remarquable, lui valait de grands succès dans les concerts où elle se faisait entendre, particulièrement en Russie et en Allemagne. Sans réelle beauté, cette jeune fille aux allures sérieuses et au sourire discret, possédait cependant une séduction enveloppante qui agit aussitôt sur le duc, plus âgé qu’elle de vingt-cinq ans. Bien que ce mariage représentât une mésalliance telle qu’il n’en avait jamais existé chez les Brasleigh, l’une des plus anciennes, des plus illustres familles d’Angleterre. Ebba devint duchesse de Pengdale. Elle ne jouit pas très longtemps de son triomphe, d’ailleurs quelque peu gâté par la froideur que lui témoignait en général l’aristocratie du royaume. Après six années de mariage, elle mourut d’une pleurésie au cours d’un voyage en Italie...|
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Laquelle ?
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I Shirley s’avança jusqu’au seuil du hall et jeta un coup d’œil inquisiteur autour de la vaste cour d’honneur, bordée à droite par une aile datant de Henri V, à gauche par une galerie du plus pur style de la Renaissance italienne. Rien ne dérangeait la parfaite ordonnance de cette entrée seigneuriale, rien ne choquait le regard de l’imposant majordome. Celui-ci faisait déjà un pas en arrière pour rentrer dans le hall, quand ce mouvement fut arrêté par l’apparition de trois personnes à la belle grille forgée cinq siècles auparavant, que décoraient les armoiries des marquis de Shesbury. En tête venait un vieil homme mal vêtu, dont le visage jaune et ridé s’encadrait d’une barbe grise en désordre. Ce personnage était suivi de deux petites filles de sept à huit ans. L’une d’elles portait un petit chien aux poils blancs et feu qu’elle serrait tendrement contre elle. – Qu’est-ce que cela ? murmura Shirley en fronçant des sourcils olympiens. Et, sévèrement, il éleva la voix : – Dites donc, l’homme, ce n’est pas ici l’entrée pour les gens de votre espèce ! Allez plus loin, vous trouverez la grille des communs. Mais l’homme ne parut pas s’émouvoir de cette apostrophe. Il continua d’avancer, en traînant des jambes légèrement cagneuses. De la main droite, il portait un grand et vieux sac en tapisserie, de la gauche, il s’appuyait sur une solide canne noueuse. Mais les petites filles, sans doute saisies par la voix sèche et la stature majestueuse du majordome, marquèrent un arrêt de quelques secondes. – Voilà qui est fort ! s’exclama Shirley. Se tournant vers l’intérieur du hall, il appela : – Jonas ! Un des valets de pied en livrée bleue et argent qui se tenaient en permanence dans le hall accourut aussitôt. – Faites faire demi-tour à cet individu, promptement. Jonas descendit les degrés du large perron et s’avança vers l’étranger...|
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La colombe de Rudsay-Manor
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I Le commandant Orguin ouvrit la porte de la petite salle d’étude, jeta un coup d’œil satisfait sur les deux têtes brunes penchées sur les cahiers et demanda : – Qui vient faire une promenade avec moi ? Les jeunes têtes se redressèrent, deux voix joyeuses répondirent : – Moi, papa ! D’un bond, Jocelyne et Goulven étaient debout. Ils s’élancèrent vers le vestibule, décrochèrent leurs chapeaux et, bientôt, le commandant, entre ses deux enfants, suivis de leur chien Niquet, s’en allait d’un pas alerte dans la direction de la grève. La brise était fraîche, en cette matinée d’avril un peu grise. Sur la mer légèrement houleuse, des barques de pêche se balançaient, les voiles gonflées. Le petit bourg de Kersanlic, blotti au fond d’une anse, s’ouatait d’une brame légère, qui couvrait aussi les bois dont la verdure nouvelle apparaissait au loin, sur la droite. Le commandant, tout en marchant, causait avec ses enfants, qu’il chérissait tendrement. Son métier de marin l’éloignait bien souvent ; mais, au cours de ses congés, il ne les quittait guère et complétait par ses enseignements de chrétien et de parfait honnête homme l’éducation remarquable donnée par sa femme à ces petits êtres pétris de qualités exquises. Jocelyne était une jolie fillette brune, dont les grands yeux bleus laissaient deviner l’âme charmante. Son frère, de quatre ans plus âgé, lui ressemblait, mais sa nature était plus vive, plus ardente, et ses goûts quelque peu aventureux. Tous deux professaient une profonde affection pour les parents qui les entouraient, moralement et physiquement, de tant de soins. – Où allons-nous, papa ? demanda Jocelyne qui s’était pendue à la main du commandant. – Jusqu’au rocher du Chat, ma chérie. Il étendait la main vers un des rochers superbes qui parsemaient la grève. Celui-là avait une forme particulière : il représentait assez bien l’image d’un énorme matou faisant le gros dos. À ses pieds, la mer déferlait, jetant son écume jusqu’à mi-hauteur de la roche lentement rongée par elle...|
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L’enfant mystérieuse
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I Sur la route de Nice à Antibes, Nestor Broquerel faisait trotter ferme son petit cheval roux. La nuit était venue depuis longtemps. Une lune voilée répandait sur les jardins et les villas, sur les bois silencieux, sa lueur diffuse. L’air piquant et parfumé cinglait Broquerel au visage. Le voyageur releva son col en marmottant : – Pas chaud, ce soir ! Je ferai faire une petite flambée, tout à l’heure. Puis il se replongea dans le calcul mental des bénéfices que lui rapporteraient les affaires traitées aujourd’hui. Il était depuis plusieurs années représentant d’une importante maison d’épicerie, et d’un gros fabricant d’huiles. On l’estimait pour sa probité, son entente du métier. Bien qu’ayant femme et enfants, il avait pu faire de notables économies, placées dans une bonne banque de Marseille. De plus, la petite maison qu’il habitait à Antibes lui appartenait. Les uns disaient de lui : « C’est un homme qui sait son affaire » ; les autres : « C’est un brave homme. » Et certains – ceux qui connaissaient le caractère de Mme Nestor Broquerel – ajoutaient : « C’est un homme malheureux. » La route était relativement peu fréquentée, ce soir. Cependant, plusieurs automobiles croisèrent ou dépassèrent la voiture de Broquerel. Il ne leur accorda pas d’attention, sauf à l’une d’elles qui faillit accrocher au passage son tilbury. C’était une petite torpédo, où se trouvaient assis deux hommes. Aucun de ceux-ci ne riposta à l’énergique observation de Nestor. Mais ils parurent presser encore l’allure de leur machine, et disparurent à un tournant de la route. Broquerel grommela, avec une indignation méprisante : – Brutes de chauffards, va ! Le petit cheval trottait toujours d’un pas bien égal. De temps à autre, son maître l’effleurait de la mèche du fouet. Il secouait les oreilles, en signe de protestation, et n’en marchait pas plus vite. Maintenant, la voiture avait dépassé Juan-les-Pins. Une senteur résineuse flottait dans la fraîcheur de l’air. À gauche, la mer se devinait, endormie sous la vague clarté lunaire. Le son d’un piano arrivait d’une villa, et des voix d’enfants s’appelaient dans un bois de pins...|
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La louve dévorante
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I Ce mois de mai 1862, les habitants de Favigny attendaient avec quelque curiosité l’arrivée de dona Encarnacion, comtesse de Villaferda. Non point que cette curiosité s’adressât à la noble dame qui, dix ans auparavant, était venue faire un court séjour à la maison des Belles Colonnes. Dona Encarnacion n’avait laissé, dans la petite ville comtoise, qu’un souvenir désagréable et le désir de ne plus la revoir. Mais on savait qu’elle serait, cette fois, accompagnée de sa belle-fille, une jeune cousine de quatorze ans, que don Rainaldo Fauveclare y Travellas, comte de Villaferda, lui-même à peine âgé de vingt ans, avait épousée trois mois auparavant. Cette union, normale en Espagne, surprenait ici. Mais surtout on souhaitait connaître la pauvre jeune créature ainsi livrée à la pesante domination de Mme de Villaferda. Le soir où elle arriva, nul ne l’aperçut derrière les stores baissés de la voiture qui amenait à Favigny les deux comtesses. Cet équipage, attelé de vigoureux et beaux chevaux, conduit par un cocher espagnol à mine sombre et solennelle, gagna rapidement la rue de l’Eau-qui-chante, toute murmurante du clapotis des ondes cascadantes venues de la montagne qui s’épandaient en plusieurs ruisselets aux alentours des « maisons Fauveclare ». Car elles étaient deux. Mais on ne donnait habituellement ce nom qu’à la plus ancienne, le vieux logis aux murs de granit sombre, aux ouvertures en plein cintre, qui se dressait au bord de la route sur laquelle ouvrait de plain-pied la porte cloutée de fer. L’autre, dont le mur s’accolait au sien, était la « maison des Belles Colonnes ». Au milieu du XVIe siècle, la vieille race des Fauveclare était représentée par deux frères jumeaux, Denys et Thibaut. Celui-ci, intelligent, ambitieux, point trop chargé de scrupules, réussit à s’insinuer dans les bonnes grâces de Philippe II, roi d’Espagne, alors maître de la Franche-Comté. Ce prince fit de lui un de ses agents secrets, particulièrement chargé de missions délicates qui s’apparentaient quelque peu à l’espionnage – en France et chez les petits souverains allemands. Sans doute s’acquitta-t-il de ces fonctions à la satisfaction de son maître, car celui-ci daigna lui choisir une épouse en la personne d’une très noble et très riche héritière, dona Maria de Travellas, comtesse de Villaferda...|
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La lampe ardente
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I En quelques traits rapides, Raymond acheva le dessin commencé, puis il leva les yeux et regarda longuement la vue qu’il venait de reproduire. Il se trouvait sur une terrasse rocheuse, entourée de pins et de bouleaux. Le regard plongeait dans la gorge au fond de laquelle bouillonnait, invisible, la torrentueuse petite rivière ; en face, il rencontrait un roc énorme, couleur de fumée, strié de roux, dressé entre les sapins et les hêtres couvrant tout ce qui n’était pas la roche nue. À la fin de ce gris après-midi, un peu de lumière paraissait, diffusée par le soleil abaissé à l’horizon derrière un long nuage couleur de perle. Cette clarté légère touchait timidement le sommet du grand roc, caressait les arbustes qui se penchaient vers la fraîcheur humide de la rivière, sur le versant de la gorge où se voyait la petite terrasse aux balustres de sapin rouge fleuris de roses géraniums à longues traînes. Dans cette solitude, le silence n’était troublé que par le bouillonnement du torrent. Mais bientôt, Raymond perçut un bruit de pas. En se détournant, il vit une jeune fille s’avancer dans l’allée de pins qui montait jusqu’à la terrasse. L’ombre environnante faisait paraître plus claire la fine silhouette vêtue d’une robe légère couleur de lavande, le teint délicat, les cheveux blonds. Les petits souliers de daim gris semblaient frôler le sol couvert d’aiguilles de pins. Raymond sourit, en demandant : – Tu viens me chercher, Paule ? – Mais non, mon ami. Six heures sonnent seulement. Je suis à la recherche d’Ariane, qui doit se promener de ce côté. – Je ne l’ai pas vue, cependant. – Elle viendra certainement ici. Attendons-la, veux-tu ? – Mais oui. Pourvu que je sois rentré un peu avant le dîner pour mettre mon smoking, cela suffit. Tandis qu’il parlait, la jeune fille montait les quelques marches rustiques menant à la terrasse. Raymond lui offrit sa main pour gravir la dernière. Elle s’appuya sur lui en le remerciant d’un sourire...|
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Gilles de Cesbres
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I Pasca éleva entre ses mains la blanche soierie, et un rayon de soleil, glissant à travers les branches enchevêtrées des vieux hêtres, vint caresser la chatoyante moisson fleurie jetée sur l’étoffe souple par la main de la jeune brodeuse. Campanules, muguets, légères jacinthes, fraîches roses pompon semblèrent un instant, sous ce rapide jeu de lumière, vivre et palpiter, tandis que la brise tiède, venue des profondeurs du bois de Silvi, complétait l’illusion en apportant un délicat parfum de fleurettes cachées. Un sourire de satisfaction entrouvrit les lèvres de Pasca. Ses yeux noirs, veloutés, dont l’expression était singulièrement profonde, contemplèrent pendant quelques minutes son œuvre. Puis elle étendit sur ses genoux la feuille de soie et pencha vers elle, pour l’examiner dans tous ses détails, sa tête délicate, qui semblait supporter avec peine le poids d’une souple et magnifique chevelure d’un blond chaudement doré, dont une partie retombait sur la nuque et jusque sur le cou élégant que découvrait le col du très simple corsage blanc. – Je crois que ce sera joli, murmura-t-elle. Ses doigts agiles et fins se mirent en devoir de plier l’étoffe soyeuse. Quand elle l’eut enveloppée dans une toile blanche, elle la posa près d’elle, sur le vieux banc de pierre, puis, croisant ses mains sur ses genoux, laissant son regard mélancolique et grave errer autour d’elle, Pasca parut s’absorber dans une songerie profonde. Elle se trouvait dans une petite clairière, son lieu de prédilection, où chaque jour, quand elle le pouvait, elle venait travailler quelque temps. Un vieux banc était là, scellé au mur de l’antique oratoire qui abritait la statue vénérée de la Madonna del Fiore. Ce sanctuaire délabré avait une parure que d’autres plus somptueux eussent pu lui envier ; il disparaissait littéralement sous les roses. Celles-ci l’avaient pris d’assaut depuis la base jusqu’au faîte, elles se glissaient à l’intérieur par d’étroites fenêtres veuves de vitraux, s’avançaient sur le vantail de chêne à demi pourri par les intempéries, s’étendaient en longues traînes le long des colonnes du petit porche, et jusque sur le sol, envahissaient même le banc verdi où s’asseyait Pasca... Et bien loin, dans le bois, se répandait le parfum suave et enivrant de toutes ces roses...|
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Hoëlle aux yeux pers
