Prologue
PrologueAu cours d’une promenade en automobile aux environs de La Bourboule, le prince Salvatore Falnerra, un garçonnet d’une dizaine d’années, et sa mère sont victimes d’un grave accident. Si le prince est indemne, ainsi que le chauffeur Barduccio, la mère de Salvatore, en revanche, est blessée et le valet qui les accompagnait, tué.
Un jeune homme, attiré par le bruit de l’accident, vient immédiatement porter secours aux automobilistes et constate avec stupeur qu’une roche s’est détachée du talus au moment même du passage de l’automobile sur la route. Coïncidence ? Attentat contre la vie du prince ? Mais il faut parer au plus pressé et le jeune homme, Gérault de Varouze, propose de conduire la blessée au château de la Roche-Soreix, non loin de là. Cette proposition est acceptée par le prince.
Le château de la Roche-Soreix est habité par le comte Marcien de Varouze, qui y a recueilli sa nièce devenue veuve, Angelica d’Artillac, née Manbelli, et son fils Lionel. Habite également avec eux un neveu du comte : Gérault de Varouze, encore célibataire.
Que sa nièce refasse sa vie avec Gérault, voilà qui comblerait le désir du comte Marcien de Varouze, mais le jeune homme ne semble guère répondre aux avances de la veuve, pourtant fort belle.
La princesse Falnerra et son fils restent une huitaine de jours au château. Peu après leur départ, un garde forestier demande à parler à M. de Varouze. Mis en sa présence, il lui remet un étui à cigarettes en argent, gravé aux initiales O. M., et qu’il a trouvé sur le lieu de... l’accident. Angelica tressaille en voyant l’objet – importante pièce à conviction – que le comte confie à son neveu. Celui-ci le dissimule, sur l’ordre de M. de Varouze, derrière un des livres de la bibliothèque murale du salon. Quelques jours plus tard, on s’apercevra avec stupeur que l’étui à cigarettes a disparu de sa cachette. Qui a pu se rendre coupable de ce vol ? Sans qu’il puisse étayer ses soupçons d’une preuve quelconque, M. Gérault de Varouze n’est pas loin de croire que Brigida, la servante toute dévouée d’Angelica, s’est indélicatement approprié l’objet. N’auraient-elles pas partie liée ?
Le comte Marcien de Varouze, décidé à faire aboutir son projet, demande à son neveu de lui dire la raison de la froideur qu’il manifeste à l’égard d’Angelica, froideur qu’il ne cherche même pas à dissimuler. Gérault lui répond avec franchise qu’il ne pourra jamais épouser la veuve, car il aime une jeune Arabe, Medjine, qu’il a connue à Alep, quelques mois plus tôt, au cours d’un voyage en Orient. C’est elle qu’il veut prendre pour femme... et il demande à son oncle de vouloir bien donner son consentement à ce mariage. Le comte s’insurge contre le projet de son neveu, le désavoue et réserve sa décision.
Quelques jours plus tard, M. de Varouze, Gérault, Mme d’Artillac et le petit Lionel se rendent à La Bourboule pour répondre à l’invitation que leur avait faite la princesse Falnerra, avant son départ de la Roche-Soreix. Au cours de cette visite, Mme d’Artillac s’écarte de ses hôtes sous un prétexte quelconque pour rencontrer à leur insu Orso Manbelli, son cousin.
Orso Manbelli... O. M. : les initiales de l’étui à cigarettes... Orso Manbelli a aimé sa cousine Angelica, qui lui a préféré Félix d’Artillac, dépouillé de sa fortune par elle, condamné à mort par elle. Toujours à court d’argent, Orso est toujours amoureux d’Angelica. Pourquoi le repousse-t-elle encore ? Elle est veuve, libre... Mais la jeune femme a des vues plus hautes et, pour l’instant, elle veut seulement savoir pour le compte de qui Orso a agi en essayant de tuer la princesse Falnerra et son enfant. Mais Angelica ne saura rien, son cousin ne veut pas donner le nom de celui qui a guidé sa main. Tout ce qu’elle peut obtenir de son cousin, c’est qu’il lui écrive chez Ricardo Clesini, en adressant ses lettres au nom de son amie Sephora Galbi.
Le lendemain, le comte Marcien de Varouze fait connaître sa décision à son neveu Gérault : jamais, il ne consentira à son mariage avec Medjine. Pour réaliser son rêve, le jeune homme quitte définitivement le château de la Roche-Soreix pour retrouver en Orient celle qui l’attend et qu’il aime.
Dix ans ont passé et que d’événements se sont déroulés pendant cette période !
Au château de la Roche-Soreix, le comte Marcien de Varouze, paralysé des jambes à la suite d’une fièvre typhoïde, n’est plus que l’ombre de lui-même. Il n’a pas quitté sa chambre depuis trois ans. Voilà déjà quelques années qu’il s’est marié en secondes noces avec Angelica.
Angelica de Varouze reste maintenant le seul maître du château. Elle impose sa loi despotique sur les choses et les gens du vaste domaine, sans pitié pour le personnel et les vieux serviteurs qu’elle congédie brutalement pour les remplacer par des personnes à sa solde.
