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Des plaintes dans la nuit

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Le vent glacé qui soufflait, en cette veille de Noël 1880, dans les rues couvertes de neige, n’invitait guère les passants à s’attarder devant les étalages élégants et les tentantes promesses des magasins parés pour cette époque de fêtes, en la bonne ville de Fürtsberg. Le ciel d’un gris de lin strié de blanc, le jour terne de cette fin d’après-midi augmentaient encore l’unanime désir de gagner le logis clos, joyeusement éclairé, ou les salles de brasserie dont les lumières s’allumaient déjà comme une alléchante invitation, comme un défi à la tristesse du dehors.

Mais tous n’avaient pas le loisir de fuir la nuit glaciale. Quelques pauvres femmes, mal défendues contre le froid par des vêtements trop minces, s’occupaient à balayer la neige pour en former des tas, que le vent implacable éparpillait de nouveau. Alors, avec une résignation navrante, les mains bleuies recommençaient l’inutile besogne. Car ce travail de Danaïdes représentait le prix du repas de ce soir.

Une petite femme mince et frêle s’arrêta tout à coup, en lâchant son balai. Déjà très pâle auparavant, elle devenait livide, et elle chancela en se retenant à la porte d’une maison de luxueuse apparence.

– Léna, voyez donc !... Cette malheureuse se trouve mal ! s’écria une voix harmonieusement timbrée.

En même temps, une fine main gantée de clair s’étendait pour soutenir la balayeuse, et un charmant visage de jeune fille se penchait vers elle.

Une grande femme maigre, qui avait la correcte apparence d’une femme de chambre, se courba à son tour vers la malheureuse qui s’évanouissait décidément tout à fait.

La jeune fille, dont les beaux yeux foncés témoignaient d’une ardente compassion, dit vivement :

– Il faudrait la soigner ! Si nous appelions Wilhelm pour aider à la monter ?...|