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I En cette soirée de septembre 1774, la tempête s’était élevée avec une soudaineté qui surprit les plus expérimentés parmi les marins de la côte cornouaillaise, autant du moins que les caprices de la mer peuvent surprendre des hommes habitués à s’y soumettre depuis leur enfance. Vers neuf heures, la violence du vent s’accrut. À ce moment-là, un coup de canon se fit entendre, puis deux autres à intervalles assez rapprochés. Un navire en perdition demandait du secours. Dans la salle basse de Ty an Heussa, un homme qui lisait leva la tête, écouta, les yeux brillants. Un rictus de satisfaction entrouvrait ses lèvres minces qui ressortaient comme un trait sanglant sur la blancheur de la figure, jeune encore. Cet homme se leva et appela : – Jeanne ! D’une pièce voisine, dont la porte était entrouverte, surgit une jeune femme blonde qui tenait sur ses bras un enfant. – Je sors ! dit brièvement l’homme. La pâle figure de la jeune femme eut une crispation, ses lèvres tremblèrent en disant : – Tu vas... là-bas, Edern ? – Oui. Sur cette laconique réponse, Edern de Porspoët alla vers une armoire creusée dans le mur et y prit un large manteau dont il s’enveloppa. Derrière Jeanne apparut une grande femme maigre d’une cinquantaine d’années qui portait la coiffe du pays d’Audierne. Dans le visage osseux, les petits yeux noirs luisaient de contentement. – Tâchez de nous rapporter quelques barils de bonne eau-de-vie, monsieur, comme la dernière fois ! dit-elle de sa voix gutturale. Puis elle eut un rire mauvais en remarquant le mouvement d’horreur que n’avait pu contenir la jeune femme. – Vous ne vous y habituerez donc jamais, madame ? Il y avait dans son accent une insolence railleuse...|
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La lune d'or 1
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait I Les promeneurs étaient nombreux au Bois, en ce matin d’avril que le soleil daignait enfin éclairer, après d’interminables journées de pluie. Amazones et cavaliers se croisaient dans les allées ; des saluts, des propos enjoués, des sourires s’échangeaient au passage, des regards curieux cherchaient les visages nouveaux et les gens connus, pâture également appréciable pour les conversations prochaines. L’attention, ce matin-là, était attirée par deux étrangers au type espagnol, le père et le fils probablement, car il existait entre eux une incontestable ressemblance... Tous deux avaient le teint chaudement mat, de beaux traits, des cheveux très noirs, souples et soyeux, un air de noblesse hautaine et de froide nonchalance. Mais le regard du père, aigu, observateur, n’avait pas la séduction qui existait dans les sombres yeux noirs du fils. Celui-ci était un tout jeune homme, souple, mince, parfaitement proportionné, chez qui l’élégance aristocratique d’une vieille race noble se mêlait à une singulière vigueur, à un air d’énergie froide, de volonté orgueilleuse, qui frappait chez un être si jeune. Tous deux montaient avec une remarquable maîtrise des chevaux de race arabe, bêtes incomparables qui attiraient autant que leurs maîtres les regards des connaisseurs. L’un de ceux-ci, M. de Guichars, qui avait passé les premières années de sa jeunesse au Mexique, en une existence assez aventureuse, suivait d’un coup d’œil tout particulièrement intéressé les deux étrangers, qui le précédaient le long d’une allée. Il dit entre ses dents : – Ces gens-là montent à la façon des Sud-Américains... Et le jeune homme a une allure, une aisance, sur cet animal pas facile ! À ce moment, le père tourna un peu la tête pour regarder une amazone qui passait, en conversation animée avec les deux cavaliers qui l’encadraient. M. de Guichars étouffa une exclamation : – Don Pedro de Sorrès ! Un instant plus tard, il se trouvait aux côtés du cavalier. – Pardonnez-moi de vous accoster ainsi, don Pedro... L’autre tourna la tête et dit sans paraître surpris : – Ah ! c’est vous, Paul de Guichars ! J’ai fait précisément porter un mot ce matin à votre logis, pour vous annoncer ma prochaine visite...|
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Une femme supérieure
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I La vie est dans le chemin de la justice. (Prov. XII, 28.) Liane entra dans le parloir obscur où le foyer du poêle, derrière sa plaque de mica, mettait un point rouge ardent. Cette lueur éclairait le parquet brillant comme une glace, un peu aussi une partie de la grande table placée au centre, mais le reste de la pièce demeurait dans une ombre indécise. Sans se heurter aux sièges disséminés çà et là, Liane alla tout droit au poêle et étendit au-dessus ses mains qu’elle venait de débarrasser rapidement de leurs gants fourrés. Malgré cette enveloppe protectrice, elles étaient littéralement glacées... Et, à mesure que la chaleur pénétrait ses membres raidis, une sensation plus intense de bien-être et de soulagement envahissait la jeune fille. Elle avait cruellement souffert sur cette grand-route balayée par une rafale glacée, surtout dans ce cimetière lointain exposé à tous les vents. La tristesse de ce pèlerinage à un tombeau s’était encore accrue de l’impitoyable rigueur de la température, et, sur la pierre qui recouvrait les restes mortels de Mary de Lœinstein née Degvil, les larmes versées par Liane étaient dues à la fois au souvenir de sa mère morte et au froid cruel qui raidissait ses membres en causant à cette énergique nature une pénible souffrance. Mais ce devoir devait être accompli. Ce jour était l’anniversaire de la mort de Mme de Lœinstein. Treize ans s’étaient écoulés depuis lors, mais Liane n’oubliait pas... Oh ! non, elle se rappelait toujours la mère timide et douce, au sourire rare mais si charmant, qui lui disait tendrement : « Ma Liane ! »..|
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Un amour de prince
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | 4 juillet Je suis reçue au brevet supérieur, avec félicitations. En dépit de la lourde chaleur d’orage, j’étais plus légère en sortant de la Préfecture, et c’est d’un pas alerte que j’ai gagné la rue Saint-Louis. Nous habitons là une petite maison étroite, décrépite à l’extérieur, mal agencée intérieurement, qui date du règne de Louis XV et semble n’avoir reçu depuis qu’un minimum de réparations indispensables. Berthe, la servante, m’ouvrit la porte écaillée, devenue d’une indéfinissable nuance. Elle me demanda, sans que d’ailleurs sa voix et son large visage placide témoignassent d’aucun intérêt : – Eh bien ? Tranquillement, comme elle, je répondis : – Reçue, Berthe. Elle murmura : « Ça va bien. » Et je montai l’escalier usé, qui craquait sous mes pas, j’entrai dans le salon, grande pièce à boiseries grises à peine meublée de quelques sièges, d’une table et d’une armoire. Près de la fenêtre ouverte, ma tante tricotait. Elle leva la tête et demanda : – Avez-vous réussi, Odile ? – Très bien, ma tante, avec félicitations du jury. Je suis contente, mais j’ai bien chaud. Je m’assis en face d’elle et enlevai vivement mes gants, mon chapeau. Elle me regardait, en faisant glisser l’une contre l’autre ses longues aiguilles. Ses yeux pâles clignotaient un peu sous ses paupières ridées. De nouveau, je ressentis cette impression désagréable qui m’a plus d’une fois saisie, quand ce regard se pose sur moi. Très droite par nature, j’ai la sensation d’un mensonge se cachant sous la douceur étudiée de cette physionomie, de cette parole lente. Jamais je n’ai aimé Mme Herseng. Et j’ai l’intuition qu’elle, non plus, ne m’aime pas. Nous vivons néanmoins en bons termes, mais froidement, sans intimité. Et si parfois l’impression d’antipathie s’augmente chez moi, j’ai toujours réussi à n’en laisser rien paraître. Car enfin, quelle que soit la nature de ma tante, je lui dois de la reconnaissance. Elle m’a recueillie quand j’étais jeune, à la mort de mes parents, et m’a élevée de ses deniers, bien qu’elle soit peu fortunée. Voilà des choses qui ne peuvent s’oublier, quand on a un peu de noblesse dans le cœur. Aussi, me suis-je toujours efforcée d’entourer d’attentions Mme Herseng, surtout depuis deux ou trois ans où je la vois vieillir, devenir rhumatisante. En outre, elle est la seule parente qui me reste, seconde considération propre à m’inciter aux devoirs qui ne me sont pas toujours faciles à son égard, je l’avoue...|
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La petite chanoinesse
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I Les hôtes d’Ogier de Chancenay prenaient le thé, en cet après-midi de septembre, sur le pont du yacht mouillé devant un petit port italien. Ils avaient sous les yeux le village, avec ses maisons disséminées dans un désordre pittoresque, ses jardins à demi cachés derrière le feuillage d’énormes figuiers chargés de fruits, ses bois d’oliviers et d’orangers caressés par le soleil déclinant. Des barques, leurs voiles rousses tendues, rentraient chargées de poisson, montées par des hommes au teint brun qui saluaient au passage les étrangers. Elles allaient s’amarrer le long du port, où les femmes aux cheveux sombres à moitié couverts d’un fichu écarlate se tenaient prêtes à enlever le produit de la pêche. Et des enfants aussi bruns que père et mère couraient, se poursuivaient, nu-pieds, en jetant des cris aigus, ainsi que les corneilles aux soirs d’été. William Horne, un jeune Anglais à la physionomie intelligente et fine, dit à son voisin, le gros baron de Pardeuil : – Joli, hein, ce village ? L’autre avança la lèvre, en une lippe qu’il croyait sans doute du plus agréable effet. – Joli ?... Peuh ! Tout cela se ressemble !... Moi, vous savez, la nature... Et il fit claquer ses doigts. William retint un sourire narquois, en demandant : – Alors, comment avez-vous accepté l’invitation de Chancenay pour cette croisière ? Vous devez vous ennuyer terriblement, si la vue de ces charmants paysages ne vous dit rien ? – Mais non, mais non, je ne m’ennuie pas ! On mange admirablement, chez M. de Chancenay ! Il a pour chef un véritable artiste !... Et puis, comment trouver le temps long, en une si aimable compagnie ?...|
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Le sphinx d'émeraude
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I Dans le jour terne tombant des hautes fenêtres étroites, la grande chambre paraissait infiniment austère et triste, avec ses murs couverts d’une tapisserie usée, ses meubles massifs en bois sombre, le lit à colonnes drapé de lourdes tentures foncées, la cheminée de pierre noircie où brûlait un maigre feu totalement insuffisant pour réchauffer, en cette aigre journée d’octobre, la malade grelottante dans son fauteuil à haut dossier sculpté. Le baron de Pelveden, de plus en plus dominé par le démon de l’avarice, surveillait jalousement la provision de bois rentrée à l’automne et comptait chaque bûche apportée dans l’appartement de sa femme. Mme de Pelveden serrait autour d’elle un vieux manteau doublé de fourrure datant de l’époque où, jeune encore, avide d’hommages et de plaisirs, elle était une des beautés en renom de la cour. Un fichu de laine noire couvrait en partie ses cheveux gris, cachait les oreilles et s’attachait sous le menton par une agrafe d’or ornée d’améthystes. Le visage, frais et vermeil qu’avait jadis chanté Pierre de Ronsard, n’était plus qu’un visage de vieille femme malade, blafard, creusé de rides, avec des yeux pleins de sombres pensées qui rêvaient dans l’ombre des paupières mi-baissées. Aux pieds de la baronne, sur un vieux coussin de velours, se tenait assise une fillette occupée à filer diligemment. Elle paraissait tout au plus quatorze ans. Sa robe de grossière étoffe flottait autour d’un corps délicat, visiblement amaigri. La petite tête fine semblait se courber sous le poids d’une chevelure d’un chaud brun doré, qui tombait en deux nattes de chaque côté d’un visage menu et charmant, très blanc, trop blanc même, un visage d’enfant qui souffre, qui s’attriste, avec ce pli aux coins de la petite bouche pourprée et cette ombre d’inquiétude dans les yeux d’un ardent bleu violet, sur lesquels frémissaient des cils presque noirs. Mme de Pelveden, tout à coup, parla : – Bérengère, y a-t-il encore une bûche dans le coffre ? – Non, madame, il n’y en a plus. Une lueur, où la colère et la souffrance se mélangeaient, passa dans le regard de la baronne...|
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Aëlys aux cheveux d'or
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I Le Vieux-Château semblait endormi sous la brûlante lumière d’été qui cuisait les murs noirs et desséchait les mousses dont étaient couverts les toits en pente rapide faits pour supporter le lourd poids des neiges. On n’entendait pas un bruit aux alentours. Dans la forêt qui commençait à la clôture du jardin, les oiseaux se taisaient, comme accablés eux-mêmes par la lourdeur d’une atmosphère chargée d’orage. Deux jeunes chiens de Saint-Bernard dormaient près d’un vieux chat gris, tous étendus dans l’ombre du porche cintré sous lequel apparaissait entrouverte la vieille porte cloutée de fer. Par cette ouverture se glissa soudain une toute petite fille. Quand elle passa dans la zone ensoleillée, ses cheveux parurent flamber sous la lumière ardente qui les enveloppait. Un des chiens redressa un peu la tête, fit un mouvement pour se soulever, puis s’étendit à nouveau en refermant les yeux. Déjà, d’un bond, l’enfant avait gagné l’ombre du parc. Elle s’élança dans un sentier, en sautant comme un faon. Ses cheveux, libres de toute entrave, flottaient autour d’elle en longues boucles soyeuses d’un ardent blond doré. Le corps menu était à l’aise dans la robe de percale blanche à fleurettes vertes que retenait autour de la taille une ceinture de soie verte fanée. La petite fille pouvait donc courir sans entraves dans les sentiers étroits, mal tracés, dont ses pieds minuscules, chaussés d’escarpins de toile grise, semblaient à peine toucher le sol. Ce parc de Croix-Givre avait un aspect un peu sauvage, dans cette partie voisine de la forêt. Mais, un peu plus loin, il commençait de présenter une apparence plus civilisée qui s’accentuait aux approches du château. Toutefois, il n’avait rien d’un parc ratissé, minutieusement soigné. Jean Forignon, le jardinier, et ses deux aides se contentaient d’élaguer les arbres trop exubérants, d’enlever à la fin de l’automne les feuilles mortes dans les principales allées, de couper deux ou trois fois pendant l’été l’herbe qui formait dans les clairières de grandes pelouses rustiques. Pour le reste, ils dédaignaient de s’en occuper, réservant leurs soins au parterre à la française qui s’étendait autour de la résidence...|
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Le candélabre du temple
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I – Du soleil !... Enfin, enfin ! En parlant ainsi, Carolia d’Eichten se levait et s’approchait d’une fenêtre ouverte. Elle pencha au dehors sa tête blonde et la retira presque aussitôt, une goutte d’eau ayant eu l’indiscrétion de tomber sur le front blanc auréolé de petites boucles savamment disposées. – ... Il fera bon pour une promenade, Siegbert... pourvu que nous nous chaussions en conséquence, naturellement. Elle se tournait vers l’intérieur de la pièce – un vaste et beau salon garni de meubles anciens de grande valeur. Une femme d’une quarantaine d’années, blonde et forte, vêtue de faille noire, travaillait à une broderie, non loin d’un jeune homme qui feuilletait un vieux livre à reliure fanée. Interpellé ainsi par Carolia, ce dernier leva la tête, et ses yeux d’un bleu foncé, au regard volontaire, s’adoucirent légèrement en s’attachant sur le frais visage, sur le regard caressant qui semblait lui adresser une sorte de prière. – Je suis à votre disposition, Carolia. Mais j’irai auparavant prendre des nouvelles de mon père. Il posa le livre sur une table voisine et se leva, développant sa haute taille souple et mince, dont un vêtement de coupe parfaite accentuait encore l’élégance. La laideur proverbiale des comtes de Hornstedt n’existait pas chez lui. Sa mère, une Hongroise, célèbre pour sa beauté, lui avait donné ses traits, son épaisse chevelure brune aux larges ondulations et ses yeux dont les admirateurs enthousiastes de la charmante comtesse disaient : « On ne trouverait pas d’étoiles comparables à eux. » Mais il tenait bien de la race paternelle sa façon altière de porter la tête, et la rare intelligence, l’orgueilleuse volonté qui se discernaient aussitôt sur cette jeune physionomie. – Je suis vraiment inquiet de sa santé, continua-t-il en se rapprochant de Mlle d’Eichten. Ce voyage à Vienne l’a complètement abattu...|
