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Le testament de M. d’Erquoy

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– T’as pas fini, s’pèce de courge, d’écouter les mômeries de la fille à Plautin ?

À cette aimable interpellation, Ernestine Baujoux se détourna de la fenêtre ouverte par où lui arrivaient les paroles d’un cantique, que chantait une fraîche voix d’enfant. Son visage couperosé, sur lequel une ombre d’émotion semblait passer tout à l’heure, avait déjà repris l’expression maussade et amère qui lui était habituelle.

– Ça me rappelait le temps passé... quand on croyait à tout ça, dit-elle en levant les épaules.

Isidore Baujoux ricana :

– Ah ! oui, il est passé !... Quand on pense, tout de même, qu’on voulait nous faire avaler ça ! Vrai, les parents étaient de drôles d’abrutis, et si nous avions écouté leurs leçons, nous serions encore les esclaves des curés et des patrons... Pas vrai, Achille ?

Ces mots s’adressaient à un garçonnet d’une douzaine d’années, entré derrière lui, et qui venait de jeter au hasard, dans un coin, son cartable déchiré d’où sortaient des livres en lambeaux. À la question de son père, il planta ses mains dans ses poches, en répondant d’un air important :

– C’est ce que M’sieu Palot nous a dit hier en classe, papa. Les prêtres, c’est eux qui sont cause de tout, c’est à cause d’eux que le peuple est malheureux... Et puis, il a dit aussi : « Faut pas se gêner dans la vie, mes enfants, il s’agit de se donner toutes les jouissances possibles, il n’y a que ça de vrai, voyez-vous. »

Un rire béat s’épanouit sur le visage d’Isidore, creusé, ravagé par l’alcool, et où brillaient des yeux qui témoignaient que l’époux d’Ernestine n’avait pas négligé, encore ce matin, son absinthe accoutumée...|

