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Les deux crimes de Thècle

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I Ce maussade matin de mars, quand j’entrai dans son bureau, Mme Lachaud m’accueillit par ces mots :

– Préparez vos valises pour partir demain matin, Marie-Marthe.

– Mes valises ? C’est pour un temps assez long, sans doute ?

– Oui, je le pense, d’après ce que m’a dit le docteur Guyon-Latour.

Et elle m’expliqua qu’il s’agissait d’une jeune fille amenée par son médecin à Clermont afin de consulter cet excellent praticien. Guyon-Latour avait prescrit un traitement assez compliqué, que pouvait seule appliquer une infirmière expérimentée.

– ... début de paralysie à quinze ans. Elle en a seize et son état s’aggrave. Mauvaise hérédité du côté maternel. D’ailleurs, vous verrez ce soir le docteur ; il vous donnera les instructions nécessaires.

– Bien, Madame, je vais me préparer. Où est-ce ?

– En Corrèze, à la campagne. Le docteur vous donnera des précisions. Prenez de quoi vous couvrir, car il est possible que ce soit fort mal chauffé.

Elle eut un sourire sur son visage demeuré frais sous les cheveux gris, en ajoutant :

– Mais vous n’êtes pas trop frileuse, heureusement, et la campagne ne vous fait pas peur.

– Non, du moment où je m’occupe, je me trouve bien partout. À quelle heure dois-je voir le docteur ?

– À six heures, ici. Je vous reverrai avant votre départ, Marie-Marthe.

Elle me tendit la main et je sortis du bureau pour monter dans la chambre que j’occupais au second étage de l’Institut Hélène-Choppet. Cette fondation, datant de sept ans, était due à une riche Clermontaise qui l’avait faite en souvenir de sa fille, morte jeune encore, en soignant les blessés dans un hôpital de guerre. Elle en avait confié la direction à son beau-frère, le docteur Guyon-Latour. On y formait des infirmières dont la réputation était grande dans toute la région. Guyon-Latour y avait établi une annexe de sa clinique. Ce fut dans le petit bureau à lui réservé qu’il me reçut, ce soir-là, un peu après six heures..|