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Sous l’œil des brahmes
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I Sur les flots bleus de la Méditerranée, un magnifique yacht blanc glissait majestueusement. Sur son étrave, on lisait, en lettres d’or, le nom que lui avait donné son propriétaire, le maharajah de Bangore : La Trimourti. À bord, un couple radieux vivait le plus enchanté des rêves... Maun-Sing, le riche maharajah, emmenait dans son pays mystérieux une délicieuse fiancée que le hasard, providence des amoureux, avait placée sur son chemin. Et Manon, la charmante jeune fille dont le destin contraire avait fait une humble ouvrière en broderie, ne croyait pas encore à son bonheur. Le maharajah, qui aimait la France et y faisait de longs séjours, connaissait Manon depuis longtemps. Alors qu’elle n’avait que six ans, elle avait été endormie, dans un dessein malveillant, par un brahme aux pouvoirs magiques et lui, qui connaissait tous les secrets de son pays, l’avait réveillée alors qu’on désespérait de la sauver. Il l’avait retrouvée, plus tard, jeune fille, en butte aux persécutions de ce même Hindou et d’un Français et, à la fois pour la soustraire à ces bandits et parce que l’amour s’était glissé dans son cœur, il l’avait enlevée et... séquestrée sur son yacht... sans que personne de son entourage puisse savoir ce qu’elle était devenue. Manon avait vivement protesté contre ces méthodes qui, de prime abord, apparaissaient plus dignes d’un forban que d’un gentleman. Mais elle aussi, dans le secret de son cœur, aimait le beau Maun-Sing et elle avait été vite conquise. La veille de ce jour lumineux, elle avait dit avec un délicieux émoi et une charmante simplicité : – J’accepte de devenir votre femme... Et par cette simple phrase, elle avait tiré un grand trait sur son passé d’enfant trouvée à qui la vie avait offert plus d’épines que de roses. Elle n’avait mis à ce mariage qu’une condition : être mariée par un prêtre catholique et Maun-Sing s’était incliné avec courtoisie. Il cherchait en toutes choses à contenter les moindres désirs de Manon. – Demandez-moi ce que vous voudrez, lui avait-il dit. Ici, tout vous appartient, tout vous obéira, parce que je le veux...|
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La chatte blanche
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait |I Depuis deux heures, M. de Gesvres errait dans la forêt, sans réussir à retrouver sa route, sans avoir rencontré âme qui vive. Tout d’abord l’aventure lui avait paru amusante. Au cours de ses nombreux voyages, il avait connu des incidents de toutes sortes, quelques-uns fort périlleux et, comparée aux jungles de l’Inde, aux forêts de l’Amazone, aux sommets du Tibet, cette honnête forêt franc-comtoise lui semblait un lieu de tout repos. Cependant, il commençait de se demander s’il parviendrait à en sortir. Des petits chemins sinueux se croisaient partout, entre les sapins, les hêtres, les mélèzes, et formaient un véritable labyrinthe dans lequel Henry s’embrouillait de plus en plus. Le jour semblait près de disparaître, et la neige se mettait à tomber en flocons lents et serrés – la première neige de l’année annoncée par le vieux Guideuil, le gardien du château de Rameilles, celui qui avait dit aussi à Henry, ce matin, en désignant la forêt : – Celle-là, elle est ensorcelée, monsieur le duc, depuis des temps et des temps. Bien des gens s’y sont perdus, et il y en a dont on n’a jamais retrouvé même les os. Jacques de Terneuil, le châtelain de Rameilles, l’ami intime d’Henry, qui était son hôte depuis deux jours, l’avait mis aussi en garde contre les traîtrises de la forêt. – Attends-moi pour faire sa connaissance. Dès que mon maudit rhumatisme me permettra de marcher comme de coutume j’irai te présenter à elle et nous emmènerons Guideuil, qui la connaît dans tous les coins. Sans cela, tu risques de t’égarer. Henry avait dit : – Certainement, je t’attendrai. Je n’ai pas l’intention d’aller jusque-là aujourd’hui. Mais une fois en route, il avait marché, marché, sans s’en apercevoir, grisé par l’air vif, tout occupé de la beauté sévère du paysage... Et voilà qu’en sortant d’une combe sauvage, il s’était trouvé au seuil de la forêt...|
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Annonciade
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I Les mouches volaient dans l’air doux qui sentait l’eucalyptus et les pins. L’une d’elles frôla le grand nez maigre de M. Labarède et se posa sur le front dégarni, couleur de vieil ivoire. Mme Labarède se souleva un peu sur son fauteuil en étendant la main pour chasser l’importune. Ce mouvement réveilla le dormeur. Deux bons yeux gris apparurent, tout souriants dans le visage en arêtes vives sur lequel la peau fermait des plis menus. – Qu’y a-t-il, Rose ? – Une mouche qui te tracassait, mon chéri. – Ah ! la petite coquine ! Il rit doucement et se redressa en ramenant en avant sa calotte de drap gris. Mme Labarède retint l’ouvrage de tricot interrompu qui allait glisser de ses genoux. Ses beaux yeux noirs de Provençale demeuraient brillants dans la matité jaunâtre du teint qui se fanait. Ils laissaient transparaître toujours sa tendresse d’épouse, ce grand amour tranquille et confiant que rien n’était venu attaquer, en quarante-cinq années de vie commune. Un sourire de bonté malicieuse entrouvrait les lèvres larges entre lesquelles apparaissaient des dents fort belles encore, très blanches auprès du rose toujours vif des lèvres. – Quel excellent petit somme tu as fait ! En vérité, tu dormais comme un bienheureux ! Sans cette mouche... – Elle a bien raison. Il est temps d’aller au travail, ma bonne Rose. Il se leva avec effort, en marmottant : – Oh ! ces diables de rhumatismes ! Sa grande taille maigre se dressa, encore droite, bien à l’aise dans un vêtement large de couleur terne, un peu usé. Le vieillard étira ses bras, fit craquer ses articulations. – Je vieillis, ma Rose. Il est loin le temps où nous dansions la farandole au mas d’Ouyolles, chez ton oncle Théophile ! Elle soupira : – Oui, il est loin !...|
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Une mésalliance
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I Emmanuelle était seule maintenant dans la chapelle où flottait encore un léger parfum d’encens, presque annihilé par celui des roses et des lis qui garnissaient l’autel. La Sœur Marie-Colette, après avoir tout rangé dans le petit chœur où s’était donnée tout à l’heure la bénédiction du Saint Sacrement, venait de disparaître en refermant sur elle la porte de la sacristie. Derrière la grille et le voile noir du chœur des religieuses, la lente psalmodie avait cessé, les pieuses recluses s’étaient retirées. Emmanuelle demeurait seule, le front entre ses mains, oubliant tout dans la ferveur de sa prière. Un rayon de soleil, passant à travers une vitre, se jouait sur son corsage de batiste blanche, sur ses doigts fins contre lesquels s’appuyait son front encadré de bandeaux noirs lisses et satinés. Elle releva enfin la tête. Ses yeux bruns – d’un brun doré et chaud – se posèrent longuement sur le tabernacle. Un rayonnement étrange parut s’y réfléchir et se communiquer à toute cette jeune physionomie. La petite bouche délicate s’entrouvrit, murmura quelques mots, tandis que le teint blanc se rosait sous l’influence d’une émotion puissante. Pendant quelques instants, Emmanuelle demeura ainsi. Une promesse ardente, passionnée, brûlait au fond de ses prunelles... Le son d’une cloche agitée à l’extérieur par la sœur tourière vint subitement la rappeler sur la terre. Elle se leva lentement, fit une profonde génuflexion et sortit de la chapelle. – J’oubliais l’heure, ma Sœur ! dit-elle à la tourière qui lui adressait un petit salut amical. – On n’est jamais mieux que près du Bon Dieu, mademoiselle. Un peu du rayonnement qui avait éclairé tout à l’heure le regard d’Emmanuelle y apparut de nouveau. – Oh ! oui ! Mais il ne faut pas, même pour le bonheur que nous goûtons près de Lui, oublier nos devoirs de la terre. Ma cousine va se demander ce que je deviens. – Oh ! Mlle Claire doit bien se douter que vous avez laissé passer le temps en causant avec Notre-Seigneur ! dit la tourière en souriant. Bonsoir, mademoiselle Emmanuelle !...|
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Les solitaires de Myols
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I C’était un jardin de couvent, aux portes de Paris. Quelques échos des bruits de la grande ville franchissaient les vieux murs roux, fleuris de ravenelles, mais sans parvenir à troubler la douce quiétude de l’enclos ombragé et frais, où les oiseaux s’en donnaient à cœur joie, certains qu’ils étaient d’être peu troublés en ce second jour de vacances qui voyait s’éloigner les dernières élèves des Dames Dominicaines. Cependant, deux jeunes filles arpentaient encore lentement une allée ombreuse. À travers le feuillage touffu des marronniers, le soleil réussissait à glisser des flèches d’or qui venaient frapper les cheveux blonds très vaporeux de l’une, les cheveux bruns, un peu rebelles de l’autre. Cette dernière avait une physionomie animée et joyeuse et causait avec une extrême vivacité. Sa compagne lui répondait doucement, un peu mélancoliquement, et sur son charmant visage au teint délicat se lisait une tristesse ou une anxiété. – J’aime certainement beaucoup le couvent et toutes nos bonnes Mères, disait la brune, mais, enfin, il est bien naturel que je sois très, très heureuse de vivre désormais près de ma chère maman et de mon bon frère Armand, de connaître un peu le monde, d’y faire mon entrée l’hiver prochain. Et vous aussi, sans doute, Huguette chérie ! N’est-ce pas une chose charmante que mon frère vienne précisément d’être nommé substitut à Vousset ? Le château de Myols est tout proche, et nous nous verrons très souvent, n’est-ce pas, amie ? – J’espère que mon tuteur le permettra, dit Huguette d’un ton pensif. Sa compagne s’arrêta et la regarda avec surprise. – En douteriez-vous, Huguette ? Ne m’aviez-vous pas dit que M. d’Armilly vous paraissait très bon ? – Certes, je le crois bon, loyal et parfait homme d’honneur, j’ajouterai même que j’ai toujours ressenti à son égard une entière et très instinctive confiance, mais, au fond, je le connais fort peu, Laurianne...|
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Reinette
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I – En résumé, M. Logaart me paraît un parti inespéré pour Marie-Reine, à peu près dépourvue de dot. Riche, sérieux, très considéré dans le monde savant, n’est-ce pas le rêve, ma tante ? La voix habituellement brève s’était adoucie, Mme Douvre se penchait avec une expression déférente sur sa physionomie froide, vers la vieille dame assise en face d’elle dans le plus moelleux fauteuil du petit parloir, lieu de réunion de la famille Douvre. Le visage fin mais flétri de Mme Sauvert exprimait une stupéfaction qui semblait ôter à la vieille dame l’usage de la parole. Elle regardait sa nièce d’un air si incrédule que celle-ci eut un vague sourire, insuffisant d’ailleurs à détendre ses traits rigides. – N’est-ce pas inespéré ?... Qu’en dites-vous, ma tante ? demanda-t-elle de nouveau. Cette fois, Mme Sauvert revenait de sa stupeur. Ses deux bras se levèrent au plafond dans un geste de protestation. – Inespéré !... Berthe, dites que c’est inconcevable ! Un homme de trente-deux ans, un savant, c’est-à-dire un homme déjà vieilli, pour cette ravissante petite Reinette, une enfant !... une vraie enfant, Berthe, malgré le sérieux de son caractère... Ce serait un crime, véritablement ! Mais ce n’est pas sérieux, je suppose ? – Absolument sérieux, ma tante, dit nettement Mme Douvre. Et, de fait, la question semblait oiseuse s’adressant à cette grande femme pondérée, réfléchie jusqu’en ses moindres gestes et douée – il fallait peu de temps pour s’en apercevoir – d’une dose de volonté supérieure. – ... Certainement, Marie-Reine est très jeune, mais, ainsi que vous le dites, elle est sérieuse sous son apparence enfantine ; elle sera bonne ménagère, je l’ai bien dressée à ce sujet, et je la crois à peu près capable de diriger une maison. D’ailleurs, Valéry Logaart a sa mère près de lui. Quant à la santé, elle est superbe ; cette petite fille si frêle s’est remarquablement fortifiée depuis deux ans...|
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Un marquis de Carabas
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I Le thé dansant que donnait aujourd’hui Mme Leduc, la femme du plus jeune médecin de Treilhac, réunissait à peu près toute la meilleure société de la petite ville. L’hôtesse allait de l’un à l’autre, vive, aimable, un peu maniérée, bonne personne, d’ailleurs, comme le disait une vieille dame au profil de chèvre à Mme Damplesmes, avec qui elle s’entretenait en regardant les évolutions des danseurs. L’autre – une blonde entre deux âges, au visage fané – approuva du bout des lèvres. Puis elle ajouta avec une moue de dédain : – Mais elle est bien peu intelligente, soit dit entre nous. – Oh ! pas moins que beaucoup d’autres ! Seigneur ! que ces danses sont inélégantes ! Quand je pense à celles de mon temps ! Tout cela est bien loin, hélas ! Mme Damplesmes dit sentencieusement : – Il faut être de son époque, madame. Voyez ma fille. Elle est très sérieuse, en dépit de ses allures plus libres que celles ayant cours autrefois. La vieille dame jeta un coup d’œil vers une petite blonde qui causait depuis un long moment dans une embrasure de fenêtre avec un jeune homme à mine de fat, vêtu avec une élégance trop appuyée. – Elle paraît trouver Jean-Paul Morin à son goût, votre Janine, ma chère amie. Mme Damplesmes soupira légèrement. – Il serait tout à fait le mari de nos rêves ! Mais on le dit très intéressé. – C’est de famille. Le père Morin a épousé le sac, en prenant par-dessus le marché la plus laide femme du monde. Mme Leduc, qui s’approchait des causeuses, demanda en souriant : – De qui parlez-vous ? Quelle est la plus laide femme du monde ? – Vous ne l’avez pas connue, chère madame. C’était la mère de Jean-Paul Morin – lequel fait rêver Janine, paraît-il...|
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Esclave... ou Reine?
