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Le sceau de Satan

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Arrivé à la fin de la montée, j’arrêtai ma voiture. À gauche de la route s’étendait une châtaigneraie, lumineuse sous le soleil matinal. À droite, la bondissante rivière, à demi cachée par les arbustes penchés vers sa fraîche haleine, grondait au fond du ravin profond qui formait la base d’une falaise noire, bloc de basalte autrefois jailli du sol lors de quelque puissante convulsion volcanique. Des hêtres couronnaient cette hauteur, qu’une assez large faille séparait d’une autre presque semblable, due sans doute au même bouleversement millénaire. Au bord de celle-ci, une terrasse étendait ses pilastres de pierre grise. Je sus ainsi, d’après la description de Pierre Harige, que je me trouvais en face du domaine des Roches-Noires, but de mon voyage.

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II
II Devant le château, face au parterre, s’étendait une pergola garnie de rosiers sous laquelle nous fut servi le café, après un déjeuner qui avait mis en valeur le talent de Laurentine. Il y avait là, outre Pierre Harige, sa femme, plus fardée que jamais, Mme Ambroise Harige, dite tante Eugénie, maigre vieille dame à la mine lassée, indifférente, et Mme Rambel, la mère de Valentine, de Marguerite et de Paul. Je savais qu’elle était veuve d’un sculpteur de valeur, qu’elle n’avait qu’une fortune médiocre et occupait une fonction de secrétaire chez un homme politique ami de son mari. Monique m’avait dit : « La tante Jeanne, c’est le devoir, plutôt sec. » De fait cette figure anguleuse offrait peu d’agrément. Les lèvres souriaient à peine comme à regret, le regard était un peu dur, mais semblait révéler une assez vive intelligence. Au point de vue distinction, comme mise et comme allure, Mme Rambel l’emportait de beaucoup sur Mme Pierre. Je devais reconnaître bientôt qu’il en était de même sous le rapport intellectuel. Mais à ce premier repas, elle ne parla guère, M. Ambroise tenant presque constamment le dé de la conversation en m’interrogeant sur ma mère, ma sœur, mes frères, en parlant de Paris qu’il n’avait plus revu depuis une dizaine d’années. Maintenant, il était allé faire la sieste habituelle dans son bureau. Sa femme avait disparu pour accomplir sans doute l’une des besognes ménagères qui, d’après Pierre Harige, constituaient son unique plaisir. Mme Pierre brodait un sac de flamboyante soie rouge qui devait s’assortir à une robe de Monique et Mme Rambel tricotait en échangeant avec elle quelques vagues propos. Pierre Harige s’était joint à notre groupe de jeunes. Il fumait en écoutant Paul me parler des paysages d’alentours que j’aurais plaisir à connaître. – ... Vous verrez le Creux de l’Enfer. On nomme ainsi le vallon sauvage où se trouve le vieux logis de nos ancêtres Harige. Celui-ci appartient à notre cousin Pascal. Une partie est fort ancienne. C’était la demeure paysanne, à laquelle on a ajouté par la suite d’autres bâtiments. Mais ceux-ci ont déjà assez d’âge pour s’harmoniser avec le reste. – C’est une affreuse maison, mortellement triste, dit Marie-Claude. Je la regardai, car le son de sa voix m’avait surpris. J’y discernais comme une sourde irritation. Sa physionomie, un instant auparavant toute rieuse, me parut subitement assombrie. – Cela, je te le concède, déclara Paul. Je n’y vivrais pas non plus avec plaisir. Mais Pascal s’y trouve bien. Il s’occupe beaucoup de ses terres et, en outre, c’est un grand lecteur. Jamais il ne s’ennuie, prétend-il. – Ce n’est pas la marque d’un esprit ordinaire, dit Valentine. Elle était assise en face de moi. Ses doigts, longs et minces, tenaient une cigarette qu’elle portait de temps à autre à ses lèvres, d’un geste machinal. Elle était vêtue d’une robe couleur d’orange claire qui donnait quelque éclat à sa peau très mate, à ses cheveux noirs un peu ternes dont l’ondulation trop apprêtée accentuait la sécheresse des lignes