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I
ICe maussade matin de mars, quand j’entrai dans son bureau, Mme Lachaud m’accueillit par ces mots : – Préparez vos valises pour partir demain matin, Marie-Marthe. – Mes valises ? C’est pour un temps assez long, sans doute ? – Oui, je le pense, d’après ce que m’a dit le docteur Guyon-Latour. Et elle m’expliqua qu’il s’agissait d’une jeune fille amenée par son médecin à Clermont afin de consulter cet excellent praticien. Guyon-Latour avait prescrit un traitement assez compliqué, que pouvait seule appliquer une infirmière expérimentée. – ... début de paralysie à quinze ans. Elle en a seize et son état s’aggrave. Mauvaise hérédité du côté maternel. D’ailleurs, vous verrez ce soir le docteur ; il vous donnera les instructions nécessaires. – Bien, Madame, je vais me préparer. Où est-ce ? – En Corrèze, à la campagne. Le docteur vous donnera des précisions. Prenez de quoi vous couvrir, car il est possible que ce soit fort mal chauffé. Elle eut un sourire sur son visage demeuré frais sous les cheveux gris, en ajoutant : – Mais vous n’êtes pas trop frileuse, heureusement, et la campagne ne vous fait pas peur. – Non, du moment où je m’occupe, je me trouve bien partout. À quelle heure dois-je voir le docteur ? – À six heures, ici. Je vous reverrai avant votre départ, Marie-Marthe. Elle me tendit la main et je sortis du bureau pour monter dans la chambre que j’occupais au second étage de l’Institut Hélène-Choppet. Cette fondation, datant de sept ans, était due à une riche Clermontaise qui l’avait faite en souvenir de sa fille, morte jeune encore, en soignant les blessés dans un hôpital de guerre. Elle en avait confié la direction à son beau-frère, le docteur Guyon-Latour. On y formait des infirmières dont la réputation était grande dans toute la région. Guyon-Latour y avait établi une annexe de sa clinique. Ce fut dans le petit bureau à lui réservé qu’il me reçut, ce soir-là, un peu après six heures. Il n’avait guère dépassé la quarantaine et on lui donnait à peine son âge. Maigre et brun, un peu osseux, il eût paru laid sans le regard très beau, où transparaissaient l’intelligence et la bonté. À sa manière précise et claire, il m’indiqua la nature de la maladie, le traitement à appliquer. Il insista particulièrement sur le soin à apporter aux piqûres assez délicates que je devais faire tous les deux jours. – ... D’ailleurs je sais que je puis compter sur vous, ajouta-t-il. Vous êtes la plus adroite et la plus dévouée de nos infirmières, Mademoiselle. Il était peu prodigue de compliments, et celui-ci, accompagné d’un sourire également rare chez lui, sauf pour ses malades, me fit un si vif plaisir que je rougis légèrement. – Je tâcherai de mériter la bonne opinion que vous avez de moi, docteur. Quel est le nom de l’endroit où je dois me rendre ? – Il s’appelle le château de Mieulles. Le bourg proche est Sognac. Un autobus y mène de Tulle. C’est à Sognac qu’habite le docteur Martoux, qui m’a amené Mlle de Grisolles, accompagnée de sa mère. Attirant à lui un feuillet, il me le tendit. – Voici l’heure du train pour Tulle. À Sognac, Mme de Grisolles doit envoyer une voiture pour vous amener au château, qui se trouve à six kilomètres de là. Mme Lachaud vous a-t-elle recommandé de vous munir de vêtements chauds ? Car j’ai cru comprendre que ce logis était assez inconfortable sous le rapport du chauffage. – Elle me l’a dit. Merci, docteur. Tandis que je me levais, il ajouta : – J’aurais préféré que cette malade demeurât à la clinique. Mais sa mère ne peut quitter longtemps sa demeure, y ayant beaucoup à faire, dit-elle, et, d’autre part, elle ne veut pas se séparer de sa fille. J’ai peu insisté, car après tout, le traitement, confié à une infirmière expérimentée, peut se faire sans moi. Il donnera ou non un résultat, mais en tout cas aucune aggravation n’est à craindre de par lui. Je l’ai d’ailleurs expliqué au docteur Martoux. S’il n’y a pas un mieux très sensible dans deux mois, c’est l’insuccès – donc, pour cette enfant, la paralysie gagnant le cœur. Ce que je tente m’a réussi plusieurs fois. Espérons qu’il en sera de même encore. Vous voulez bien me tenir au courant, Mademoiselle, en m’envoyant un petit rapport tous les quinze jours ? – C’est entendu, docteur. Il me tendit la main. De nouveau un léger sourire venait à ses lèvres. – Vous serez un peu perdue dans cette