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ILe vent glacé qui soufflait, en cette veille de Noël 1880, dans les rues couvertes de neige, n’invitait guère les passants à s’attarder devant les étalages élégants et les tentantes promesses des magasins parés pour cette époque de fêtes, en la bonne ville de Fürtsberg. Le ciel d’un gris de lin strié de blanc, le jour terne de cette fin d’après-midi augmentaient encore l’unanime désir de gagner le logis clos, joyeusement éclairé, ou les salles de brasserie dont les lumières s’allumaient déjà comme une alléchante invitation, comme un défi à la tristesse du dehors. Mais tous n’avaient pas le loisir de fuir la nuit glaciale. Quelques pauvres femmes, mal défendues contre le froid par des vêtements trop minces, s’occupaient à balayer la neige pour en former des tas, que le vent implacable éparpillait de nouveau. Alors, avec une résignation navrante, les mains bleuies recommençaient l’inutile besogne. Car ce travail de Danaïdes représentait le prix du repas de ce soir. Une petite femme mince et frêle s’arrêta tout à coup, en lâchant son balai. Déjà très pâle auparavant, elle devenait livide, et elle chancela en se retenant à la porte d’une maison de luxueuse apparence. – Léna, voyez donc !... Cette malheureuse se trouve mal ! s’écria une voix harmonieusement timbrée. En même temps, une fine main gantée de clair s’étendait pour soutenir la balayeuse, et un charmant visage de jeune fille se penchait vers elle. Une grande femme maigre, qui avait la correcte apparence d’une femme de chambre, se courba à son tour vers la malheureuse qui s’évanouissait décidément tout à fait. La jeune fille, dont les beaux yeux foncés témoignaient d’une ardente compassion, dit vivement : – Il faudrait la soigner ! Si nous appelions Wilhelm pour aider à la monter ? – Mademoiselle Genovefa, y pensez-vous ? Songez à la scène que nous fit Mlle Héloïse, ce jour où elle trouva dans l’antichambre ce petit garçon blessé que vous aviez fait entrer pour le panser... Le plus pratique est de confier cette pauvre femme à Sophie Schulzer qui s’entend si bien à soigner les malades. – Soit, si vous croyez cela préférable, ma bonne Léna. Quelques-unes des balayeuses s’étaient rapprochées et s’exclamaient avec une pitié bruyante sur l’état de leur compagne, non sans jeter des coups d’œil d’admiration mêlée d’envie sur la jeune fille dont le teint délicat, rosi par le froid, ressortait si bien près de la fourrure foncée qui ornait la jaquette de velours noir. D’une rue transversale arrivaient à ce moment un petit vieillard maigre et alerte, vêtu d’une riche pelisse, et un jeune homme dont l’allure élégante, la rare distinction frappaient aussitôt. Tout en avançant, ils regardaient avec intérêt le groupe arrêté devant la grand-porte aux ferrures luxueuses. Mais, comme ils approchaient, la jeune fille et sa femme de chambre disparurent par cette porte, précédant la malade, que portaient trois de ses compagnes. Le vieillard dit avec un sourire d’ironie : – Je suppose que si la belle Héloïse avait été à la place de sa sœur, les choses se seraient passées tout autrement. La pauvre femme aurait pu mourir dans la neige sans qu’elle daignât même lui jeter un regard. – Qui est cette Héloïse au cœur de roche, mon cher oncle ? – La sœur aînée de Mlle Genovefa de Herstein, cette charitable jeune personne que tu viens d’apercevoir. Leur père, le baron de Herstein, est banquier. – Ce nom ne m’est pas inconnu. La famille de Herstein n’est-elle pas originaire de Bavière ? – En effet. Petite noblesse, mais assez ancienne. Karl de Herstein a reçu le titre de baron il y a quelques années. Il avait hérité d’un très petit patrimoine ; mais, travailleur, intelligent, très doué pour les questions financières, il a fini par devenir associé, puis directeur de la banque où il avait débuté comme employé. Il fait de belles affaires, car il a le flair. C’est un habile homme – d’une grande probité, d’ailleurs. Cependant, on prétend – mais les mauvaises langues pullulent – qu’il a en ce moment de graves embarras d’argent. Bah ! si la chose est vraie, il s’en tirera avec son habituel bonheur et sa fille aînée continuera de dominer dans nos cercles mondains par ses toilettes et sa beauté tandis que la charmante Genovefa demeurera, je l’espère, le type de la grâce et de la charité. – Oui, charmante, véritablement ! dit le jeune homme, en jetant au passage un coup d’œil vers la porte, demeurée ouverte, par où avait disparu Mlle de