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I Chassés par un vent du sud-ouest humide et tiède, les nuages couraient sur l’azur pâle en voilant à tout instant le soleil de novembre qui commençait à décliner. En ces moments-là, l’obscurité se faisait presque complète dans le petit cimetière bizarrement resserré entre l’église et le presbytère, deux constructions aussi vénérables, aussi croulantes l’une que l’autre. Les feuilles mortes exécutaient une danse folle dans les allées et sur les tombes, les saules agitaient leurs maigres branches dépouillées, les couronnes de perles cliquetaient contre les grilles dépeintes, le vent sifflait et gémissait, tel qu’une plainte de trépassé... Et la grande tristesse de novembre, des souvenirs funèbres, de ces jours où l’âme des disparus semble flotter autour de nous, la grande tristesse des tombes sur laquelle l’espérance chrétienne seule jette une lueur réconfortante planait ici aujourd’hui dans toute son intensité. La jeune fille qui apparaissait sous le petit porche donnant accès de l’église dans le cimetière devait ressentir puissamment cette impression, car une mélancolie indicible s’exprimait sur son visage, et des larmes vinrent à ses yeux – des yeux d’Orientale, immenses, magnifiques, dont le regard avait la douceur d’une caresse, et le charme exquis d’une candeur, d’une délicatesse d’âme qu’aucun souffle délétère n’était venu effleurer. C’était une créature délicieuse. Son visage offrait le plus pur type circassien, bien que les traits n’en fussent pas encore complètement formés – car elle sortait à peine de l’adolescence, et sur ses épaules ses cheveux noirs, souples et légers, flottaient encore comme ceux d’une fillette. Elle descendit les degrés de pierre couverts d’une moisissure verdâtre et s’engagea entre les tombes. Son allure était souple, gracieuse, un peu ondulante. La robe d’un gris pâle presque blanc, dont elle était vêtue, mettait une note discrètement claire dans la tristesse ambiante. Le vent la faisait flotter et soulevait sur le front blanc les frisons légers qui s’échappaient de la petite toque de velours bleu. La jeune fille s’arrêta devant un mausolée de pierre, sur lequel étaient inscrits ces mots : « Famille de Subrans. » Elle s’agenouilla et pria longuement. Puis, se relevant, elle fit quelques pas et tomba de nouveau à genoux devant une tombe couverte de chrysanthèmes blancs...|
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Ma robe couleur du temps
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I Un matin de juin, Mme Barduzac entra dans ma chambre, où je terminais une des pièces de mon trousseau. Elle s’assit dans mon unique fauteuil, et le pauvre, qui n’était pas neuf, gémit sous le poids respectable de la femme de mon tuteur. – Il nous arrive une chose ennuyeuse, Gillette. Je demandai sans m’émouvoir : – Quoi donc, madame ? – Les Samponi donnent une matinée dans quinze jours et nous invitent. – Les Samponi ? En voilà une idée ! Ma voix prenait une intonation de dédain qu’accentua une moue légère. – Mais c’est une bonne idée ! Ils cherchent à marier leurs filles, ces gens ! Je n’ignorais pas qu’il suffisait qu’une opinion, un goût ou une antipathie fussent exprimés par moi pour que, immédiatement, Mme Barduzac fût d’un avis contraire. Les Samponi, d’origine italienne, bavards, indiscrets et quelque peu excentriques, ne lui plaisaient guère. Mais du moment où je semblais faire fi de leur matinée, ils lui devenaient aussitôt chers. Je ripostai tranquillement : – Eh bien, qu’ils les marient ! Je leur souhaite sincèrement cette bonne chance. Mais ils n’ont pas besoin de notre présence pour cela. Mme Barduzac pinça ses grosses lèvres ombragées d’un duvet foncé. – Est-ce ainsi que vous accueillez cette gracieuseté ? Nous les avons vus cinq ou six fois, et c’est vraiment fort aimable de leur part d’avoir songé à nous...|
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Le mystère de Ker-Even 1
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I Il pleuvait depuis le matin – petite pluie fine, serrée, que les marins appellent « crachin ». Elle noyait l’horizon, étendait son triste voile gris, humide, sur la mer sombre presque tranquille aujourd’hui, sauf autour des récifs contre lesquels, toujours, elle écumait en vagues pressées, rageuses, comme demandant aux rocs sournois la proie qu’ils lui avaient si souvent procurée, depuis des siècles. La route conduisant au petit port de Conestel n’apparaissait pas cependant trop boueuse, grâce à son sol dur – un vrai sol de granit ! comme le répétait le colporteur qui avançait d’un pas lourd, en poussant devant lui une petite voiture recouverte d’une toile cirée. C’était un homme d’environ quarante-cinq ans, plutôt petit, maigre, les cheveux blonds grisonnants. Des yeux d’un bleu vif brillaient dans sa face blafarde, aux traits mous. Une longue pèlerine en drap verdi tombait sur ses épaules, un large béret noir le coiffait. Des bottes solides montaient jusqu’à ses genoux, et leurs semelles épaisses, leurs talons ferrés martelaient le sol, qui rendait un son mat. Près de cet homme marchait une petite fille d’une douzaine d’années. Une vieille robe, très propre, habillait son mince corps souple et alerte. Un capuchon de drap gris cachait complètement ses cheveux, encadrant un visage d’une blancheur laiteuse, aux lèvres fines et roses. Des cils blonds frangeaient les paupières, voilant à tout instant les yeux d’un même bleu vif que ceux de l’homme – des yeux à l’expression mobile, changeante, singulière. En réponse à la réflexion de son compagnon, elle dit avec une moue d’ennui : – Ce pays est triste, papa !... Y resterons-nous longtemps ? – Peut-être. Cela dépend des renseignements que j’obtiendrai... Mais quand le soleil sera là, tu verras, Elsa, que cette côte bretonne est très belle. Tous deux parlaient français, très correctement. L’enfant n’avait presque pas d’accent étranger, mais celui du père, bien que relativement peu prononcé, dénonçait néanmoins une origine germanique...|
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Les deux crimes de Thècle
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I Ce maussade matin de mars, quand j’entrai dans son bureau, Mme Lachaud m’accueillit par ces mots : – Préparez vos valises pour partir demain matin, Marie-Marthe. – Mes valises ? C’est pour un temps assez long, sans doute ? – Oui, je le pense, d’après ce que m’a dit le docteur Guyon-Latour. Et elle m’expliqua qu’il s’agissait d’une jeune fille amenée par son médecin à Clermont afin de consulter cet excellent praticien. Guyon-Latour avait prescrit un traitement assez compliqué, que pouvait seule appliquer une infirmière expérimentée. – ... début de paralysie à quinze ans. Elle en a seize et son état s’aggrave. Mauvaise hérédité du côté maternel. D’ailleurs, vous verrez ce soir le docteur ; il vous donnera les instructions nécessaires. – Bien, Madame, je vais me préparer. Où est-ce ? – En Corrèze, à la campagne. Le docteur vous donnera des précisions. Prenez de quoi vous couvrir, car il est possible que ce soit fort mal chauffé. Elle eut un sourire sur son visage demeuré frais sous les cheveux gris, en ajoutant : – Mais vous n’êtes pas trop frileuse, heureusement, et la campagne ne vous fait pas peur. – Non, du moment où je m’occupe, je me trouve bien partout. À quelle heure dois-je voir le docteur ? – À six heures, ici. Je vous reverrai avant votre départ, Marie-Marthe. Elle me tendit la main et je sortis du bureau pour monter dans la chambre que j’occupais au second étage de l’Institut Hélène-Choppet. Cette fondation, datant de sept ans, était due à une riche Clermontaise qui l’avait faite en souvenir de sa fille, morte jeune encore, en soignant les blessés dans un hôpital de guerre. Elle en avait confié la direction à son beau-frère, le docteur Guyon-Latour. On y formait des infirmières dont la réputation était grande dans toute la région. Guyon-Latour y avait établi une annexe de sa clinique. Ce fut dans le petit bureau à lui réservé qu’il me reçut, ce soir-là, un peu après six heures..|
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Dans l’ombre du mystère
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | 4 juillet. – Je suis reçue au brevet supérieur, avec félicitations. En dépit de la lourde chaleur d’orage, j’étais plus légère en sortant de la préfecture, et c’est d’un pas alerte que j’ai gagné la rue Saint-Louis. Nous habitons là une petite maison étroite, décrépite à l’extérieur, mal agencée intérieurement, qui date du règne de Louis XV, et semble n’avoir reçu depuis lors qu’un minimum de réparations indispensables. Bertha, la servante, m’ouvrit la porte jadis brune, devenue d’une indéfinissable nuance. Elle me demanda, sans que d’ailleurs sa voix, empâtée par l’accent germanique, et son large visage placide témoignassent d’aucun intérêt : – Eh bien ? Tranquillement, comme elle, je répondis : – Reçue, Bertha. Elle murmura un : « Ça va bien ! » Et je montai l’escalier usé, qui craquait sous mes pas, j’entrai dans le salon, grande pièce à boiseries grises, à peine meublée de quelques sièges, d’une table et d’une armoire. Près de la fenêtre ouverte, ma tante tricotait. Elle leva la tête et demanda : – Avez-vous réussi, Odile ? – Très bien, ma tante, avec félicitations du jury. Je suis contente, mais j’ai bien chaud ! Je m’assis en face d’elle et enlevai vivement mes gants, mon chapeau. Elle me regardait, en faisant glisser l’une contre l’autre ses longues aiguilles. Ses yeux pâles clignotaient un peu, sous ses paupières ridées. De nouveau, je ressentis cette impression désagréable qui m’a plus d’une fois saisie, quand ce regard se pose sur moi. Très droite par nature, j’ai la sensation d’un mensonge se cachant sous la douceur étudiée de cette physionomie, de cette parole lente, teintée d’accent allemand. Jamais je n’ai aimé Mme Holden. Et j’ai l’intuition qu’elle, non plus, ne m’aime pas. Nous vivons néanmoins en bons termes, mais froidement, sans intimité. Et si parfois l’impression d’antipathie s’augmente chez moi, j’ai toujours réussi à n’en laisser rien paraître. Car enfin, quelle que soit la nature de ma tante, je lui dois de la reconnaissance. Elle m’a recueillie tout petit bébé, à la mort de mes parents, et m’a élevée de ses deniers, bien qu’elle soit peu fortunée. Voilà des choses qui ne se peuvent oublier, quand on a un peu de noblesse dans le cœur. Aussi me suis-je toujours efforcée d’entourer d’attention Mme Holden, surtout depuis deux ou trois ans où je la vois vieillir, devenir rhumatisante. En outre, elle est la seule parente qui me reste, seconde considération propre à m’inciter aux devoirs qui ne me sont pas toujours faciles à son égard, je l’avoue...|
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L’Ondine de Capdeuilles
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I Un domestique entra silencieusement et déposa sur le bureau le second courrier du matin. Odon, fermant le volume qu’il parcourait, éparpilla d’une main distraite les revues et les lettres. L’une de celles-ci attira son attention. Sur l’enveloppe large, de papier mince et ordinaire, une main certainement féminine avait inscrit l’adresse du marquis de Montluzac. Odon murmura : – Quelle aïeule m’écrit là ?... Oui, une aïeule, bien certainement, car on n’a plus de ces charmantes écritures, aujourd’hui. Il ouvrit l’enveloppe, sans hâte. Car il n’attendait rien de la vie. Depuis la mort du frère qui avait été son unique affection, il avait goûté à toutes les jouissances, et il ne lui restait au cœur que le vide, l’amer dédain de tout. Le feuillet qu’il déplia était couvert d’une écriture toute différente – écriture de vieillard tremblée, presque illisible. Non sans difficulté, quelle que fût son habitude de déchiffrer les vieux textes. M. de Montluzac parvint à lire ce qui suit : « Monsieur et cher cousin, « Je suis un étranger pour vous, et peut-être allez-vous accueillir ma demande par un haussement d’épaules, en jetant au feu cette lettre d’un vieillard inconnu. Mais non, vous devez avoir l’âme généreuse des Salvagnes, et vous répondrez affirmativement au désir d’un homme très âgé, très infirme, qui descend comme vous du vaillant Odon de Salvagnes, le preux chevalier dont les exploits se chantent encore dans notre Périgord. Ce désir, le voici : voulez-vous venir me trouver ici, à Capdeuilles, mon vieux château, pour vous entretenir avec moi d’un sujet qui me tient fort à cœur ? Pardonnez-moi de n’être pas plus explicite. Mais mes pauvres doigts engourdis ne peuvent plus tenir la plume. Je vous attends et vous remercie d’avance. « Olivier de Salvagnes, vicomte de Capdeuilles. « Capdeuilles, 12 octobre 1907. »...|
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Le secret de la Luzette
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I – Tap !... Tap !... Dans le silence du bois, ma voix résonnait avec une intensité particulière. On devait certainement l’entendre jusqu’à la Mailleraye. Mais seul un petit écho ironique semblait se soucier de mon appel. Tap, mon compagnon fidèle, y demeurait sourd. « Je lui donnerai une correction quand il reviendra ! » pensai-je, saisie de colère, car pareil fait n’était pas habituel chez ce brave chien recueilli par moi trois ans auparavant sur la grand-route où il gisait, une patte coupée par un de ces horribles engins de mort que l’on nomme automobiles, et soigné avec tant de sollicitude qu’il marchait de nouveau, au bout de peu de temps – sur trois pattes, cette fois. J’aimais beaucoup Tap, mais d’une affection tyrannique et quelque peu autoritaire. Le bon chien le savait sans doute, car il me suivait comme mon ombre, et, quand je m’arrêtais, se couchait à mes pieds sans me quitter des yeux. Mais aujourd’hui Tap était infidèle... Et sa peu patiente jeune maîtresse en ressentait une véritable colère. À travers le feuillage des châtaigniers, le soleil se glissait et s’épandait sur le sol herbeux en longues coulées lumineuses. À mesure que j’avançais, le sentier s’élargissait, les arbres se clairsemaient, l’herbe que foulaient mes vieux souliers attachés par des lacets verdis se faisait plus drue. Et, tout à coup, apparut la Luzette. Elle coulait très paisible, entre deux rives gazonnées. Un peu plus haut, elle était un petit torrent, elle le redevenait à quelque cent mètres en aval ; mais ici, elle se donnait le plaisir du repos, en reflétant dans ses eaux claires les beaux châtaigniers qui se dressaient sur ses bords. D’un mouvement souple, je me laissai glisser à terre et m’étendis de tout mon long, les coudes dans l’herbe, les mains sous le menton. C’était ma position favorite lorsque je me trouvais en présence de la Luzette – mon amie la Luzette !..|