campagne. Je suis passé un jour à Sognac. C’est un peu sauvage, très agréable à voir par beau temps. L’hiver, ce doit être autre chose. Heureusement, le printemps n’est plus très éloigné. Si votre malade n’est pas trop exigeante, vous pourrez faire d’intéressantes promenades, puisque vous aimez la marche. Nous nous quittâmes sur ces mots. J’emportais de ce court entretien l’impression que je n’étais pas indifférente à Guyon-Latour – impression d’autant plus agréable qu’il m’était infiniment sympathique et que je le tenais en haute estime. * La neige tombait en flocons serrés quand le train s’arrêta à Tulle vers une heure de l’après-midi. L’autobus attendait devant la gare, et je m’y engouffrai aussitôt. Il démarra sans plus attendre. Les voyageurs étaient peu nombreux par ce temps. J’avais comme voisine une jeune personne vêtue d’un manteau de fourrure assez usagé. Un regard de discrète curiosité m’avait un instant enveloppée, tandis que je m’asseyais près d’elle. Je m’installai, bien enveloppée dans ma mante. Malgré les chauds lainages dont j’étais couverte, je sentais le froid me pénétrer. Une blancheur uniforme couvrait le paysage. Elle finit par m’obséder, si bien que je fermai les yeux. À cause de la couche de neige, la voiture marchait à une vitesse réduite. En outre, au bout d’une demi-heure, la route devint mauvaise. Nous étions cahotés sans ménagements. Une secousse fit tomber sur moi ma voisine. – Pardon ! me dit-elle. Cette route est affreuse ! Je ne vous ai pas fait mal, j’espère ? Elle tournait vers moi un visage sans beauté, mais dont l’expression jeune et franche me plut. – Aucunement ! Mais il a besoin d’une fameuse réfection, ce chemin ! – Elle est prévue pour cette année. Ce qui ne veut pas dire qu’elle se fera ! Mon frère, qui est maire de Sognac, la réclame depuis trois ans. Un nouveau cahot nous envoya l’une sur l’autre. Après avoir remis en place ma coiffe d’infirmière un peu dérangée, je demandai : – Combien de temps encore, pour arriver à Sognac ? – Trois quarts d’heure. Normalement, le trajet demande en tout une heure et demie, mais par ce temps !... On arrive quand on peut. – Le château de Mieulles est à six kilomètres du bourg, m’a-t-on dit ? Elle eut un mouvement de surprise. – Vous allez à Mieulles ? Oui, il y a cela environ... La fille de Mme de Grisolles est-elle plus malade ? – Je ne le pense pas, mais je dois lui faire suivre un traitement pour essayer de la guérir. – Ah !... Et vous allez demeurer là... assez longtemps sans doute ? Elle avait un air bizarre – un air de me plaindre. – Ce sera probablement assez long, en effet. Il y eut un silence profond. La route s’élevait, des hauteurs boisées et dénudées se dressaient, couvertes de neige, et à notre droite bouillonnait une rivière semée de rocs. J’avais là une bonne occasion de me renseigner quelque peu sur cette famille avec laquelle j’allais vivre. Je demandai : – Vous connaissez Mme de Grisolles ? – De vue, oui. – A-t-elle d’autres enfants que cette fille malade ? – Non, rien que celle-là. – Elle vit seule avec elle à Mieulles ? – Il y a aussi ses deux belles-filles. – Ah ! Est-elle donc veuve ? – Non, mais son mari a le cerveau un peu malade et vit en Suisse, dans une maison de santé. Du moins, c’est ce qu’on nous a dit, car nous ne fréquentons pas cette dame. Il y avait un soupçon de dédain dans son accent. Et la brièveté de ses réponses dénotait qu’elle ne tenait pas en dire davantage sur les habitants de Mieulles – probablement pour ne pas dire du mal. J’en éprouvai quelque inquiétude. Car cette jeune personne me donnait une impression de franchise, de netteté, en même temps que de bonne éducation, et si elle ne tenait pas en estime la châtelaine de Mieulles, il y avait à craindre que ce ne fût pas sans motif. Cependant, je ne cherchai pas davantage à me renseigner sur ce point. Je n’ai jamais aimé forcer les confidences, et après tout c’était a moi de me faire une opinion quand je connaîtrais Mme de Grisolles. Ma voisine, un peu après, me parla des lieux intéressants à visiter aux environs. Je lui dis que j’étais bonne marcheuse et que je comptais faire de longues promenades, si l’état de ma malade me laissait quelques loisirs. – Nous avons parfois des printemps charmants, dit-elle. Mais les excursions sont assez fatigantes dans cette contrée accidentée. Sans voiture, vous ne pourrez aller bien loin. Or, il y a tant