Herstein. Dans le hall de l’opulente demeure dont le banquier occupait le premier étage, Sophie Schulzer, la fille du concierge, accueillait les arrivantes avec une exclamation d’étonnement. Léna l’ayant mise au courant du service attendu, elle acquiesça avec empressement et fit déposer la malade sur le canapé d’une petite salle. Genovefa lui remit une large aumône pour sa protégée, puis, ayant vu celle-ci se ranimer, elle la laissa à ses mains expertes et gravit, suivie de Léna, l’escalier couvert d’un moelleux tapis. Dans l’antichambre de l’appartement, il y avait quelque désordre, expliqué par la présence de fleuristes occupés à orner le grand salon dont la porte, largement ouverte, laissait voir les belles proportions et la décoration luxueuse. Près de cette porte se tenait une jeune personne grande et bien faite. Une lourde chevelure noire et satinée tombait en coques molles sur sa nuque. Elle se détourna lentement, montrant un visage mat, des traits réguliers, mais dont l’expression était en cet instant fort désagréable. – Te voilà enfin ! Vraiment, tu en prends à ton aise, en me laissant tout le poids de cette surveillance !... Ces ouvriers sont tellement stupides !... Elle baissait à peine la voix en prononçant ces derniers mots. Genovefa fronça légèrement les sourcils, en désignant d’un geste léger les fleuristes affairés autour d’un massif de plantes vertes. La brune jeune fille leva les épaules, tandis qu’un sourire moqueur entrouvrait ses lèvres. – Bah ! qu’importe ! Qu’ils entendent ou non, je ne me soucie guère de ce que peuvent penser ces gens-là ! L’orgueil, le mépris, brillaient dans les yeux d’un gris clair, sur lesquels tombait la frange des cils froncés. Genovefa enveloppa sa sœur d’un regard où se mêlaient le reproche et la tristesse. Mais elle ne répliqua rien, car la présence des ouvriers la gênait – et elle connaissait d’ailleurs, de longue date, l’inanité de toutes les observations s’adressant à l’âme sèche et pétrie de morgue de son aînée. Héloïse traversa le grand salon, en relevant sa jupe de taffetas vert bronze, garnie de petits volants bordés de velours noir, pour éviter les branchages semés sur le parquet. Genovefa la suivit, tout en demandant : – Mon père n’est pas encore rentré ? – Non... C’est-à-dire, je ne crois pas, répondit distraitement Héloïse. Elle s’arrêtait devant une glace pour redresser une savante ondulation de sa coiffure. – ... Je lui ai bien recommandé de ne pas revenir trop tard, afin que nous puissions dîner de bonne heure. Les deux sœurs entrèrent dans le petit salon voisin, meublé selon les derniers décrets de la mode, et qui était le domaine particulier d’Héloïse. Celle-ci, d’un mouvement indolent, se laissa tomber dans un fauteuil profond. – Je suis vraiment exténuée ! À peine revenue du patinage – la glace était affreuse, aujourd’hui ! – il m’a fallu donner un coup d’œil aux pièces de réception, car j’ai une confiance fort limitée dans le goût de Mme Wilsend. Enfin, jusqu’au dîner, je vais trouver un peu de repos ! – Qui t’oblige à mener cette vie mondaine ? dit Genovefa, non sans quelque ironie. Debout à quelques pas de sa sœur, elle enlevait sa jaquette et la toque de fourrure qui coiffait ses cheveux d’un blond délicatement doré. – Évidemment, personne. Mais c’est la seule admissible – pour moi du moins. Autrement, je périrais d’ennui, car je n’ai pas, comme toi, la ressource des ouvrages interminables et des études savantes. – À qui la faute ? Tu n’as jamais voulu te plier au moindre travail. – Oh ! certes non ! Je ne fais aucune difficulté pour reconnaître que j’étais une des plus mauvaises élèves du couvent. Aussi mon père m’en a-t-il promptement retirée pour me rappeler près de lui. Donc, je ne suis ni une savante ni une artiste ; je ne sais même pas faire un de ces petits ouvrages dans lesquels tu excelles. Mais je suis réputée la plus belle, la plus élégante parmi les jeunes femmes de notre ville. Et tout, dans notre demeure, ne marche-t-il pas à souhait sans que j’aie rien à voir en ces ennuyeux détails de ménage ? Crois-moi, petite fille, il n’est aucunement nécessaire de poser pour la femme pratique, ainsi que j’en découvre la tendance en toi. Cette affectation, d’ailleurs, déplairait souverainement à notre père. – Le penses-tu, Héloïse ? J’ai cru cependant m’apercevoir qu’il semblait, depuis quelque temps, assez mécontent des dépenses vraiment excessives dont témoignent les notes présentées par Mme Wilsend. – Lui ? Allons donc ! Il est d’esprit