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Le secret du Kou-Kou-Noor
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I – Sœur Marie-Marthe, avez-vous quelque chose pour moi ? Dans le préau du couvent réservé à leurs ébats, les grandes élèves entouraient la toute ronde et toute souriante petite sœur qui venait distribuer à ces demoiselles les lettres préalablement examinées par l’œil vigilant de la Mère supérieure. – Rien pour vous, mademoiselle... Ceci pour Mlle Triel... Cette autre, pour Mlle de Fervalles... Et la sœur Marie-Marthe tendait une enveloppe à une svelte et blonde jeune fille qui la prit d’un geste empressé, puis s’écarta aussitôt pour la décacheter. Ce n’était qu’une simple carte, contenant ces mots : « Ma chère petite fille, « Tiens-toi prête pour partir lundi prochain. Ton père, revenant de faire un séjour en Autriche, passera par Fribourg et te prendra pour t’amener ici... Enfin, mon Orietta chérie, tu ne me quitteras plus ! J’ai annoncé cette joie à ton pauvre grand-père, qui a paru aussitôt moins triste. Pendant le temps des vacances, quand tu étais là, près de nous, son regard s’éclairait un peu, perdait cette expression morne et douloureuse si pénible à voir. Et maintenant il t’aura tous les jours, toute l’année, cher petit rayon de soleil ! Quelle consolation pour lui !... et quelle douceur pour moi ! « Tous deux nous t’embrassons, ma fille chérie, et nous t’attendons, avec quelle impatience ! « Ta mère, « A. Belvayre. »...|
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Le roi des Andes
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I – Pourquoi vous pressez-vous tant, chère sœur Jeanne ? Vous voilà tout essoufflée, vous n’en pourrez plus en arrivant. – Mère Supérieure m’a bien recommandé de rentrer avant la nuit, mademoiselle Inès. Et voyez, le jour baisse déjà. Mais j’avais beaucoup de courses aujourd’hui, nous nous sommes trouvées retardées. – Mère Supérieure ne grondera pas, puisque ce n’est pas notre faute, sœur Jeanne. Et il fait si bon ce soir ! En prononçant ces derniers mots, Inès ouvrait toutes grandes ses narines délicates pour mieux aspirer l’air vif et sec de cette fin d’après-midi de février. Elles se trouvaient dans un des plus paisibles quartiers de Paris. La rue qu’elles venaient de prendre ressemblait à celle d’une calme ville de province, avec ses grandes vieilles maisons d’apparence bourgeoise et la tranquillité absolue qui régnait, rompue seulement de temps à autre par le passage d’une voiture et de rares piétons. En ce moment, la religieuse et sa jeune compagne s’y trouvaient seules et, bien qu’il fit encore très jour, ce n’était pas pour plaire à sœur Jeanne, dont l’esprit naturellement pusillanime était en outre hanté par la terreur des mauvais garçons, car l’écho de leurs exploits franchissait parfois les murs du couvent. Mais Inès n’y songeait pas, elle. Tout simplement, elle jouissait du plaisir de cette promenade avec la bonne tourière, de cette petite dérivation à l’existence très paisible du couvent où parfois, malgré sa tendre affection pour les bonnes mères, elle sentait des bouffées de tristesse s’élever en elle, un peu de nostalgie la serrer au cœur. Car elle avait été accoutumée au grand air et à la liberté de la campagne, la petite Inès. Orpheline de très bonne heure, elle avait été élevée, avec un frère plus jeune, par son grand-père maternel, un homme sérieux et bon, qui l’avait beaucoup aimée et lui avait inculqué de solides principes religieux, en même temps qu’il lui apprenait à cultiver une intelligence très vive, très ouverte. Ils vivaient à la campagne, en Normandie, dans une grande maison aux allures de ferme. M. des Nardières s’occupait de faire valoir ses terres, et il avait commencé à initier sa petite-fille à la science d’une bonne fermière. Mais, deux ans auparavant, il était mort subitement, au retour d’un voyage en Bretagne. Inès avait cru qu’elle ne pourrait survivre à cet aïeul tant aimé ! Seule la pensée qu’elle devait être maintenant l’exemple et le conseil de son frère avait pu avoir raison, au bout de quelques jours, de son douloureux abattement...|
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Ourida, la petite princesse
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I L’automobile de la princesse Falnerra montait lentement la côte qui s’allongeait entre les hêtres magnifiques, dorés par le soleil de juillet. Le petit prince Salvatore avait recommandé : « Surtout, allez doucement, Barduccio ! » Et, penché à la portière, il regardait les superbes futaies avec un vibrant intérêt qui se reflétait dans ses yeux, des yeux admirables, d’un brun chaud que traversaient de vives lueurs d’or. C’était un garçonnet d’une dizaine d’années, mince, élancé, au fin visage mat, aux cheveux bruns formant des boucles épaisses et soyeuses. Près de lui se tenait assise la princesse Teresa, sa mère, dont le jeune et frais visage de blonde ne perdait rien au voisinage du long voile de grenadine et du bandeau blanc des veuves. La princesse Falnerra, née Thérèse de Montendry, était de par sa naissance, et plus encore par son mariage, une fort grande dame. Mais il n’existait chez elle aucune morgue et son extrême bienveillance, sa grâce un peu indolente, mais toujours prête à l’accueil aimable, faisaient invariablement dire : – Quelle femme charmante ! La vue de la forêt traversée par l’automobile semblait l’intéresser médiocrement. Toute son attention restait concentrée sur son fils. Salvatore était l’idole de cette jeune femme restée veuve à trente ans, après avoir patiemment supporté jusque-là le caractère difficile et autoritaire du prince Marino, son mari. Elle était aux pieds de ce petit être séduisant et volontaire, doué d’une rare intelligence et d’un cœur généreux, aimant, déjà chevaleresque, dont tous les désirs étaient accomplis sans qu’il eût presque le temps de les exprimer. Ainsi, aujourd’hui, avait-il voulu faire cette promenade dans la forêt de Soreix, qu’il avait entendu vanter. La mère et le fils étaient donc partis dès le matin de La Bourboule, où la princesse faisait en ce moment une saison, et, ayant déjeuné en route, ils se trouvaient au début de l’après-midi sous les puissantes frondaisons des hêtres dont Salvatore admirait tant la beauté, en précoce artiste qu’il était. La princesse, ayant consulté sa montre, le prévint : – Nous ne pourrons plus aller bien loin maintenant, mon chéri. Dans une demi-heure, une heure au plus, il faudra prendre le chemin du retour pour être à La Bourboule vers huit heures...|
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Le drame de l'étang aux biches
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I Élisabeth se pencha un peu plus pour mieux voir le cavalier qui passait sur la route, le long de la roche abrupte, dure assise du château de Montparoux. Sans souci du danger, ni du vertige, elle était assise sur l’appui à demi ruiné d’une baie en arc d’ogive ouverte directement sur l’à-pic de la falaise. Les jambes fines et brunes pendant au-dehors, les pieds minces chaussés de sandales battaient la roche couleur de rouille. Qui l’eût vue dans cette périlleuse attitude aurait frissonné d’effroi. Mais le cavalier ne regardait pas au-dessus de lui. Bientôt il disparut au tournant de la route. Alors, Élisabeth se redressa, fit un rétablissement et se trouva debout dans la baie qui encadrait sa maigre silhouette d’adolescente, sa tête aux boucles brunes un peu en désordre. L’après-midi tendait vers sa fin. Les sapins qui couvraient les hauteurs, face à Montparoux, s’éclairaient aux dernières lueurs du couchant. Des clochettes de troupeaux tintaient, musique légère, dans l’air silencieux qui prenait déjà son parfum du soir, parfum de forêt et d’eau fraîche. Car la rivière, folle, bondissante, bordait la route qui menait de Montparoux à Lons-le-Saunier, en passant par le village de Sauvin-le-Béni. Celui-ci, au pied des sapinières, étendait ses maisons anciennes et ses jardins fleuris de passeroses, de soleils, de petits œillets. Des prés le joignaient et quelques champs que commençaient de quitter les travailleurs pour regagner le logis. Un reflet de cette lumière prête à mourir arrivait encore aux vieux murs du château, crevassés, roussis par les intempéries séculaires. Il éclairait le mince visage d’un ovale un peu long, d’une mate et fine blancheur, les yeux mordorés, couleur de châtaigne, de feuille d’automne touchée par le soleil, changeants comme la nature elle-même aux différentes heures du jour. Élisabeth demeurait là, debout, les mains croisées sur la vieille ceinture de cuir qui serrait à la taille sa robe de toile bleu passé à petites raies blanches. Son regard errait sur les pins illuminés, sur le village paisible au bord de la rivière. Mais elle pensait à autre chose, car un pli se formait sur la belle ligne du front dégagé de la chevelure indisciplinée, une contraction rapprochait les sourcils nettement dessinés, qui étaient doux et soyeux, d’un brun plus clair que les cheveux...|
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Les hiboux des Roches-Rouges
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I La pluie très fine frappait les vitres du wagon, le paysage tout entier était noyé dans une brume épaisse... et Hermine, pelotonnée dans son coin, grelottait malgré le chaud manteau dont la Mère Supérieure l’avait munie pour ce voyage nocturne. La fraîcheur humide de cette aube grise n’était pas seule responsable du tremblement qui agitait la jeune fille. Pour une âme de dix-huit ans, impressionnable et délicate, l’inconnu semble toujours terrifiant... Et Hermine s’en allait vers l’inconnu. Hier, son cher couvent et ses bonnes Mères... Aujourd’hui, des étrangers... Elle frissonna et serra plus étroitement son manteau autour d’elle. En face, sa compagne, une bonne dame à qui l’avait confiée la Supérieure, ronflait bruyamment comme elle l’avait fait durant toute cette nuit qui avait semblé si longue à Hermine. Une sorte de fièvre avait constamment agité la jeune fille, et maintenant elle se sentait brisée. Elle eût voulu reposer son esprit fatigué... et, malgré elle, voici qu’elle revoyait en ce moment toute sa vie... Une vie bien calme, bien unie, dans ce couvent de Paris où elle était entrée si petite qu’elle ne se souvenait pas de ses débuts. Les vacances elles-mêmes se passaient là. Le cœur un peu gros, elle regardait partir avec leurs parents ses compagnes heureuses comme des oiseaux en liberté. Si choyée qu’elle fût de toutes, si attachée aux religieuses qui l’avaient élevée, son âme enfantine avait un désir imprécis d’horizons nouveaux. Les récits des autres élèves lui faisaient deviner les douces joies familiales qu’elle ne connaîtrait jamais... Personne ne venait la voir, personne ne lui écrivait ni ne la faisait sortir. Elle était orpheline, elle n’avait aucun parent, même éloigné, lui avait répondu avec une tendre compassion la Mère Supérieure, un jour où elle avait posé à ce sujet une question anxieuse...|
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Comme un conte de fées
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I – Gwennola, tes cheveux sont le soleil lui-même ! En parlant ainsi, Yvonne de Rosmandour se penchait vers son amie et effleurait du doigt la chevelure blond foncé, aux chauds reflets d’or, que frôlaient quelques rayons de la brûlante lumière d’été, tamisée par le feuillage de vieux et magnifiques tilleuls. Gwennola se mit à rire, sans lever les yeux et sans interrompre le mouvement de son aiguille. – Heureusement qu’ils ne répandent pas autour d’eux la même chaleur ! Quelle température de feu ! – Nous aurons de l’orage, dit Yvonne en levant son petit nez retroussé. Mais pas avant ce soir, d’après Amaury. – Oh ! si tu crois sans réserve aux prédictions d’Amaury ! répliqua gaiement Gwennola. Elle venait d’achever le montage d’une petite manche et tournait vers Yvonne des yeux d’un bleu sombre, au regard profond et velouté. Des yeux admirables, qui auraient suffi à faire remarquer entre toutes Gwennola de Pendennek, même si elle n’avait pas possédé ce visage d’un pur ovale, ces traits délicats, ce teint d’une blancheur satinée que la chaleur nuançait en ce moment de rose. – Oh ! sans réserve n’est pas le mot ! dit Yvonne avec un rire qui découvrait de fort jolies petites dents. Mais on croit volontiers ce que l’on désire, et je voudrais bien avoir le temps de finir mes plantations avant la pluie. – Tu vas devenir une jardinière remarquable, Yvonne. – Cela m’amuse beaucoup, et papa est très content de me donner des leçons. Mais notre potager et notre verger ne peuvent rivaliser avec les vôtres, pour la qualité des produits...|
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Dans les ruines