à voir ! Elle semblait fière de son pays et continua de m’en détailler les beautés. La voiture montait toujours, contournant des ravins, des pentes couvertes d’arbres qui ployaient sous leur fardeau glacé. Puis, tout à coup, ce fut le bourg, tapi au pied d’une hauteur rocheuse dominée par un donjon carré. – Voilà Sognac... et voilà Mieulles. Ma compagne tendait le doigt vers le donjon. – ... D’ici, on ne voit pas bien le logis, surtout quand ses toits sont couverts de neige. On est prévenu de votre arrivée, sans doute ? – Mais oui, on m’attend. Il y a une voiture, au château ? La jeune personne eut une sorte de petit rire. – Oh ! la voiture de Mieulles !... Je me demande comment le vieux aura pu l’amener par ce temps. Je la regardai avec inquiétude. – Vous pensez qu’on n’aura pas pu venir me chercher ? Mais alors, comment ferai-je avec mes valises ? – Oh ! ne vous tourmentez pas ! Mon frère m’attend avec la voiture et il vous montera là-haut. Nous habitons à mi-chemin, au Loup-blanc ; ce sera donc bien facile. L’autobus stoppait à ce moment-là, devant un bâtiment qui me parut une auberge. Ma compagne descendit la première et je vis s’avancer vers elle un homme jeune et mince qui l’embrassa chaleureusement. – Tu n’as pas eu trop froid, Denise ? – Suffisamment, mon ami. J’ai hâte de gagner le coin de notre feu... Mais, dis-moi, la voiture de Mieulles n’est pas ici ? – La voiture de Mieulles ? Qu’est-ce que tu chantes là ? Vois-tu la vieille bagnole descendant par ce temps ? – Alors, il faut que tu montes quelqu’un jusqu’au château, Bernard... une infirmière qui va soigner la petite Bergasse. Je descendais à ce moment, et je crus entendre ces mots dits à mi-voix par le jeune homme : – Je lui souhaite du plaisir, la pauvre fille ! Denise se tourna vers moi, en me montrant la voiture arrêtée à quelques pas de là. – Montez vite ! Laissez vos valises, Bernard va les porter. Mais je m’arrêtai, hésitante : – Vraiment, c’est trop indiscret d’abuser ainsi... – Vous n’abusez pas, dit vivement le jeune homme. Cela ne m’allonge guère, croyez-le. Et puis, on ne peut vous laisser là en plan, car le vieux Saturnin ne descendra pas son tacot tant que durera ce temps-là. Il aurait trop peur d’en semer une partie dans la neige. Je me décidai à monter, et Denise prit place près de moi. Comme nous allions démarrer, un homme sortit de l’auberge, un papier à la main. – Excusez-moi, Monsieur Paviers, j’oubliais de vous remettre ce pli de la part du notaire qui est passé par ici tout à l’heure. – Merci, Gavinon. Et nous partîmes. Bernard Paviers conduisait avec précaution, car la route était glissante. La neige, qui avait cessé depuis une heure, recommençait de tomber en fins flocons. Au passage, Denise m’indiqua une lumière un peu lointaine en disant : – C’est là le Loup-blanc. C’est là que nous habitons. Nous montions toujours, en contournant la masse rocheuse que j’avais aperçue de Sognac. Enfin, nous nous engageâmes dans une allée bordée d’arbres dont les branches dénudées ployaient sous la neige. De profondes ornières devaient exister, car nous cahotions abominablement. – Il y a des années qu’on laisse tout cela à l’abandon, dit Denise. Cette allée d’ormes était bien entretenue jusqu’au second mariage de M. de Grisolles. Mais cette femme... Elle s’interrompit, sans doute peu soucieuse de rien dire sur celle dont j’allais recevoir l’hospitalité. Au bout de l’allée, la voiture s’arrêta dans une cour qui précédait un logis à un étage, d’antique apparence. Je descendis, remerciai avec chaleur. – Nous sommes heureux de vous avoir rendu ce service, répliqua courtoisement M. Paviers. – Et à l’occasion, ne craignez pas de nous en demander un autre, ajouta sa sœur. Il porta mes valises sur la marche de pierre, souleva et laissa fortement retomber le heurtoir de la porte. Après quoi il salua, remonta sur son siège et fit tourner la voiture pour reprendre l’allée. J’attendis un moment, mais voyant que personne ne venait, je manœuvrai de nouveau le heurtoir. Il y eut alors un frôlement derrière la porte, qui fut lentement ouverte, puis entrebâillée. Je vis un maigre et pâle visage de jeune fille, des cheveux noirs, des beaux yeux farouches et tristes. – Que désirez-vous ? Sa voix était douce et fatiguée. – Je suis Mlle Marsollier, l’infirmière de Mlle de Grisolles. – De Mlle Bergasse... Entrez. La porte ouverte enfin, je me glissai à