Bien qu’entouré par sa femme d’une sollicitude de tous les instants, le comte de Varouze n’est pas heureux. Affaibli par la maladie, sans volonté pour mettre obstacle aux décisions de sa femme, il n’a même pas la joie de se sentir aimé par la fille qu’il a eue d’elle : Lea, celle-ci restant complètement sous l’influence de sa mère. Il ne se rend pas compte qu’Angelica poursuit l’élaboration d’un sinistre dessein : l’attente de sa mort qui lui échoira et dont elle pourra, ainsi que Lionel, profiter alors pleinement.
Ce soir-là, un train transporte vers la Roche-Soreix, dans un modeste compartiment de troisième classe, une mère épuisée par la douleur, la maladie et le long voyage : Mme Gérault de Varouze et ses deux enfants : un petit garçon, Étienne, et une fillette de neuf ans, Ourida, à la chevelure aux tons fauves, aux yeux noirs d’une saisissante beauté.
Ces enfants n’ont plus de père : le bon Gérault est mort à Alep, après une longue maladie. Avant de mourir, il a conseillé à Medjine, maintenant sans ressources, de partir pour la France avec ses enfants, de frapper à la porte du château de la Roche-Soreix où son oncle, le comte Marcien de Varouze, ne pourra pas – il connaît sa foncière bonté – ne pas les accueillir et les aider. Certes, le comte n’a jamais répondu à ses lettres, mais il n’est pas possible qu’il n’ait pas pardonné à son neveu une union dans laquelle celui-ci a trouvé le bonheur.
Hélas ! c’est Angelica de Varouze que Medjine rencontrera la première à sa sortie de la gare et Dieu sait dans quelles dramatiques circonstances.
Terrassée par un évanouissement prolongé, elle ne pourra empêcher la femme du comte, venue à son secours, de connaître son identité, qu’elle eût voulu lui cacher à tout prix. Son alliance, tombée à terre, révèle à Angelica, par les noms gravés à l’intérieur de la bague, qu’elle se trouve en présence de celle que Gérault lui avait préférée et de ses enfants.
Angelica de Varouze ne laisse rien voir de sa découverte. Elle fait semblant de croire l’histoire que, comme une fable bien apprise, lui récite Ourida : sa maman s’appelle Mme Lambert et ils viennent tous trois de Constantinople. Medjine et ses enfants sont emmenés au château de la Roche-Soreix et logés dans une chambre de la tour la plus retirée. Bien entendu, Angelica ne révèle pas à son mari l’identité de ceux qu’elle a recueillis : ce sont, lui dit-elle, de pauvres gens qu’il convient de secourir pendant quelque temps.
La comtesse ne tarde pas à capter la confiance de Medjine, qui lui raconte sa pénible odyssée et lui avoue sa détresse. Angelica la réconforte, tout en lui demandant de ne pas chercher à rencontrer son mari hors de sa présence, de continuer à porter le nom de Lambert, Ourida devant répondre à celui de Claire. Plus tard, laisse-t-elle espérer à la pauvre femme, elle arrangerait les choses au mieux de leurs intérêts. Elle réussit cependant à subtiliser les papiers de Medjine, qui s’apercevra de leur disparition quelques jours plus tard.
Medjine et ses enfants ne restèrent pas longtemps dans la chambre du château. Une maison en partie délabrée, située à une centaine de mètres de là, devint bientôt leur nouvelle demeure. Dans les jours qui suivirent leur installation, Ourida fit la connaissance de Lea, une enfant vaniteuse et de caractère peu facile. L’autorisation pour les deux fillettes de jouer ensemble dans le parc fut accordée par Angelica, à la condition que Mlle Luce de Francueil, la préceptrice de Lea, ne quitterait pas les enfants.
C’est à cette époque que le prince Salvatore Falnerra fut reçu au château de la Roche-Soreix par Lionel, devenu son ami.
Un matin, se promenant seul de bonne heure dans le parc, il eut la surprise d’entendre chanter Ourida. C’était une chanson arabe. Intrigué, il s’approche de la fenêtre ouverte, entend le nom d’Ourida prononcé par Medjine, se montre à la fillette qui ne peut réprimer un mouvement de surprise. Le prince promet à Ourida de garder pour lui le secret de leur rencontre.
Un événement fortuit devait bientôt bouleverser la vie monotone des réfugiés : la mise en présence d’Ourida avec son grand-oncle, le comte Marcien de Varouze.
Punie par la sévère Brigida et enfermée dans la cave de l’habitation, Ourida découvrit que cette cave communiquait avec un souterrain, lequel conduisait à la resserre des provisions du château. S’enhardissant, elle suit un couloir, monte un étroit escalier de pierre menant au premier étage, pousse une porte au hasard. Celle-ci donne accès à une vaste chambre où, dans le lit, semble dormir un homme au visage creusé, la barbe grisonnante. Et soudain jaillit de ses lèvres un nom : Gérault, le nom du père d’Ourida.
Un mouvement instinctif pousse la fillette vers son grand-oncle, elle se fait connaître, lui livre la vérité. Le comte Marcien de Varouze est atterré par les révélations d’Ourida : sa femme, en qui il avait pleine confiance, lui a menti. Il rassure Ourida, lui promet de la revoir bientôt. Quand Angelica, quelques heures plus tard, s’approche de son lit, le comte, ne pouvant contenir sa colère, lui demande raison de ses mensonges. Angelica répond que cette Lambert prétend être, en effet, la veuve Gérault, mais ne peut faire la preuve de son identité. C’est, à son avis, une folle qu’il convient de surveiller de près.
Devant les menaces d’Angelica, Ourida avoue qu’elle a vu le comte Marcien de Varouze.