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I Les vitres voilées de tulle s’enflammaient aux lueurs orangées du soleil couchant. La lumière pénétrait en flots ardents dans le petit salon, se jouait sur les meubles de style, les bibelots artistiques, les grands palmiers ombrageant de fines et blanches statuettes, et enveloppait d’un rayonnement fauve la jeune fille enfoncée dans une bergère, où sa mince personne disparaissait presque. Jeune fille ou enfant ?... Cette seconde hypothèse semblait admissible en considérant ses traits frêles, ses formes graciles et la natte de cheveux noirs rejetée sur son épaule. Mais il suffisait de rencontrer les yeux magnifiques, d’un bleu sombre, qui éclairaient ce pâle et fin visage, pour pressentir l’existence d’une âme déjà formée. Il y avait, dans ces yeux-là, une profondeur de pensée qui eût semblé excessive chez une si jeune créature sans le charme de candeur, d’enfantine simplicité émanant de cette physionomie délicate et lui communiquant une mystérieuse attirance. La jeune fille avait laissé tomber son ouvrage sur ses genoux et, croisant les mains sur sa jupe de deuil, elle laissait errer autour d’elle son regard empreint de réflexion triste... Tout contre elle était blottie une petite forme noire – noire des pieds à la tête, car la chevelure bouclée avait des tons d’ébène rivalisant avec l’étoffe de deuil. Seules, deux très petites mains se montraient, serrant avec force la robe de la jeune fille. Tout à coup, des plis de la jupe de cachemire sortit un visage d’enfant – un fin et joli visage dont les yeux bleus, très doux, se promenèrent quelques secondes autour du salon. Ils regardèrent longuement le violon posé sur un fauteuil, près de sa boîte béante, et le pupitre où s’ouvraient les feuillets d’un morceau de musique... Ce regard enfantin reflétait une vive perplexité et le petit front blanc se plissait sous la tension de quelque embarrassante pensée. Tout bas, une voix douce murmura : – Alix !...|
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Folie de sages
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I Le brouillard étendait encore sur la vallée son voile léger au travers duquel commençait de pénétrer le soleil. Le long des sommets flottaient des lambeaux vaporeux, évanouis peu à peu dans la lumière. Ainsi apparaissaient dans leur somptueuse sérénité automnale les arbres couvrant le flanc de la montagne. Entre les feuillages aux tons de rouille et d’or, le torrent bondissait tout écumant dans la vallée. Happé par le brouillard, il disparaissait, mais un grondement dénonçait la présence du gave impétueux qu’il devenait plus bas. L’air vif et frais sentait la terre humide, la feuille morte trempée de rosée, la plante sauvage éveillée sous la tiédeur du soleil. Le sifflet de petits pâtres s’appelant et se répondant troublait seul parfois l’harmonieux silence auquel servait d’accompagnement le bruit sourd, ininterrompu, de l’eau torrentueuse. Dans la vallée la brume tenace cédait enfin, son tissu diaphane, se désagrégeait, s’effilochait lentement. Elle laissait maintenant deviner les contours d’un château tout blanc, une merveille de petit château semblant presque suspendu dans les airs, car la brume lumineuse planant encore sur le fond de la vallée laissait à peine entrevoir les jardins en terrasses et le lac dans lequel ils se miraient. Le son grêle d’une cloche monta jusqu’au tertre ombragé de vieux hêtres sur lequel Nigel Ogerlof se tenait debout, une main appuyée à l’encolure de son cheval, l’autre caressant de sa cravache le grand chien blanc couché à ses pieds. – Allons, il est temps de rentrer, Stip ! L’ami Pierre doit nous attendre. D’un bond souple il se mit en selle. Le bai brun aux formes parfaites, aux mouvements fougueux, s’ébroua joyeusement. Nigel le maintint d’une main ferme et jeta un dernier regard sur la vallée. À peine quelques parcelles de brume flottaient-elles encore çà et là. Le village apparaissait, groupé autour de son église romane qu’entourait le cimetière ombragé de platanes. Le gave s’évadait bruyamment entre les rocs qu’il couvrait de son écume...|
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Magali
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | L’aube paraissait un peu brouillée, une lueur incertaine flottait sur la campagne à travers laquelle le train filait en jetant des coups de sifflets stridents. Dans le wagon, bien chauffé cependant, une fraîcheur pénétrait qui refroidissait la voyageuse malgré le vêtement fourré dont elle était couverte. Peu à peu, Mlle Nouey sortait de la somnolence qui l’avait envahie depuis quelques heures. Ses yeux s’ouvrirent, sa main, par un geste machinal de femme soigneuse, lissa les bandeaux châtains qui encadraient son visage mince, un peu flétri. Elle se redressa enfin, complètement éveillée, secoua son vêtement, où s’étaient formés quelques plis... En même temps son regard se dirigeait vers l’autre extrémité du wagon. Là se trouvaient une dame enveloppée d’une mante noire de piètre apparence et deux enfants de huit à dix ans. En montant dans ce compartiment au milieu de la nuit, Mlle Nouey les avait trouvés là... Et la dame avait conservé exactement la même position qu’elle lui avait vue alors, la tête tournée vers la vitre et cachée entre les mains, sans un mouvement autre que celui imprimé par le train. En face d’elle, les enfants étaient immobiles, serrés l’un contre l’autre très éveillés, eux, et visiblement grelottants sous leurs vêtements râpés. Ils étaient tous deux minces et frêles, mais ne se ressemblaient pas ; la petite fille, qui semblait l’aînée, avait un visage au teint mat, aux traits un peu forts, et une superbe chevelure blond cendré tombant en deux longues nattes sur ses épaules. La physionomie du petit garçon était fine, plus délicate ; son teint ressortait, très blanc, près des boucles brunes qui ombrageaient son front...|
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Comme un conte de fées
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I – Gwennola, tes cheveux sont le soleil lui-même ! En parlant ainsi, Yvonne de Rosmandour se penchait vers son amie et effleurait du doigt la chevelure blond foncé, aux chauds reflets d’or, que frôlaient quelques rayons de la brûlante lumière d’été, tamisée par le feuillage de vieux et magnifiques tilleuls. Gwennola se mit à rire, sans lever les yeux et sans interrompre le mouvement de son aiguille. – Heureusement qu’ils ne répandent pas autour d’eux la même chaleur ! Quelle température de feu ! – Nous aurons de l’orage, dit Yvonne en levant son petit nez retroussé. Mais pas avant ce soir, d’après Amaury. – Oh ! si tu crois sans réserve aux prédictions d’Amaury ! répliqua gaiement Gwennola. Elle venait d’achever le montage d’une petite manche et tournait vers Yvonne des yeux d’un bleu sombre, au regard profond et velouté. Des yeux admirables, qui auraient suffi à faire remarquer entre toutes Gwennola de Pendennek, même si elle n’avait pas possédé ce visage d’un pur ovale, ces traits délicats, ce teint d’une blancheur satinée que la chaleur nuançait en ce moment de rose. – Oh ! sans réserve n’est pas le mot ! dit Yvonne avec un rire qui découvrait de fort jolies petites dents. Mais on croit volontiers ce que l’on désire, et je voudrais bien avoir le temps de finir mes plantations avant la pluie. – Tu vas devenir une jardinière remarquable, Yvonne...|
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Le fruit mûr
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I Le jour perdait sa lumière frémissante, que le soleil au déclin emportait avec lui. Tugdual Meurzen, derrière la vitre d’une porte-fenêtre, la voyait quitter lentement le petit jardin touffu, qui restait éclairé cependant, mais d’un reflet pâle et froid de foyer trop lointain. Il s’imaginait voir frissonner les palmes des phœnix, les feuilles légères des mimosas, et même les rudes pointes aiguës des aloès. C’était l’heure dangereuse de ces rives de soleil – l’heure que Tugdual aimait pour sa mélancolie. Derrière lui, une voix demanda : – Vas-tu sortir maintenant, Tug ? Il se détourna et regarda la mince figure de femme, légèrement flétrie, qui se détachait sur le coussin de toile bise d’une chaise longue. Deux yeux d’un vert pâli s’attachaient sur lui, sur son visage aux traits forts, un peu rude, et triste, fermé, trop pensif. – Oui, à l’instant, ma mère. Vous faut-il quelque chose ? – Non, merci, mon enfant. Mais pars vite, et ne tarde pas trop à revenir. Je ne comprends pas ton idée de sortir à cette heure... As-tu commencé l’esquisse de ta Madone ? – Pas encore. Je ne suis pas pressé, car je sais que l’exécution ne répondra pas à ce que je souhaite, comme toujours. La voix du jeune homme frémit de souffrance, à ces derniers mots. Mais Mme Meurzen ne s’en aperçut pas. Elle dit d’un ton fâché : – Tu es le seul à trouver cela. Tous ceux qui voient tes œuvres s’accordent à reconnaître ton très haut talent. Un sourire d’amertume douloureuse entrouvrit les fortes lèvres d’un rouge ardent, – Oui, un très beau talent... Oui, en effet... Tugdual fit quelques pas dans la pièce, un petit salon meublé de rotin et de cretonne claire. L’ombre de la nuit toute proche semblait descendre déjà dans ses yeux tristes, qui avaient la nuance des feuilles rousses détachées par l’automne des ramures où la sève s’endort. Ses épaules robustes se courbaient un peu sous le veston ample et commode qui donnait à cette vigoureuse stature masculine une apparence aisée, simple, correcte cependant, car les détails dénotaient l’homme soigneux...|
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L’orpheline de Ti-Carrec
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I – Voilà encore cette femme ! C’est vraiment honteux de courir ainsi les routes ! Mais qu’attendre d’une personne de cette sorte ? Mme Hervé Dourzen, là-dessus, prit un air dégoûté en se penchant pour suivre des yeux celle dont elle parlait avec tant de mépris. Sur la route plantée d’ormes qui séparait Coatbez des premières maisons du bourg, Varvara Dourzen passait, tenant par la main sa petite fille. Elle était vêtue d’une robe noire très simple, à manches longues. Ses cheveux coupés, qu’elle laissait repousser, tombaient en frange soyeuse et sombre sur la nuque très blanche. De la fenêtre où se penchaient Mme Dourzen et, derrière elle, son mari, on voyait son profil de pur type caucasien, si parfaitement beau. Elle avait une taille souple, très mince, d’une rare élégance, et une allure légère, ailée, dont la grâce était incomparable. Hervé Dourzen pensa : « Quelle jolie femme, décidément ! » Mais il garda cette réflexion pour lui. Il avait appris l’art de se taire à propos, depuis qu’il était l’époux de Blanche Corbic, la fille bien dotée d’un marchand de nouveautés enrichi pendant la guerre. – Ton cousin Armaël n’a pas dû être long à regretter son sot mariage. Je ne m’étonnerais pas qu’il soit mort de chagrin. – Mon amie, pourquoi imaginer cela ? Armaël a eu une rupture d’anévrisme... – C’est elle qui le raconte, mais nous n’y avons pas été voir. En tout cas, il a donné sa démission pour se marier, ce qui lui faisait perdre son avenir. Très probablement, il a dû bien le regretter par la suite, quand la réussite dans les affaires entreprises n’est pas venue... Enfin, ça le regardait, ce garçon. Mais il est fort désagréable pour nous qu’il ait introduit cette personne dans la famille. Hervé baissa le nez, qu’il avait fort long, en prenant un air contrit, comme chaque fois que sa femme lui faisait sentir qu’après tout les Dourzen, tout nobles qu’ils fussent, n’étaient pas très qualifiés pour se mettre au-dessus des Corbic, lesquels n’avaient pas dans leur honorable famille d’alliance équivoque, comme celle contractée par Armaël Dourzen...|
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Orietta
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I En dépit de la brûlante lumière du dehors, il faisait presque frais dans la grande salle où don Alberto Farnella s’éveillait de la sieste accoutumée. À travers les vitres sales de la porte vitrée apparaissait un coin de jardin très ombragé, laissé au complet abandon. Les branches d’un vieux figuier arrivaient jusqu’à cette fenêtre et achevaient d’intercepter presque toute la vive clarté de ce jour d’été. Mais don Alberto n’en avait cure. Sa vue affaiblie ne lui permettait plus la lecture et le laissait indifférent à la triste incurie où se complaisait son unique et très rustique serviteur. Il s’éveillait en bâillant doucement. Sa main brune, mais effilée, chassa machinalement une mouche posée sur ses cheveux grisonnants, très clairsemés. Puis, elle passa lentement sur le visage amaigri, osseux, dont la teinte bronzée, acquie au soleil du Brésil, disparaissait pour faire place à la pâleur de la maladie. Au seuil d’une porte ouverte sur le vestibule voûté, dallé de marbre en partie brisé, parut un petit homme roux, voûté, boiteux, enveloppé dans une sorte de tablier-sac couvert de taches. – Un étranger est entré dans le jardin et demande à voir le signor comte, dit-il d’une voix de crécelle. Don Alberto se souleva un peu sur son vieux fauteuil, aussi boiteux que le serviteur. – Un étranger ?... A-t-il dit son nom, Luca ? – Il a donné sa carte... Ce n’est pas quelqu’un de chez nous. Il a un drôle d’accent... Luca avançait en parlant. De ses doigts maculés de terre, il tendit la carte à son maître, qui essaya vainement de déchiffrer le nom. – Je n’y vois pas, dit-il avec impatience. Quel genre a ce visiteur ? – Il est bien, signor comte !... Quelqu’un de très bien certainement. Il est habillé comme personne ne l’est ici, et... – Fais-le entrer ! interrompit don Alberto, coupant court aux considérations généralement interminables de Luca. Il se redressa dans son fauteuil, tira un peu, dans l’intention de la défriper, la vieille robe de chambre dont il était vêtu. Puis, il murmura : – Je me demande qui peut venir me voir, moi qui n’ai plus d’amis... plus personne...|
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Le testament de M. d’Erquoy