trop large pour s’abaisser à ces mesquineries. Pourvu que sa maison soit montée sur un pied suffisamment luxueux, sa table délicatement servie et ses filles bien parées, il ne s’inquiète pas de quelques milliers de thalers en plus ou en moins. Genovefa secoua la tête. – Le gaspillage est préjudiciable, même aux très grosses fortunes. En tout cas, cet argent inutilement dépensé serait le salut de bien des malheureux. Héloïse eut un rire sardonique. – Vraiment, tu es complète ! Je te savais d’une dévotion exagérée, très encline à une sotte pitié envers des êtres évidemment malheureux par leur faute ; mais en arriver à vouloir taxer nos dépenses pour donner notre argent à ces misérables, voilà qui est inadmissible ! Si tu gardes ces idées-là dans notre monde, ma très chère, tu feras rire de toi, tout simplement ! Demande à mon père et à Stephan leur avis là-dessus, tu verras ce qu’ils te répondront Une ombre couvrit le lumineux regard de Genovefa. – Demander à Stephan ? Oh ! je connais d’avance sa réponse ! C’est un bon cœur, mais le monde l’a gâté, pauvre frère. Il donnera aisément l’aumône, car il est généreux par nature, mais il le fera insouciamment, sans un regard de compassion pour celui qui l’implore – et pourvu que cette aumône ne soit pas cause d’une privation pour lui. – C’est la vraie, la bonne manière. C’est aussi celle de notre père... Et toi, tu n’es qu’une exagérée, ma petite. Genovefa, jugeant inutile de répliquer encore, prit dans une corbeille un ouvrage de crochet et s’assit près de la cheminée où flambait un beau feu de bois. Héloïse, étendue dans le fauteuil, fermait les yeux. Au-dehors, la rafale augmentait encore. Mais les intempéries s’arrêtaient aux fenêtres bien closes de ce petit salon tiède où les violettes et les lilas répandaient leur parfum. Héloïse fit observer, sans soulever les paupières : – Je ne m’explique pas pourquoi mon père n’a pas pris la voiture. Ce n’est pas son habitude et, vraiment, il aurait pu choisir un autre temps pour cette innovation. Genovefa dit avec surprise : – Comment, il est sorti à pied ? Cependant, il était fatigué, depuis quelques jours... – Je ne sais ce que le sous-directeur est venu lui confier, mais il est parti précipitamment, oubliant même son chapeau, que Wilhelm a couru lui porter. Genovefa s’écria d’un ton de reproche : – Tu ne t’es pas informée ? Tu l’as laissé partir ainsi ? – Oh ! je ne m’inquiète pas si vite, enfant ! riposta Héloïse avec nonchalance. Il s’agit de quelque ennui passager, d’une crise financière quelconque ; mais ce soir, nous le verrons de nouveau gai et aimable, prêt à accueillir ses hôtes. – Gai, il ne l’est plus guère depuis deux mois. Visiblement, un souci le préoccupe... Genovefa s’interrompit en voyant paraître, sur le seuil de la porte donnant dans le grand salon, le vieux valet de chambre de son père. – Que voulez-vous, Wilhelm ? – Gracieuse demoiselle, c’est Son Altesse le prince de Vorst... La voix du visiteur avait une intonation inusitée et, à la lueur de deux petits candélabres posés sur la cheminée, Genovefa discerna sa physionomie altérée. – Le prince de Vorst ? À quel propos ? Que veut-il ? Elle se levait, allait vers la porte. Wilhelm s’effaça et, derrière lui, parut le petit vieillard qui avait assisté tout à l’heure, avec son neveu, à la courte scène de la rue. – Mademoiselle, je suis un messager de mauvaises nouvelles, dit-il avec une compatissante douceur. M. de Herstein... – Mon père ? Il lui est arrivé un accident ? L’angoisse étranglait la voix de Genovefa. Près d’elle arrivait Héloïse, que le nom du visiteur avait aussitôt fait se lever avec empressement. – Oui, une voiture lourdement chargée l’a renversé, et... Voyant qu’il hésitait, Genovefa demanda d’une voix presque inintelligible : – Il est mort ? – Non, mais son état est... très grave. Le vieillard prenait et serrait fortement la main de Genovefa. – ... Mon neveu, le comte de Gheldorf, surveille son transport ; il sera ici dans quelques minutes. Quand l’accident est arrivé, nous nous trouvions à quelques pas de lui. Il semblait distrait, préoccupé, et n’a pas évité à temps cette voiture dont le conducteur se trouvait quelque peu en état d’ébriété... Il me semble que les voici... Genovefa s’élança vers l’antichambre, et, de là, sur le palier. Au milieu d’un groupe d’hommes, que dominait de sa fière prestance le neveu du prince de Vorst, elle vit son père inanimé, porté avec précaution.

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