l’intérieur avec mes valises. La jeune fille referma, puis se tourna vers moi et me regarda en silence. Elle avait un air à la fois fier et gêné. – Puis-je voir Mme de Grisolles ? demandai-je. Sans répondre, elle alla vers le fond de la grande salle dénudée où nous nous trouvions, et dans laquelle on entrait directement du dehors. Elle appela : – Thècle ! Au seuil d’une porte parut une autre jeune fille, plus grande, aussi maigre et pâle. Celle-là avait les cheveux roux, des yeux clairs et froids dont le regard m’effleura à peine. Un vieux tablier entourait sa taille, cachant à demi une robe dont l’usure était visible. – Qu’est-ce qu’elle a dit pour l’infirmière ? demanda la jeune fille brune. – Qu’on la fasse monter dès qu’elle serait là. Et, tournant le dos, Thècle disparut. À ce moment retentit une sonnette agitée du haut d’un escalier de pierre que je venais d’apercevoir, à droite de la salle. Une voix aigre cria : – Vas-tu te décider à ouvrir, Sylvine ? La jeune fille étendit le bras vers l’escalier. – Vous pouvez monter, dit-elle laconiquement. Et à son tour, elle tourna le dos, puis s’éloigna. Laissant là mes valises, je gravis les degrés de pierre usés, creusés. En haut se tenait une femme de petite taille, vêtue d’une épaisse robe de chambre grise. Elle m’accueillit par ces mots : – Mille regrets, Mademoiselle, que l’on vous ait fait attendre ! Mes belles-filles sont d’une mauvaise volonté incroyable ! Vous aurez l’occasion de vous en apercevoir. Mais ne les ménagez pas, surtout ! Il n’y a que ce moyen d’en obtenir quelque chose. J’enveloppai d’un rapide coup d’œil la femme qui se tenait devant moi. Elle semblait avoir une quarantaine d’années. Ses traits étaient assez fins et elle avait dû être jolie avant que son teint se fanât, que son nez eût cette tendance fâcheuse à rejoindre la bouche mince. D’épais cheveux blonds la coiffaient. Mais les yeux surtout me frappèrent. Aigus, brillants, fureteurs, ils me dévisageaient avec méfiance, me sembla-t-il. – Vous avez trouvé quelqu’un au bourg pour vous amener ? Il m’était impossible d’envoyer mon vieux domestique avec la voiture par ce temps. Sans attendre ma réponse, elle ajouta : – Venez faire connaissance avec votre malade. Sa voix était aimable – presque trop. – ... Ma petite Fernande vous attend avec impatience. Elle espère tellement que ce traitement va lui rendre la santé ! Je la suivis le long d’un couloir sombre. Elle expliqua : – Nous logeons dans le corps de bâtiment en retour, par derrière. Je vous ai fait préparer une chambre près de celle de Fernande. Malheureusement, vous ne trouverez pas ici le confort moderne. L’installer dans ce vieux logis eût été beaucoup trop coûteux pour mes moyens. Je l’assurai poliment que je savais m’adapter à tout. Mais en même temps je souhaitai que l’atmosphère où je devais vivre ne fût pas aussi glaciale que cet escalier et ce corridor. Je fus rassurée quant à la chambre de ma malade. Il y régnait une agréable chaleur, entretenue par un poêle bourré de bois. La pièce, de dimensions moyennes, était meublée avec une élégance prétentieuse : meubles laqués de vert, sièges recouverts de soierie rose, rideaux de soie bleu pâle. Dans le lit qui s’avançait au milieu de la chambre était étendue une jeune fille blonde. Elle m’accueillit avec des démonstrations d’amabilité que je jugeai un peu excessives. Mais je ne pouvais m’en plaindre. Tout en examinant discrètement son pâle visage amaigri, je lui déclarai que nous commencerions dès le lendemain ce traitement qui avait toutes chances de la guérir. – Oh ! oui, le plus tôt possible, dit-elle vivement. Je voudrais tant marcher, être comme les autres, comme ces filles... Elle se reprit aussitôt. – ... Comme mes sœurs. Vous me promettez que je le pourrai, Mademoiselle ? – J’ai grand espoir que nous y arriverons, ma chère enfant. Pourquoi donc, moi qui de par ma vocation, de par ma nature aussi, ressens à première vue une sympathie en quelque sorte professionnelle à l’égard de mes malades, pourquoi avais-je peine à dire ces banales paroles d’encouragement à cette petite infirme qui exprimait avec ardeur son désir « d’être comme les autres » ? Était-ce à cause de ces yeux trop clairs, dont le regard avait quelque chose de sournois ?... de cette bouche mince qui découvrait des dents aiguës ? En tout cas, ce premier contact avec la mère et la fille – qui se ressemblaient d’ailleurs – me donnait une impression peu agréable. – Je vais vous montrer votre chambre, dit Mme de Grisolles. On vous y servira vos repas. Moi, je prends les miens avec Fernande. Nous manquons de service. Notre domestique est vieux est très occupé. Trouver une servante est impossible dans ce pays. Mes belles-filles ne font guère de bonne besogne, et je dois les surveiller constamment. Aussi me voyez-vous très fatiguée. Elle ne le paraissait guère. Cette petite femme replète donnait l’impression de posséder une résistance physique peu commune. – ... Vous avez des bagages ? – Deux valises qui sont en bas. Je vais aller les chercher. – Non pas. Sylvine vous les montera. Venez par ici. Elle ouvrit une porte, descendit trois marches conduisant à une pièce étroite, éclairée par une fenêtre grillée, qui devait servir de débarras. Une autre porte en face donnait dans une grande chambre lambrissée qui me parut froide au sortir de la chambre de Fernande, bien qu’un assez bon feu brûlât dans la vaste cheminée. – Voilà ! dit Mme de Grisolles. Je pense qu’on n’a rien oublié. Vous demanderez à Sylvine ou à Thècle ce qui pourra vous manquer. Il y a une sonnette près du lit. En ce moment, la sonnerie ne fonctionne pas. Il faudra que Saturnin l’arrange demain. – J’irai tout à l’heure revoir ma malade, dès que je serai un peu installée, dis-je. – C’est cela. Elle est si heureuse de votre arrivée ! Il lui semble que, déjà, vous lui apportez la santé. À bientôt donc, mademoiselle. Au moment de sortir, elle s’arrêta et se détourna. – Mais, j’y pense, vous prendrez peut-être quelque chose de chaud ? Une tasse de thé ? – Si cela ne doit pas trop déranger, je ne demande pas mieux, car je suis transie, par ce temps. – Bien. Thècle va vous préparer cela. Elle aura ainsi un moment de moins pour paresser. Quand Mme de Grisolles fut sortie, je fis l’examen de ma chambre. L’ameublement était assez disparate : grand lit empire en acajou, armoire de chêne très vétuste, commode de noyer assez belle de lignes, mais mal entretenue, sièges plus ou moins branlants recouverts d’étoffe fanée, grands rideaux fort défraîchis. Sur le parquet, propre mais sans cire, étaient jetés deux petits tapis anciens très élimés. Dans un coin, une petite toilette d’acajou supportait une garniture en faïence dont toutes les pièces étaient quelque peu ébréchées. Cet intérieur sentait la gêne – mise à part la chambre de la malade. L’obligation de payer et d’entretenir une infirmière devait être lourde pour Mme de Grisolles. Un coup fut frappé à la porte – celle qui donnait sur le couloir, comme je m’en étais assurée. La jeune fille brune entra, déposa mes valises à terre et s’en alla, sans un mot. « Singulière personne ! » pensai-je. Je me sentais, au premier abord, mal à l’aise dans cette demeure. Mme de Grisolles et sa fille me déplaisaient. Leur amabilité même me semblait factice ; de plus, j’avais eu l’impression, chez elles, d’une certaine vulgarité. Par là-dessus, cette bizarre Sylvine... Le froid me glaçait, j’avais faim, ayant déjeuné de bonne heure, toutes choses qui ne me prédisposaient pas à l’optimisme. Toutefois, je m’efforçai de secouer cette impression et me mis à défaire ma blouse, on frappa de nouveau. Sylvine m’apportait le thé, sur un vieux petit plateau de fausse laque où se trouvaient aussi du beurre et une tranche de pain. – Mettez-le là, Mademoiselle, dis-je en désignant la commode. Je vous remercie et regrette de vous avoir dérangée. Je pourrai désormais m’en occuper moi-même. Elle me regardait avec une visible surprise. Sans doute n’avait-elle jamais vu d’infirmière en tenue de travail. En la considérant de plus près, je constatais qu’elle eût été jolie sans cette maigreur, ce teint pâle, ces yeux creusés. De beaux yeux souffrants et fiers, que mon discret examen ne semblait pas intimider. – Vous êtes la demi-sœur de ma malade ? Ses lèvres bien dessinées, trop pâles elles aussi, eurent un pli de dédain. – Non. Fernande Bergasse n’est rien pour ma sœur et moi. – Ah !... Je supposais qu’elle était née du second mariage de M. de Grisolles. Sylvine secoua négativement la tête. Puis, sans plus d’explications, elle sortit. Je bus le thé qui était détestable, en me promettant de le faire moi-même désormais. Puis je retournai près de Fernande, qui m’accueillit avec les mêmes démonstrations d’amitié.

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