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I – T’as pas fini, s’pèce de courge, d’écouter les mômeries de la fille à Plautin ? À cette aimable interpellation, Ernestine Baujoux se détourna de la fenêtre ouverte par où lui arrivaient les paroles d’un cantique, que chantait une fraîche voix d’enfant. Son visage couperosé, sur lequel une ombre d’émotion semblait passer tout à l’heure, avait déjà repris l’expression maussade et amère qui lui était habituelle. – Ça me rappelait le temps passé... quand on croyait à tout ça, dit-elle en levant les épaules. Isidore Baujoux ricana : – Ah ! oui, il est passé !... Quand on pense, tout de même, qu’on voulait nous faire avaler ça ! Vrai, les parents étaient de drôles d’abrutis, et si nous avions écouté leurs leçons, nous serions encore les esclaves des curés et des patrons... Pas vrai, Achille ? Ces mots s’adressaient à un garçonnet d’une douzaine d’années, entré derrière lui, et qui venait de jeter au hasard, dans un coin, son cartable déchiré d’où sortaient des livres en lambeaux. À la question de son père, il planta ses mains dans ses poches, en répondant d’un air important : – C’est ce que M’sieu Palot nous a dit hier en classe, papa. Les prêtres, c’est eux qui sont cause de tout, c’est à cause d’eux que le peuple est malheureux... Et puis, il a dit aussi : « Faut pas se gêner dans la vie, mes enfants, il s’agit de se donner toutes les jouissances possibles, il n’y a que ça de vrai, voyez-vous. » Un rire béat s’épanouit sur le visage d’Isidore, creusé, ravagé par l’alcool, et où brillaient des yeux qui témoignaient que l’époux d’Ernestine n’avait pas négligé, encore ce matin, son absinthe accoutumée...|
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Sous le masque
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I Donna Paola Tecci donnait une réunion dansante, cet après-midi-là, dans les jardins de sa villa sise aux portes de Florence... Bien qu’elle eût atteint la soixantaine, le mouvement, les fêtes, les distractions de tous genres restaient pleins d’attraits, pour cette femme qui avait été l’une des beautés choyées de Rome et de Paris, où son mari avait exercé longtemps des fonctions diplomatiques. Veuve depuis cinq ans, elle s’était retirée dans sa ville natale, et très vite avait groupé autour d’elle un cercle d’amis attirés par sa large hospitalité, son esprit resté vif et brillant, et par l’atmosphère de gaieté que l’on était sûr de trouver chez elle. Car son veuvage ne lui pesait guère, et si par hasard quelque pensée mélancolique lui venait, elle s’empressait de la secouer au plus vite. Sa nature frivole était incapable de méchanceté tout aussi bien que de dévouement. Une certaine bonté facile faisait dire d’elle : « C’est un cœur d’or... » En réalité, elle s’occupait d’autrui quand elle devait en recueillir quelque avantage – ou tout au moins n’en éprouver aucun dérangement. C’est ainsi qu’elle chaperonnait en ce moment une jeune orpheline dont elle avait connu les parents à Paris. Fabienne de Varsac, une jolie fille de vingt-deux ans, intelligente et gaie, était une compagne fort agréable. En outre, donna Paola, qui aimait faire des mariages, projetait d’unir la charmante Française, pourvue d’une belle dot, à un sien cousin dont le jeu venait de dévorer les derniers deniers. La réunion de cet après-midi était donnée en l’honneur de Mlle Varsac. Vêtue de rose pâle, simple et gracieuse, la jeune fille se trouvait fort entourée. Donna Paola, tout en recevant les invités qui continuaient d’arriver, jetait de son côté des coups d’œil satisfaits... Sa petite fête serait un succès, grâce à cette délicieuse Fabienne... Et Camillo se montrait fort empressé, visiblement conquis, lui qui se prétendait fort difficile. Pourtant, abstraction faite de son physique assez avantageux, il n’avait guère le droit de l’être... car enfin... hum !... ce charmant garçon n’avait rien d’un aigle, donna Paola le reconnaissait avec sincérité, en son for intérieur. Sans parler de ses nombreuses fredaines qui avaient fait mourir de chagrin sa pieuse mère...|
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Elfrida Norsten
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | De Melbourne, Elfrida avait écrit à M. Charlier pour lui demander l’hospitalité, en lui racontant succinctement ses aventures. Sa lettre arriva un matin où tout l’hôtel se trouvait en grand remue-ménage, la jeune Mme Charlier donnant ce jour même une soirée... On la remit aussitôt à M. Charlier père qui, en la lisant, laissa échapper de sourdes exclamations : « Pauvre ami !... Pauvre petite !... Quelle aventure ! » Après un long moment de réflexion, il sonna et donna l’ordre qu’on avertît son fils de venir lui parler. Depuis trois ans, le banquier, atteint d’une paralysie du côté gauche, avait cédé à un neveu son importante maison, dont Marcel, tout occupé de recherches scientifiques, ne se souciait pas d’assumer la direction... Chez ce brave garçon blond, de mine bonasse, on ne retrouvait rien de l’esprit d’initiative, de la décision, qui caractérisaient la nature paternelle. M. Charlier avait pour son fils unique une affection quelque peu despotique, et c’était lui qui avait décidé ce mariage avec Jeanne d’Esclampes, dont le caractère autoritaire, les goûts mondains, lui semblaient devoir contrebalancer l’indolence et la sauvagerie de Marcel. – Je t’ai fait appeler, mon enfant, pour te faire part d’une nouvelle stupéfiante, expliqua le banquier. Tu te souviens, n’est-ce pas, de mon ami Valdemar Norsten ? – Celui qui fut condamné pour l’assassinat de Mme Serdal, la sœur de Raymond de Faligny ?... Je le crois bien ! J’avais seize ans alors, et j’ai suivi dans les journaux les péripéties du procès avec d’autant plus d’intérêt que vous étiez appelé à témoigner en faveur de l’accusé... Celui-ci s’évada, et l’on n’en entendit plus parler, non plus que de sa fille... Je me souviens même fort bien de lui et de la petite Elfrida, qui furent nos hôtes pendant quelques mois, avant de s’installer en Provence. – Eh bien ! je viens de recevoir une lettre d’Elfrida Norsten ! – Par exemple !... Depuis dix ans qu’ils n’ont pas donné signe de vie ! – Elle me raconte l’étonnante aventure qui leur est survenue... Norsten, avec sa fille et ses serviteurs, s’était embarqué pour la Nouvelle-Guinée. Arrivés là-bas, tous sont faits prisonniers par une peuplade de l’intérieur...|
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La Villa des Serpents
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I Hoël ouvrit la porte de chêne vitrée de petits carreaux et descendit les trois marches de granit usé qui menaient à la cour pavée précédant le jardin. Derrière lui s’élevait la vieille façade du manoir de Lesvélec. Le granit autrefois gris pâle, extrait de carrières voisines, avait pris des tons sombres. Autour des fenêtres à petites vitres verdâtres courait un rinceau sculpté représentant des coquillages et se terminant, au-dessus de chacune d’elles, en une accolade formée de deux serpents. La cour était bien tenue, sans herbe parmi les pavés, usés eux aussi. À droite, sur un haut mur, s’étendait l’admirable floraison de camélias roses et blancs. Mais le jardin était négligé. Les arbres, poussant à leur guise, étouffaient de leur ombre les plantes à fleurs, autrefois nombreuses et bien soignées. Les allées, désherbées deux fois dans la saison d’été, reprenaient vite leur frais tapis vert. Dans l’abondant feuillage, les oiseaux avaient trouvé une agréable demeure et leur gazouillement emplissait l’ombre où s’avançait Hoël de Penandour. Cet adolescent maigre et brun était le descendant de vieilles races bretonnes. Ses traits fins, son teint mat légèrement doré, ses cheveux noirs qui tendaient à boucler, il les tenait de son aïeule maternelle, une Rosnoan, de Trégaz-en-Léon. Les Penandour, marins ou agriculteurs, les deux souvent ensemble, lui avaient légué ces yeux aux teintes changeantes d’océan. De sa mère, la douce Anne de Cléden, morte en lui donnant le jour, il héritait la souple allure un peu indolente, les goûts artistiques et intellectuels. La mine pensive, serrant dans sa main droite un mince volume, Hoël marchait le long d’une allée bordée de buis mal taillés. Cette matinée de juin, brumeuse aux premières heures du jour, commençait de s’ensoleiller. Mais la lumière ne pénétrait pas à son gré entre les feuillages touffus, dont l’ombre se faisait plus dense à mesure qu’Hoël avançait vers le fond du jardin. Il déboucha enfin dans une sorte de quinconce formé par de vieux marronniers. Au centre s’élevait une fontaine : un bloc de granit, noir, strié de lichens, surmonté d’une tête grimaçante dont la bouche laissait glisser un mince filet d’eau dans une vasque de pierre verdie...|
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Le violon du tzigane
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I Mirka !... Mirka !... Mirka !... Le premier appel, lancé d’une voix rude, témoignait déjà d’une certaine impatience ; le second se fit irrité, le troisième revêtit une intonation menaçante. Mais personne n’y répondit. Et la vieille servante, ses gros sourcils blancs furieusement froncés, rentra dans sa cuisine en grommelant : – Encore à courir, cette mauvaise bohémienne ! Attends un peu, je te recevrai comme il convient, tout à l’heure ! Cependant, la voix d’Aglaja était fort bien parvenue aux oreilles de la destinataire. Mais la petite tête brune de Mirka avait répondu à l’appel par un mouvement de défi, et le maigre petit corps vêtu de vieux vêtements déteints s’était enfoncé plus commodément encore dans le trou creusé du hêtre centenaire où Mirka avait élu domicile. Elle était si bien ici, loin de Mlle de Holsenheim et d’Aglaja ! Et ce coin du parc de Rosdorf était si joli ! Elle serait grondée, peut-être battue tout à l’heure, mais tant pis ! Une fois de plus ne comptait guère, et elle aurait au moins passé une bonne après-midi près de ce joli petit lac couvert de nénuphars et moiré de grandes plaques étincelantes par le soleil à son couchant. Et puis elle se trouvait au milieu de ses arbres, ses chers arbres. Ils étaient ses seuls amis, elle leur parlait comme à des êtres intelligents et elle écoutait leurs réponses Car ils lui répondaient. L’enfant des bohémiens, la fille des races errantes, découvrait un sens au frémissement des feuilles soulevées par la brise, au craquement des branches, aux bruits mystérieux courant à travers les futaies de Rosdorf et de la forêt d’Harbenheim, sa voisine. Au printemps, elle se réjouissait à la montée de la sève, à l’éclosion des petites feuilles vert tendre ; à l’automne, elle pleurait lorsque le sol se couvrait des dépouilles jaunies de ses amis. Elle s’inquiétait si l’été était torride et, l’hiver, venait admirer leur blanche parure, se réjouissant depuis que Lohn, le vieux domestique à tout taire de Rosdorf, lui avait appris que la neige ne les incommodait pas, bien au contraire...|
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La fée de Kermoal
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I Dans la campagne endormie sur la lande obscure, par la nuit sans lune, le long des chemins étroits bordés de haies d’épine, des ombres se glissaient, furtives, aux aguets. Elles hésitaient longtemps avant de se rejoindre, écoutant, avant de s’y décider, le bruit prudent des pas, et si elles s’accostaient enfin, elles le faisaient en silence, annonçant leur présence par un simple geste. Et par ces silhouettes que seul un œil exercé eût distinguées des arbres et des buissons, tant étaient profondes les ténèbres, la lande et les champs immobiles s’animaient peu à peu, se transformaient en un sombre fleuve qui lentement, sans bruit, s’acheminait vers le même but. Ce but, faible lueur à peine perceptible au travers des rideaux très épais, c’était la chapelle du château de Kermoal. Une à une, les ombres franchirent la porte à peine entrouverte. Un jeune homme de fière mine examinait chacun au passage, puis souriait et laissait passer. Les bancs de bois se garnirent d’une foule recueillie qui attendit en priant que sonnât minuit. La chapelle, d’assez vastes dimensions, était éclairée de mille bougies disposées dans de hauts candélabres de cristal ; l’autel disparaissait sous une masse extraordinaire de fleurs blanches, de gerbes neigeuses que, depuis la veille, les paysans d’alentour et les pêcheurs de la côte cornouaillaise apportaient, dissimulées sous leurs blouses ou leurs mantes. Car un grand événement se déroulerait, à l’heure de minuit, au château : le comte Ely de Tréguidy mariait sa fille Hoëlle, et à dix lieues à la ronde, la jeune fille, avec raison, avait été surnommée « la petite fée de Kermoal » par tous ceux que son cœur généreux, son inlassable et tendre dévouement ne laissaient jamais dans la peine, la souffrance ou le besoin sans y porter aide ou remède. Et chacun voulait être là pour être témoin de son bonheur. Or, en ce printemps de l’an 1792, cruelle époque où toute cérémonie religieuse était interdite par des lois scélérates, l’assistance à la Sainte Messe pouvait fort bien conduire un chrétien téméraire dans les prisons de la Révolution, ces prisons dont on ne revenait pas...|
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Entre deux âmes