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I– T’as pas fini, s’pèce de courge, d’écouter les mômeries de la fille à Plautin ? À cette aimable interpellation, Ernestine Baujoux se détourna de la fenêtre ouverte par où lui arrivaient les paroles d’un cantique, que chantait une fraîche voix d’enfant. Son visage couperosé, sur lequel une ombre d’émotion semblait passer tout à l’heure, avait déjà repris l’expression maussade et amère qui lui était habituelle. – Ça me rappelait le temps passé... quand on croyait à tout ça, dit-elle en levant les épaules. Isidore Baujoux ricana : – Ah ! oui, il est passé !... Quand on pense, tout de même, qu’on voulait nous faire avaler ça ! Vrai, les parents étaient de drôles d’abrutis, et si nous avions écouté leurs leçons, nous serions encore les esclaves des curés et des patrons... Pas vrai, Achille ? Ces mots s’adressaient à un garçonnet d’une douzaine d’années, entré derrière lui, et qui venait de jeter au hasard, dans un coin, son cartable déchiré d’où sortaient des livres en lambeaux. À la question de son père, il planta ses mains dans ses poches, en répondant d’un air important : – C’est ce que M’sieu Palot nous a dit hier en classe, papa. Les prêtres, c’est eux qui sont cause de tout, c’est à cause d’eux que le peuple est malheureux... Et puis, il a dit aussi : « Faut pas se gêner dans la vie, mes enfants, il s’agit de se donner toutes les jouissances possibles, il n’y a que ça de vrai, voyez-vous. » Un rire béat s’épanouit sur le visage d’Isidore, creusé, ravagé par l’alcool, et où brillaient des yeux qui témoignaient que l’époux d’Ernestine n’avait pas négligé, encore ce matin, son absinthe accoutumée. – À la bonne heure, voilà un homme ! Profite bien de ses leçons, mon garçon, ça vaut tous les sermons du curé... Dis donc, Ernestine, qu’est-ce qu’on a à manger ? – De la charcuterie. – T’aurais pas pu faire un petit ragoût ? – Un ragoût ? Ah ! bien, si tu crois que je me donnerai la peine ! ronchonna Ernestine, tout en plantant au hasard, sur la table couverte d’une toile cirée déchirée et salie, le papier graisseux où s’étalaient des tranches de charcuterie. – À quoi q’t’es bonne, alors ? riposta Isidore en s’avançant de son pas titubant d’alcoolique. Elle eut un brusque mouvement d’épaules. – Tout m’assomme, quoi ! J’avais du courage autrefois, mais maintenant... Son regard erra autour d’elle, sur le pavage de briques couvert de taches, sur les murs maculés, les quelques meubles ternis et éraflés, les lits non faits, les hardes crasseuses jetées partout au hasard, sur tout cet ensemble de pièce mal tenue, annonçant une misère morale, d’où, probablement, découlait l’autre... – Pourquoi se donner du mal ? Tu nous annonces toujours le grand chambardement. Eh bien ! alors, on aura l’argent des riches, on se coulera du bon temps. – Ah ! sûr ! dit Isidore en s’écroulant sur une chaise, qui craqua lamentablement. Les bourgeois, on les découdra, je ne te dis que ça, ma vieille ! T’entends, petit ? – Bien sûr que j’entends ! répondit Achille, qui s’était déjà emparé de plusieurs tranches de saucisson et les avalait gloutonnement. – Dis donc, te gêne pas ! Pourquoi que tu ne prendrais pas tout, pendant que tu y es ? – Dame, papa, faut d’abord penser à soi, dans la vie ! riposta le gamin avec le plus déconcertant sérieux. Puisqu’on doit chercher à se donner tous les plaisirs. Moi, j’aime beaucoup le saucisson, je prends tout... et tant pis pour les autres ! Sur ce, allongeant la main, Achille happa ce qui restait de l’objet de ses désirs. Isidore demeura un moment bouche bée. Puis, se levant soudain, la mine furieuse, le poing levé, il s’avança vers son fils avec un affreux juron. Mais la main de sa femme se posa brusquement sur son bras. – Vas-tu pas le battre pour ça ? Il ne fait que pratiquer ce qu’on lui enseigne, cet enfant. Autrefois, on nous apprenait qu’il fallait d’abord penser au prochain avant nous-mêmes, qu’on ne devait pas rechercher rien que son plaisir, et qu’il y avait dans le ciel un bon Dieu qui punissait ou qui récompensait, selon qu’on était mauvais ou bon pour les autres. – Ah ! oui, le bon Dieu, ricana Achille. Et, de cette bouche d’enfant, sortit un épouvantable blasphème qui fit tressaillir la mère, en dépit de l’oubli de tous ses devoirs de chrétienne. – Tais-toi, je ne veux pas entendre ça ici ! cria-t-elle. – Ben quoi, t’es-t’y une calotine, maintenant ? gouailla Achille. Isidore, déjà calmé, car ses colères, souvent terribles, étaient en général fort courtes, s’était assis de nouveau près de la table et se coupait un morceau de pain. Sa voix, qui demeurait maintenant perpétuellement pâteuse, ronchonna : – Une calotine ! Faudrait voir ça, qu’elle le soit ! Je lui en ferais passer l’envie ! Ernestine se planta devant lui, les bras croisés. – Je ne suis donc pas libre ? Si ça me disait d’aller à l’église... comme autrefois ? – Tu recevrais une danse, je ne te dis que ça ! C’est pas pour rien qu’on est arrivé à l’émancipation sociale ! Faut qu’tu marches dans l’train, ma fille, ou gare ! Et un geste significatif acheva la phrase. – Ah ! oui, l’émancipation sociale !... murmura la femme avec une intraduisible intonation d’ironie amère. Pour ce que j’en connais, jusqu’ici, c’est du joli ! – Ça viendra, ma vieille ! Mais où donc que sont Léonie et Antoine. – Je crois que les voilà, dit Achille. La porte s’ouvrit brusquement, livrant passage à une grande fillette d’une quinzaine d’années, à la mine hardie, aux cheveux rouges prétentieusement coiffés. Sa jupe, tachée en maints endroits, pendait d’un côté, son corsage de percale rose aurait eu très visiblement besoin d’un lavage, mais le grand col de guipure grossière qui tombait sur les maigres épaules, et les bracelets en toc qui entouraient le poignet bruni, compensaient sans doute amplement, aux yeux de la jeune personne, toutes ces défectuosités de tenue. Derrière elle entra un petit garçon de six à sept ans, blond, pâlot, à l’air souffrant, qui portait un petit sac d’écolier, lequel alla, sans plus de façon, rejoindre le cartable d’Achille. – Tu as encore été traîner en sortant de la fabrique, espèce de feignante ? dit brusquement Ernestine. La fillette ricana : – Si on n’est plus libre, maintenant ! Je t’ai prévenue que je rentrerais quand ça me plaît, ainsi c’est inutile de m’embêter quand j’arrive. Sur ce, cette jeune personne nouveau style s’attabla... Les autres l’imitèrent, et on n’entendit pendant un moment que le bruit des mâchoires qui fonctionnaient. De la cour arrivait toujours la voix d’enfant, chantant le cantique : Je suis chrétien. – Est-elle embêtante, la gosse à Plautin, mâchonna Léonie. Son regard tomba tout à coup sur son père. Isidore s’était interrompu de manger, il semblait écouter... Et sur ce visage où le vice avait empreint son stigmate dégradant, quelque chose semblait passer soudain, comme un souffle rafraîchissant : souvenir des jours d’enfance, du temps où Isidore Baujoux s’asseyait sur les bancs du catéchisme, souvenir de la première communion, des nombreuses messes servies au bon curé si paternel, des bonnes après-midi passées au patronage, avec M. l’abbé, un grand brun, qui parlait si bien et qui savait fameusement conduire cette turbulente jeunesse... – Ça t’amuse, papa, d’entendre ces bêtises ? ricana Léonie. Isidore tressaillit un peu ; il murmura, comme continuant une pensée : – On a connu tout ça, nous autres. – Ben oui, mais nous on ne le connaît pas, voilà la différence. – T’es encore un rien clérical, papa ; nous, on est des vrais laïques. Dis donc Achille, si on lui faisait rentrer ses mômeries, à la Louisette ? Ils s’élancèrent tous deux à la fenêtre. Et là, à pleine gorge, ils entonnèrent l’Internationale. Le cantique s’interrompit. Et la fillette blonde qui chantait à une fenêtre garnie de fleurs, de l’autre côté de la cour, recula un peu, en un instinctif mouvement de répulsion. Un homme à large carrure, à la longue barbe blonde encadrant un visage énergique et bon, apparut tout à coup derrière elle, et, d’un geste indigné, ferma brusquement la fenêtre. – Là, ça y est ! dit Léonie d’un ton de triomphe. S’agit de crier plus haut qu’eux, ces calotins, on a vite fait de leur fermer le bec... Plautin était furieux, papa ! – Un sale protégé des curés et des bourgeois ! dit Isidore d’un ton haineux. Et ça fait des embarras, donc ! Dans les yeux d’Ernestine, une lueur d’envie mauvaise brilla. – Si ça en fait ! Parce qu’ils ont trois sous d’économie devant eux ! Et des grimaces de propreté, donc ! La Plautin astique, astique, que j’en ai mal aux bras de la regarder ! – C’est des faux frères, conclut Isidore, en se versant une large rasade de cidre. Mais on leur fera leur affaire en même temps qu’aux bourgeois, et leurs économies y passeront, tout comme les autres.

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