du visage. Elle avait une jolie bouche, bien dessinée, mais froide, sans vie sous le fard. Sa voix était un peu basse, avec des intonations profondes et donnait cependant une singulière impression de dureté. Marie-Claude eut une sorte de petit ricanement. – Tu crois ? Singulière idée ! J’ai remarqué au contraire que les simples d’esprit, en général, ne connaissent pas l’ennui. Non que je veuille assimiler Pascal à ceux-là, mais je ne puis parvenir à trouver en lui rien qui l’élève tant soit peu au-dessus du commun des mortels. – Parce que tu as envers lui une prévention tout à fait enracinée. Il n’y a rien à faire contre cela. Le ton de Valentine était sec, légèrement dédaigneux. La tasse que tenait Marie-Claude oscilla entre ses doigts. Comme elle était assise près de moi, je ne voyais pas sa physionomie ; mais je perçus dans sa voix une note de défi quand elle riposta : – Rien, rien, en effet. Paul dit en riant : – Oh ! quant à moi, je ne le trouve pas très récréatif, ce brave Pascal. C’est un type de province un peu trop renforcé. Nous n’avons guère de goûts communs et s’il n’existait que lui comme voisinage, par ici... Mais nous avons nos amis des Bourdettes, Jacques Brézennes et sa sœur. Celle-ci est une de vos collègues, Bernard. Sortie il y a deux ans de l’école des Chartes, elle cherche dans toutes les archives de notre province des documents pour un ouvrage sur la sorcellerie dans le Limousin. – Très intéressant ! dis-je. J’aurai plaisir à causer de cela avec elle. – Nous vous conduirons demain aux Bourdettes. Peut-être verrez-vous son frère aujourd’hui, car il vient presque quotidiennement, surtout depuis qu’il est le fiancé de Marie-Claude. – Ah ! vous êtes fiancée, ma cousine ? Toutes mes félicitations. Je me tournais vers elle. À ce moment, elle portait la tasse à ses lèvres et buvait les dernières gorgées de son café. Je vis briller ses yeux, je les vis sourire joyeusement. Elle posa la tasse sur une table, près d’elle, et tout en cherchant son mouchoir dans le petit sac posé sur ses genoux, dit gaiement : – Merci ! Jacques sera très content de vous connaître, et Gilberte également. Monique lui a dit que vous étiez un type dans son genre, pas du tout « avant-garde ». – Ce qui n’est pas un compliment dans votre bouche, hein ! Monique ? Je regardais en riant le petit visage trop rose, qui me faisait toujours penser à ces fades bonbons fondants qu’une aïeule me donnait, en mon enfance. – C’est que vous avez parfois des idées d’un archaïsme !... Mais je leur ai dit aussi que vous saviez être très aimable, à l’occasion. Le rire frais de Marguerite jaillit comme une fusée légère. – Ah ! c’est fort heureux ! En réalité, Bernard, Monique ne vous a pas fait trop mauvaise presse et vous ne serez pas mal accueilli dans la contrée. Nous devisâmes gaiement pendant un moment, puis, comme la chaleur ne permettait pas encore de promenade, nous nous dirigeâmes, mes cousines, Paul et moi, vers l’extrémité du parterre, là où se trouvait la vieille balustrade de pierre que j’avais aperçue de la route. Valentine seule ne nous accompagna pas. Elle allait, déclara-t-elle, travailler dans sa chambre. – C’est un cerveau, ma sœur, dit Paul, tandis que nous avancions dans une des allées où quelque ombre commençait de s’étendre. Elle ne prend guère de plaisir qu’à ses études médicales, à ses observations sur les malades confiés à ses soins. À part le chant – elle a une très belle voix – rien ne l’intéresse particulièrement, hors sa profession. – C’est un cerveau ? Marie-Claude marchait devant nous, près de Marguerite. Elle détourna un peu la tête en répétant : – C’est un cerveau ?... rien que cela, tu crois ? Je vis sa bouche moqueuse, le vif éclair de son regard. Paul demanda, d’un ton où je sentis passer quelque surprise : – Tu en doutes ? Elle leva un peu les épaules et se détourna sans répondre. Dans l’étroite allée, elle marchait d’un pas souple de jeune sportive bien musclée, cependant demeurée très