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I Les membres du Jockey-Club venaient de fêter, ce soir, la toute récente élection à l’Académie du marquis de Ghiliac, l’auteur célèbre de délicates études historiques et de romans psychologiques dont la haute valeur littéraire n’était pas contestable. Dans un des salons luxueux, un groupe, composé de ce que le cercle comptait de plus aristocratique, entourait le nouvel immortel pour prendre congé de lui, car la nuit s’avançait et seuls les joueurs acharnés allaient s’attarder encore. De tous les hommes qui étaient là, aucun ne pouvait se vanter d’égaler quelque peu l’être d’harmonieuse beauté et de suprême élégance qu’était Élie de Ghiliac. Ce visage aux lignes superbes et viriles, au teint légèrement mat, à la bouche fine et railleuse, cette chevelure brune aux larges boucles naturelles, ces yeux d’un bleu sombre, dont la beauté était aussi célèbre que les œuvres de M. de Ghiliac, et la haute taille svelte, et tout cet ensemble de grâce souple, de courtoisie hautaine, de distinction patricienne faisaient de cet homme de trente ans un être d’incomparable séduction. Cette séduction s’exerçait visiblement sur tous ceux qui l’entouraient en ce moment, échangeant avec lui des poignées de main, ripostant, les uns spirituellement, les autres platement, à ses mots étincelants, qui étaient de l’esprit français le plus fin, le plus exquis, – un vrai régal ! ainsi que le disait une fois de plus un de ses parents, le comte d’Essil, homme d’un certain âge, à mine spirituelle et fine, en se penchant à l’oreille d’un jeune Russe, ami intime de M. de Ghiliac. Le prince Sterkine approuva d’un geste enthousiaste, en dirigeant ses yeux bleus, clairs et francs, vers cet ami qu’il admirait aveuglément. À ce moment, M. de Ghiliac, ayant satisfait à ses devoirs de politesse, s’avançait vers M. d’Essil : – Avez-vous une voiture, mon cousin ? À tous les dons reçus du ciel, il joignait encore une voix chaude, aux inflexions singulièrement charmeuses, et dont il savait faire jouer toutes les notes avec une incomparable souplesse. – Oui, mon cher, un taxi m’attend...|
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Sainte-Nitouche
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I La famille Arzen Losbéleuc est une petite ville bretonne joliment située au bord d’une rivière très claire et entourée de bois jusqu’ici épargnés par la cognée dévastatrice qui dénude impitoyablement tant de nos plus belles contrées. C’est aussi une très vieille ville, extrêmement fière de son ancien quartier, où les rues étroites n’ont pas un pavé égal à l’autre, où les maisons, datant du règne de la duchesse Anne, offrent au touriste archéologue, ou simplement curieux du passé, ample matière à étude et à observations. L’église, très sombre, est un curieux spécimen d’architecture du temps, le pont qui enjambe la rivière en est un autre. Ici, c’est une tourelle travaillée comme une dentelle de pierre ; là, une fenêtre à meneaux qui fait tressaillir d’admiration les connaisseurs ; plus loin, une vénérable fontaine qui porte les armes de Bretagne. Il n’est pas jusqu’à l’herbe poussant entre les pavés, jusqu’à la moisissure verdâtre couvrant certains des vieux logis, jusqu’aux délicieux jardins livrés à eux-mêmes et dévalant, en luxuriantes vagues de verdure échevelée, vers la paisible rivière, qui n’ajoutent à l’ancien quartier une note de pittoresque et d’archaïque poésie. Losbéleuc a aussi un quartier neuf, près de la gare – une jolie gare blanche qui voit descendre peu de voyageurs, la petite ville n’offrant d’attraits qu’à ceux que le passé attire. Le mot neuf doit s’entendre ici comme terme de comparaison, car la plupart des demeures qui composent ce quartier, pour n’avoir pas eu l’honneur de voir le règne de la bonne duchesse, n’en sont pas moins assez vénérables. Tel, entre autres, se présente le logis de maître Arzen, principal notaire de Losbéleuc, une bonne vieille maison sans prétentions architecturales, où toute la nichée trouve largement à se caser, où l’air et le jour circulent librement dans les grandes pièces auxquelles on n’a pas ménagé les fenêtres. Une famille charmante, ces Arzen. Sept enfants, fort bien élevés par des parents très tendres et très fermes à la fois. De plus, une bonne-maman que chacun vénère...|
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Le sceau de Satan
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I Arrivé à la fin de la montée, j’arrêtai ma voiture. À gauche de la route s’étendait une châtaigneraie, lumineuse sous le soleil matinal. À droite, la bondissante rivière, à demi cachée par les arbustes penchés vers sa fraîche haleine, grondait au fond du ravin profond qui formait la base d’une falaise noire, bloc de basalte autrefois jailli du sol lors de quelque puissante convulsion volcanique. Des hêtres couronnaient cette hauteur, qu’une assez large faille séparait d’une autre presque semblable, due sans doute au même bouleversement millénaire. Au bord de celle-ci, une terrasse étendait ses pilastres de pierre grise. Je sus ainsi, d’après la description de Pierre Harige, que je me trouvais en face du domaine des Roches-Noires, but de mon voyage. L’année précédente, au cours d’un séjour à Luchon où j’accompagnais ma mère, j’avais fait la connaissance de ce cousin qui logeait avec sa famille au même hôtel que nous. Mon père n’avait jamais entretenu de relations avec ses parents de Corrèze. Le cousinage, d’ailleurs, datait d’assez loin. J’ignorais donc tout de ces Harige que le hasard me faisait ainsi rencontrer. Pierre Harige habitait, l’hiver, Orléans, pays de sa femme, et l’été une propriété qu’il possédait aux environs de Brive. À lui, comme à Mme Harige, comme à leurs deux enfants, Monique et Michel, on pouvait appliquer cette épithète : quelconque. À peu près toutes leurs préoccupations convergeaient vers ce but : penser, dire, faire ce qu’ordonnait la mode, sans idée personnelle, en y mettant d’ailleurs une certaine ingénuité qui atténuait un peu l’agacement causé par cette sottise moutonnière. Pierre Harige m’apprit l’histoire de ma famille paternelle que mon père, mort jeune, n’avait pu me faire connaître. D’ailleurs, d’après ce que me disait ma mère, il devait l’ignorer lui-même...|
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La lune d'or 2
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I De nombreux invités, en cette soirée de février, évoluaient dans les salons de Mme Cormier, née Francisca Lirdès. On remarquait parmi eux un certain nombre de Mexicains, compatriotes de la maîtresse du logis. Celle-ci, ex-jolie femme d’une cinquantaine d’années, avait eu son heure de grand succès. En dépit de quelques aventures, elle avait su conserver une certaine apparence de décorum et avait assez bien élevé sa fille, aujourd’hui une grande et belle personne de vingt ans. Sa fortune, considérable, lui permettait un train de vie luxueux, de fréquentes réceptions. Celles-ci étaient généralement agréables, Mme Cormier s’entendant à recevoir. Mais les gens sérieux lui reprochaient l’éclectisme de ses relations et particulièrement son intimité avec des actrices dont la vie privée formait l’un des thèmes habituels des potins de salons. Ce soir, parmi ses hôtes, on remarquait précisément la belle Jeanne Parvy, qui connaissait à l’Opéra des succès que la valeur de sa voix, assez médiocre, n’aurait pas suffi à expliquer. Elle était fort entourée, fort complimentée. Mais elle semblait distraite et son regard, fréquemment, se dirigeait vers l’entrée des salons, paraissant guetter une arrivée. – Elle attend don Ruiz de Sorrès, chuchota en riant Maxime Cormier, neveu de la maîtresse du logis, à l’oreille d’un jeune homme de petite taille, d’allure souple et d’apparence vigoureuse, dont le nez de respectable dimension s’allongeait dans un visage mat aux yeux foncés, demi cachés sous des paupières ombrées. Ce jeune homme réprima un tressaillement et dit avec une indifférence jouée : – Vous voulez parler de ce Mexicain, ce fils d’un de nos plus opulents hacenderos, qui est très remarqué, paraît-il, très recherché par les plus jolies Parisiennes ?..|
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La fin d’une Walkyrie
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I Une lampe électrique, coiffée d’un abat-jour couleur de pourpre, éclairait le petit fumoir décoré avec un goût sobre. Dans la clarté douce, un peu rosée, se détachaient le visage énergique et froid du comte Boris Vlavesky, avec ses yeux songeurs, souvent ironiques, toujours énigmatiques, et près de lui la pâle et mince figure du comte Cyrille, son cousin germain. Ils appartenaient tous deux à une race ancienne et très noble. Le père de Boris avait dilapidé au jeu une grande partie de sa fortune, et sa mère avait vu la sienne diminuée par de mauvais placements. La comtesse, veuve depuis une dizaine d’années, administrait le domaine de Klevna, dont elle versait à son fils les revenus. Ceux-ci, bien qu’assez considérables encore, semblaient peu de chose à un homme tel que le comte Boris, élevé dans le luxe, ayant reçu la plus brillante éducation et possédant tous les goûts du grand seigneur. Néanmoins, on ne lui avait jamais connu de dettes. Il détestait les cartes, ne pariait pas aux courses, et nul ne se souvenait de l’avoir vu prendre du champagne plus que de raison, au cours des parties fines entre jeunes officiers. Un de ses camarades avait dit de lui : – Il n’y a pas d’homme qui soit plus parfaitement maître de soi, et qui apporte jusque dans le plaisir tant de clairvoyance, de scepticisme, avec la volonté de n’être jamais dominé ou enchaîné. Fort intelligent, doué d’une rare capacité de travail, le capitaine Vlavesky était noté comme le plus remarquable parmi les officiers des gardes à cheval. Nul mieux que lui, avec ce mélange de fougue et de froide autorité qui le caractérisait, ne savait entraîner ses hommes et s’en faire aveuglément obéir. Très estimé de ses chefs, possédant en outre la faveur impériale, il jouissait d’un fort grand prestige dans le corps d’élite dont il faisait partie...|
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Gwen, princesse d’Orient
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I La résidence des rajahs de Pavala, à Bornéo, se composait de plusieurs palais, construits au milieu de jardins magnifiques et reliés entre eux par de longues galeries de marbre blanc. Ils avaient chacun leur nom. Celui de Sa Hautesse Han-Kaï s’appelait le palais de la Lumière Heureuse. Sa Hautesse Han-Kaï, jeune rajah de Pavala, portait, en France, le nom du vicomte Dougual de Penanscoët. Il était, en effet, le fils du comte Ivor de Penanscoët, dont la résidence personnelle était connue sous le nom de palais du Dragon d’Or. Comment ces Bretons se trouvaient-ils à la tête de cet État hindou ? De tout temps, les membres de la famille de Penanscoët, dont l’origine était perdue dans les brumes de la légende, avaient aimé les aventures lointaines d’où ils revenaient bien souvent pervertis par l’or et les plaisirs. Ne faisant pas exception à cette tradition familiale, les deux frères Ivor et Riec quittèrent très jeunes le domaine de Kermazenc – cadeau du duc de Bretagne à un de leurs lointains ancêtres – pour courir le monde. On apprit, un jour, qu’après mille mésaventures ils avaient épousé deux sœurs, filles d’un maharajah. Mais, tandis que Riec mourait l’année suivante, suivi peu après dans la tombe par sa femme, Ivor avait été désigné par le rajah de Pavala pour lui succéder. Et c’est ainsi qu’il était devenu un puissant despote oriental. Il était resté de longues années sans revenir en France, mais s’était tout de même décidé à aller passer un été dans son château de Kermazenc. Il était accompagné dans ce voyage de sa femme Nouhourmal, de son fils Dougual, de son confident, un brahmane nommé Appadjy, et de ses nombreux domestiques indigènes, hindous, malais et chinois. Il avait donné des fêtes somptueuses, dignes d’un potentat d’Orient, transportant pour une nuit ses invités bretons dans les féeries des Mille et une Nuits. Depuis peu, il était de retour à Palava. Son fils l’avait précédé de quelques jours. Cet après-midi, il travaillait dans une salle fraîche et parfumée en compagnie de son fidèle Appadjy et d’un secrétaire à qui il dictait du courrier, quand Dougual entra. D’un geste, Ivor congédia le secrétaire. Restés seuls, le comte, son fils et le brahmane s’entretinrent, en prenant le thé, de quelques faits de politique générale qui, à ce moment, occupaient l’Europe. M. de Penanscoët les ramenaient à sa grande préoccupation : une organisation secrète, formidable, du monde asiatique...|
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Anita
Updated at Apr 10, 2020, 08:16
Extrait | I Le professeur Handen déposa sa plume et se renversa dans son fauteuil avec un soupir de soulagement. Il était enfin terminé, ce travail sur les origines de la Germanie, œuvre longue et ardue qui lui avait pris des années, coûté de patientes recherches et devait donner à son nom une célébrité européenne. Maintenant, il lui serait loisible de prendre du repos, et peut-être, l’esprit plus tranquille, donnerait-il au corps la vigueur qui lui manquait. Un grand frisson le secoua tout entier. La chaleur était cependant intolérable dans ce cabinet de travail fermé de portières et de lourds rideaux, encombré de bibliothèques et de tables chargées de livres. C’était la retraite austère du savant... celle aussi d’un homme qui souffrait, qui se sentait envahi, terrassé chaque jour par une faiblesse plus grande. En un geste las, la main fine du professeur passa à plusieurs reprises dans les cheveux blonds à peine grisonnants qui couronnaient son front très haut. Une fatigue indicible se lisait dans son regard, et, un instant, ses yeux se fermèrent. Mais aussitôt il se redressa. Repoussant d’un geste impatient les manuscrits épars devant lui, il murmura : – Vais-je me laisser aller, maintenant ? Qu’ai-je donc ce soir ? Je ne suis pas malade, cependant... et même je vais certainement mieux. Il se leva et se mit à arpenter la pièce. Sa taille élevée se découpait en une ombre gigantesque sur la muraille éclairée par les lampes du bureau. Au bout d’un moment, il interrompit sa promenade et, prenant une photographie dans le tiroir d’un secrétaire, il se rapprocha de la lumière pour la regarder. Elle représentait deux jeunes gens d’une quinzaine d’années, l’un très mince, très blond, avec un regard rêveur et doux ; l’autre, brun, aux traits d’une régularité remarquable, aux superbes yeux foncés, profonds et tendres, décelant une âme ardente. Ils se tenaient affectueusement appuyés l’un sur l’autre, et le blond rêveur posait sa main, en un geste de tendre protection, sur l’épaule de son compagnon...|
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