féminine. Marguerite avait la même élégance dans l’allure, mais avec une grâce plus fine, avec plus de sveltesse dans sa mince personne vêtue de blanc. Sa chevelure aux tons de châtaigne claire tombait sur la nuque blanche en boucles légères qui, visiblement, ne devaient rien à l’art du coiffeur. Quant à Marie-Claude j’avais déjà remarqué que ses cheveux d’un blond si chaud étaient coiffés en un chignon d’ailleurs fort gracieux, mais qui surprenait chez cette belle jeune fille dont les goûts, les habitudes, le genre d’existence me paraissaient assez loin de mériter le qualificatif de « vieux jeu ». À l’extrémité du parterre s’arrondissait un antique bassin de pierre où luisait une eau morte, un peu verdâtre. Autrefois, ainsi que me l’expliqua Paul, une canalisation y amenait l’eau d’une source voisine. Mais M. Ambroise avait jugé inutile de la faire réparer, de telle sorte que la pluie et la neige alimentaient seules maintenant le vieux bassin. – L’oncle est un peu « serré », ajouta Paul en souriant. – Avare, veux-tu dire. L’amour de l’argent, c’est sa vie. Et je trouve cela odieux ! Sur cette réplique nerveusement lancée, Marie-Claude s’avança jusqu’à la balustrade où déjà s’accoudaient Marguerite et Monique. Je la suivis et contemplai un moment les châtaigneraies inondées par la brûlante lumière d’été, les monts voilés d’une brume bleuâtre. Au-dessous de nous, la rivière roulait ses eaux étincelantes vers lesquelles penchaient les frais arbustes du ravin. Puis nous nous assîmes sur deux vieux bancs, à l’ombre d’un bosquet de noisetiers plantés à droite de la balustrade. Monique entama le récit de son récent séjour à Royan, pendant le mois d’août. Nous n’écoutions qu’à moitié son bavardage futile. La chaleur nous engourdissait, je pense. Marie-Claude, d’un geste affectueux, appuyait sa main sur l’épaule de Marguerite. Je les regardais, toutes deux différentes et si charmantes dans la fraîcheur de leur jeunesse qu’aucun artifice ne venait détruire. Oui, toutes deux, certes. Mais secrètement, déjà, ma préférence allait vers cette fine Marguerite en qui je pressentais une âme d’une qualité plus rare. Après avoir admiré sa brillante cousine, mon regard se reportait complaisamment sur elle. En ce moment, elle gardait un air songeur. Sur ses joues mates, la chaleur amenait un peu de rose. Puis, à une réflexion gouailleuse de son frère qui s’adressait à Monique, elle rit doucement, et ses yeux pensifs reprirent vie, lumière, gaieté. Monique, vexée, riposta aigrement. Il y eut une courte discussion entre les deux cousins ; mais la jeune personne n’était pas de taille à lutter verbalement avec Paul, redoutable ironiste. Elle s’en tira en quittant la place, après avoir déclaré d’un air pincé qu’« il existait heureusement des gens plus intelligents ». – Oui, les petits idiots avec qui elle danse, boit des cocktails et se fait cuire la peau sur le sable de Royan. Bonne fille, cette Niquette, mais quelle oie ! – Paul ! Marguerite regardait son frère avec reproche. Il eut un rire franc, un peu moqueur. – Chère petite Marguerite, tu le penses aussi bien que moi. Mais n’offensons pas davantage la charité. Voyons, que décidons-nous pour notre promenade ? La faisons-nous maintenant ? – Si tu veux, dit Marie-Claude. Elle était nonchalamment appuyée au dossier du vieux banc. Mais elle se redressa, tout à coup redevenue vive, allègre. – Je prendrai ma voiture... vous, la vôtre, sans doute, Bernard ? – Certainement ma cousine. Qui aurai-je le plaisir d’emmener ? – Paul... peut-être Valentine, si elle daigne nous accorder sa compagnie. Moi, j’aurai Marguerite. – Et Monique ? – Elle ira avec qui elle voudra, ou bien dans sa voiture, si ça lui chante. À moins que la vue de Paul lui inspire une telle horreur qu’elle lui préfère la solitude. D’un bond souple, Marie-Claude se mit debout, rieuse, pleine d’entrain. – ... Et maintenant, allons nous préparer, mes bons amis !

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